Précis d'histoire de l'Eglise

Chapitre 2 : La lutte pour la tolérance

Les rationalistes se sont attaqués avec une ardeur spéciale à combattre l’intolérance religieuse. C’était même le seul article de leur programme qui fût justifié. Nous allons voir l’esprit de persécution s’atténuer graduellement au cours de cette période.

1. Les pays protestants

Portrait de Guillaume III peint par Willem Wissing

En général, la tolérance n’eut pas trop de peine à s’y implanter. Aux Pays-Bas, elle régnait déjà depuis le milieu du XVIIe siècle. En Angleterre, Guillaume III d’Orange, en montant sur le trône, avait promulgué un édit de tolérance pour tous les dissidents protestants. En revanche, les catholiques irlandais eurent encore des vexations à subir. Tous les biens ecclésiastiques étaient entre les mains de l’Eglise anglicane, et le peuple, pressuré par les colons anglais, devait avec ses moyens limités entretenir les curés catholiques. Cependant la liberté de culte était garantie.

Frédéric II, âgé de 68 ans, par Anton Graff.

En Prusse, le roi-sergent Frédéric-Guillaume Ier (1712-1740) se montrait encore assez intransigeant en matière doctrinale. Son fils, Frédéric II surnommé le Grand (1740-1786), tout imbu de rationalisme et ami de Voltaire, inaugura son règne en abolissant la torture et en déclarant que dans son Etat, toutes les religions devaient être tolérées ; que chacun avait le droit d’arriver au salut à sa façon.

2. Les pays grecs-orthodoxes

Du XVe au XVIIe siècle, les patriarches de Constantinople étaient sous la dépendance complète du Sultan Turc. Celui-ci les encourageait dans l’hostilité vis-à-vis du pape. Dans la première moitié du XVIIe siècle, le patriarche Cyrille Lucar chercha des contacts avec les protestants dont il partageait les idées. Après sa mort violente et sous la pression de l’Eglise russe, les grecs-orthodoxes revinrent à leur position traditionnelle ultra-rirualiste.

C’est dans ce sens que se prononçait la Confession de foi des Patriarches orientaux (1672) qui constitue un des documents importants de la théologie grecque-orthodoxe.

En Russie, l’Eglise fut dirigée aux XVIIe siècle (1589-1700) par les patriarches de Moscou. L’un d’eux, Nikon, entreprit de réformer la liturgie. Il se heurta à une violente opposition au sein du peuple. Le tsar qui redoutait ses tendances autoritaires, le fit destituer par un concile à Moscou, mais donna force de loi aux réformes préconisées, entre autres celle de faire le signe de la croix avec trois doigts au lieu de deux. Il en résultat un schisme. Les partisans des anciens usages furent persécutés. D’ailleurs, ces raskolniki ou schismatiques se subdivisèrent en sectes diverses, anticléricales, rationalistes, ascétiques ou immorales.

Pierre Ier de Russie peint par Paul Delaroche

Pierre le Grand (1689-1725) entreprit de laïciser la Russie. Après avoir laissé le siège patriarcal vacant, il institua le Saint-Synode, dont le tsar nommait les membres et qui devait s’occuper des affaires de l’Eglise. Celle-ci devenait une administration parmi les autres dans l’Etat russe.

Catherine II la Grande dans les années 1780

Catherine II (1762-1796) qui avait des tendances rationalistes et cultivait des rapports cordiaux avec les philosophes français, se montra plus libérale envers les raskolniki. Elle autorisa les mennonites à fonder en Russie des colonies et leur accorda divers privilèges, en particulier l’exemption du service militaire. D’autre part, elle ramena par la force dans le giron de l’Eglise russe plusieurs millions de Ruthènes dans les territoires annexés à la suite du partage de la Pologne. La tolérance était donc loin d’être complète.

3. Les pays catholiques

La lutte pour la tolérance y fut aussi très difficile. En Italie, en Espagne et au Portugal, vu le nombre quasi inexistant des protestants, la question ne se posait guère. Notons cependant que le duc de Savoie accorda la liberté à ses sujets protestants des vallées vaudoises.

En Pologne, les jésuites alliés à la noblesse maintinrent l’esprit réactionnaire. On interdit aux protestants de bâtir des temples ; on les priva de leurs droits civiques. Cette politique contribua au déclin de la Pologne et prépara les partages qui mirent fin pour plus d’un siècle à l’existence de ce pays.

Au cours d’une guerre, la Hongrie échappa à la domination turque et tomba entièrement sous le pouvoir de l’Autriche. La situation devint dangereuse pour les protestants, qui se soulevèrent. La diète de Presbourg leur assura la liberté de culte. Cependant pendant le XVIIIe siècle, ils durent se défendre encore contre les empiètements des jésuites, qui leur enlevèrent des dizaines d’églises.

