Précis d'histoire de l'Eglise

Chapitre 2 : La réforme calviniste

1. Les précurseurs de langue allemande

Portrait de Zwingli,
peinture à l'huile de Hans Asper (1531),
musée des Beaux-Arts de Winterthour.

1. La Réforme en Suisse allemande. Tandis que Luther commençait son activité publique, un mouvement parallèle et indépendant prenait naissance en Suisse. Un prêtre humaniste, Ulrich Zwingli (1484-1531), après un ministère fructueux à Glaris et à Einsiedeln, où il combattit la mariolâtrie, fut appelé comme prédicateur à Zurich ; et en se basant sur l’autorité de l’Ecriture, il se mit à combattre les erreurs romaines. Ses adhérents devinrent nombreux. Le conseil de la ville ordonna qu’une discussion publique sur la base des Ecritures eût lieu entre les prédicateurs évangéliques et les catholiques, à la suite de quoi la Réforme fut officiellement reconnue.

Quelques années après, des discussions analogues eurent lieu à Berne et à Bâle, avec le même résultat. Mais les cantons agricoles du centre restaient attachés au catholicisme. Une guerre civile s’ensuivit, dans laquelle Zwingli fut tué à Kappel. Depuis, la Suisse est restée partagée entre des cantons protestants et des cantons catholiques.

Zwingli, qui était un logicien vigoureux, alla beaucoup plus loin que Luther. Tout ce qui n’était pas positivement enseigné dans l’Ecriture sainte devait être aboli à ses yeux. La Cène n’était qu’un mémorial et le Christ n’y était pas présent. Les images traitées d’idoles furent enlevées des églises. Rien ne resta plus de l’ancienne liturgie. On se réunissait pour prier, lire la Bible, et entendre la prédication.

L’écrit le plus important de Zwingli a pour titre De la vraie et de la fausse Religion. Parmi ses amis ou collaborateurs, citons Haller, le réformateur de Berne, Œcolampe, réformateur de Bâle, et Bullinger qui prit la succession de Zwingli à Zurich.

Portrait de Bucer datant du XVIIe siècle

2. L’Alsace. Le réformateur de l’Alsace, Martin Bucer (1491-1551), avait été amené à la foi par Luther, mais dans la suite, il accepta sur plusieurs points les idées de Zwingli. L’Eglise de Strasbourg reçut en conséquence une organisation originale, intermédiaire entre le luthéranisme et le zwinglianisme.

Elle ne souscrivit pas à la Confession d’Augsbourg et présenta une confession de foi distincte, connue sous le nom de tetrapolitana, en commun avec les villes de Constance, Lindau et Memmingen.

3. Tentatives de rapprochement avec les luthériens. Bucer par conviction, et le comte Philippe de Hesse pour des raisons politiques, étaient affligés de voir les deux mouvements de réforme rester étrangers et parfois presque hostiles l’un à l’autre. Le comte convoqua un colloque à Marbourg : Luther, Mélanchthon, Bucer, Zwingli et d’autres y prirent part. L’accord fut complet sur tous les points, mais sur la Cène, un rapprochement était impossible. Aux supplications de Zwingli qui déclarait rechercher plus que tout une entente avec les Wittenbergeois, Luther opposa un refus formel : « Vous avez un autre esprit que nous ». Les deux parties signèrent une déclaration qui prenait acte des convictions communes et des divergences. La division de la famille protestante en deux branches indépendantes était consommée.

Déclaration de Marbourg.

Et au quatorzième article accepté par tous on ajouta ces mots : « Bien que dans le temps actuel, nous n’avons pu nous accorder sur l’article de la présence réelle du corps et du sang de Jésus-Christ dans le pain et dans le vin, les deux partis doivent s’entr’aimer chrétiennement autant que la conscience le peut permettre, et prier instamment le Dieu Tout-Puissant qu’il veuille les affermir par son Esprit, dans le vrai sens du sacrement. Amen. – Ont signé : Martin Luther, Phil. Mélanchthon, Justus Jonas, André Osiander, J. Brentz, Etienne Agricola, Jean Œcolampade, Ulrich Zwingli, Mart. Bucer, Gaspard Hédion. » (4 oct. 1529.)

Cité par Félix KUHN
LUTHER – Sa vie et son œuvre.
Tome 2.

