Précis d'histoire de l'Eglise

Chapitre 2 : Le catholicisme au XVIIe siècle

1. Le jansénisme

Cornelius Jansen (Jansénius)

1. Origine. Ce mouvement doit son origine à l’évêque d’Ypres, Jansénius (1585-1638), qui déplorait que l’Eglise catholique en général et les jésuites en particulier eussent abandonné les doctrines d’Augustin. Dans un gros ouvrage posthume, l’Augustinus, il développait que l’homme est totalement incapable de faire le bien par lui-même, que la grâce lui est accordée indépendamment de tout mérite de sa part, et d’une manière irrésistible, en vertu de la prédestination. Jansénius préconisait une morale austère.

Ces tendances furent introduites en France par un ami de Jansénius, l’abbé de Saint-Cyran (1581-1643). Celui-ci était directeur de conscience d’un couvent de femmes, Port-Royal, près de Paris (avec une annexe à Paris même). La supérieure, Angélique Arnauld, avait réformé ce couvent quelques années auparavant. Quelques hommes vinrent s’établir à proximité de Port-Royal-des-Champs, sans prêter de vœux, mais pour vivre en solitaires. Ils y étudiaient les Ecritures, et y ouvraient d’excellentes écoles, où l’on faisait appel à l’intelligence des enfants plutôt qu’à leur mémoire. Citons parmi ces solitaires le frère d’Angélique, surnommé le Grand Arnauld (1612-94).

Blaise Pascal

2. Premiers conflits. Dès le début, les jansénistes rencontrèrent de l’hostilité dans le reste du clergé. Richelieu fit enfermer Saint-Cyran à Vincennes, et Arnauld fut condamné par la Sorbonne. Les jésuites surtout s’acharnèrent contre eux. Ils obtinrent du pape la condamnation de cinq propositions qui, selon eux, résumaient certains enseignements de l’Augustinus, sans d’ailleurs s’y trouver textuellement. Les jansénistes étaient prêts à se soumettre pour la question de droit, c’est-à-dire ils reconnaissaient que ces cinq propositions étaient hérétiques ; mais pour la question du fait, ils refusaient de retrouver dans ces propositions la doctrine de Jansénius. Sur ces entrefaites, Blaise Pascal (1623-62) s’était converti à leurs idées ; il mit son génie à les défendre dans ses Lettres provinciales. Il y dénonçait, textes à l’appui, la doctrine et surtout la morale des jésuites. Ce chef-d’œuvre de la polémique, où le comique le plus fin alterne avec l’éloquence la plus virulente, et qui, de plus, est le premier monument de la prose française moderne, eut un énorme succès.

Louis-Isaac Lemaistre de Sacy (1613-1684)

3. Les pensées. La querelle finit par diviser tout le clergé de France. Elle s’apaisa un moment à la suite d’un compromis (paix de Clément IX). Pendant l’accalmie, Le Maître de Sacy publia sa traduction de la Bible, et on fit paraître les Pensées de Pascal, lequel était mort dans l’intervalle. Pascal avait projeté de composer un grand ouvrage pour défendre le christianisme contre les libres-penseurs de son temps. La mort l’empêcha de réaliser ce projet. Mais dans sa maladie, il avait mis par écrit, sur de petits bouts de papier, des Pensées toutes vibrantes de piété qui, par leur originalité et leur profondeur, se placent au premier rang de la littérature religieuse.

Citons parmi les écrivains jansénistes Pierre Nicole (1625-1695), moraliste remarquable.

4. Condamnation définitive. Les jésuites ne désarmaient pas. Louis XIV haïssait les jansénistes. Il fit chasser les dernières nonnes de Port-Royal et détruire les bâtiments. Le pape condamna officiellement les jansénistes par la bulle Unigenitus.

Le pape Clément XI condamnait dans cette bulle 101 propositions tirées d’un ouvrage du Père Quesnel (1634-1719), Le Nouveau Testament avec Réflexions morales, qui avait connu un grand succès.

Les jansénistes se sont maintenus en Hollande jusqu’à nos jours sans beaucoup d’éclat. Ils ont succombé dans la lutte, mais ils ont empêché la morale catholique de sombrer totalement, et ils ont porté un coup fatal à l’influence des jésuites.

Les cinq propositions.

1. Quelques commandements de Dieu sont impossibles à des hommes justes qui veulent les accomplir et qui font à cet effet des efforts selon les forces présentes qu’ils ont : la grâce qui les leur rendrait possibles leur manque.

2. Dans l’état de nature tombée, on ne résiste jamais à la grâce intérieure.

3. Dans l’état de nature tombée, pour mériter ou démériter, l’on n’a pas besoin d’une nature exempte de nécessité ; il suffit d’avoir une liberté exempte de coaction ou de contrainte.

