Précis d'histoire de l'Eglise

Chapitre 4 : Réveils du XVIIIe siècle

1. Les réveils en Allemagne

Philipp Jacob Spener

1. Le piétisme. Ce réveil est une réaction contre l’orthodoxie morte. Il a eu pour initiateur l’Alsacien Spener (1635-1705), qui exerça son ministère dans diverses villes d’Allemagne et organisa à Halle un centre piétiste. Il réclamait de ses auditeurs une piété qui vienne du cœur, basée sur l’expérience de la repentance et du pardon, une foi qui produise de bonnes œuvres, et une séparation rigoureuse d’avec le monde. Il invitait les convertis à ne pas quitter l’Eglise établie, mais à se regrouper en conventicules (ecclesiola dans l’ecclesia).

Spener avait subi l’influence de théologiens mystiques comme Arnt, des Puritains et du Réformé Labadie qui a formé en Hollande et en Allemagne du Nord des groupes de croyants en marge de l’église officielle. En 1675, Spener publiait son principal ouvrage, Pieux Désirs où il réclamait 1. Une étude plus sérieuse de la Bible, 2. une part plus active des laïcs, 3. l'équilibre entre la science et l’action, 4. une attitude plus fraternelle dans les polémiques théologiques, 5. une réforme des études pastorales en vue d’inculquer la piété autant que la science, 6. une prédication moins rhétorique et plus édifiante.

August Hermann Francke

Son disciple et ami Francke (1668-1727) organisa à Halle des orphelinats, des écoles, où l’on s’attachait à l’éducation du cœur et de l’esprit et non pas exclusivement à l’instruction. Il fonda une société biblique, pour répandre la Bible à bon marché, et une société missionnaire. Le Wurtembergeois Bengel (1687-1752) s’est signalé par sa piété et son érudition. Il combat énergiquement l’habitude qui consiste à tordre le sens des Ecritures. On l’a surnommé le père de l’exégèse moderne. Il s’intéressait à la prophétie.

Le réveil piétiste était nécessaire, et il a fait un bien incalculable. On peut cependant reprocher à ce mouvement une austérité un peu triste et, malgré l’orthodoxie personnelle des chefs, une certaine indifférence à l’égard des croyances, qui l’a empêché d’être une digue puissante contre le rationalisme envahissant.

Celui qui recueillit les cantiques du réveil piétiste fut Freyling-hausen.

Nikolaus Ludwig von Zinzendorf

2. Le réveil morave. Ce mouvement doit son origine au comte de Zinzendorf (1700-1760). Il fit des études au collège piétiste de Halle, où il eut quelques difficultés parce que sa conversion n’avait pas été marquée par toutes les émotions que les piétistes préconisaient. Au cours d’un voyage, il fut frappé par un tableau du Christ en croix, à Dusseldorf, et décida de donner sa vie au Seigneur.

Peu après, il accueillit sur ses terres, en Saxe, des frères moraves que les persécutions avaient chassés de leur pays, et qui appelèrent leur nouveau domaine Herrnhut. Zinzendorf leur accorda une charte, selon laquelle ils devaient accepter le luthéranisme, mais pouvaient continuer à célébrer leurs réunions d’édification mutuelle, et nommer à cet effet des anciens. Un culte solennel de Sainte Cène sembla mettre le sceau de Dieu à cette décision.

Zinzendorf, qui se fit consacrer évêque des frères, était plein de zèle. Sa piété était fortement christocentrique, avec quelques excès sentimentaux parfois. Mais la vie religieuse, où les laïcs avaient une place importante dans les réunions d’édification mutuelle ou chœurs, était intense. Aussi le mouvement ne tarda-t-il pas à se répandre. Les Moraves fondèrent tantôt des groupements de croyants dans le cadre des Eglises établies, comme en Saxe, tantôt des communautés indépendantes, comme en Prusse, en Angleterre et dans le champ missionnaire. Leurs cantiques simples, joyeux, touchants, devinrent populaires dans tous les milieux. Dans ce siècle de rationalisme, ils maintinrent la foi et la piété en Europe, au point que le terme morave devint synonyme de « converti ». Zinzendorf eut d’ailleurs un excellent successeur en la personne de Spangenberg (1704-1792).

