Précis d'histoire de l'Eglise

Chapitre 3 : Les ordres religieux

1. Ordres monastiques

Un moine (1556)

1. Fondation de nouveaux ordres. Au XIIe siècle, l’ordre des Clunistes tomba dans la mondanité. De nouveaux ordres plus stricts assurèrent la relève. Bruno de Cologne fonda dans la région de Grenoble l’ordre des Chartreux. La règle des Chartreux obligeait ceux-ci à vivre dans le silence et dans l’isolement. Ils se rendirent utiles par leurs travaux de copistes.

A la même époque, fut fondé l’ordre de Cîteaux, dont la maison mère se trouve, comme Cluny, en Bourgogne. Les Cisterciens, à cause de leur costume, ont été appelés les moines blancs. L’autorité ne résidait pas entre les mains d’un abbé, mais d’un chapitre qui se réunissait tous les ans. La simplicité et l’austérité de leur ordre, et surtout le rayonnement de la forte personnalité de Bernard de Clairvaux, leur ont valu un immense succès, si bien qu’ils pouvaient rivaliser avec les Clunistes.

Les Chartreux comme les Cisterciens groupaient, autour des pères, des frères lais (laïques) qui vaquaient aux tâches matérielles, étaient soumis à la règle, mais ne participaient pas à la direction de l’ordre.

On peut mentionner encore l’ordre de Grammont fondé en 1073 en Auvergne et celui de Fontévrault au Poitou, fondé en 1094, qui avait à sa tête une abesse qui dirigeait des couvents d’hommes et des couvents de femmes.

Bernard de Clairvaux (vers 1450),
vitrail, Paris, musée de Cluny.

2. Bernard de Clairvaux (1091-1153) est une des figures les plus caractéristiques du monachisme médiéval. Il entra tout jeune dans l’ordre de Cîteaux et devint supérieur d’un couvent qu’il établit dans la vallée sauvage de Clairvaux.

La maison qu’il dirigeait prit une telle importance, que beaucoup d’autres cisterciens s’y affilièrent. Bernard savait allier la sévérité à la douceur et à la sollicitude pour les moines. Il se faisait une haute idée de la vie monacale, qu’il considérait comme la voie la plus sûre pour faire son salut. Il a regretté les autorités excessives de sa jeunesse qui ont nui à sa santé.

Il a défendu l’orthodoxie catholique avec beaucoup d’énergie ; d’ailleurs sa théologie n’avait rien d’aride ; au contraire, elle était tout imprégnée de mysticisme. La postérité lui a conféré le titre de Docteur de l’Eglise. On peut déplorer qu’il ait encouragé le mariolâtrie, tout en niant l’immaculée conception.

Il a été le conseiller écouté de plusieurs papes, en particulier de son disciple Eugène III (1145-1153). Il a réprimé, au cours de ses voyages, divers abus au sein de l’Eglise. Il était en correspondance avec les principaux souverains du temps. Son humilité personnelle ne l’a pas empêché d’être la personnalité la plus influente en Europe dans la première moitié du XIIe siècle.

Il a laissé de nombreux écrits, sermons, lettres, traités. Son chef d’œuvre est peut-être me cantique « Chef couvert de blessures », où il exprime admirablement sa foi et son amour pour le Sauveur. Les catholiques le considèrent comme le dernier Père de l’Eglise.

Après sa mort, l’ordre de Cîteaux ne tarda pas à décliner.

2. Ordres divers

Cette période vit naître, à côté des ordres monastiques, d’autres ordres qui réclamaient aussi les trois vœux, mais présentaient un autre idéal que la vie contemplative et monacale.

1. Les ordres hospitaliers. Leurs adeptes se vouaient au soin des malades, des étrangers, des captifs.

Les moines hospitaliers les plus anciens sont ceux de Saint-Jean établis dès 1099 en Terre Sainte, mais ils ne tardèrent pas à constituer un ordre de chevalerie ; ceux de Saint-Antoine qui fondèrent un hospice à Vienne en Dauphiné (1095) ; ceux du Saint-Esprit organisés en 1178 par Guy de Montpellier, avec une maison mère à Rome ; les Trinitaires ou Mathuriens (1198) qui s’attachaient à délivrer les captifs faits par les Turcs.

2. Les ordres de chevalerie. Ces ordres naquirent à la suite des croisades. Leurs adeptes prêtaient outre les trois vœux ordinaires, celui de combattre les infidèles. L’idéal ascétique et l’idéal chevaleresque du Moyen-Age se trouvaient ainsi combinés.

