Précis d'histoire de l'Eglise

Chapitre 6 : Premières réactions contre le système catholique

Alors que l’Eglise primitive et l’Eglise d’Orient avaient eu à lutter contre de nombreuses hérésies, l’Eglise d’Occident n’avait guère vu se constituer de dissidences entre le Ve et le XIe siècle. Au moment où elle semble arriver au sommet de sa puissance, des mouvements de réaction apparaissent.

1. Prédicateurs anticléricaux. Nous avons parlé précédemment d’Arnauld de Brescia et de ses campagnes à la fois religieuses et politiques pour supprimer les bénéfices temporels des ecclésiastiques et le pouvoir politique du pape.

Un peu avant lui, Pierre de Bruys, dans le midi de la France, combattit le célibat des prêtres, la pompe des cérémonies, l’usage du crucifix, la prière pour les morts. Il préconisait le baptême des adultes et voyait dans la Cène un simple mémorial. Il fut brûlé comme hérétique.

Son ami et disciple Henri de Lausanne était moins agressif. Il s’accommodait du célibat des prêtres, mais combattait leur mondanité. Il mourut en prison.

Néanmoins les adeptes de ces deux prédicateurs réussirent à se maintenir quelque temps (Pétrobrussiens et Henriciens).

Une place à part revient au moine cistercien Joachim de Flore (1202), qui interprétait l’Apocalypse d’une manière originale, et enseignait que les 1260 jours (années) se termineraient avant 1260, et qu’alors l’âge du Saint-Esprit serait inauguré. Ses idées se répandirent, particulièrement parmi les Franciscains, et provoquèrent quelques remous hostiles au catholicisme officiel (Joachimites).

2. Les Cathares. Leur mouvement est probablement apparenté à celui des Pauliciens et des Bogomiles. Il apparaît en Italie du Nord au Xe siècle et en France au XIe siècle. Les Cathares se sont particulièrement multipliés dans la région d’Albi, d’où leur nom d’Albigeois.

Leur doctrine nous est surtout connue par les écrits de leurs adversaires, qui ne sont peut-être pas toujours dignes de foi. Ils semblent avoir versé dans l’erreur qui consiste à identifier le mal avec la matière et le bien avec l’esprit. A leurs yeux, le catholicisme avec son culte matériel était la caricature satanique de la vraie Eglise.

Les Cathares proprement dits (c’est-à-dire purs) appelés aussi Parfaits, seuls avaient subi une initiation appelée consolamentum, qui était censée conférer le Saint-Esprit. Ils devaient pratiquer le célibat, s’abstenir de viande, renoncer à porter les armes. Les auditeurs ou croyants n’étaient pas astreints à ces règles, mais ils devaient écouter les conseils des Parfaits et promettre, en cas de maladie grave, de se faire administrer le consolamentum.

Dans leur culte, ils rejetaient les formes catholiques, l’usage des images, le baptême et la cène. Les éléments essentiels de leur culte étaient la lecture du Nouveau Testament en langue vulgaire, la prédication et le Notre-Père.

Les Albigeois semblent avoir fait peu de cas de l’Ancien Testament. Mensuellement, ils pratiquaient l’apparelhamentum, c’est-à-dire une confession générale, suivie de l’absolution et de pénitences. Le rituel du consolamentum ressemblait beaucoup à celui de l’ordination des prêtres. Il arrivait que les auditeurs qui l’avaient reçu en cas de maladie, ne se sentaient pas la force de supporter la vie d’austérité des parfaits, et se laissaient ensuite mourir de faim, s’ils se rétablissaient (endura).

Pour les auditeurs, les Albigeois préconisaient parfois l’union libre plutôt que le mariage, pour ne pas sanctionner la vie charnelle. Cela explique qu’ils aient été à la fois accusés de grossière immoralité et admirés pour leur austérité irréprochable.

Ils ont été soutenus par les comtes Raymond VI et Raymond VII de Toulouse. Mais tous deux durent s’incliner devant la pression qui s’exerçait sur eux, et ne purent empêcher les persécutions.

Les moines cisterciens, trop riches, n’eurent aucune prise sur le peuple pour combattre le succès grandissant des Cathares. Les Dominicains et une « croisade » sauvage ordonnée contre eux par Innocent III ébranlèrent leur prédominance dans le midi de la France. Simon de Montfort menait la guerre avec une brutalité extraordinaire. A Béziers, toute la population fut massacrée, y compris les catholiques. Le légat du pape avait déclaré : « Tuez tout ; Dieu discernera les siens ». Plus tard, Saint-Louis, dans une nouvelle « croisade » et le tribunal de l’Inquisition achevèrent d’exterminer les hérétiques. C’est à cette époque que le Comtat Venaissin (Avignon) devint territoire papal.

