Précis de prédication chrétienne

11. LE STYLE

Chaque genre littéraire, chaque domaine technique a son langage approprié avec des règles diverses. La proclamation de l'Évangile a, elle aussi, ses caractéristiques, son style, auxquels il convient de se conformer.

I. LE VOCABULAIRE

Pour être compris, il faut se mettre au niveau de l’interlocuteur dont la connaissance est souvent limitée. Évitons les termes théologiques trop savants, et visons à la simplicité. Cependant la crainte d'employer ce qu'on appelle « le patois de Canaan », ne doit pas nous inciter à faire l'économie de certaines notions essentielles, exprimées dans l'Écriture, sous peine d'être infidèles à notre mandat d'ambassadeurs du Christ. La solution est facile : il n'y a qu'à définir les mots que l'auditeur risque d'ignorer ou -pire encore- de mal interpréter. C'est dire que des termes comme rédemption, expiation, incarnation, repentance, assurance du salut, ne doivent pas être bannis de notre prédication, mais il est utile de les expliquer. Même certains vocables assez usuels prêtent à malentendu. Pour beaucoup de gens, le péché désigne une déviation sexuelle, et parfois dans leur idée même la sexualité légitime a des connotations négatives. En précisant que, d'après la Bible, c'est n'importe quelle violation de la loi divine, (Jacques 2.20 ; 1 Jean 3.4), nous remettrons les choses au point. Autre exemple : dans la pensée de la plupart des catholiques, la foi, c'est uniquement l'acceptation des doctrines chrétiennes, et du coup nos affirmations protestantes sur le salut par la foi seule leur apparaissent inadmissibles. Il convient donc de préciser que croire en Jésus-Christ, ce n'est pas seulement avoir des notions exactes sur sa personne – bien que cet aspect intellectuel de la foi soit nécessaire –, mais qu'il s'agit par-dessus tout de mettre sa confiance dans le Sauveur pour être pardonné et transformé.

Le français est une langue remarquablement précise et nuancée. Elle le bénéficie sur ce plan d'une des qualités qu'on peut admirer dans les langues bibliques, l'hébreu et le grec. L’hébreu est plutôt pauvre, le grec immensément riche. Mais en ce qui concerne la clarté, les deux ont été le véhicule approprié pour la formulation de la vérité divine. Le français aussi permet les distinctions délicates. On dit parfois qu'en français il n'y a pas de synonymes, et c'est vrai dans un certain sens. Quand deux ou plusieurs termes désignent le même objet, ils le font en général en respectant des nuances, en sorte qu'on indifféremment employer l'un pour l'autre.

Le prédicateur peut tirer avantage de cette situation, à la condition de soigner son vocabulaire. Trop souvent, il est tenté d'accumuler les termes sans discernement, de multiplier les adjectifs, d’apporter un message qui ressemble à un fourré désordonné au lieu de refléter l'ordonnance harmonieuse d'un jardin « à la française ! » Une pratique assidue du Petit Robert, la lecture de bons auteurs, y compris de bons auteurs profanes, lui permettront de trouver le mot juste, indispensable pour exprimer une pensée nette.

L’étymologie nous aide parfois à serrer de près la valeur d'un mot français, hébreu ou grec. Les dictionnaires nous fournissent les éléments voulus à cet effet. Mais elle peut aussi nous orienter sur une fausse piste. Notre verbe français étonner signifie littéralement frapper comme un coup de tonnerre ; au cours des siècles, le sens s'est affaibli, et il serait ridicule de vouloir invoquer le sens primitif lorsque nous employons ce verbe aujourd'hui. C'est surtout le contexte qui détermine la signification précise qu'il convient d'attribuer à un mot.