En Autriche même il y eut une recrudescence de persécution au début du XVIIIe siècle. Les protestants furent expulsés de Salzbourg en plein hiver. Les derniers Frères moraves durent se réfugier en Saxe et en Prusse. Ce n’est qu’avec le souverain « éclairé » Joseph II (1780-1790) que la tolérance fut accordée aux luthériens et réformés. Dès lors le protestantisme put réapparaître en Bohême. Les quelques Frères qui subsistaient encore adoptèrent la foi réformée.

Les évêques de Bâle se montrèrent assez accueillants pour les Mennonites persécutés par les autorités protestantes de la Suisse.

4. La France

C’est là que la tolérance eut le plus de peine à prévaloir et que les persécutions sanglantes se prolongèrent le plus longtemps.

1. Persécutions sous Louis XIV. La Révocation a provoqué une recrudescence de persécution en France. Les protestants qui avaient embrassé le catholicisme, appelés « nouveaux convertis » étaient étroitement surveillés, obligés d’aller à la messe, soumis à des dragonnades lorsqu’ils manifestaient de l’attachement pour leur foi ancienne. Bâville, intendant du Languedoc, fut un persécuteur spécialement actif.

Les pasteurs avaient été chassés de France. Mais dans le Midi, les fidèles résolurent de reprendre l’exercice du culte, en cachette, sous la direction de laïcs, appelés prédicants. Le plus célèbre d’entre eux est un ancien avocat, Claude Brousson. Les prédicants et les prédicantes ont réussi à regrouper les Eglises ; la plupart moururent roués vifs ou pendus.

Sous le coup des persécutions, se produisirent les curieux phénomènes du prophétisme cévenol, paroles automatiques, prédications faites par des enfants au berceau, etc. A la fin, excédés, les protestants prirent les armes, sous la conduite de Cavalier et de Laporte dit Roland, après avoir assassiné au Pont-de-Monvert, le sinistre abbé du Chayla qui torturait les enfants. Les troupes royales n’arrivant pas à maîtriser les camisards insurgés, Cavalier obtint d’émigrer avec plusieurs coreligionnaires ; Roland qui continua la lutte périt dans une bataille, mais le gouvernement dut modérer un peu l’ardeur des persécutions. Cependant, avant de mourir, Louis XIV signa un décret qui supprimait le protestantisme.

Paul Rabaut

2. Réorganisation du protestantisme. Le mouvement des prédicants a sauvé le protestantisme français ; il constituait cependant une rupture avec les traditions anciennes. Ce fut Antoine Court (1695-1760) qui ramena les Eglises réformées à leurs coutumes primitives. Il forma des pasteurs, d’abord en instruisant des jeunes gens en plein vent, puis en fondant un séminaire français à Lausanne, en Suisse. Il réorganisa les assemblées, ayant soin que la liturgie fût exactement observée, et rétablit les synodes, d’abord provinciaux, puis nationaux. Parmi ses disciples, citons Paul Rabaut (1718-1794) et Jean Pradel (1718-1795), qui pendant cinquante ans exercèrent le ministère périlleux de « pasteurs du désert ».

Louis XV en costume de sacre
par Louis-Michel van Loo (1762)

3. Persécutions sous Louis XV (1715-1774). Elles ont été moins violentes que celle de Louis XV, malgré une recrudescence de sévérité au milieu du siècle. Cependant, bien des protestants étaient encore astreints au dur travail de galériens, exposés à d’ignobles traitements, attachés sur le même banc que les repris de justice, dont, malgré tout, ils forçaient le respect. Bien des femmes passaient des années en prison, comme Marie Durand, à la Tour de Constance, « résistant » aux efforts déployés pour les faire abjurer. Des enfants étaient arrachés à leurs parents et enfermés dans des couvents, et le martyrologe nous présente une liste importante de pasteurs morts sur l’échafaud, comme le vieux Jacques Roger (1675-1745), surnommé l’Apôtre du Dauphiné.

Parmi les 7370 galériens protestants, mentionnons Jean Marteilhe, relâché en 1713, qui a décrit dans un livre émouvant la vie aux galères ; parmi les condamnés à mort, Fulcran Rey († 1686), Alexandre Roussel (1700-1728), Pierre Durand (1700-1732), Louis Ranc (1719-1745), Mathieu Majal du Desubas (1720-1746), François Bénézet (1723-1752), François Rochette et les trois frères Grenier (exécutés en 1762). Des 450 pasteurs sortis du séminaire de Lausanne, 90 furent exécutés et 27 envoyés aux galères.