L’ordre des Templiers était destiné particulièrement à la protection du Saint-Sépulcre. Il fut fondé par Hugues Payens sur l’emplacement du Temple de Salomon. Les Templiers se recrutèrent surtout parmi les chevaliers français.

Les chevaliers de Saint-Jean ont réorganisé, sur le modèle de l’ordre du Temple, un ancien ordre hospitalier. La plupart appartenait au peuple italien. Après s’être vaillamment battu en Terre Sainte, les chevaliers de Saint-Jean se retirèrent à Rhodes, où ils poursuivirent leur lutte contre les Turcs.

L’ordre teutonique, qui groupait des chevaliers allemands, fut fondé plus tard et ne travailla pas beaucoup en Terre Sainte. Mais les chevaliers teutoniques s’établirent sur les confins de la Baltique, christianisèrent par le fer et par le feu la Prusse et la Livonie ; et organisèrent dans cette région un grand état ecclésiastique.

Des ordres de chevalerie locaux se constituèrent en Espagne pour lutter contre les Maures.

3. Associations libres. A la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe siècle, un prêtre, Lambert le Bègue, fonda dans la région de Liège et de Louvain l’association des Béguines. Celles-ci vivaient en commun dans un béguinage, et se livraient aux œuvres pies et au soin des malades ; mais elles ne prêtaient aucun vœu et pouvaient rentrer dans le monde quand elles le voulaient. Dans la suite une association d’hommes, celle des Beghards, se constitua sur le même modèle.

4. La vie canonique. Elle retrouve aussi un regain de vitalité à cette époque. Les principaux chanoines qui se sont soumis à une règle sont les Augustins et surtout les Prémontrés, organisés par Norbert aux environs de Laon (1129).

3. Ordres mendiants

Saint François en extase
par Francisco de Zurbarán,
Alte Pinakothek, Munich.

1. Franciscains. François d’Assise (1182-1226) était fils d’un riche marchand. Sa jeunesse fut dissipée, mais il se convertit, renonça à tous ses biens et se retira dans la solitude. Dans l’impossibilité de fonder une mission en Terre Sainte, il se mit à prêcher dans son pays avec une grande puissance, et des disciples ne tardèrent pas à se joindre à lui. Il sollicita en vain auprès d’Innocent III la permission de constituer un ordre, mais Honorius II (1216-1227) la lui accorda. Peu avant sa mort, dans un moment d’extase, il reçu la communication des stigmates de la passion du Christ. Il mourut, couché sur la terre nue.

C’est une des figures les plus attachantes du Moyen Age. Il avait le sentiment très vif et très poétique de la nature. Un de ses chefs-d’œuvre est le Cantique du soleil, le premier document en langue italienne. Il était à la fois très ardent et très doux. Son amour pour les malheureux, pour les humbles lui gagnait les cœurs. Sa prédication chaude et évangélique, ses appels vibrants à la repentance et à la foi remuaient les foules.

Les franciscains ou frères mineurs ne prêtaient que les trois vœux ordinaires. Mais la pauvreté devait être absolue. Ils ne possédaient que leur robe brune et leur corde. Ils devaient mendier leur nourriture quotidienne, ne jamais manier d’argent. La prédication jouait un grand rôle dans leur activité. Ils étaient hiérarchisés. Chaque couvent avait son gardien ; tous les moines d’une région étendue dépendaient d’un provincial ; à la tête de l’ordre entier se trouvait un général résidant à Rome. François fonda, avec l’aide d’une jeune fille nommée Claire, un ordre de femmes, celui des Clarisses, presque aussi rigoureux que l’ordre des hommes. Il fonda aussi un tiers-ordre destinés aux laïques qui, sans prêter les vœux et sans quitter le monde, désiraient manifester le même esprit que les franciscains. Il y avait là une heureuse innovation ; car elle soulignait qu’on peut rechercher une piété authentique sans embrasser la vie monastique.

Après la mort de François, son ordre se divisa. La majorité préconisa un relâchement de la règle trop sévère. La minorité se sépara sous la direction du thaumaturge Antoine de Padoue, en prenant le nom de « Frères de la stricte observance ».

Saint Dominique,
détail du Christ aux outrages,
une fresque de Fra Angelico au couvent San Marco.

