Précis d'histoire de l'Eglise

Chapitre 4 : La théologie

1. La Scolastique. Avec l’essor général de la civilisation, la soif de connaître a grandi pendant cette période, et abouti à la fondation de nombreuses écoles, en particulier des premières universités, celles de Bologne, d’Oxford et de Paris. Les maîtres étaient appelés scolastiques, et ils ont donné leur nom à la théologie de leur époque.

Pour les théologiens scolastiques, la vérité n’est plus à découvrir : elle est établie par l’Ecriture, par les Pères, par les conciles. Mais il reste à l’expliquer à la raison humaine qui, pour les scolastiques, est souvent dépassée, mais non contredite par la révélation. Il reste aussi à tirer des principes énoncés dans la Bible et la tradition toutes les conséquences logiques possibles, de façon à préciser les dogmes anciens et à en déduire de nouveaux.

Une question qui a beaucoup préoccupé les scolastiques est celle de la réalité des universaux ou idées générales. Les réalistes qui se rattachaient à Platon et Augustin en étaient convaincus. Les nominalistes n’y voyaient que des noms, la seule réalité se trouvant dans les êtres individuels. Depuis la condamnation de Roscelin qui niait la réalité de l’essence divine et aboutissait au trithéisme, le nominalisme a été suspect et la plupart des théologiens ont été au moins modérément réalistes.

2. Théologiens avant Thomas d’Aquin. Anselme, archevêque de Canterbury (1033-1109) a été appelé le père de la scolastique. Pour lui, la foi doit précéder la connaissance. Il faut croire d’abord aux vérités révélées, puis, après les avoir expérimentées, il faut chercher à les comprendre, et cela par la seule raison. Anselme a bien mérité de l’Eglise chrétienne par sa petite monographie : Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? Il y montre qu’une réparation infinie devait être offerte à Dieu pour compenser le péché de l’humanité, et permettre au pardon de s’exercer. Dieu seul pouvait offrir cette réparation et pour l’offrir au nom de l’humanité, il fallait qu’il se fasse homme. L’homme-Dieu était tenu de vivre saintement ; sa vie n’était donc pas une réparation. Mais il n’était pas tenu de mourir ; sa mort est donc un don volontaire qu’il peut offrir à Dieu et qui compense le péché des hommes.

Anselme a voulu aussi prouver l’existence de Dieu dans son Proslogion. Il avance l’argument ontologique. Dieu est l’être le plus grand qu’on puisse concevoir. Or un être qui existe en réalité est plus grand qu’un être imaginaire. Donc on ne peut concevoir que Dieu n’existe pas en réalité.

Pierre Abélard (1079-1142), professeur à Paris, connu par son amour malheureux pour Héloïse, a adopté la méthode opposée à celle d’Anselme. Il veut comprendre avant de croire Aussi, dans son ouvrage Sic et non examine-t-il les affirmations des Pères, et cherche-t-il à les concilier par la méthode dialectique, de façon à se former une théologie raisonnable avant d’y adhérer. En ce faisant, il tombe parfois dans l’hérésie. Bernard de Clairvaux l’a fait condamner à l’occasion d’une discussion publique à Sens. Il mourut dans la retraite du couvent de Cluny.

Sur la rédemption, Abélard a formulé la théorie de l’influence morale. La croix est preuve d’amour destinée à provoquer en nous la repentance et l’amour pour Dieu, et c’est ainsi que nous sommes sauvés.

Pierre Lombard, dit le maître des sentences († 1164) reprit sa méthode, mais avec plus de prudence. Lui aussi professeur à Paris, il examine les sentences des Pères et cherche à les concilier par la méthode dialectique, mais sans tomber dans l’hérésie. Il a ainsi classifié les diverses doctrines et a fait un travail qui a servir de base à tous les théologiens postérieurs.

La dominicain Albert le Grand (1206-1280), professeur à Cologne et Paris, a initié l’Occident à la philosophie d’Aristote, qu’il a connue assez imparfaitement par l’intermédiaire des Arabes, et qu’il a cherché à concilier avec le christianisme.

On peut encore mentionner les théologiens mystiques Hugues de Saint Victor († 1141) et Richard de Saint Victor († 1173), et le Franciscain anglais Alexandre de Halès († 1265), qui lui aussi, a fait connaître Aristote en Occident.

Saint Thomas d’Aquin
Retable de Carlo Crivelli (1494)

3. Thomas d’Aquin (1225-1274), né dans le royaume de Naples, entra dans l’ordre des Dominicains, fut disciple d’Albert le Grand et devint professeur à Paris, puis à Naples. Sa Somme Théologique complétée par ses disciples après sa mort, est le chef-d’œuvre du système scolastique. Il continua l’œuvre de son maître en combinant le christianisme avec la philosophie d’Aristote. L’orthodoxie catholique se présente à ses yeux comme un ensemble harmonieux pleinement conforme aux exigences de la raison humaine.