Les expressions triviales sont à proscrire. L’apôtre Paul fait une remarque dans ce sens : « Pas de grossièreté ! » (Éphésiens 5.4). Il est probable que le Rabshaké, envoyé par le souverain assyrien et s'adressant en langue judaïque aux habitants de Jérusalem, a employé pour désigner l'urine et les excréments des termes assez vulgaires, attestés par le texte consonantique ; mais les copistes ont écrit en marge qu'il fallait dans la lecture publique avoir recours à des expressions plus décentes (Ésaïe 36.12). Si l'on parle à des auditeurs issus de milieux populaires, on aurait grand tort de s'imaginer qu'on leur fait plaisir en utilisant un langage relâché. Ils ont tendance à considérer cela comme une marque de mépris, et ils en éprouvent du ressentiment.

Ce n'est pas qu'il faille être guindé, voire grandiloquent, comme on l'était trop souvent au siècle dernier. L’onction est à sa place, mais le genre huileux inspire le dégoût.

Il faut prendre garde aussi à ne pas devenir agaçant par l'emploi trop fréquent de formules parasites, comme : « bon ! », « n'est-ce-pas ? », « eh bien ! », etc. Les gens mal disposés seront tentés, au lieu d'écouter le message, de compter combien de fois on répète la formule ! Il est avantageux de se faire surveiller à cet égard par un ami dévoué, de préférence par le conjoint, car de telles habitudes sont en général inconscientes et l'on a grand peine à s'en défaire.

À l'exemple des prophètes et des apôtres, comme de Jésus lui-même, nous devons être naturels, directs, proches de la conversation courante. L’auditeur aura l'impression d'être interpellé. Cela favorisera une décision de sa part.

II. LA PHRASE

Je conseillerais de viser à faire des phrases courtes. Cependant, on ne peut pas être catégorique à cet égard. Les auteurs sacrés sont loin de s'être pliés à une règle de ce genre. Dans le Deutéronome, nous trouvons fréquemment des sentences qui s'étendent sur plusieurs versets. À côté d'exhortations brèves et cinglantes, les prophètes développent souvent leur pensée en larges considérations. (Ézéchiel 18.5-9 ; Daniel 4.17-19). L'apôtre Paul surtout aimait à grouper dans une seule phrase une grande idée, ses motifs et ses conséquences. Dans l'original, le premier chapitre de l’épître aux Éphésiens se réduit pratiquement à deux phrases. (Éphésiens 1.3-14 ; 15-21). D’ailleurs, il affichait un superbe mépris pour la supériorité de langage (1 Corinthiens 2.1). L’apôtre Jean avait un genre très différent. À l'occasion, il se lance dans une longue période (1Jean 1.1-4). En général, il énonce une vérité, puis en expose les modalités en procédant par retouches successives (1 Jean 4.7-11). Jésus exprimait le plus souvent sa pensée sous la forme de maximes frappées comme des médailles, avec une riche signification accumulée en peu de mots.

La sentence brève est recommandable pour plusieurs raisons :

On risque moins de commettre des fautes grammaticales qui, sans être désastreuses sont quand même plus ou moins désagréables à l’oreille. Il est pénible d'entendre quelqu'un s'engager avec un bel élan dans un long développement oratoire et ensuite rester court ou s’embourber dans des tournures boiteuses.

Le public moderne, habitué aux entrefilets du journal ou aux flashes de la radio ou de la télévision, n'est guère réceptif en face des flots d’éloquence majestueuse qu'on admirait autrefois. Il réagit mieux à une série d'informations précises.

Si l'on parle en étant traduit dans une autre langue, la tâche de l'interprète est bien facilitée quand chaque ensemble à traduire forme un tout.

Il est plus difficile qu'on ne le pense de s'exprimer par des sentences courtes. Au fur et à mesure que nous avançons en expérience, nous sommes plus sensibles aux rapports des idées les unes avec les autres et nous avons tendance à nous lancer dans des considérations nuancées. Beaucoup d'orateurs célèbres, chrétiens ou non, ont excellé dans l'art de manier avec aisance de longs développements. On peut citer Démosthène et Bossuet. Notre siècle présent n'a pas définitivement tourné le dos au charme d'une longue phrase harmonieuse et bien équilibrée. Mais en règle générale, les déclarations brèves doivent avoir la préférence.