4. Les semi-pélagiens admettaient la nécessité d’une grâce prévenante pour toutes les bonnes œuvres, même pour le commencement de la foi ; mais ils étaient hérétiques en ce qu’ils pensaient que la volonté de l’homme pouvait s’y soumettre ou y résister.

5. C’est une erreur semi-pélagienne de dire que Jésus-Christ est mort et a répandu son sang pour tous les hommes.

Cité dans
Encyclopédie des Sciences Religieuses
de F. LICHTENBERGER.
Tome VII, p. 147.

Le Mémorial de Pascal.
L’an de grâce 1654,

Lundi 23 novembre, jour de saint Clément, pape et martyr, et autres au martyrologue,
Veille de saint Chrysogone, martyr et autres.
Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi.

Feu.

« Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob »
non des philosophes et des savants
Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix.
Dieu de Jésus-Christ.
Deum meum et Deum vestrum.
« Ton Dieu sera mon Dieu »
Oubli du monde et de tout, hormis Dieu.
Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Evangile.
Grandeur de l’âme humaine.
« Père juste, le monde ne t’a point connu, mais je t’ai connu. »
Joie, joie, joie, pleurs de joie.
Je m’en suis séparé :
Dereliquerunt me fontem acquae vivae.
« Mon Dieu, me quitterez-vous ? »
Que je n’en sois pas séparé éternellement.
« Cette est la vie éternelle, qu’ils te connaissent, seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »
Jésus-Christ.
Jésus-Christ.
Je m’en suis séparé ; je l’ai fui, renoncé, crucifié.
Que je n’en sois jamais séparé.
Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Evangile :
Renonciation totale et douce.
Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur.
Eternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre.
Non obliviscar sermones tuos. Amen.

2. Autres controverses intérieures du catholicisme

Portrait de Bossuet par Hyacinthe Rigaud

1. Le Gallicanisme. Ce mouvement, dirigé par l’évêque de Meaux, Bossuet, et encouragé par le roi Louis XIV, visait à limiter en France l’autorité papale par le pouvoir royal, les décrets des conciles, l’assentiment des évêques et les anciennes constitutions de l’Eglise gallicane. Le conflit dura plus de 10 ans et aboutit à un compromis qui donnait satisfaction au parti papal, ou ultramontain, dirigé par les jésuites.

La querelle éclata à propos du droit de régale, c’est-à-dire du droit d’encaisser les bénéfices des sièges épiscopaux vacants et de nommer les évêques. Le roi exerçait ce droit dans plusieurs provinces, en vertu de concordats anciens ; il voulait l’étendre à tout le royaume. Le pape Innocent XI (1676-1689) s’opposa à cette mesure. Bossuet fit approuver les quatre principes gallicans par l’Assemblée générale du clergé. Le pape riposta en refusant l’investiture aux nouveaux évêques. De ce fait, des sièges toujours plus nombreux étaient vacants. Pour finir, Louis XIV retira les quatre articles gallicans, il renonçait à nommer les évêques et se contentait de la régale temporelle, c’est-à-dire du droit de percevoir les bénéfices des sièges vacants. Cet arrangement fut conclu avec le pape Innocent XII (1691-1700).

Portrait de Fénelon par Joseph Vivien

2. Le quiétisme. Ce mouvement doit son origine à l’Espagnol Molios (1640-96). C’était un mystique qui préconisait en face de Dieu une attitude purement passive, qui devait aller jusqu’à l’anéantissement de la personnalité dans une contemplation vide de toute pensée distincte. Les quiétistes devaient renoncer à tout intérêt propre, y compris celui de leur salut. Ces idées furent introduites en France par Madame Guyon (1648-1717) et trouvèrent de l’écho chez l’archevêque de Cambrai, Fénelon (1651-1715). Condamnés à Rome, les chefs du quiétisme se rétractèrent : Madame Guyon après avoir passé plusieurs années en prison, Fénelon après avoir soutenu une longue controverse contre Bossuet.

Articles gallicans de 1682.