Il distingue nettement les vérités que selon lui la raison livrée à elle-même peut découvrir, et parmi lesquelles il range l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, et celles pour lesquelles une révélation surnaturelle est nécessaire. Il réserve ainsi une place importante à la religion naturelle à côté de la foi révélée. D’ailleurs à ses yeux même les dogmes qu’il reconnaît inaccessibles à la seule raison peuvent être expliqués jusqu’à un certain point par le raisonnement.

D’autre part, il insiste sur la grâce et la prédestination. Il affirme la valeur infinie, en elle-même, de la mort du Christ. Il ne croit pas à l’immaculée conception de Marie. Il a contribué de la sorte à freiner les tendances fâcheuses du catholicisme.

Il a exercé une influence immense de son temps. Les Dominicains ont mis un point d’honneur à être thomistes. Aujourd’hui encore son ouvrage est considéré comme la base de toute instruction théologique au sein du catholicisme.

On a encore de lui un ouvrage apologétique, la Somme de la foi catholique contre les Gentils, qui est un témoignage du zèle missionnaire qui animait tous les ordres mendiants.

4. Contemporains de Thomas d’Aquin. Le général Franciscain Bonaventure (1221-1274) a reçu comme Thomas le titre de Docteur de l’Eglise. Il se distingue par son ardeur mystique.

Le Franciscain Duns Scot († 1308), originaire des îles britanniques, professeur à Oxford et à Paris, a combattu le rationalisme de Thomas d’Aquin. Pour lui, la volonté prime la raison. La réalité est ce qu’elle est, non parce que c’est raisonnable, mais parce que Dieu l’a voulue ainsi. Dieu aurait pu créer un monde tout différent, régi par une autre loi morale. La mort du Christ n’a de valeur que parce que Dieu l’accepte pour notre salut. Duns Scot penche vers le semi-pélagianisme. Il soutient l’immaculée conception. Après lui, la plupart des Franciscains ont été scotistes.

On peut citer encore le philosophe anglais Franciscain Roger Bacon qui dédaigne la discussion dialectique et préconise l’observation de la nature, et le Franciscain espagnol Raymond Lulle qui tâcha de mettre sur pied un système de démonstration rationnelle destinée à convertir les Musulmans. Il mourut martyr à Bougie.

5. Principales doctrines étudiées. Les théologiens scolastiques ont exercé leur sagacité principalement sur la doctrine de la Trinité et sur celle des sacrements.

La monographie d’Anselme a éclairé le problème de l’expiation, souvent mal compris avant lui. Son explication, profondément biblique et qui magnifie la grâce du Christ, a prévalu dans le catholicisme ultérieur, et a été adoptée, avec peu de changement, par les églises protestantes.

Le contact avec l’Islam a eu des conséquences fâcheuses sur la manière dont on a représenté l’enfer. A l’exemple de Mahomet, on a délaissé la sobriété biblique pour se complaire dans des descriptions détaillées de châtiments variés.

Ces idées trouvent leur consécration dans les sculptures des cathédrales et dans la Divine Comédie de Dante (1265-1321). Ce poète florentin a commencé vers 1300 la rédaction de ce chef-d’œuvre. Il imagina un voyage qu’il aurait fait à travers l’enfer, le purgatoire et le ciel. Les cercles divers de l’enfer sont disposés sur les bords d’un entonnoir dont le fond touche au centre de la terre. Il n’hésite pas à y placer certains hauts dignitaires ecclésiastiques et même un pape. Le purgatoire est une montagne aux antipodes du monde habité. Sa conception du ciel est lumineuse, mais un peu froide, et n’atteint pas la beauté sauvage de certaines descriptions de l’enfer.

L’argument ontologique.

… Et sans aucun doute ce qui est tel que l’on ne peut rien penser de plus grand, ne peut pas n’exister que dans la seule intelligence, car si cela existe seulement dans l’intelligence, on peut alors concevoir quelque chose qui existe à la fois dans l’intelligence et dans la réalité, ce qui est plus grand. Par conséquent, si ce dont on ne peut rien penser de plus grand existe dans la seule intelligence, cela même dont on ne peut rien penser de plus grand est ce dont on peut concevoir quelque chose de plus grand. Et assurément cela ne se peut. Il existe donc sans doute possible, et dans l’intelligence et dans la réalité, un être tel que l’on ne peut en concevoir de plus grand.

… On peut affirmer que Dieu existe vraiment et qu’il est tel qu’on ne peut pas concevoir qu’il ne soit pas.

… Et tu es cela, ô Seigneur notre Dieu ! Ainsi, tu es vraiment Seigneur mon Dieu, et tu ne peux être conçu sans que tu existes en réalité.

ANSELME
Proslogion, ch. 2 et 3.
Traduit par
la R.M. Marie-Pascal DICKSON.

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