Précis d'histoire de l'Eglise

Chapitre 3 : Histoire intérieure des Eglises protestantes

1. Eglises réformées et luthériennes

Jacobus Arminius (1560-1609)

1. Controverse arminienne. Au début du XVIIe siècle, un pasteur hollandais, Arminius († 1609), se mit en contradiction avec les idées officielles de son Eglise, en niant la prédestination et la persévérance finale. Ses partisans présentèrent une remontrance à l’autorité civile, pour réclamer la liberté de répandre leurs idées, d’où leur nom de Remontrants. Pour régler la controverse, on convoqua un grand synode à Dordrecht. L’arminianisme fut sévèrement condamné, et le calvinisme officiel encore accentué.

Les cinq canons de Dordrecht affirmaient la dépravation totale de l’homme naturel, la prédestination inconditionnelle des élus, l’expiation offerte pour les élus seulement, la grâce irrésistible, la persévérance finale.

Hugo Grotius par Michiel Jansz. van Mierevelt (1631)

Après quelques années difficiles, les Remontrants obtinrent la tolérance ; mais ils ne tardèrent pas à nier toutes les doctrines essentielles du christianisme. Le plus remarquable d’entre eux est le juriste Hugo Grotius (1583-1645). Il a composé un grand ouvrage d’apologétique contre les musulmans et les païens. Sa théorie de l’expiation est subtile ; selon lui, les souffrances du Christ n’ont pas de valeur propitiatoire ; elles prouvent simplement que Dieu, en pardonnant, ne veut pas laisser le péché impuni : mais elles ne doivent pas être considérées comme une réparation équivalente des péchés de l’humanité.

Parmi les théologiens calvinistes, mentionnons Gomar et Coccejus. Ce dernier a formulé une théologie originale, basée sur la notion d’alliance.

2. Histoire intérieure du protestantisme français.

Les canons de Dordrecht furent adoptés en France au Synode d’Alès. Les théologiens de Sedan, comme Pierre Du Moulin († 1658), et plus tard Jurieu (1637-1713) s’en firent les avocats, de même que le pasteur genevois Bénédict Turretini († 1631). En revanche, les théologiens de Saumur, Amyrault († 1664), La Place († 1665) apportaient de dangereuses atténuations au calvinisme rigide. Louis Cappel († 1658) étudia la doctrine de l’inspiration. Il ne croyait pas à celle des points-voyelles du texte hébreu.

Valentin Conrart

Valentin Conrart (1603-75), fondateur de l’Académie française, a révisé les psaumes de Marot et de Bèze, dont la langue commençait à vieillir. C’est cette traduction révisée que l’on chante aujourd’hui.

Il y a plusieurs prédicateurs remarquables. Citons Claude, pasteur à Charenton (1619-87), qui soutint une discussion publique avec Bossuet. Jurieu a polémisé avec énergie contre les théologiens novateurs, contre les catholiques, contre l’absolutisme de Louis XIV, en qui il voyait l’Antichrist.

On peut mentionner encore Mestrezat, Daillé, Drélincourt, Lefaucheur, du Bosc.

3. Les Eglises luthériennes. Dans l’ensemble, elles restent figées dans l’orthodoxie morte. Paul Gerhardt (1607-76), pasteur à Berlin, a composé de nombreux cantiques, qui sont parmi les plus beaux de l’hymnologie chrétienne : « Abandonne ta vie » et la version allemande de « Chef couvert de blessures ».

2. Protestantisme anglo-saxon

1. Tendances protestantes rigides. Les puritains visaient à purifier l’Eglise anglicane de ce qui restait du « Papisme », en l’émancipant de la tutelle de l’Etat, en remplaçant le régime épiscopal par le régime synodal, et en supprimant les fêtes et les cérémonies. Ils étaient rigidement calvinistes en doctrine et en morale, et tenaient à l’observation quasi judaïque du dimanche.

Les Indépendants étaient d’accord avec ce programme. Mais ils préconisaient un régime congrégationnel, qui assurait à chaque Eglise locale une complète indépendance : ni évêques, ni synodes. Ce mouvement prit corps au début du XVIIe siècle non sans difficultés.