2. Les précurseurs de langue française

Guillaume Briçonnet

1. La réforme catholique de Meaux. Le roi de France, François Ier (1515-1547), ami des lettres et des arts, n’avait aucune compréhension pour les problèmes de conscience soulevés par la Réforme. Un concordat lui donnait un réel pouvoir sur l’Eglise de France, ce qui plaisait à son caractère autoritaire et l’incitait à maintenir le catholicisme. D’autre part, il n’aimait pas les tendances scolastiques arriérées de la majorité des sorbonistes et protégeait les humanistes. L’un d’eux, Lefèvre d’Etaples, professeur à la Sorbonne, se mit, après avoir enseigné les lettres profanes, à étudier les Ecritures. Dans un commentaire sur les épîtres de Paul, il affirma, avant Luther, la suffisance de la Bible et la justification par la foi. Plus tard, il traduisit le Nouveau Testament et ensuite l’Ancien Testament en français. Ce n’était pas un lutteur, prêt à rompre avec le passé, mais un savant doux et modeste ; il mérite cependant le titre de Père de la Réforme française qui lui a été donné. Il bénéficiait de la protection de la sœur du roi, Marguerite de Navarre.

Son disciple et ami, Briçonnet, évêque de Meaux, résolut de faire prévaloir ses idées dans son diocèse. Il réprima les abus et répandit le Nouveau Testament de Lefèvre. Mais devant l’opposition qu’il rencontra à la Sorbonne, et inquiet de voir ses adeptes pencher vers le luthéranisme, il revint en arrière et finit par interdire la lecture des Ecritures en langue populaire.

2. Les premiers protestants français. Entre temps, le luthéranisme avait fait quelques recrues en France, et dès le début les luthériens furent persécutés. Le premier martyr dont on connaisse le nom était un moine, Jean Vallière, brûlé vif à Paris. Le traducteur des œuvres de Luther, Louis de Berquin, eut le même sort. Quelques protestants exaltés eurent la maladresse de publier des affiches violentes contre la messe, et d’en apposer sur la chambre à coucher du roi François Ier. Après cette « affaire des placards », le roi, jusqu’alors hésitant, acheva d’être indisposé contre la Réforme. Il ordonna une procession expiatoire en l’honneur du sacrement sur le parcours de laquelle six protestants furent brûlés vifs.

Guillaume Farel
Huile sur bois, Bibliothèque de Genève.

3. La Réforme en Suisse romande. Elle eut pour principal artisan un disciple de Lefèvre d’Etaples, originaire de Gap en Dauphiné, Guillaume Farel (1489-1565). Chassé de Meaux, il se rendit en Suisse où, sous la protection de Berne, il évangélisa le pays de Vaud et le Jura. Toujours en voyage, il n’hésitait pas à interrompre la messe pour prêcher l’Evangile. Sa voix tonnante dominait le tumulte que ses adversaires suscitaient. Frappé, griffé, meurtri, souvent en danger de mort, il était infatigable, inébranlable dans son courage et dans son zèle. Sous l’action de sa prédication, un village après l’autre se détachait du catholicisme. A Orbe, il rencontra Pierre Viret (1511-1571) et le pressa de devenir prédicateur. Ce dernier exerça un ministère béni en Suisse et en France.

C’est Farel qui introduisit la Réforme à Genève en soutenant une discussion publique avec les théologiens catholiques.

Les Genevois, jaloux de leur liberté et craignant de tomber sous la coupe du duc de Savoie dont les menées étaient favorisées par l’évêque, avaient cherché un appui à Berne, et cette circonstance facilita l’établissement du protestantisme dans la ville. Le prince évêque s’enfuit ; le Conseil de la ville promulgua un édit qui enjoignait à tous de vivre selon l’Evangile, et le peuple donna sa sanction à cette mesure.

Farel eut une entrevue avec les chefs de anciennes Eglises vaudoises, et n’eut pas de peine à s’entendre avec eux. Grâce à leur générosité, la Bible française d’Olivétan pu paraître. C’est cette traduction, diversement révisée, qui a été en usage dans les Eglises de langue française jusqu’au XIXe siècle.

Parmi les œuvres de Farel, citons Du vrai usage de la Croix, et le Sommaire ou brève Déclaration d’aucuns lieux communs utiles aux chrétiens. Il termina sa carrière comme pasteur à Neuchâtel.

Jean Calvin

3. Les débuts de Calvin

1. Sa jeunesse. Calvin est né à Noyon en Picardie, d’une bonne famille bourgeoise. Il fit des études de théologie, de droit et de lettres à Paris, Orléans et Bourges. Il fut initié aux idées nouvelles par son cousin Olivétan. Il se convertit subitement, on ne sait au juste ni à quel moment, ni dans quelles circonstances. Ses progrès dans la foi furent si rapides que très vite après sa conversion, on se mit à le considérer comme un maître et à le consulter de tous côtés. Il rédigea pour son ami, Nicolas Cop, recteur de l’Université, un discours très évangélique, qui provoqua une immense sensation et l’obligea à quitter Paris précipitamment.

2. Ses premiers travaux. Réfugié à Bâle, après diverses pérégrinations, il entreprit la publication en 1535-1536 d’un traité de doctrine, destiné à éclairer et à affermir les croyants, l’Institution chrétienne. Il a utilisé les travaux de ses devanciers ; mais la clarté et la logique de l’exposition lui appartiennent. Dans une magnifique préface, il dédia cet ouvrage au roi François Ier, dans l’espoir de calmer sa colère excitée par l’affaire des placards. Il espérait pouvoir vaquer tranquillement à ses études, quand, au cours d’un voyage, il fut adjuré par Farel de s’arrêter à Genève. Bientôt Farel laissa à Calvin la première place dans l’Eglise. Une confession de foi fut rédigée et tous les citoyens durent la signer. Les Genevois dont la piété, à ce moment, consistait surtout à haïr les prêtres et à enfreindre le carême, furent mécontents de la discipline que Calvin voulut introduire dans la célébration de la Cène. En conséquence, les deux réformateurs furent bannis.

Calvin fut appelé à Strasbourg par Bucer pour diriger la communauté de réfugiés français. Il adapta la liturgie en usage dans les communautés allemandes d’Alsace. Il fit imprimer un premier petit recueil de psaumes et cantiques, mis en vers par Marot et par lui-même. Il se maria avec la veuve d’un anabaptiste, Idelette de Bure. Ce séjour à Strasbourg fut très important pour l’organisation ultérieure des Eglises réformées.

Cependant, à Genève, les désordres se multipliaient et faisaient regretter le régime ordonné de Calvin. Aussi se décida-t-on à rappeler le réformateur ; et celui-ci, y voyant un appel de Dieu, ne crut pas devoir refuser.

Ce qui avait contribué de faire désirer aux Genevois la présence de Calvin, c’est la manière dont celui-ci répondit au cardinal Sadolet qui avait cherché à ramener la ville au catholicisme.

Conversion de Calvin.

Dès que j’étais jeune enfant, mon père m’avait destiné à la Théologie ; mais puis après, d’autant qu’il considérait que la science des Lois communément enrichit ceux qui la suivent, cette espérance lui fit incontinent changer d’avis. Ainsi cela fut cause qu’on me retira de l’étude de Philosophie, et que je me mis à apprendre des Lois : auxquelles combien je m’efforçasse de m’employer fidèlement, pour obéir à mon père, Dieu toutefois par sa providence secrète me fit finalement tourner bride d’un autre côté. Et premièrement, comme ainsi soit que je fusse si obstinément adonné aux superstitions de la Papauté, qu’il était bien mal-aisé qu’on me puisse tirer de ce bourbier si profond, par une conversion subite il dompta et rangea à docilité mon cœur, lequel, eu égard à l’âge était par trop endurci en telles choses. Ayant donc reçu quelque goût et connaissance de la vraie piété, je fus incontinent enflammé d’un si grand désir de profiter, qu’encore que je ne quittasse pas tout-à-tout les autres études, je m’y employai plus lâchement. Or je fus tout ébahi que devant que l’an passât, tous ceux qui avaient quelque désir de la pure doctrine, se rangeaient à moi pour apprendre, combien que je ne fisse quasi que commencer moi-même. De mon côté, d’autant qu’étant d’un naturel un peu sauvage et honteux, j’ai toujours aimé recoy et tranquillité, je commençai à chercher quelque cachette et moyen de me retirer des gens : mais tant s’en faut que je vinsse à bout de mon désir, qu’au contraire toutes retraites et lieux à l’écart m’étaient comme écoles publiques. Bref, cependant que j’avais toujours ce but de vivre en privé sans être connu, Dieu m’a tellement promené et fait tournoyer par divers changements, que toutefois il ne m’a jamais laissé de repos en lieu quelconque, jusqu’à ce que malgré mon naturel il m’a produit en lumière, et fait venir en jeu, comme on dit.

