Précis d'histoire de l'Eglise

Chapitre 3 : Histoire intérieure des Eglises protestantes

1. Les luthériens. La période qui suivit la mort de Luther est marquée par de multiples controverses, qui attristèrent les dernières années de Mélanchthon. La plus importante fut celle qui éclata entre ceux qui, comme Mélanchthon lui-même, inclinaient vers la conception calviniste de la Cène, et les représentants de l’orthodoxie luthérienne.

Le luthéranisme strict l’emporta, ainsi qu’en témoigne la Formule de Concorde adoptée par les théologiens, et imposée dès lors en Saxe et dans d’autres pays. Cette formule n’empêcha d’ailleurs pas les querelles de se ranimer ; en revanche elle contribua à figer le luthéranisme dans une rigidité doctrinale dépourvue de vie.

Les autres controverses furent :

La controverse antinomienne, allumée déjà du vivant de Luther, par un nommé Agricola qui, pour maintenir la justification par la foi, pensait qu’il fallait retirer la loi. Flacius et Amsdorf allèrent jusqu’à dire que les bonnes œuvres étaient nuisibles au salut. La formule de Concorde maintint le triple usage (pédagogique, politique et didactique) de la loi, et affirma que les bonnes œuvres étaient nécessaires, mais pas pour le salut.

La controverse synergiste, sur la question de savoir si un homme a le libre arbitre pour accepter ou refuser le salut. Mélanchthon laissait entendre que oui. Flacius et Amsdorf que non. La formule de Concorde condamna le synergisme.

La controverse adiaphoristique. Sur des questions dites indifférentes, certains étaient prêts à faire des concessions aux catholiques au moment du triomphe de Charles V. La controverse s’apaisa après la paix d’Augsbourg.

Ce n’est pas que Luther n’eût pas de successeurs dignes de sa piété. On n’a qu’à penser aux admirables auteurs et compositeurs de chorals, très nombreux à cette époque, et en particulier à Jean Arndt, qui savait ne pas se contenter d’être orthodoxe, mais qui proclamait avec puissance la nécessité d’être uni à Jésus-Christ par le cœur.

Parmi les auteurs de cantiques, citons Ph. Nicolaï, pasteur à Hambourg, qui composait les paroles et la musique, et les compositeurs Pretorius et L. Hassler.

2. Les réformés. Ce sont eux surtout qui ont eu à soutenir l’assaut de la Contre-Réforme, et c’est principalement à leur énergie que la victoire du protestantisme est due. Ils ont été favorisés d’ailleurs par la présence, dans leur sein, d’un grand nombre d’hommes remarquables.

Portrait de Théodore de Bèze en 1577

3. Théodore de Bèze (1519-1604). Né 10 ans après Calvin, il était originaire de Vézelay en Bourgogne. Après une jeunesse assez mondaine, il se convertit, se rendit à Genève et devint le collaborateur et l’ami de Calvin. Il prit une part importante au Colloque de Poissy. Il fut le conseiller plein de sagesse et de modération des protestants français pendant les guerres de religion. Il était d’ailleurs en correspondance avec la plupart des souverains de son temps. A côté de son travail de pasteur et de professeur, il se distingua par ses ouvrages de théologie, d’exégèse, d’histoire ; nous avons déjà parlé de sa traduction des Psaumes. Il fut un successeur idéal pour Calvin, respectueux de la pensée du maître, ferme, capable, animé de la même piété. Avant de mourir, il put constater l’échec d’une tentative faite par le duc de Savoie pour s’emparer de Genève par surprise, en pleine paix (l’Escalade). Par la providence de Dieu, il prolongea ses jours jusqu’à un âge très avancé, et eut ainsi tout le temps de consolider le protestantisme réformé, à Genève et en Europe.

Parmi les ouvrages de Théodore de Bèze (leur liste couvrirait quarante pages) citons, outre la traduction en vers d’une centaine de Psaumes, La Confession de Foi du Chrétien, excellent résumé de doctrine réformée, plusieurs ouvrages historiques, comme La vie de J. Calvin et l’Histoire des Eglises Réformées au Royaume de France et une tentative de théâtre sacré, Abraham sacrifiant, qui est une des meilleures pièces du XVIe siècle.

Jeanne III d'Albret, reine de Navarre.

4. Autres réformés remarquables. Mentionnons en passant l’imprimeur Robert Estienne, qui introduisit la division du Nouveau Testament en versets ; le chirurgien Ambroise Paré ; le sculpteur Jean Goujon ; le céramiste Bernard Palissy, mort à la Bastille pour cause de religion, Jeanne d’Albret, mère de Henri IV et sa fille Catherine de Bourbon.

Portrait de Théodore Agrippa d'Aubigné (1622)

Agrippa d’Aubigné (1552-1630), après une brillante carrière militaire au service d’Henri IV ; se retira à Genève. Il composa une épopée sur les guerres de religion, les Tragiques, où, à côté de certaines négligences, il y a un souffle poétique indéniable. Ce rude soldat excelle dans les tableaux sombres et grandioses. Ses pages sur le jugement et l’enfer sont particulièrement saisissantes.

Philippe Duplessis-Mornay portraituré à l'âge de 64 ans (1613)

Du Plessis Mornay (1549-1623) d’origine catholique, s’est converti de bonne heure. Il a fait des études très savantes, complétées par de nombreux voyages. Il a échappé par miracle à la Saint-Barthélemy. Il a été le bras droit d’Henri IV, tour à tout diplomate, homme de guerre, publiciste, conseiller, théologien, et éminent dans toutes ces fonctions si diverses. L’Edit de Nantes est, en bonne partie, son œuvre. Il fit de Saumur, dont il était gouverneur, un centre protestant de premier ordre. Par sa noblesse de caractère, sa droiture, et l’élévation de sa pensée, il est le type accompli du gentilhomme chrétien.

On peut mentionner encore : les architectes Salomon de Brosse et Androuet du Cerceau ; le grammairien Ramus, professeur au Collège de France, une des victimes de la Saint-Barthélemy ; on lui doit la distinction entre les voyelles i et u et les consonnes j et v (consonnes ramées) ; le poète et homme de guerre Du Bartas ; les chefs militaires Henri de Condé, Montgomery, François de la Noue.

L’Enfer.

O enfants de ce siècle, ô abusés moqueurs,
Impitoyables esprits, incorrigibles cœurs,
Vos esprits trouveront en la fosse profonde
Vrai ce qu’ils ont pensé une fable en ce monde.
Qui vous consolera ? L’ami qui se désole
Vous grincera des dents au lieu de la parole.
Les Saints vous aimaient-ils ? un abîme est entre eux ;
Leur chair ne s’émeut plus, vous êtes odieux…
Mais n’espérez-vous point fin à votre souffrance ?
Point n’éclaire aux enfers l’aube de l’espérance.
Dieu aurait-il sans fin éloigné sa merci ?
Qui a péché sans fin souffre sans fin aussi ;
La clémence de Dieu fait au ciel son office,
Il déploie aux enfers son ire et sa justice.
Transis, désespérés, il n’y a plus de mort
Qui soit pour votre mer des orages le port.
Que si vos yeux de feu jettent l’ardente vue
A l’espoir du poignard, le poignard plus ne tue.
Que la mort, direz-vous, était un doux plaisir !
La morte mort ne peut vous tuer, vous saisir.
Voulez-vous du poison ? en vain cet artifice.
Vous vous précipitez ? en vain le précipice.
Courez au feu brûler ; le feu vous gèlera ;
Noyez-vous : l’eau est feu, l’eau vous embrasera ;
La peste n’aura plus de vous miséricorde ;
Etranglez-vous : en vain vous tordez une corde ;
Criez après l’enfer : de l’enfer il ne sort
Que l’éternelle soif de l’impossible mort…
Aboyez comme chiens, hurlez en vos tourments ;
Les Satans découplés d’ongles et de dents tranchantes
Sans mort déchireront leurs proies renaissantes…
Leurs visages transis, tyrans, vous transiront,
Ils vengeront sur vous ce qu’ils endureront.
O malheur des malheurs, quand tels bourreaux mesurent
La force de leurs coups aux grands coups qu’ils endurent.
A. D’AUBIGNÉ.

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