L’Ecclesiola dans l’Ecclesia.

Je crois que nous sommes en un temps où il y a peu de chose à attendre, pour ne pas dire rien, de discussions générales ou d’instances officielles ; mais où nous, prédicateurs – j’entends ceux qui prennent leur tâche au sérieux – chacun là où il est, et peut-être avec l’aide d’amis partageant nos préoccupations, devons tenter, avec ce que Dieu nous donne en moyens et occasions pour l’édification, de rassembler des ecclesiolas dans nos églises, c’est-à-dire d’amener à une constante croissance ceux qui ont un zèle véritable pour le service de leur Dieu ; pour ce qui les concerne, ils seraient ainsi toujours plus dignes de leur nom de chrétiens et en conséquence, ils en édifieront d’autres, par leur exemple et à chaque occasion que Dieu leur donnera, au moyen de souvenirs adéquats (qu’ils raconteront) et d’exhortations ; à leur manière, ils viendraient à notre aide pour en gagner d’autres. Là où une telle chose aurait lieu de la part de plusieurs et à divers endroits, plusieurs personnes devraient être prêtes à poursuivre l’œuvre du Seigneur et quelques communautés amenées si loin par la bénédiction céleste qu’elles commencent à être, en la plupart de leurs membres, semblables à la primitive Eglise. Elles seraient ainsi cette lumière pour éclairer davantage l’épaisse obscurité de beaucoup.

SPENER
Pieux Désirs
cité par J. COURVOISIER
Brève histoire du Protestantisme
pp. 86, 87.

Le réveil morave.

Il y a trente et quelques années que j’ai commencé à recevoir par la prédication de la croix une impression profonde de la grâce. Le désir d’amener des âmes à Jésus s’est emparé de mon cœur, qui n’a plus voulu que l’Agneau. Je n’ai pas toujours, il est vrai, pris la même voie pour arriver à Lui. Ainsi à Halle, j’allais à Lui tout uniment ; à Wittenberg, par la morale ; à Dresde, par la philosophie ; plus tard en cherchant à marcher sur ses traces. Ce n’est que plus tard encore, depuis le bienheureux établissement de la communauté d’Herrnhut que je suis allé à Lui par la simple doctrine de ses souffrances et de sa mort.

J’ai toujours agi uniquement pour l’amour de Jésus et sans aucune arrière-pensée…

J’ai le plan d’amener autant d’âmes que je pourrai à la connaissance du péché et de la grâce… J’avais enfin le plan de réunir aussi tous les enfants de Dieu qui sont maintenant séparés les uns des autres, et je l’ai poursuivi sans interruption de 1717 à 1739 ; mais maintenant j’y renonce, car non seulement je vois que je n’aboutis à rien, mais je commence à remarquer qu’il y a là un mystère de la Providence divine.

ZINZENDORF
Lettre écrite de Bâle en 1740,
citée par F. BOVET,
Zinzendorf VI, 31.

2. Le grand réveil en Nouvelle-Angleterre

Jonathan Edwards

Le principal artisan de ce réveil fut le pasteur Jonathan Edwards (1703-1758). Il avait l’esprit philosophique ; c’était un calviniste rigide, d’une logique implacable. Il divisait ses sermons en deux parties, exposition et application, et les lisait sans éclats de voix, sans gestes, sans aucun effet de rhétorique, mais avec une grande profondeur de conviction.

Tout jeune, il fut nommé pasteur dans la paroisse congrégationaliste de Northampton. Les mœurs étaient frivoles et relâchées. Edwards se mit à prêcher le jugement de Dieu et la grâce souveraine. Bientôt quelques personnes furent converties, et la ville entière en fut remuée. On ne parlait que des choses de Dieu. Dans les réunions, les gens s’évanouissaient, poussaient des cris de terreur ou de joie. Sans encourager ces manifestations, Edwards ne les empêchait pas. Le mouvement, commencé en 1734, se prolongea pendant plusieurs années, et se répandit dans toute la Nouvelle-Angleterre, avec la collaboration de Whitefield. On compte qu’environ un cinquième de la population passa à ce moment par la conversion.

Chose étrange, après 23 ans de ministère, Edwards fut destitué par son Eglise, parce qu’il ne voulait pas admettre des inconvertis à la Sainte-Cène. Il mourut quelques années après.

Les principaux ouvrages d’Edwards sont le Traité du Libre-Arbitre (contre les Arminiens), Le Traité du péché originel, la Dissertation sur la Nature et la vraie Vertu, la Narration des Conversions où il raconte les péripéties du Réveil ; plusieurs Sermons.

3. Le réveil méthodiste

John Wesley

1. Jeunesse de Wesley. Au moment où naquit John Wesley (1703-1791), l’Angleterre avait sombré dans le déisme. Né à Epworth, il fit ses études à Oxford où, avec quelques camarades, il chercha le salut dans la voie du ritualisme, du mysticisme et de l’ascétisme. Par dérision, le club fut appelé « méthodiste ». Toujours inquiet, il alla en Géorgie pour évangéliser les Indiens, les Noirs, les bagnards de cette colonie. Il espérait trouver le salut en le prêchant aux autres. Découragé, il rentra en Angleterre, et se mit à fréquenter les réunions moraves de Londres. C’est là qu’il se convertit, le 24 mai 1738 en entendant lire la préface de Luther de l’épître aux Romains.

2. Histoire du réveil. Immédiatement, il se mit à prêcher l’Evangile, avec son frère Charles et son ami Whitefield qui s’était converti un peu auparavant. Ce dernier commença à prêcher en plein air dans les environs de Bristol ; et après quelques hésitations, Wesley suivit son exemple. Ils rassemblèrent des foules de plusieurs milliers (parfois 20 000 personnes) qui, devant la puissance du message, tombaient à terre, imploraient le salut à grands cris et ensuite louaient Dieu pour son pardon. Wesley groupa les convertis en sociétés subdivisées en classes, qui se réunissaient pendant la semaine pour l’édification mutuelle, sous la direction d’un conducteur laïque.

Pendant cinquante ans, Wesley parcourut l’Angleterre en tous sens, prêchant le réveil. Il était infatigable ; il a probablement prêché 40 000 sermons. Son Journal est une longue suite d’expériences extraordinaires. Il attachait une grande importance à l’expérience de la vie sainte, comme conséquence de la justification. Les difficultés ne manquaient d’ailleurs pas. Tantôt il devait réprimer des extravagances perfectionnistes ou antinomiennes que son esprit sobre et logique désapprouvait, tantôt il se heurtait à l’hostilité du clergé. De plus, il était très mal marié. Mais sa foi triomphait de tous les obstacles, et l’œuvre ne cessait de s’étendre et de s’approfondir. Il eut la joie de voir les convertis faire des progrès réjouissants dans le domaine de la sanctification sur laquelle il insistait fortement.

George Whitefield

3. Whitefield (1714-1770). Wesley s’était séparé de son ami Whitefield, parce que celui-ci insistait sur la prédestination que Wesley niait. Ils restèrent d’ailleurs en bons termes jusqu’au bout. Whitefield a collaboré au réveil anglais comme au réveil américain. Il avait une voix formidable, le geste entraînant, un don d’émotion qui fondait le cœur des auditeurs. Il n’avait pas le talent d’organisation de Wesley, et les Eglises Méthodistes Calvinistes qu’il fonda au Pays de Galles ne connurent pas l’essor des Eglises wesleyennes.

4. Organisation des Eglises méthodistes. Wesley n’avait nullement le désir de fonder une Eglise dissidente. Cependant en 1784, il se décida à organiser en Amérique une Eglise épiscopale distincte de l’Eglise anglicane qui était mal vue des Américains pour des raisons politiques. En Angleterre, la même année, il donna à la Conférence annuelle des sociétés méthodistes une constitution légale, en marge de l’Eglise établie. Quelques années après, il s’éteignit, à l’âge de 88 ans, actif jusqu’aux dernières semaines de sa vie. Son frère Charles, célèbre par ses cantiques, était mort un peu auparavant. Après la mort de Wesley, les sociétés méthodistes s’érigèrent en Eglises dissidentes.

Le réveil méthodiste a bouleversé l’Angleterre. Jusque-là la piété n’avait guère été répandue. Dès lors, les Anglais joueront un rôle considérable dans la chrétienté. La doctrine wesleyenne de la sainteté ; quoiqu’exprimée en des termes qui pouvaient prêter à confusion, mettait utilement l’accent sur un sujet qui avait été trop souvent laissé dans l’ombre.

La conversion de Wesley.

Le mercredi 24 mai 1738, vers cinq heures du matin, j’ouvris mon Nouveau Testament à ces paroles : « Nous avons reçu les grandes et précieuses promesses, afin que, par leur moyen, nous devenions participants de la nature divine. »

Dans la soirée, je me rendis à contre-cœur à une petite réunion dans Aldersgate-street, où j’entendis lire l’introduction de Luther à l’Epître aux Romains. Vers neuf heures moins un quart, en entendant la description qu’il fait du changement que Dieu opère dans le cœur par la foi en Christ, je sentis que mon cœur se réchauffait étrangement. Je sentis que je me confiais en Christ, en Christ seul pour mon salut ; et je reçus l’assurance qu’il avait ôté mes péchés, et qu’il me sauvait de la loi du péché et de la mort.

Je me mis alors à prier de toutes mes forces pour ceux qui m’avaient le plus outragé et persécuté. Puis je rendis témoignage ouvertement, devant les personnes présentes, de ce que j’éprouvais en mon cœur pour la première fois.

WESLEY
Journal – 24 mai 1738.
Traduit par LELIÈVRE.

Le réveil méthodiste.

Je me suis senti tout pénétré par le sentiment de la grandeur merveilleuse de l’œuvre que Dieu a accomplie en Angleterre pendant ces dernières années, et, sous l’impression de ces pensées, j’ai prêché sur ce texte : « Il n’a pas fait ainsi de toutes les nations » (Psaumes 147.20). En effet, nulle part, ni en Ecosse ni dans la Nouvelle-Angleterre, Dieu n’a manifesté son bras d’une manière aussi étonnante. La chose paraîtra évidente à quiconque voudra considérer impartialement : 1° le nombre de personnes qui ont été réformées ; 2° la rapidité de l’œuvre chez plusieurs qui ont été convaincues de péché et convertis en quelques jours ; 3° sa profondeur chez la plupart des personnes, dont elle a changé le cœur aussi bien que toute la conduite ; 4° sa clarté, qui permet aux âmes de s’écrier : « Tu m’as aimé et tu t’es donné toi-même pour moi » ; 5° enfin, sa continuité. En Ecosse et dans la Nouvelle-Angleterre, des réveils ont éclaté à diverses reprises et ont duré quelques semaines ou quelques mois, tandis que le mouvement méthodiste dure depuis dix-huit ans environ, et cela sans interruption appréciable. Et par-dessus tout qu’on veuille bien remarquer ceci : que, tandis que le clergé régulier a pris une large part dans les réveils de l’Ecosse et de la Nouvelle-Angleterre, c’est à peine si chez nous deux ou trois ecclésiastiques sans importance se sont associés au réveil, avec quelques jeunes gens illettrés ; quant à la masse du clergé et des laïques, elle s’y est opposée de toutes ses forces. Celui qui prendra la peine d’y réfléchir reconnaîtra que c’est bien là une œuvre de Dieu, et qu’en réalité « il n’a pas fait ainsi à toutes les nations ».

WESLEY
Journal – 16 juin 1755.
Traduit par LELIÈVRE.

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