Nous, archevêques et évêques assemblés à Paris par ordre du roi, avons jugé convenable d’établir et de déclarer :

1. Que saint Pierre et ses successeurs vicaires de Jésus-Christ, et que toute l’Eglise même, n’ont reçu de puissance de Dieu que pour les choses spirituelles et qui concernent le salut et non point sur les choses temporelles et visibles. Nous déclarons en conséquence que les rois et souverains ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique par l’ordre de Dieu sur les choses temporelles ; qu’ils ne peuvent être déposés directement ou indirectement par l’autorité des chefs de l’Eglise ; que leurs sujets ne peuvent être dispensés de la soumission et de l’obéissance qu’ils leur doivent ou relevés de leur serment de fidélité…

2. Que la plénitude de puissance que le Saint-Siège apostolique et les successeurs de saint Pierre, vicaire de Jésus-Christ, ont sur les choses spirituelle est telle, que les décrets du saint Concile œcuménique de Constance et les sessions 4me et 5me approuvés par le Saint-Siège apostolique, confirmés par la pratique de toute l’Eglise et des pontifes romains, observés religieusement par toute l’Eglise Gallicane, demeurent dans toute leur force et vertu ; et l’Eglise de France n’approuve pas l’opinion de ceux qui donnent atteinte à ces décrets ou qui les affaiblissent en disant que leur autorité n’est pas établie, qu’ils ne sont point approuvés ou qu’ils ne regardent que le temps du schisme.

3. Qu’ainsi l’usage de la puissance apostolique doit être réglé suivant les canons faits par l’Esprit de Dieu et consacrés par le respect général, que les règles, les mœurs et les constitutions reçues dans le royaume doivent être maintenues et les bornes posées par nos pères demeurer inébranlables ; qu’il est même de la grandeur du Saint-Siège apostolique que les lois et coutumes établies du consentement de ce siège respectable et des églises subsistent invariablement.

4. Que quoique le pape ait la principale part dans les questions de foi et que ses décrets regardent toutes les Eglises et chaque Eglise en particulier, son jugement n’est pourtant pas irréformable, à moins qu’un consentement de l’Eglise intervienne.

3. Le catholicisme officiel

François de Sales

1. Piété et activité. Une vie intense anime le catholicisme officiel. Mentionnons l’évêque d’Annecy, François de Salles (1567-1632). Son Introduction à la Vie dévote, destinée à ceux qui veulent vivre pieusement, sans entrer dans les ordres, se distingue par un mysticisme pratique, modéré et aimable. François de Salles réussit à ramener au catholicisme les protestants de son diocèse, par la douceur et la persuasion.

Vincent de Paul

Vincent de Paul (1660) est surtout célèbre par l’ardeur de sa charité pour les pauvres, les malades, les prisonniers, les galériens. Il avait lui-même été esclave des Maures à Tunis, mais il avait amené son maître à la foi et avait pu ainsi recouvrer la liberté. Il a fondé l’ordre des Filles de la Charité ou Sœurs grises, vouées au soin des malades. On les appelle aussi Cornettes, à cause de leur coiffure. De tous les ordres religieux, c’est peut-être celui qui trouve le plus de sympathie chez le peuple. Vincent de Paul a aussi fondé l’ordre des Lazaristes, adonnés à la prédication.

L’abbé de Rancé, après une jeunesse orageuse, introduisit une réforme austère dans un couvent cistercien, celui de la Trappe.

La plupart des grands littérateurs français de ce siècle étaient de fervents catholiques. Nous avons déjà mentionné Pascal et Bossuet. Corneille a traduit en vers l’Imitation de Jésus-Christ ; Racine, élève des jansénistes, après une jeunesse frivole, s’est converti, et nous a laissé un témoignage de sa foi : Esther et Athalie.

L’Eglise romaine restait néanmoins hostile à toute pensée indépendante. Le savant Galilée, qui avait prouvé que la terre n’était pas immobile, dut se rétracter pour échapper à l’Inquisition.

2. L’art baroque. Ce style appelé aussi style jésuite, se distingue du style renaissance par l’abondance et la somptuosité des décorations intérieures et extérieures, qui masquent les lignes principales de l’édifice. Les baies sont très larges, en cintre. A la croisée, il y a fréquemment une immense coupole, par exemple au Dôme des Invalides.

3. La prédication. Les prédicateurs de ce temps prennent l’habitude de prêcher sur une idée qu’ils dégagent de leur texte, plutôt que sur un passage étendu de l’Ecriture comme les Pères de l’Eglise et les réformateurs. Bossuet, évêque de Meaux (1627-1704), prêchait surtout sur le dogme. La pompe de ses sermons ne l’empêchait pas d’en arriver toujours à un appel très sérieux et très direct à la conversion de ses auditeurs. Le père jésuite Bourdaloue (1632-1704) se cantonnait plutôt dans la morale, où il se distinguait par sa finesse psychologique et par une sévérité digne des jansénistes.

Mentionnons encore Fléchier, évêque de Nîmes (1632-1710), qui prit une part active à la persécution des protestants, et Massillon, évêque de Clermont (1663-1742), à l’éloquence boursouflée, et qui prononça l’oraison funèbre de Louis XIV.

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