Dialogue avec Tryphon

CIII

1 Voyons encore comme l’avenir a réalisé la prophétie renfermée dans ces autres paroles : « La tribulation me presse, personne n’est là pour me secourir ; une multitude de jeunes taureaux m’ont environné, des taureaux de Bazan m’ont assailli : ils fondent sur moi la gueule béante comme le lion qui déchire et qui rugit ; je me suis écoulé comme l’eau, tous mes os ont été ébranlés. »

Parlerai-je de cette nuit où Jésus vit fondre sur lui, de la montagne des Oliviers, les hommes envoyés par vos scribes et par vos pharisiens, à la faveur de l’ascendant que leur donnait la puissance de leur parole ? 2 Le Christ ne s’est-il pas trouvé alors comme environné de jeunes taureaux à la corne menaçante et d’une fureur prématurée et meurtrière ? Les taureaux de Bazan, dont il est ensuite question, désignent ceux d’entre vous qui se portèrent contre le Christ aux mêmes excès de violence que les jeunes taureaux, quand il fut amené devant vos docteurs. Ce n’est pas sans raison que l’Écriture les désigne sous le nom de taureaux ; d’eux naissent les jeunes veaux, ainsi que nous le savons. Eh bien I ce que les premiers sont pour les seconds, vos maîtres l’ont été pour leurs enfants. Ils les ont poussés à se jeter sur le Christ, de la montagne des Oliviers, pour se saisir de sa personne et l’amener devant eux. Le prophète ajoute : « Personne n’est là pour le secourir. »

Et n’est-ce pas ce qui est arrivé ? De cette multitude d’hommes, il n’en est pas un seul qui se soit levé en faveur de l’innocence opprimée ; 3 et dans le lion rugissant dont la bouche ouverte est prête à dévorer, ne voyez-vous pas le roi des Juifs de cette époque, appelé aussi du nom d’Hérode et successeur de cet Hérode qui fit mourir tous les enfants de Bethléem, vers le temps où le Christ naquit, parce qu’il se flattait d’envelopper dans ce massacre l’enfant dont les mages, venus d’Orient, lui avaient annoncé la naissance ? Mais il ignorait les desseins de celui qui est plus fort que tous les hommes ; il ne savait pas qu’il avait donné, l’ordre à Joseph et à Marie de prendre cet enfant, de fuir en Égypte et d’y rester jusqu’à ce qu’un nouvel ordre d’en haut les rappelât dans leur patrie. Ils attendirent donc en Égypte qu’on vint leur apprendre que cet Hérode, meurtrier des enfants de Bethléem, était mort et qu’il avait pour successeur Archélaüs ; mais celui-ci mourut avant que le Christ eût accompli, par le supplice de la croix, les desseins éternels dont la volonté de son père lui avait remis l’exécution. 4 Un autre Hérode avait succédé à Archélaüs dans la portion de pouvoir que Rome lui avait assignée. Pilate, pour lui plaire, avait envoyé devant son tribunal le Christ chargé de chaînes ; c’est bien là ce que le Seigneur, qui connaît l’avenir, avait annoncé : « Ils le conduiront devant l’Assyrien, il sera un présent d’hospitalité agréable au roi. »

5 Par ce lion qui rugit, ne peut-on pas entendre aussi le démon appelé serpent par Moïse, diable par Job et Zacharie, Satan par Jésus, qui voulait nous rappeler que ce nom avait été donné de l’action même qu’il avait été commise ; car Sata, dans la langue des Juifs et des Syriens, signifie déserteur, apostat ; nos peut se rendre par serpent, si vous le traduisez de l’hébreu ; c’est de la réunion de ces deux mots qu’on a formé le mot Satanas. 6 Aussitôt que Jésus-Christ eut quitté le fleuve du Jourdain, où se fit entendre sur lui, la voix qui avait dit : « Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd’hui, » le démon s’approcha de lui pour le tenter, ainsi que nous l’expriment les livres des apôtres ; il poussa l’audace jusqu’à lui dire : « Adore-moi ! ». Jésus lui répondit : « Retire-toi, Satan ! Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul. »

Le démon espérait le faire tomber dans ses pièges, comme il y avait fait tomber Adam. 7 Ces paroles : « Je me suis écoulé comme l’eau ; tous mes os ont été ébranlés, mon cœur a défailli au-dedans de moi comme une cire qui se fond, » annonçaient ce qui lui arriva dans la nuit où les soldats vinrent sur la montagne des Oliviers pour se saisir de lui. 8 Dans les livres qui furent écrits, ainsi que je le soutiens, par ses apôtres et par leurs disciples, il est rapporté qu’une sueur qui ressemblait à des gouttes de sang découla de son corps, lorsqu’en priant il s’écriait : « Mon père, s’il est possible, éloignez de moi ce calice. »

Son cœur, ses os étaient ébranlés en lui ; son cœur surtout était comme une cire qui se fondait au-dedans de lui-même. Par tout ce qui est arrivé, Dieu voulait nous convaincre que c’est à cause de nous qu’il livrait son fils à de si cruelles angoisses, et que sa qualité de fils de Dieu ne l’empêcherait pas de sentir toutes les souffrances et tous les maux qui lui survenaient. 9 Dans ces paroles : « Ma bouche s’est desséchée comme l’argile, ma langue s’est attachée à mon palais, » je retrouve une nouvelle prédiction de ce silence dont j’ai déjà parlé ; silence qu’il ne rompit par aucune parole, ne voulant rien répondre à vos docteurs qu’il avait coutume de confondre et de convaincre de folie.

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