La première église de ce type fut fondée en 1580 à Norwich par Robert Brown, lequel entra plus tard dans l’Eglise anglicane. Une autre église fut fondée à Londres en 1602. Ses membres, y compris le pasteur John Robinson, durent émigrer aux Pays-Bas, et fondèrent une communauté florissante à Leyde. Un pasteur anglican, Henry Jacob, entra en rapport avec cette communauté, retourna en Angleterre et fonda une église indépendante à Londres en 1616.

Vers le milieu du siècle, quelques indépendants se séparèrent parce qu’ils considéraient que seul le baptême des croyants par immersion était valable. Ces premiers baptistes, après quelques années, entrèrent en contact avec un groupement de Hollande, où ce mode de baptême était pratiqué. L’un d’eux fut baptisé en Hollande, puis l’Eglise put s’organiser d’une façon régulière.

Le premier baptisé fut Richard Blount, envoyé en Hollande. Il baptisa ensuite le pasteur Blacklock et les 54 membres de la communauté. Dans les années qui suivirent, le baptisme prit un rapide essor.

George Fox
Portrait par Thomas Fairland

Un jeune homme, Georges Fox (1624-91), ne trouva ni dans l’Eglise anglicane, ni dans les Eglises dissidentes, la paix qu’il recherchait. A la suite d’une révélation, il se donna à Jésus-Christ et se mit à prêcher partout avec beaucoup d’ardeur. Devant ses appels véhéments à la repentance, ses auditeurs étaient fréquemment saisis de tremblements d’où leur nom de Quakers ou Trembleurs. Les Quakers insistent avant tout sur l’expérience personnelle ; la doctrine n’a pas pour eux la même importance. Ils croient à l’autorité de la Bible, mais soulignent plutôt la nécessité de l’illumination intérieure pour arriver à la vérité. Ils rejettent toutes les formes rituelles, liturgie, prêtrise, sacrements : hommes et femmes peuvent prendre part à leur culte, où le recueillement et le silence occupent une place importante.

Jacques Stuart
(Jacques VI d'Ecosse et Ier d'Angleterre)

2. Tentatives puritaines en Angleterre. Le fils de Marie Stuart, Jacques, roi d’Ecosse, devint aussi roi d’Angleterre, après la mort d’Elisabeth (1603-25). Il fit mettre la dernière main à la Bible anglaise qui est encore en usage aujourd’hui et qui porte son nom. Malgré l’éducation presbytérienne qu’il avait reçue, son caractère autoritaire le poussait à préférer le régime épiscopal, et il persécuta les dissidents. Son fils, Charles Ier (1625-49), qui avait épousé une princesse catholique, Henriette-Marie de France, essaya d’introduire des cérémonies catholicisantes parmi les presbytériens d’Ecosse. Là-dessus, l’Ecosse se révolta, et en Angleterre même, la majorité du Parlement se déclara puritaine. On réorganisa toute l’Eglise anglicane de fond en comble suivant les principes puritains. Une Assemblée, convoquée à Londres (1644-45) supprima le régime épiscopal et le Book of Common Prayer, adopta la Confession de foi et les deux catéchismes (le grand et le petit) de Westminster, d’inspiration nettement presbytérienne. Le roi entreprit une lutte armée contre le Parlement, mais il fut vaincu par les troupes d’Olivier Cromwell, composées de chrétiens Indépendants, et mis à mort pour haute trahison en 1649.

Portrait d'Oliver Cromwell par Samuel Cooper

Cromwell devint dictateur de l’Angleterre (1649-58). Il réprima rapidement un complot royaliste des catholiques irlandais. Il était partisan de la liberté de conscience pour tous les protestants, et les Indépendants, Baptistes, Quakers, prirent un grand essor sous son protectorat. Mais il se heurta à l’intransigeance du Parlement, qui voulait imposer le régime presbytérien synodal à tous les Anglais.

Après sa mort, l’Angleterre tomba dans l’anarchie, et l’on fit appel au fils du roi défunt, Charles II (1660-85). Celui-ci rétablit le système anglican, persécuta les dissidents, et, par réaction contre le puritanisme, l’Angleterre tomba dans une frivolité effrayante.

Charles II promulgua l’Acte d’Uniformité, selon lequel tout ecclésiastique devait prêter serment sur les 39 articles ; l’Actes de Conventicules qui interdisait toute réunion de plus de 5 personnes, si la liturgie anglicane n’était pas utilisée, le Bill du Test qui obligeait quiconque occupait un poste officiel à prêter le serment de suprématie. Ce dernier édit visait d’ailleurs les catholiques plutôt que les dissidents et fut imposé au roi par le Parlement.

Son frère et successeur, Jacques II (1685-88), essaya de réintroduire le catholicisme ; mais il fut déposé. Son gendre et successeur, Guillaume III d’Orange (1689-1702) accorda la tolérance aux protestants dissidents.

John Milton vers 1629

3. John Milton (1608-74). Ce puritain lettré a joué un rôle politique assez considérable comme collaborateur de Cromwell. Devenu aveugle, il a composé son célèbre poème : Le Paradis Perdu, où il parle de la création de l’homme, de sa chute, de son châtiment, et laisse entrevoir la rédemption. C’est une des grandes épopées chrétiennes. Son style, toujours noble, est admirable, et sa pensée riche en remarques profondes et originales.

John Bunyan

4. John Bunyan (1628-88). C’était un chaudronnier qui, après une jeunesse mondaine et une longue crise religieuse, finit par accepter la grâce et devint pasteur baptiste. Sous Charles II, il passa 12 ans en prison, parce qu’il ne voulait pas renoncer à son ministère. C’est pendant ce temps qu’il composa son Voyage du Chrétien, allégorie pleine de saveur, où il passe en revue les joies et les difficultés de la vie chrétienne. Son style, tout imprégné de culture biblique, est vif, simple et direct. Son livre est peut-être l’ouvrage le plus répandu après la Bible.

5. L’Amérique du Nord. Persécutés en Angleterre, malheureux aux Pays-Bas où ils s’étaient réfugiés, certains Indépendants obtinrent de Jacques Ier la permission d’aller en Amérique. Ils s’embarquèrent à Plymouth, en 1620, sur le « May-Flower », et fondèrent une colonie congrégationaliste. Le premier hiver fut très rude ; beaucoup moururent de froid et de faim ; cependant, ils réussirent à se maintenir. Ils voulaient une colonie pure de toute hérésie ; pour jouir des droits civiques, il fallait payer l’impôt ecclésiastique, et toute tentative de créer une dissidence était passible de l’exil, de la verge, ou même de la mort. Malgré cette tolérance regrettable, ils avaient une piété réelle, un peu austère, et ils ne tardèrent pas à jouir d’une grande prospérité.

Un pasteur anglican, épris de liberté, Roger Williams, se rendit chez eux : mais il fut choqué par leur régime théocratique, et il fonda, au sud de Boston, la colonie de Rhode Island, avec la ville de Providence. Ce fut le premier endroit du monde où la liberté complète fût garantie aux adeptes de n’importe quelle religion. Roger Williams examina la question du baptême et organisa avec quelques amis la première Eglise baptiste d’Amérique. Les fondateurs se baptisèrent mutuellement.

Vers la fin du siècle, un quarker, William Penn, acheta du roi d’Angleterre un vaste territoire qui prit le nom de Pennsylvanie, et où il fonda la ville de Philadelphie. Lui aussi accorda à tous une liberté religieuse illimitée. Il se distinguait par la douceur avec laquelle il traitait les Indiens.

D’autres confessions étaient d’ailleurs représentées dès cette époque sur le sol américain. Il y avait des épiscopaux, des catholiques, des réformés. Ces origines expliquent le caractère actuel de la démocratie américaine.

Sans parler de la Floride espagnole et du Canada français, il y avait des catholiques anglais au Maryland, colonie fondée par Lord Baltimore en 1632, des épiscopaux en Virginie, des réformés à la Nouvelle Amsterdam, fondée en 1614 par les Hollandais, et qui passa à l’Angleterre en 1664 sous le nom de New-York.

Discours de Cromwell au Parlement, le 17 septembre 1556.

Nous nous sommes efforcés, depuis le dernier Parlement, de montrer au pays que tous les hommes pieux, quelle que soit leur religion, doivent avoir la complète liberté de conscience, pour autant qu’ils vivent tranquillement et paisiblement ; nous ne voulons pas que la religion soit un prétexte à prendre les armes et à répandre le sang. Nous avons assez souffert de ces choses, et nous en avons volontiers souffert, afin qu’on jouisse de cette liberté. Si l’on résiste à cela, quelle qu’en soit la raison, si l’on agit de telle sorte que cela conduise aux ligues, aux intrigues et aux factions, Dieu sait que nous n’aurons cure de savoir qui nous frapperons, même si par ailleurs l’on se conduit paisiblement ou d’une manière avenante. En vérité, je suis contre une liberté de conscience qui répugne à cette façon de voir. Mais celui qui veut vraiment confesser sa foi, qu’il soit anabaptiste, ou indépendant, ou presbytérien, soutenez-le au nom de Dieu aussi longtemps qu’il continue à marcher simplement devant Dieu dans la reconnaissance, et qu’il fait usage de sa liberté pour en jouir dans sa propre conscience. Car, on l’a déjà dit, c’est là la chose essentielle pour laquelle on combat. Tous ceux qui croient en Christ – la vraie religion consiste dans la foi en Jésus-Christ et dans la conduite qui y correspond – tous ceux qui croient au pardon des péchés par le sang de Jésus-Christ et à la justification par le sang de Christ, qui vivent de la grâce de Dieu et qui sont certains de cette foi, tous ceux-là sont les membres du Christ et la prunelle de ses yeux. Quiconque a cette foi, quelle qu’en soit la forme, doit avoir une telle liberté, s’il vit paisiblement et sans préjugés contre ceux qui en ont une autre formule. Nous sommes responsables de ces choses devant Dieu, et il nous en sera redemandé compte.

Cité par J. COURVOISIER
Brève histoire du Protestantisme
pp. 70, 71

Salut Sainte Lumière.

Hélas ! avec les ans
Reviennent les saisons, mais pour moi nul retour
Du jour, de la douceur des aubes et des soirs.
Jamais je ne revois les éclosions d’avril,
Ni la rose d’été, ni les troupeaux bêlants
Oh mugissants, ni toi, divine face humaine !
Un nuage, au contraire, une incessante nuit
M’entoure, et m’interdit les plaisirs familiers.
Le livre du savoir, si beau, ne m’offre plus
Comme objets naturels qu’un vide général,
Passages raturés, chapitres effacés.
La sagesse n’a plus accès par cette voie.
Brille donc d’autant plus, ô céleste Lumière,
En moi ! Que mon esprit par toi de toutes parts
S’éclaire, plantes-y des yeux, que toute brume
En soit chassée au loin, pour que je voie et dise
Ce qui reste invisible à nos regards mortels.
MILTON
Paradis Perdu – Livre III
dans Emile Saillens
Milton, Poète Combattant, p. 169.

Déclaration de Roger Williams
sur la liberté religieuse.

C’est la volonté et l’ordre de Dieu, que depuis la venue de Son Fils, le Seigneur Jésus, soit accordée à tous les hommes, dans toutes les nations et dans tous les pays, qu’ils soient païens, Juifs, Turcs ou anti-Chrétiens, la liberté de conscience et de culte, et qu’ils ne soient combattus par aucune autre épée que celle de l’Esprit de Dieu, la Parole de Dieu qui seule peut conquérir…

Dieu ne demande pas qu’une uniformité de religion soit mise en œuvre obligatoirement, en quelque société civile que ce soit, uniformité obligatoire qui tôt ou tard est la plus grande occasion de guerre civile, de violation de conscience, de persécution de Jésus-Christ dans ses serviteurs, d’hypocrisie et de destruction de millions d’âmes…

La liberté des autres croyants qui ne sont pas celles professées par l’Etat est la seule chose qui, selon Dieu, produise une paix ferme et durable, quand est garantie selon la sagesse de la société civile l’uniformité de l’obéissance

Cité par MIEGGE
La Liberté Religieuse, pp. 37, 38.

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