J. CALVIN
Préface aux Psaumes.

Préface de l’« Institution chrétienne »
(Extraits)

Au commencement que je m’appliquai à écrire ce présent livre, je ne pensais rien moins, Sire, que d’écrire choses qui fussent présentées à votre Majesté : seulement mon propos était d’enseigner quelques rudiments, par lesquels ceux qui seraient touchés d’aucune bonne affection de Dieu, fussent instruits à la vraie piété. Et principalement je voulais par ce mien labeur servir nos Français : desquels j’en voyais plusieurs avoir faim et soif de Jésus-Christ, et bien peu qui en eussent reçu droite connaissance. Laquelle mienne délibération on pourra facilement apercevoir du livre ; en tant que je l’ai accommodé à la plus simple forme d’enseigner qu’il m’a été possible. Mais voyant que la fureur de quelques iniques s’était tant élevée en votre Royaume, qu’elle n’avait laissé lieu aucun à toute saine doctrine : il m’a semblé être expédient de faire servir ce présent livre, tant d’instruction à ceux que premièrement j’avais délibéré d’enseigner, qu’aussi de confession de foi envers vous : dont vous connaissiez quelle est la doctrine contre laquelle d’une telle rage furieusement sont enflammés ceux qui par feu et par glaive troublent aujourd’hui votre Royaume…

Vous avez, Sire, la venimeuse iniquité de nos calomniateurs exposée par assez de paroles, afin que vous n’incliniez pas trop l’oreille pour ajouter foi à leurs rapports. Et même je doute que je n’aie été trop long : vu que cette préface a quasi la grandeur d’une défense entière, bien que par elle je n’aie prétendu composer une défense, mais seulement adoucir votre cœur pour donner audience à notre cause. Lequel, bien qu’il soit à présent détourné et aliéné de nous, j’ajoute même enflammé, toutefois j’espère que nous pourrons regagner sa grâce, s’il vous plaît une fois hors d’indignation et courroux lire notre confession, laquelle nous voulons être pour défense envers Votre Majesté. Mais si au contraire, les détractions des malveillants empêchent tellement vos oreilles, que les accusés n’aient aucun lieu de se défendre ; d’autre part, si ces impétueuses furies, sans que vous y mettiez ordre, exercent toujours cruauté par prisons, fouets, géhennes, coupures, brûlures : nous certes, comme brebis vouées à la boucherie, seront jetés en toute extrémité, de telle sorte néanmoins qu’en notre patience nous posséderons nos âmes, et attendrons la main forte du Seigneur, laquelle sans doute se montrera en sa saison, et apparaîtra armée, tant pour délivrer les pauvres de leur affliction, que pour punir les contempteurs qui s’égaient si hardiment à cette heure. Le Seigneur, Roi des rois, veuille établir votre trône en justice, et votre siège en équité.

J. CALVIN
Epître au Roi.

4. Organisation de la réforme calviniste

C’est pendant les 23 ans de son séjour à Genève que Calvin travailla à organiser les Eglises réformées. Il venait au moment propice, assez tard pour profiter des expériences de ses devanciers, assez tôt pour ne pas être en face d’une organisation déjà réalisée et par conséquent difficile à corriger.

1. Doctrine. La doctrine calviniste se distingue par son biblicisme et sa logique. Toute la théologie est basée sur la révélation de Dieu, dans l’Ecriture. Calvin exalte la souveraineté de Dieu, son honneur. Il croit à la double prédestination des élus et des réprouvés, et en conséquence, il insiste sur l’assurance que le racheté peut avoir de son salut, tout entier dû à la grâce de Dieu. Pour les sacrements, il n’est ni luthérien, ni zwinglien, il y voit les signes visibles d’une grâce invisible, mais réelle ; pour lui le Christ est présent, non pas matériellement, mais spirituellement dans la communion.

Calvin a précisé sa pensée dans les éditions successives de son Institution chrétienne (en latin et en français), dans son Catéchisme dialogué, destiné à l’instruction des enfants et dans ses Commentaires. Ces derniers, où presque tout le Nouveau Testament et une grande partie de l’Ancien Testament sont traités, sont la base de l’exégèse moderne. Calvin combat l’abus de l’allégorie qui avait régné depuis Origène.

2. Les ministères. Calvin abolit l’épiscopat, et plus encore que Luther, il diminua la distance qui sépare le clergé des laïques. Les pasteurs sont chargés de la prédication et de l’administration des sacrements. Ils sont consacrés par leurs collègues et n’ont pas de supérieurs hiérarchiques. Les docteurs doivent instruire les enfants. Les anciens veillent à la discipline de l’Eglise. Les diacres s’occupent des pauvres et des malades.

3. Discipline. Relation avec l’Etat. Calvin était très désireux d’établir une discipline morale stricte dans l’Eglise. Il fit établir à cet effet une commission de 18 laïques et de 6 ecclésiastiques, appelée le Consistoire. Le Consistoire réprimandait les membres indignes et excommuniait les impénitents. Cette organisation donnait à l’Eglise une autorité indépendante de l’Etat. Calvin veut l’union de l’Eglise et de l’Etat, sans confusion, sans théocratie et surtout sans césaro-papisme. L’Etat doit protéger la prédication de l’Evangile, en bannissant s’il le faut les catholiques et les hérétiques ; mais il n’a pas à donner d’ordre à l’Eglise. L’Eglise, de son côté, n’a pas à se mêler des affaires temporelles de l’Etat. Après la mort de Calvin, Th. De Bèze déclara que si le pouvoir suprême était hostile à l’Evangile, les magistrats inférieurs (princes du sang, parlementaires, seigneurs, etc…) devaient protéger l’Eglise, s’il le fallait par les armes, contre les vexations du pouvoir central. Ce principe a permis au calvinisme de s’établir et de se maintenir dans des pays régis par les catholiques, ce que le luthéranisme césaro-papiste n’a jamais pu faire.

4. Le culte. La liturgie de l’Eglise de Genève imite celle de Strasbourg. Elle s’est maintenue presque sans changement, dans les Eglises réformées de France. Elle se distingue par sa gravité et sa simplicité. Ce n’est pas une messe expurgée, mais un ordre de service original, correspondant aux besoins de la piété protestante. Le psautier de Strasbourg fut corrigé et enrichi par Clément Marot, venu pour quelques mois à Genève, et plus tard complété par Théodore de Bèze. Ses paroles splendides et ses airs virils dus à Matthias Greiter, Louis Bourgeois et Pierre Dagues contribuèrent beaucoup au succès de la Réforme.

Calvin supprima presque toutes les fêtes catholiques. En revanche, il insistait avec force sur l’observation du dimanche, sans d’ailleurs y voir le succédané du sabbat juif.

5. Conflits. La ville de Genève où les gens frivoles étaient nombreux eut de la peine à accepter la discipline de Calvin. Aussi les conflits furent-ils nombreux. Tantôt il fallait éviter que les hérétiques propagent leurs doctrines. (Nous reparlerons plus tard du célèbre Servet). Tantôt le Conseil de la ville prétendait empiéter sur les prérogatives du Consistoire et faire donner la Sainte-Cène à des membres excommuniés. Calvin tint bon, non sans difficultés. Pour finir, les partisans de la frivolité, sentant que la direction des affaires leur échappait de plus en plus (par suite, en partie, de l’afflux des réfugiés français d’une foi éprouvée), fomentèrent une émeute qui acheva de les discréditer. Leurs chefs furent exécutés ou bannis.

6. Le triomphe. Dès lors, Genève devint la ville modèle que Calvin désirait. Les dernières années du réformateur furent fécondes ; en 1559, il publia la dernière édition latine, considérablement enrichie, de son Institution chrétienne ; il fonda, la même année, le Collège et l’Académie avec un programme gradué très remarquable pour l’époque.

Sa forte constitution était usée par le travail, et la fin de sa vie fut une lutte constante contre diverses maladies qui, d’ailleurs, ne restreignaient pas son activité prodigieuse. Il prêchait, enseignait, conseillait. Ses ouvrages se composent de 50 gros volumes, sa correspondance s’étendait des souverains d’Europe jusqu’aux personnes les plus humbles. Par son style vif et clair, il est un des créateurs de la prose française.

Il avait des défauts, en particulier une irritabilité nerveuse dont il était le premier à s’humilier ; mais la légende l’a étrangement défiguré. Son austérité n’avait rien d’excessif, il savait être aimable et enjoué. Il avait une sensibilité presque féminine, un cœur compatissant jusqu’aux larmes devant les souffrances des autres. Son invincible fermeté ne l’empêchait pas d’être timide par nature. Son désintéressement et son esprit de sacrifice n’ont guère été contestés.

Après avoir pris congé, avec une humilité déconcertante, de ses collègues dans le ministère, il mourut âgé de 55 ans, sans laisser de fortune. On ignore où il est enterré. Sa vie est une admirable réalisation de son emblème, une main qui porte un cœur brûlant.

Adieux de Calvin aux pasteurs de Genève.

J’ai vécu ici en combats merveilleux : j’ai été salué par moquerie le soir devant ma porte de 50 ou 60 coups d’arquebuse. On m’a mis les chiens à la queue, criant hère, hère, et m’ont pris la robe et les jambes… Ainsi j’ai été parmi les combats, et vous en expérimenterez qui ne seront pas moindres, mais plus grands… Mais prenez courage et vous fortifiez, car Dieu se servira de cette Eglise et la maintiendra, et je vous assure que Dieu la gardera…

J’ai eu beaucoup d’infirmités, lesquelles il a fallu que vous supportiez, et même tout ce que j’ai fait n’a rien valu. Les méchants prendront bien ce mot : mais je dis encore que tout ce que j’ai fait n’a rien valu, et que je suis une misérable créature. Mais je puis dire cela, que j’ai bien voulu, que mes vices m’ont toujours déplu, et que la racine de la crainte de Dieu a été en mon cœur ; et vous pouvez dire cela que l’affection a été bonne ; et je vous prie, que le mal me soit pardonné ; mais s’il y a du bien, que vous vous y conformiez, et l’ensuiviez.

Quant à ma doctrine, j’ai enseigné fidèlement, et Dieu m’a fait la grâce d’écrire ce que j’ai fait le plus fidèlement qu’il m’a été possible, et n’ai pas corrompu un seul passage de l’Ecriture, ni détourné à mon escient ; et quand j’eusse bien pu amener des sens subtils, si je me fusse étudié à subtilité, j’ai mis tout cela sous le pied et me suis toujours étudié à simplicité.

Voir BONNET,
Lettres de Jean Calvin,
Tome 2.

Portrait de Théodore de Bèze en 1577

Les droits et devoirs des magistrats inférieurs.

Le souverain gouvernement est de telle manière entre les mains des rois, ou autres souverains magistrats, que si tel néanmoins, se détournant des bonnes lois et conditions qu’il auront jurées, se rendent tyrans tout manifestes, et ne donnent lieu à meilleur conseil : alors il est permis aux magistrats inférieurs de pourvoir à soi et à ceux qu’ils ont en charge, résistant à ce tyran manifeste. Et quant aux Etats du pays ou autres, à qui telle autorité est donnée par les lois, ils y peuvent et doivent opposer jusqu’à remettre les choses en leur état, et punir même le tyran, si besoin est, selon ses démérites. En quoi faisant, tant s’en faut qu’ils doivent être tenus séditieux et rebelles, que tout au rebours ils s’acquittent du devoir et serment qu’ils ont à Dieu et à leur Patrie…

… On demande ce qui est de faire, quand la tyrannie s’est tellement fortifiée, que le remède des Etats est comme tout à fait empêché, par la connivence ou crainte ou méchanceté de la plupart ou des principaux. Je réponds, quant aux particuliers, s’ils ne sont autorisés ou par des magistrats inférieurs ou par la plus saine partie des Etats (comme nous dirons tantôt), qu’ils n’ont autre remède que repentance et patience avec les prières, lesquelles Dieu ne méprisera jamais, et sans lesquelles tout autre remède, quelque légitime qu’il soit, est en danger d’être maudit de Dieu. Mais cela n’empêche pas que les mêmes particuliers n’en puissent avoir recours à leurs magistrats subalternes, les sommant de leur devoir. Et quant aux magistrats inférieurs, c’est à eux de se joindre ensemble, et de presser l’assemblée des Etats, se conservant cependant autant que faire se peut et doit contre une tyrannie manifeste. Qui plus est, je dis que le devoir même des particuliers est, en telle nécessité, de se joindre aux magistrats subalternes, faisant leur devoir, et qu’il est même loisible à la plus saine partie en un besoin de demander aide ailleurs, et notamment aux amis et alliés d’un royaume.

Th. de BÈZE,
Du droit des magistrats sur le peuple,
pp. 507, 513. Cité dans R. Allier,
Anthologie protestante française, pp. 116-118.