III. LES FIGURES DE STYLE

1) L'exclamation est de nature émotive. Les enfants y sont plus portés que les adultes. Dans la Bible, on en trouve de nombreux exemples, surtout chez les prophètes et dans les Psaumes, mais aussi sur les lèvres de Jésus.

La proclamation de l’Évangile est émouvante, il est donc normal que l'exclamation y trouve place. Encore faut-il veiller à ne pas en abuser. De deux choses l'une : ou bien l'auditeur se laisse émouvoir, et cette émotion prolongée ou répétée le fatigue ; ou bien il résiste à l'émotion qu'on veut lui communiquer, et cette résistance le fatigue aussi. Il faut donc ménager des moments où la vérité sera présentée d'une manière objective sans insistance passionnée. Attention aussi à ne pas gaspiller les exclamations sur des détails insignifiants, mais les réserver à ce qui est vraiment pathétique.

En moyenne, les femmes sont plus émotives que les hommes. On s'attend de leur part à des exclamations plus nombreuses et plus touchantes. Mais tout en suivant les impulsions de sa nature, une femme qui prononce une allocution devra veiller à les contrôler. Nous sortirions du cadre de notre sujet si nous entamions ici une discussion sur le ministère féminin. Personnellement, je pense qu'il est tout à fait  légitime. Il sera d'autant mieux accepté que la messagère de l'Évangile se donnera la peine de bien charpenter son exposé, plutôt que de tirer indûment sur la corde sensible.

2) L'interrogation s'adresse à l'intelligence. Elle est très fréquente dans l'Écriture. Il y aurait toute une étude à faire sur les questions posées par Jésus à ses  interlocuteurs.  Certaines attendent une réponse explicite : « et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller ? » (Jean 6.67). D’autres sont de nature oratoire ; après avoir formulé une interrogation, Il donne lui-même la réponse : « Dieu ne ferait-il pas justice à ses élus qui crient à lui nuit et jour et tarderait-il à leur égard ? Je vous le dis, il leur fera prompte justice. »(Luc 18.7-8) Une troisième catégorie présente sous forme  interrogative une vérité si évidente que toute réponse est superflue : « Qui donc par ses inquiétudes peut ajouter une coudée à la durée de sa vie ? » (Matthieu 6-27)

Un bon usage de l'interrogation contribue à l'efficacité de la parole. Elle incite à réfléchir et à prendre position, plutôt que de subir passivement une influence.  Comme pour l'exclamation, il convient d’en user modérément. Sinon on risquerait de donner l'impression qu’on fait passer un examen aux assistants, ce qui peut les agacer. La réflexion est moins éprouvante que l'émotion, mais elle fatigue, elle aussi. Il faut veiller à ne poser des questions qu'à propos de sujets où le public est en mesure de répondre ; autrement il se sent humilié, et cela le met de mauvaise humeur. Après avoir énoncé une formule interrogative, il est sage d'observer quelques secondes d'arrêt, pour que l’auditeur ait le temps de donner mentalement une réponse avant qu’on ne passe plus loin.

3) Les spécialistes de la rhétorique ont catalogué d'autres figures de style qu'un orateur emploie plus ou moins instinctivement, comme le Bourgeois Gentilhomme de Molière faisait de la prose. Nous allons en passer quelques-unes en revue, malgré le caractère un peu technique de cette énumération. Outre que cela peut aider le lecteur à mieux comprendre certains textes de l'Écriture, ce qui est toujours une bonne chose, cela lui permettra de recourir à ces figures non seulement par instinct, mais avec la réflexion appropriée.

* La paronomase est l'emploi de deux termes voisins par leur sonorité pour donner plus de relief à la pensée. C'est une désignation savante de ce que nous appelons plus communément un jeu de mots. Les prophètes en étaient très friands ; hélas ! dans une traduction il est rare que l'on puisse rendre cette nuance. Nous lisons sous la plume d'Ésaïe : « L’Éternel avait espéré michpât, la droiture, et voici mispah, la forfaiture, tsedaqa, la justice et voici tse’aqa, la criaillerie » (Es 5.7). Une paronomase bien amenée peut se graver dans la mémoire : « La prière est ou bien une force, ou bien une farce ; » « sous la nouvelle alliance, le salut ne dépend pas de la race, mais de la grâce. » On parle d'allitération lorsque la même consonne est répétée, d'assonance lorsque deux ou plusieurs mots se terminent par le même son vocalique. L'une et l'autre peuvent être suggestives.

* Le paradoxe est l'expression d'une vérité contraire à ce qu’on aurait pu attendre : « Les païens qui ne cherchaient pas la justice ont obtenu la justice, la justice qui vient de la foi, tandis qu'Israël qui recherchait une loi qui donne la justice, n'est pas parvenu à cette loi. » (Romains 9.30-31). L'Évangile est souvent paradoxal, et nous devons en prendre notre parti, sans pourtant souligner avec trop d'insistance ce caractère.

* La répétition se présente sous deux formes :

On peut aligner le même mot deux ou trois fois de suite. Cela renforce la pensée. Dans le langage courant, nous recourons souvent à cette tournure : « Attention, attention ! » ; « il est très, très fort », etc. De telles répétitions sont fréquentes dans l'Ancien Testament : « Saint, saint, saint est l’Éternel, » (ES 6.3) ; « paix, paix à celui qui est loin et à celui qui est près. » (Es 57.19). Dans le Nouveau Testament, elles sont plus rares, mais on en trouve quelques exemples : « Elle est tombée, elle est tombée, Babylone » (Apocalypse 18-2).

Parfois aussi une même phrase revient comme un refrain, soit au début, soit à la fin de chaque paragraphe : « À cause de trois crimes de ..., même de quatre, je ne révoque pas mon arrêt » (Amos 1.3, 6, 9, 11, 13 ;2.1, 4, 6) ; « Malgré cela, ma colère n'est pas assouvie, et ma main reste étendue » (Ésaïe 9.11,16,20 ; 10.4). Voir aussi le psaume 136 et l'éloquence entraînante du chapitre 11 de L'Épître aux Hébreux : « C'est par la foi… » À la condition de ne pas  en abuser, cette tournure peut produire un effet oratoire incontestable.

* Dans la synecdoque, la partie remplace le tout. Sous le terme de Grecs, l'apôtre Paul désigne souvent tous les non-Juifs, qu'ils soient de race grecque proprement dite, ou qu'ils soient Romains, Celtes, Scythes, Germains, et ce qu’il en dit s'applique aux Esquimaux, aux Africains et aux Américains dont l’apôtre ignorait sans doute l'existence. De même quand nous parlons des rapports entre les frères, nous sous-entendons en général que cela s'applique aussi aux sœurs.

* Le zeugma est une tournure par laquelle le lien grammatical est décalé par rapport à la signification réelle. « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et ne se retournent pour vous déchirer. » (Matthieu 7.6). Selon les règles ordinaires de la syntaxe, les trois verbes (fouler, se retourner, déchirer) sont régis par le sujet « pourceaux » ou conjointement par les deux sujets « chiens et pourceaux. » Il est probable qu'il faille comprendre que les pourceaux foulent les perles aux pieds et que les chiens se retournent pour déchirer ceux qui leur offrent de bonnes choses. Le zeugma serait plutôt à éviter, car il risque de semer la confusion.

* Il y a métonymie lorsque pour abréger on attribue une action à un sujet, alors qu'au sens strict c'est un autre sujet qui est en cause. « La ville de Suze était en pleurs. » (Esther 3.15) Il va de soi que ce n'était pas la ville elle-même qui répandait des larmes mais ses habitants. Nous usons très souvent de cette forme de langage qui, sauf de rares exceptions, ne comporte pas d'équivoque.

* Dans une métaphore on désigne quelqu'un ou quelque chose par un autre terme auquel on le compare. Jésus, pour parler d'Hérode le Tétrarque, l'appelle « ce renard. » (Luc 13.22). Veillons dans ce domaine à ne pas être injurieux, mais à part cela, il n'y a guère d'inconvénient à redouter de ce côté.

* L’euphémisme est une expression adoucie pour éviter de choquer les gens. Il nous est dit que Saül entra dans une caverne « pour se couvrir les pieds. » (1 Samuel 24.4). C'est une façon discrète de dire qu'il satisfaisait un besoin naturel. Remarquez qu'en m'exprimant ainsi j'ai à mon tour recours à un euphémisme ! Dans le prologue du livre de Job, nous rencontrons plusieurs fois l'expression « maudire Dieu. » (Job 1.5,11 ; 2.5,9) Les copistes juifs l'ont jugée irrévérencieuse et l'ont remplacée par « bénir Dieu », mais le sens restait clair pour eux et leurs lecteurs. Dans nos traductions, cet euphémisme ne peut guère être maintenu, car il prêterait à confusion.

* La litote est légèrement différente. Pour mieux faire passer un reproche, on lui donne une forme atténuée. C'est extrêmement rare dans la Bible qui se distingue par son allure franche et directe. Nous en trouvons un exemple sous la plume de Paul. Parlant de l'attitude peu fraternelle des Corinthiens, il leur déclare : « Que vous dirai-je ? Vous louerai-je ? En cela je ne vous loue pas. » (1 Corinthiens 11.22). Cela équivaut à dire : « Je vous blâme. » Dans notre désir de ne pas heurter ceux à qui nous nous adressons, nous sommes parfois tentés de recourir à des litotes. Ne cédons pas trop à cette tentation, ce serait de la lâcheté. Pourtant, occasionnellement, cette réserve est utile.

* L'hyperbole, au contraire, est une tournure exagérée. Pour mieux impressionner leurs auditeurs, les prophètes et les apôtres, sans parler de Jésus Lui-même, n'ont pas dédaigné de s'en servir : « Si quelqu’un vient à moi ; et s'il ne hait pas son père, sa mère, sa femme... et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. » (Luc 14.26). Le verbe haïr n'a pas ici son sens habituel, mais il équivaut à aimer moins ; toutefois la tournure brutale interpelle plus vivement l'interlocuteur. L’hyperbole n'est donc pas à bannir rigoureusement de notre discours ; elle doit pourtant rester très exceptionnelle, sinon celui-ci prend une allure boursouflée et à la limite mensongère. On ne remplit pas un verre d'eau avec une pompe à incendie !

* L'ironie exprime par dérision une idée par l'idée contraire. Paul écrit aux Corinthiens : « nous n'osons pas nous comparer à ceux qui se recommandent eux-mêmes. » (2 Corinthiens 10.12) Plus loin : « qu'avez-vous eu de moins que les autres Églises, sinon que je ne vous ai pas été à charge ? Pardonnez-moi cette injustice ! » (2 Corinthiens 12.13) L’ironie est à manier avec beaucoup de prudence. Elle est dangereuse. Parfois, elle est méchante et provoque une réaction plus négative qu'un reproche direct. D'autres fois, le public est assez borné pour la considérer comme un compliment sincère. Sous la plume de Paul, elle était claire et efficace. Qu'elle le soit aussi sur nos lèvres !

* L’anthypophorie  est, malgré son nom un peu compliqué, assez usuelle et très importante dans un sermon. Elle consiste à formuler une objection, qui s’oppose à l'enseignement donné, afin de la réfuter. Nous en trouvons toute une série dans le passage que voici : « si quelques-uns ont été infidèles, leur infidélité rendra-telle sans effet la fidélité de Dieu ? Certes non ! Que Dieu soit reconnu comme vrai et tout homme comme menteur !... Si notre injustice fait ressortir la justice de Dieu, que dirons-nous ? Dieu est-il injuste quand il donne cours à Sa colère ?... Certes non ! Autrement, comment Dieu jugerait-il le monde ? Et si par mon mensonge la vérité de Dieu abonde pour sa gloire, pourquoi suis-je moi-même encore jugé comme pécheur ? » (Romains 3.7) Arrivé là, Paul estime cette dernière objection si incongrue qu'il pense inutile de la réfuter, et pour montrer combien elle est irrecevable, il ajoute : « Et comme certains calomniateurs prétendant que nous le disons, pourquoi ne ferions-nous pas le mal afin qu'il en arrive du bien ? » (Romains 3.8)

Nous devons pressentir quels arguments risquent de venir à la pensée et d’empêcher l'auditeur d'accepter la parole divine. Suivant les cas, nous faisons bien de prendre les devants en exposant, puis en résolvant la difficulté.

Pour un bon usage de l'anthypophorie, quelques précautions sont souhaitables. Elle doit être brève, et si possible sans trop de véhémence, sur un ton qui signale qu'elle ne correspond pas à la pensée de celui qui parle, mais qu'elle émane des adversaires de la vérité. Autrement, les auditeurs, dans un moment de distraction risquent d'attribuer les dénégations au prédicateur et d'être décontenancées. Sauf exception, elle doit être suivie d'affirmations qui mettent les choses au point.

* Le chiasme est une figure où dans deux sentences parallèles les mots correspondants sont placés dans un ordre inverse. Daniel décrit la statue que Nebucadnetsar a vue en rêve comme étant d'or, d'argent, de bronze, de fer et d’argile. Puis lorsque la pierre frappe la statue, elle pulvérise le fer, l'argile, le bronze, l'argent et l’or (Daniel 2.32-35). Les prophètes et les poètes hébreux avaient une prédilection pour le chiasme, qui, vu la structure de la langue française, ne peut pas toujours apparaître dans une traduction. Nos fidèles du XXe siècle n'ont pas le même engouement pour cette tournure, mais à l'occasion elle produit un effet non négligeable.

* La gradation est constituée par une suite de phrases où chacune renchérit sur la précédente : « comment invoqueront-ils celui en qui ils n’ont pas cru ? Et comment croiront-ils en celui dont ils n'ont pas entendu parler ? Et comment entendront-ils parler de lui sans prédicateur ? Et comment y aura –t- il des prédicateurs s'ils ne sont pas envoyés ? » (Romains 10.15-15). L'abus de la gradation aboutirait à une grandiloquence fâcheuse, mais utilisée au bon endroit, elle donne à la pensée une vigueur communicative.

* Par la prosopopée, on interpelle des objets inanimés ou des personnages défunts : « Cieux, écoutez ! Terre, prête l’oreille ! » (Deutéronome 32.1). «O mort, où est ton aiguillon ? Sépulcre, où est ta victoire ? » (1 Corinthiens 15.55). Les orateurs du siècle dernier y avaient recours plus souvent que nous. Elle n'est guère à conseiller aujourd'hui où l'on préfère un style simple et direct.

* Alexandre Vinet appelle dramatisation, une figure par laquelle on met dans la bouche d'un personnage des paroles qu'il n'a pas prononcées, mais dont on pense qu'il pourrait les adresser aux auditeurs qu'on a devant soi. C'est une tournure, elle aussi, un peu désuète et solennelle. Un cas particulier est celui où l'on prête à Dieu ou au christ des paroles qui ne se trouvent pas dans la Bible. Bien des prédicateurs contemporains n'hésitent pas à le faire. Dans nos cantiques, cette tournure est fréquente. Une grande prudence est à recommander dans ce domaine. On risque d'être irrévérencieux et téméraire ou d’induire le public en erreur, en lui laissant supposer que les paroles qu'on prête au seigneur ont été effectivement prononcées. Mon cher père préconisait l’abstention totale.

* L'anacoluthe est une rupture de la construction grammaticale. Marc relève l'embarras des scribes et des sacrificateurs interrogés par Jésus sur l'origine du ministère de Jean-Baptiste. Ils disent : « si nous disons : Du ciel, il nous dira : Pourquoi n'avez-vous pas cru en lui ? Et si nous disons : Des hommes... ». Marc laisse la phrase en suspens et ajoute : « Ils craignaient le peuple » (Marc 11.31-32). Certaines anacoluthes peuvent être saisissantes. Dans un texte célèbre, Adolphe Monod compare deux manières de prier, celle qui est habituelle à tous les croyants et celle qui est une véritable agonie, et il termine par cette remarque : « La première nous est connue depuis que nous avons connu le seigneur ; la deuxième, seigneur apprends-nous à prier ! » L’anacoluthe doit être mûrement motivée, sinon elle est une simple incorrection parfaitement déplaisante.

On pourrait allonger cette nomenclature. Nous ne pensons pas que cela soit souhaitable. Les autres chapitres concernent les qualités qu'un sermon doit avoir pour être satisfaisant. Ici nous passons en revue des détails accessoires dont la présence ou l'absence est optionnelle. Cela peut rendre service au prédicateur. Cependant nous ne désirons pas attacher trop d'importance à ce qu'on a lieu de considérer comme des fioritures secondaires.

Mais avant de mettre un point final à nos considérations sur le style, nous devons encore aborder une question délicate, celle de l'humour.

IV. L'HUMOUR

Avons-nous le droit d'introduire un brin d'humour dans notre prédication de l'Évangile ? N'est-il pas trop sérieux pour cela ?

Notons que dans la Bible l'humour ne manque pas totalement. Le livre des Proverbes en particulier contient des remarques amusantes, par exemple, celle-ci : « Un anneau d'or au groin d'un pourceau, c'est une femme belle mais dépourvue de bon sens » (Proverbes 11.22). L’accoutumance fait que nous lisons sans sourire des phrases qui sans doute provoquaient une certaine hilarité chez ceux qui les entendaient pour la première fois : « Si le pied disait : parce que je ne suis pas une main, je ne suis pas du corps, il n'en est pas moins du corps pour autant... Si tout le corps était œil, où serait l'ouïe ? » (1 Corinthiens 12.15-17). La parabole de l’ami importun venant réveiller son voisin qui est déjà au lit avec ses enfants (Luc 11.5-8), a elle aussi, un caractère comique. On pourrait mentionner encore les sarcasmes des prophètes sur la sottise des idolâtres qui font trois parties d'un même tronc de bois, l'une d'elles pour se chauffer, une pour leur cuisine et la troisième pour fabriquer une prétendue divinité devant laquelle ils se prosternent (Ésaïe 44.15-17). Voilà des précédents qui justifient des remarques plaisantes dans une prédication.

Quelle est la valeur de l'humour ?

Il réveille l'attention quand celle-ci fléchit.

Il crée un rapport de sympathie. Dans la vie courante, les gens qui ne se connaissent pas entrent parfois en relation par le truchement d'une remarque drôle.

Il montre que l'Évangile n'est pas morose ou dépourvu de gaîté.

Il détend l'auditeur qui serait enclin à se raidir contre un message humiliant et contraire aux instincts naturels. C'est l'histoire de la contestation entre le vent et le soleil pour savoir qui arracherait le premier au promeneur son manteau. Le vent souffle avec violence et le promeneur resserre son manteau avec d'autant plus d'énergie. Le soleil vient gentiment réchauffer le promeneur qui d'abord déboutonne puis enlève son manteau. Sous l'effet de l'humour, l'auditeur relâche ses réflexes défensifs et devient plus accessible à ce qu'on lui présente, et l'on en profite pour lui décocher un trait qui l'atteint par surprise. Yotam, fis de Gédéon, a en face de lui les habitants de Sichem et son demi-frère Abimélek. Il leur raconte la fable des arbres qui veulent se donner un roi. L’olivier, le figuier et la vigne refusent, mais le buisson d'épines, avec une arrogance grotesque, invite les arbres à se réfugier sous son ombrage et menace d'allumer un feu qui dévorera les cèdres ! Quand les rieurs ont été gagnés à son point de vue en ce qui concerne les arbres, Yotam leur montre que c'est là ce qui risque de leur arriver, le feu d'Abimélek dévorera les habitants de Sichem et le feu des habitants de Sichem dévorera Abimélek (Juges 9.7-20).

L'opposition à la volonté de Dieu, entre autres caractéristiques, est toujours stupide. Souvent il n'est pas difficile de le prouver à l'aide d'une remarque humoristique. Puis quand les gens se sont bien amusés aux dépens des pécheurs et de leurs prétentions ridicules, le prédicateur leur montre qu'ils ont prononcé un jugement contre eux-mêmes, et que le seul moyen de s'en tirer, c'est de changer d'attitude.

Il va de soi que des précautions s'imposent. D'abord l'abus de l'humour est détestable. Je me souviens de l'allocution d'un pasteur célèbre pour ses plaisanteries. Mes camarades en avaient compté au moins cinquante dans une causerie d'une heure ! À cette cadence, le public, bien loin d'être séduit, est agacé. La décence aussi doit être observée. L’apôtre Paul nous met en garde contre « les grossièretés, les propos insensés, les bouffonneries »(Éphésiens 5.4). Il y a des plaisanteries dites gauloises qui n'ont rien à faire sur des lèvres chrétiennes.

Certaines vérités sont si tragiques qu'elles ne peuvent être abordées qu'avec le plus grand sérieux. J'ai lu le témoignage d'une personne qui avait de la peine à croire aux peines éternelles des réprouvés. Elle voit l'annonce d'une prédication sur ce sujet. Le malheureux conférencier commence par une blague sur l'enfer. Tout ce qu’il a pu dire dans la suite ne trouvait aucun écho chez cette dame, car avec raison elle a pensé : « Ou bien il n'y croit pas lui-même, ou bien il est totalement dépourvu de la charité chrétienne la plus élémentaire ».

À plus forte raison, cela va sans dire, il faut s'abstenir de toute frivolité quand on aborde les souffrances, la mort et la résurrection de notre Sauveur.

Naturellement l'humour est inadmissible au cours d'un service funèbre. Même en dehors de ces cas extrêmes, il convient d'être prudent. Des jeux de mots maladroits -ou trop adroits-, à propos de versets de la Bible ou de strophes de cantiques peuvent gâcher pour des années l’impact de ces paroles dans la mémoire de tel ou tel croyant.

Le respect du prochain nous impose une certaine réserve. Nous avons signalé les sarcasmes des prophètes à l'égard des idolâtres. C'est qu'ils s'adressaient à des Israélites, élevés selon les principes de la loi, et pour qui l’idolâtrie était une tentation dont il était opportun de signaler le caractère absurde. En revanche, quand Paul s’est trouvé face à des Athéniens, il a certes démontré qu'ils avaient tort de vénérer des statues d'or, d'argent ou d'autres matériaux mais il s'est bien gardé de se moquer d'eux. Il a traité la question avec tout le sérieux désirable.

J'ai entendu occasionnellement des défenseurs de la vérité scripturaire indisposer par leurs railleries non seulement leurs adversaires mais aussi des tiers irrités par des attaques trop désinvoltes. Le respect de l'autre est toujours de rigueur.

Dans ce domaine, le tempérament joue aussi son rôle. Tel serviteur de Dieu est spontanément jovial. Ce serait dommage qu'il affecte une raideur compassée. Tel autre est plutôt réservé, et l'humour sur ses lèvres paraît artificiel et devient déplaisant. Chacun doit viser à rester naturel, en se souvenant que la nature humaine est pervertie et doit être transformée par le Saint-Esprit.

Exercices : indiquer deux termes qui doivent être définis dans un sermon et en donner la définition.

Noter les exclamations et les interrogations dans le Sermon sur la Montagne.

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