Statue de Pierre Valdo sur le Mémorial Luther de Worms

3. Les Vaudois. Vers la fin du XIIe siècle, un riche marchand de Lyon, Valdo, passa par une crise religieuse, à la suite de laquelle il fit traduire le Nouveau Testament en langue vulgaire, puis vendit tous ses biens et devint prédicateur itinérant. D’autres en firent autant. Ce mouvement des « Pauvres de Lyon » rencontra tout de suite l’hostilité, mais il trouva un refuge inexpugnable dans les vallées reculées des Alpes, ou vallées vaudoises.

Dès 1170, l’archevêque de Lyon interdit la prédication des Vaudois. Valdo en appela au pape Alexandre III qui se montra hésitant. Son successeur Lucius III (1181-1185) condamna le mouvement comme hérétique.

Les Vaudois n’apportaient pas de doctrine nouvelle, ils se distinguaient par leur biblicisme et par leurs appels à la conversion et à la piété personnelle. Eux aussi se subdivisaient en Parfaits et en Croyants. Ils ne rejetaient pas en bloc tout le culte catholique, et même y participaient quand le prêtre était pieux. Mais ils combattaient certaines doctrines anti-bibliques du catholicisme, comme le purgatoire et le culte des saints. Ils avaient aussi leurs réunions particulières, où des évangélistes itinérants, appelés barbes, c’est-à-dire oncles, lisaient et expliquaient les Ecritures en langue vulgaire. Hommes et femmes pouvaient enseigner dans ces réunions.

Les Vaudois se répandirent sans bruit çà et là sur tout le continent européen. Ils furent cruellement persécutés, mais tous les efforts pour les exterminer restèrent vains.

On peut établir un intéressant parallèle entre Valdo et son contemporain François d’Assise. Tous deux ont renoncé à la fortune pour Jésus-Christ et pour les âmes, ont lancé des prédicateurs sur les routes pour faire pénétrer une piété vivante même au sein des foules laïques. Mais tandis que François tenait avant tout à rester dans la tradition de l’Eglise, Valdo entendait surtout être fidèle à l’Ecriture.

Consolamemtum cathare.

« Vous voulez recevoir le baptême spirituel (lo baptisme esperital), par lequel est donné le Saint-Esprit en l’église de Dieu, avec la sainte oraison, avec l’imposition des mains des « bons hommes »…

Si vous voulez recevoir ce pouvoir et cette puissance, il convient que vous gardiez tous les commandements du Christ et du Nouveau Testament selon votre pouvoir ».

Que le croyant dise alors : « J’ai cette volonté, priez Dieu pour moi qu’il m’en donne la force ». Et puis que le premier des « bons hommes » fasse, avec le croyant, sa vénération à l’Ancien, et qu’il dise : « Parcite nobis. Bons chrétiens, nous vous prions pour l’amour de Dieu d’accorder à notre ami, ici présent, de ce bien que Dieu vous a donné ». Ensuite le croyant doit faire sa vénération et dire : « Parcite nobis. Pour tous les péchés que j’ai pu faire, ou dire, ou penser, ou opérer, je demande pardon à Dieu, à l’Eglise et à vous tous. » Que les chrétiens disent alors : « Par Dieu et par nous et par l’église qu’ils vous soient pardonnés, et nous prions Dieu qu’il vous pardonne. » Après quoi ils doivent le consoler. Que l’Ancien prenne le livre (des évangiles) et le lui mette sur la tête, et les autres « bons hommes » chacun la main droite, et qu’ils disent les parcias et trois adoremus, et puis « Père Saint, accueille ton serviteur dans ta justice et mets ta grâce et ton Esprit Saint sur lui. »

Le Rituel Occitan. — § 3.

Condamnation des Vaudois.

Nous déclarons que les Cathares, les Patarènes, et ceux qui s’appellent Pauvres de Lyon, les Passageni, les Joséphistes, les Arnaldistes demeurent sous l’éternel anathème. Et parce que quelques-uns, sous l’apparence de piété, mais en ayant renié la foi, comme dit l’apôtre, s’arrogent l’autorité de prêcher, au lieu que le même apôtre dit « comment prêcheront-ils s’ils ne sont envoyés ? » nous renfermons sous la même sentence d’éternel anathème tous ceux qui malgré notre défense, et sans être envoyés par nous, prétendent cependant prêcher publiquement ou en particulier, sans l’autorisation du Siège apostolique, ou des évêques de leurs diocèses respectifs, comme aussi tous ceux qui ne craignent pas de maintenir ou d’enseigner, sur le sacrement du Corps et du Sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, le baptême et la rémission des péchés, le mariage ou aucun autre sacrement de l’Eglise, des opinions différentes de ce que la Sainte Eglise de Rome prêche et observe.

Tous ceux qui, en quoi que ce soit, seconderont les hérétiques, seront assujettis au même anathème.

Bulle de Lucius III
citée par M. Martini.
Pierre VALDO.

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