Dialogue avec Tryphon

XLVI

1 – Mais dites-moi, reprit Tryphon, ceux qui voudraient encore aujourd’hui observer la loi de Moise en même temps qu’ils croiraient en Jésus-Christ crucifié, et le reconnaîtraient pour le Christ de Dieu qui doit juger tous les hommes et dont l’empire est éternel, seraient-ils sauvés ?

2 – Mais voyons d’abord, lui dis-je, s’il est possible à présent d’observer tous les préceptes de la loi.

— Non, assurément, répondit Tryphon. Nous reconnaissons avec vous qu’on ne peut immoler qu’à Jérusalem l’agneau pascal, que la loi ne veut pas qu’on offre ailleurs les deux boucs dans les jours de jeûne et qu’on fasse hors de son temple les autres oblations.

Alors je repris : – Dites-moi, je vous prie, quelles sont les observances de la loi qu’il est possible, de suivre, et vous serez convaincus qu’on peut se sauver sans accomplir ces préceptes que vous croyez être ceux de la justice éternelle.

— Ou peut encore, dit Tryphon, observer le sabbat, la circoncision, les nouvelles lunes, les purifications prescrites quand ou a touché quelque objet d’impur ou rempli le devoir conjugal.

3 – Mais, lui dis-je, Abraham, Isaac, Jacob, Noé, Job et tous les autres justes qui ont vécu avant ou après ces patriarches, Sara, l’épouse d’Abraham, et Rébecca, l’épouse d’Isaac, Rachel et Lia, les épouses de Jacob, et les autres femmes, jusqu’à la mère de Moïse, ce fidèle serviteur de Dieu, n’ont pu suivre les observances de la loi. Selon vous, seraient-ils exclus du salut ?

— Abraham n’a-t-il pas été circoncis et tous ceux qui sont venus après lui ? répliqua Tryphon.

4 – Je sais bien, lui dis-je, qu’Abraham et ses descendants ont reçu la circoncision ; mais je vous ai déjà dit pourquoi elle leur avait été donnée, et je me suis là-dessus beaucoup étendu. Mais si tout ce que j’ai dit sur ce point n’a pu vous convaincre, nous examinerons encore cette question. Vous savez que de tous les justes aucun, jusqu’à Moïse, n’observa et ne fut obligé d’observer une seule des pratiques dont il s’agit, sauf la circoncision, qui remonte à Abraham.

— Nous le savons bien, dit Tryphon, et nous reconnaissons que ces justes sont sauvés.

5 – N’oubliez pas, repris-je, que Dieu ne vous a donné tous les préceptes par le ministère de Moïse qu’à raison de la dureté de votre cœur. Il voulait que toutes ces pratiques fussent autant de moniteurs qui vous remissent sans cesse sa pensée sous les yeux dans toutes vos actions, afin de vous détourner de l’injustice et de l’impiété. Il vous ordonna même de vous ceindre d’une bandelette qui vous rappelât son souvenir et de porter un phylactère ou membrane de parchemin très mince, sur laquelle étaient tracés certains caractères que nous regardons comme sacrés. C’était tout à la fois un aiguillon qui réveillait sans cesse en vous la pensée de Dieu, et un reproche fait à votre conscience d’être si prompts à l’oublier ; 6 et toutes ces précautions cependant n’ont pu vous détourner de l’idolâtrie. En effet, du temps d’Élie, Dieu, comptant ceux qui n’avaient pas fléchi le genou devant Baal, n’en trouva que sept mille qui lui fussent restés fidèles ; plus tard il vous reproche par la bouche d’Élie d’avoir immolé vos enfants mêmes aux Idoles ? 7 Nous, au contraire, plutôt que de leur sacrifier comme nous le faisions autrefois, nous endurons les plus cruels supplices. Nous condamne-t-on à la mort, nous nous livrons à la joie, parce que nous sommes persuadés que Dieu nous ressuscitera par son Christ et que nous serons incorruptibles, impassibles, immortels. D’un autre côté, nous savons, nous, que de simples observances, établies à raison de la dureté du cœur, ne peuvent produire des œuvres de justice et de piété.

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