5. Propagation de la réforme calviniste

1. En France. Malgré son alliance avec les princes protestants d’Allemagne contre son ennemi, Charles V, François Ier persécuta plus ou moins violemment les réformés pendant toute la fin de son règne. (Massacre des Vaudois en Provence). Son fils Henri II (1547-1559) institua une chambre spéciale au Parlement, pour juger les hérétiques. Elle envoya tant d’hommes et de femmes au bûcher qu’on la surnomma la Chambre ardente. Parmi les victimes de Henri II, citons le conseiller Anne du Bourg, qui avait eu le courage, en plein Parlement, et en présence du roi, de protester contre les persécutions. Le récit de la mort de ces multiples martyrs est conservé dans le Martyrologe de l’imprimeur Jean Crespin, lequel avait assisté, place Maubert, au supplice d’un réformé, Claude le Peintre.

Plusieurs fidèles de l’Eglise de Paris périrent en 1555, entre autres la dame Philippe de Luns, arrêtée, emprisonnée et martyrisée, après l’assaut donné par la populace au lieu de culte des protestants, rue Saint-Jacques.

D’ailleurs, les persécutions n’arrêtaient guère les progrès du protestantisme. Les colporteurs ou porte-balles préparaient le terrain, puis des pasteurs formés à Genève « dressaient » les églises. A la mort de Henri II, il y en avait 2000. C’est aussi à ce moment, en 1559, que se réunit le premier Synode national, au milieu des bûchers à Paris. Il adopta la confession de foi, dite de la Rochelle, et une organisation ecclésiastique qui assurait l’ordre dans l’Eglise, en même temps que son indépendance. Chaque paroisse nommait son Conseil presbytéral qui envoyait des délégués, pasteurs et laïcs, à un Colloque ou Consistoire. Plusieurs Consistoires se réunissaient occasionnellement en Synodes provinciaux, et ceux-ci envoyaient des députés au Synode national qui prenait des décisions valables pour toutes les Eglises d’un pays.

2. En Europe centrale. Les Eglises de Suisse allemande ne tardèrent pas à renoncer au zwinglianisme strict pour embrasser le calvinisme, par le consensus de Zurich et la 2e confession helvétique (1566). En Allemagne, l’électeur du Palatinat, inspirateur du célèbre Catéchisme de Heidelberg, devint calviniste et le comte de Hesse suivit son exemple. Les autres luthériens restèrent hostiles au calvinisme. En Hongrie, le calvinisme prêché par le réformateur Mélius, fit de grands progrès au sein de la population magyare. La liberté de conscience y fut proclamée pour les catholiques, les luthériens et les calvinistes. Il faut dire que les Turcs musulmans qui occupaient la majeure partie de la Hongrie voyaient le calvinisme, dépourvu d’images, d’un meilleur œil que le luthéranisme, et surtout que le catholicisme.

Le réformateur de la Pologne, Jean Laski (1499-1560), avait fait de multiples voyages avant de prêcher la foi nouvelle dans son pays. Il était en correspondance avec Calvin. Les calvinistes, les luthériens et les Frères Tchèques (réfugiés) parvinrent à s’unir tout en gardant leurs traits particuliers.

Vitrail de John Knox
prêchant dans la Cathédrale Saint-Gilles en Édimbourg

3. En Ecosse. Les premiers protestants écossais furent persécutés. L’un d’eux, John Knox, resta 19 mois sur les galères. Après sa libération, il fit plusieurs séjours à Genève et devint un disciple enthousiaste de Calvin.

Rentré dans son pays, il gagna une partie de la noblesse dont les anciennes libertés étaient menacées par la royauté unie au clergé. Les nobles conclurent une alliance ou Covenant, pour se défendre. John Knox enflammait les foules ; il tonnait contre l’idolâtrie et la corruption des mœurs. En 1560, à la mort de la régente, Marie de Guise, qui avait été une catholique fanatique, les affaires ecclésiastiques furent portées devant le Parlement écossais. L’Eglise d’Ecosse fut organisée sur le modèle de celle de Genève : même doctrine, même discipline rigide, même liturgie, même indépendance de l’Eglise en face de l’Etat. L’épiscopat fut aboli ; l’Eglise devint presbytérienne, c’est-à-dire basée sur le gouvernement des anciens. Comme en France, on adopta l’organisation synodale à quatre étages.

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