2. Dominicains. Dominique Guzman (1170-1221), né en Castille, fit de bonnes études. Dans un voyage au midi de la France, il fut frappé par les progrès des Albigeois et par l’impuissance où se trouvaient les riches moines cisterciens à les combattre. Il résolut de prêcher le catholicisme en manifestant la même pauvreté que les prédicateurs albigeois. Innocent III lui donna des encouragements et Honorius III l’autorisation de fonder un ordre.

Il organisa celui-ci sur le modèle de l’ordre franciscain. Même pauvreté absolue, même hiérarchie. Mais les Dominicains ou frères prêcheurs se distinguent, surtout au début, par un désir plus âpre de combattre l’hérésie. Ils se glorifiaient d’être les « chiens du Seigneur : Domini canes ».

3. Importance des ordres mendiants. Deux autres ordres, celui des Carmes et celui des Augustins, organisés à cette époque suivant le même principe, n’eurent pas beaucoup de succès au début. Mais l’ordre des Franciscains et celui des Dominicains se développèrent avec une rapidité foudroyante. Cela tenait à leur idéal très rigide, à leur caractère populaire, au droit qui leur fut conféré de prêcher et d’entendre les confessions, mais surtout au fait que leur organisation les mettait, plus que les autres, entre les mains du pape. Cela n’empêcha pas de violentes rivalités entre eux.

Les Augustins étaient d’abord des ermites. C’est dans la suite qu’ils prirent modèle sur les moines mendiants. Quant aux Carmes, ils remontent à un ancien groupement d’ermites qui existait au Mont Carmel dès avant les Croisades et qui fut réorganisé avec une règle analogue à celle des Dominicains.

Lettre au pape Eugène III.

« … Vous êtes l’évêque des évêques : les Apôtres, vos aïeux ont reçu pour mission de ranger l’univers aux pieds de Jésus-Christ… chacun a son troupeau dont il a la charge ; pour vous, tous les troupeaux ne font qu’un, et il vous est confié. Pasteur de toutes les brebis, et pasteur de tous les pasteurs.

« … Pourtant qu’est votre pouvoir ? Un domaine à exploiter ? Nullement ; une tâche à assumer… La chaire pontificale vous enorgueillit ; ce n’est pourtant qu’un poste de surveillance, ainsi que le dit votre nom d’« évêque »… ce monde vous n’en avez pas la propriété, vous n’en avez que la responsabilité, la possession en est au Christ.

« … N’est-ce pas régir excellement que régir par amour ? Vous avez été placé à la tête du troupeau du Christ pour le servir et non pour régner sur lui. Et j’ajoute : Il n’y a ni fer ni poison que je redoute pour vous autant que la passion de dominer. »

BERNARD DE CLAIRVAUX
cité par Mme Y. Girault, dans
Le christianisme aux quinze premiers siècles.

Cantique du Soleil.

Très Haut, Tout puissant, bon Seigneur, à toi sont les louanges, la gloire, l’honneur et toute bénédiction.

A toi seul, Très Haut, ils conviennent, et nul homme n’est digne de le nommer.

Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement messire le frère Soleil, par qui tu as fais le jour et nous éclaires.

Et il est beau et il rayonne à grande splendeur : de toi, Très Haut, il est le signe.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Lune et les Etoiles : dans le ciel tu les as formées, claires, précieuses et belles.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Vent, et pour l’air et le nuage, le serein et tout temps, par lesquels à tes créatures tu donnes le soutien.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Eau, qui est fort utile et humble, précieuse et chaste.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Feu, par qui tu éclaires la nuit : il est beau et joyeux, robuste et puissant.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre maternelle sœur la Terre, qui nous porte et nous mène et produit la variété des fruits avec les fleurs colorées et l’herbe.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour de toi, soutenant injustice et tribulation.

Bienheureux sont-ils de persévérer en paix, car par toi, Très-Haut, ils seront couronnés.

Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre sœur la mort corporelle, à qui nul homme vivant ne peut échapper.

Malheureux ceux-là qui meurent en péché mortel !

Bienheureux ceux qui ont accompli tes très saintes volontés, car la seconde mort ne pourra leur nuire.

Louez et bénissez mon Seigneur et remerciez-le, et servez-le avec grande humilité.

FRANÇOIS D’ASSISE
cité par Weyerganz,
Saint-François d’Assise.
Trad. par le R.P. DAMIEN-VORREUX.

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