Louis XVI en costume de sacre
par Antoine-François Callet (1779)

4. Fin des persécutions en France. Cependant, des temps meilleurs approchaient. Un certain Calas ayant été mis à mort sous l’inculpation d’avoir assassiné son fils pour l’empêcher d’abjurer le protestantisme, sa veuve demanda sa réhabilitation et, aidée de Voltaire, finit par l’obtenir ; il n’y eut plus d’exécutions capitales, dès lors ; les prisonnières et les galériens furent relâchés.

Enfin, à la veille de la révolution en 1787, Louis XVI (1774-1792) signa à Versailles un édit de tolérance en faveur des réformés. On leur accordait la liberté de conscience et des droits civiques. Rien n’était dit sur le culte, mais en fait, il put être célébré sans encombres.

Jean-Paul Rabaut Saint-Étienne

L’Edit de tolérance fut obtenu par les efforts conjugués de certains protestants, Court de Gébelin, Paul Rabaut, Rabaut Saint Etienne, et de quelques personnalités de la cour royale, en particulier Malesherbes et Lafayette.

Ce fut la Révolution qui donna enfin aux protestants l’égalité complète, en stipulant dans la Déclaration des Droits de l’Homme, que nul ne pouvait être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre établi par les lois. Quelque temps après, Rabaut Saint-Etienne devint président de l’Assemblée constituante.

Extrait d’un sermon de Brousson.

… La moindre chose suffit pour empêcher la plupart des gens de se trouver dans les saintes assemblées. Ils voudraient que Dieu leur fît prêcher son Evangile selon leur commodité ; autrement ils n’osent pas sortir de leur maison, pour ouïr sa Parole et pour lui rendre le service qui lui est dû. La moindre menace qu’on leur fait de les mettre en prison ou de leur envoyer quelques soldats pour leur faire manger une partie de leur pain et boire une partie de leur vin, est capable de leur faire renier de nouveau leur Sauveur.

Lâches et infidèles chrétiens, qu’eussiez-vous fait au commencement du christianisme, lorsqu’on faisait dévorer les fidèles par les bêtes féroces, ou qu’on déchirait leur corps avec des griffes de fer, ou qu’on leur faisait souffrir tous les autres tourments que l’enfer pouvait inventer ? Qu’eussiez-vous fait au commencement de la Réformation, lorsqu’on brûlait tout vifs ceux qui professaient la vérité ? Vous n’auriez pas voulu vous sauver par ce prix-là, et maintenant vous vous feriez mahométans, et pis encore, pour éviter de pareils martyres. Lâches et infidèles chrétiens, vous ne voulez donc pas suivre les traces de ces générations fidèles qui, au commencement du christianisme et dans le siècle passé souffrirent de si grands maux pour donner gloire à Dieu, pour acquérir ou pour conserver la précieuse liberté de le servir et de chanter ses saintes louanges ? Ah ! ne vous glorifiez point d’être le peuple de Dieu, puisque vous n’avez pas à cœur les intérêts de sa gloire et de son service. Ne vous vantez pas d’être la postérité des saints, puisque vous n’êtes point les héritiers de leur foi, de leur zèle et de leur constance.

Claude BROUSSON
Manne Mystique du Désert
Tome I, pp. 101, 103
Cité dans R. ALLIER
Anthologie protestante française

Rétablissement de la discipline.

Et toujours plus pénétré des désordres qu’il voyait régner dans la conduite des églises, il se prévalut d’une assemblée qui devait se faire de tous les prédicateurs qui prêchaient en Languedoc pour jeter les fondements de l’ordre et de la discipline qui s’est observée depuis. Cette assemblée fut tenue dans les Cévennes le 21 août (1721). Et il fut élu modérateur et secrétaire. Il y fit passer des règlements dont les uns tendaient à l’extinction du fanatisme, et les autres à imposer silence aux femmes prédicantes ; il y représenta la nécessité qu’il y avait d’établir des anciens dans les églises, dont les principales fonctions seraient la direction des assemblées, de veiller à la conversation des pasteurs, de collecter en faveur des pauvres, d’être attentifs aux scandales, et d’avertir les prédicateurs de tout ce qui serait nécessaire pour le bien du troupeau, et en conséquence de cette représentation, il fut établi dans cette assemblée deux anciens pour l’église de Monoblet qui était le lieu le plus proche où se tenait l’assemblée.

Il donna aussi diverses règles de prudence pour la conduite des assemblées, afin de les mettre à couvert des recherches et des perquisitions des ennemis.

Mémoires d’A. Court
pp. 95, 96.

Une lettre de P. Rabaut
sur un synode et les assemblées.

28 mai 1756.

Grâce à Dieu nous avons tenu notre foire le plus heureusement du monde à tous égards : sûreté au dehors, concorde et unanimité au dedans ; d’aussi heureux commencements semblent nous répondre que nous n’aurons pas travaillé en vain.

Je vous eusse écrit plus tôt, n’eût été que d’un jour à l’autre j’attendais de recevoir une de vos lettres. Je languis d’apprendre de vos nouvelles.

Il ne se passe ici rien de fort intéressant. De temps en temps des parties de plaisir sont interrompues. Il n’en est pas de même de celles de mes associés ; beaucoup plus heureux que moi, rien ne touche leurs fêtes. Peut-être les circonstances me favoriseront-elles à l’avenir. Bien des gens s’en flattent, et je m’en flatte avec eux.

Si vous savez quelque nouvelle intéressante, vous m’obligerez de m’en faire part. On débite ici seulement depuis hier que le roi d’Angleterre a déclaré la guerre au roi de France.

Paul RABAUT
Lettres à divers.
Tome I, pp. 132, 133.

La vie aux galères.

On a bien raison de dire, lorsqu’on se trouve dans quelque rude peine ; « Je travaille comme un forçat à la rame », car c’est en fait le plus rude exercice qu’on puisse s’imaginer. Qu’on se représente, si on peut, six hommes enchaînés, assis sur un banc, tenant la rame à la main, un pied sur la pédagne, grosse barre de bois attachée à la banquette ; et de l’autre pied, montant sur le banc de devant eux, et s’allongeant le corps, les bras roides pour pousser et avancer leur rame jusque sous le corps de ceux de devant qui sont occupés à faire le même mouvement ; et ayant avancé ainsi leur rame, ils l’élèvent pour la frapper dans la mer et du même temps se jettent, ou plutôt se précipitent en arrière, pour tomber assis sur leur banc, qui, à cause de cette rude chute, est garni d’une espèce de coussinet. Enfin, il faut l’avoir vu, pour croire que ces misérables rameurs puissent résister à un travail si rude ; et quiconque n’a jamais vu voguer une galère ne se pourrait jamais imaginer, en le voyant pour la première fois, que ces malheureux pussent y tenir une demi-heure, ce qui montre bien qu’on peut, par la force et la cruauté, faire faire pour ainsi dire l’impossible. Et il est vrai qu’une galère ne peut naviguer que par cette voie et qu’il faut nécessairement une chiourme d’esclaves, sur qui les comites puissent exercer la plus dure autorité, pour les faire voguer, non seulement une heure ou deux, mais même dix à douze heures de suite. Je me suis trouvé avoir ramé à toute force pendant vingt-quatre heures sans nous reposer un moment. Dans ces occasions, les comites et autres mariniers nous mettaient à la bouche un morceau de biscuit trempé dans du vin, sans que nous levassions les mains de la rame, pour nous empêcher de tomber en défaillance. Pour lors, on n’entend que hurlements de ces malheureux, ruisselant de sang par les coups de corde meurtriers qu’on leur donne. On n’entend que claquer les cordes sur le dos de ces misérables. On n’entend que les injures ou les blasphèmes les plus affreux des comites, qui sont animés et écument de rage, lorsque leur galère ne tient pas son rang et ne marche pas si bien qu’une autre. On n’entend encore que le capitaine et les officiers majors crier aux comites, déjà las et harassés d’avoir violemment frappé, de redoubler leurs coups, et lorsque quelqu’un des ces malheureux forçats crève sur la rame, comme il arrive souvent, on frappe sur lui tant qu’on lui voit la moindre vie, et lorsqu’il ne respire plus, on le jette à la mer comme une charogne, sans témoigner la moindre pitié…

… Cependant tous ces scélérats, quelque méchants qu’ils fussent, témoignaient toujours beaucoup d’égards pour nous autres réformés. Ils ne nous appelaient jamais que Monsieur et n’auraient jamais passé devant nous sans nous saluer. J’en avais cinq dans mon banc à Dunkerque, un condamné pour meurtre et assassinat, un autre pour viol et meurtre, le troisième pour vol de grand chemin, le quatrième aussi pour vol. Pour le cinquième, c’était un Turc esclave. Mais je puis dire en bonne vérité, que ces gens-là, tout vicieux qu’ils étaient, me portaient une vraie révérence et c’était à qui serait le premier à me rendre de petits services. Lorsque les plus méchants parlaient de nous, ils ne balançaient pas à dire : « Ces messieurs sont respectables en ce qu’ils n’ont point fait de mal qui mérite ce qu’ils souffrent et qu’ils vivent comme d’honnêtes gens qu’ils sont. »

Les officiers même, du moins la plupart, aussi bien que l’équipage, nous considéraient, et s’il se trouvait qu’il y eût dispute ou quelque différend entre les autres galériens et qu’un réformé se trouvât à portée d’en décider ou de rendre témoignage de la vérité du fait, on en passait toujours par sa décision.

MARTEILHE
Mémoires d’un Protestant
pp. 223, 224, 249.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant