La foi évangélique

Chapitre 3
Le ministère du Saint-Esprit

Dans l'Introduction, nous avons passé en revue quatre ou cinq efforts pour résumer les caractéristiques dominantes de l'évangélisme. Chacun débutait par la suprématie de l'Écriture et la majesté de Christ, notamment de sa croix. Certains continuaient par la seigneurie du Saint-Esprit. D'autres ajoutaient l'une ou plusieurs caractéristiques suivantes : la nécessité de la conversion, la priorité de l'évangélisation, l'importance de la communion fraternelle, l'aspiration au réveil spirituel et la quête de la sainteté.

J'ai personnellement à cœur d'établir la foi évangélique sur une base résolument trinitaire et de considérer ensuite les cinq autres thèmes de la conversion, de l'évangélisation, de la communion fraternelle, du réveil spirituel et de la sainteté non comme des ajouts, mais comme des aspects du ministère du Saint-Esprit, car tous ces sujets le concernent certainement au plus haut point. Ainsi, la Bible, la croix et l'Esprit constituent la triade des caractéristiques essentielles. En d'autres mots et pour honorer les trois personnes de la trinité, la foi évangélique repose sur la révélation de Dieu, la croix du Christ et le ministère de l'Esprit. Je reprends la distinction faite dans l'Introduction : la Bible et la croix appartiennent à la catégorie de l'hapax (« une fois pour toutes »), tandis que le Saint-Esprit appartient à celle du mallon (« de plus en plus »). C'est lui qui nous permet de nous approprier ce que Dieu a dit et accompli en Jésus-Christ.

Le Saint-Esprit est parfois désigné comme « le parent pauvre » ou le membre « négligé » de la trinité. Ce jugement n'est toutefois pas exact, du moins en ce qui concerne les évangéliques et les réformés. Les évangéliques ont toujours cherché à honorer l'Esprit. Calvin a été appelé le théologien de l'Esprit. Et deux des traités les plus complets et les plus subtils jamais écrits sur l'œuvre de l'Esprit ont été Pneumatologia : A Discourse concerning the Holy Spirit (1674), de la plume du grand théologien puritain John Owen et The Work of the Holy Spirit (1900), de celle du grand homme d'État et théologien réformé hollandais Abraham Kuyper.

Il faut cependant reconnaître que le vingtième siècle a été témoin de malheureuses divergences parmi les chrétiens évangéliques au sujet de l'œuvre du Saint-Esprit, à la suite de l'apparition des églises pentecôtistes au début du siècle et du mouvement charismatique depuis les années 1950. Les dirigeants évangéliques se sont divisés à propos de ces phénomènes. La question du Saint-Esprit est donc devenue un sujet très sensible. D'un côté il faut reconnaître que le pentecôtisme est actuellement le mouvement chrétien qui se développe le plus rapidement au monde et qu'il présente des signes évidents de bénédiction divine. Mais de l'autre, on peut à juste titre s'inquiéter de cette croissance sans profondeur qui se traduit par une superficialité générale. Je suis toutefois personnellement convaincu que ce qui unit les évangéliques dans leur doctrine et leur expérience du Saint-Esprit est infiniment plus important que ce qui les divise. Dans ce chapitre, je m'efforcerai donc de souligner le premier aspect, sans pour autant masquer le second.

Je m'aperçois qu'au chapitre précédent, j'ai utilisé les termes « évangélique » et « charismatique » sans les définir l'un par rapport à l'autre. Bien sûr, tout le livre est destiné à préciser le sens du mot « évangélique ». Mais que signifie « charismatique » ? Dans un sens général, tous les chrétiens sont charismatiques, dans la mesure où l'Église est le corps charismatique du Christ, chaque membre ayant reçu un don spirituel (charisma) ou plusieurs (charismata). Mais dans un sens plus restreint, le terme « charismatique » s'applique aux membres des grandes dénominations qui :

  1. affirment avoir fait une expérience « charismatique » après la conversion, une expérience qu'ils appellent généralement « le baptême de – ou dans – l'Esprit » ;
  2. insistent fortement sur trois dons surnaturels, à savoir le parler en langue, la guérison et la prophétie ;
  3. cultivent un style de culte exubérant, spontané, démonstratif et qui encourage une grande participation du peuple de Dieu.

Dans ces conditions, nous verrons que tous les évangéliques ne sont pas charismatiques (puisque certains insistent davantage sur la nouvelle naissance que sur les expériences subséquentes, et souligne que le Nouveau Testament énumère plus de vingt dons spirituels, dont tous ne sont pas surnaturels) et que tous les charismatiques ne sont pas évangéliques (puisque certains sont catholiques anglicans ou romains). Il faudra donc se souvenir que dans la suite de ce chapitre les mots « évangélique » et « charismatique » ne sont pas synonymes.

Commençons par affirmer que tous les chrétiens évangéliques croient au Saint-Esprit, la troisième personne de la trinité, une personne glorieuse et pleine de grâce. Nous croyons que le Saint-Esprit est Dieu et par conséquent digne d'adoration. Nous croyons qu'il a participé activement à la création de toutes choses (Genèse 1.2) et qu'il soutient, anime et renouvelle activement toutes choses (Psaume 104.30). Nous croyons qu'à l'époque de l'Ancien Testament, il régénérait le peuple de Dieu, faute de quoi celui-ci n'aurait pas pu aimer la loi divine (Cf. Psaume 119.97 ; Romains 7.22 ; 8.7), et qu'il qualifiait certaines personnes pour des tâches spécifiques (Par exemple Exode 35.30ss et 2 Pierre 1.21). Nous affirmons fermement que le ministère du Saint-Esprit est tout à fait indispensable à l'époque néotestamentaire dans laquelle nous avons le privilège de vivre, car aucun aspect de notre foi, de notre vie, de notre culte, de notre communion fraternelle, de notre service ou de notre mission n'est possible sans lui, comme nous essaierons de le démontrer dans ce chapitre.

En guise d'introduction, je me dois encore d'insister sur la nécessité de ne pas succomber à la tendance – volontaire ou non – de séparer le Saint-Esprit du Père ou du Fils. Nous le redisons : la foi évangélique est trinitaire dans son essence. Plus nous apprenons à raisonner et à agir en tant que chrétiens respectueux de la trinité, plus nous sommes évangéliques.

Bien qu'il soit impossible à notre esprit limité de comprendre parfaitement les relations précises entre les personnes de la trinité, nous devons cependant nous souvenir qu'au sein de la divinité elles jouissent d'une égalité absolue tout en jouant des rôles distincts. Ainsi, le Saint-Esprit aime s'effacer lui-même pour honorer le Père et le Fils, ce qui n'a pas de quoi nous surprendre puisqu'il est appelé « l'Esprit de Dieu » et « l'Esprit du Christ » (Cf. Romains 8.9 ; Galates 4.6). C'est lui qui nous permet de prier « Abba !, Père ! » et d'apprécier l'intimité et la chaleur de notre relation avec lui (Romains 8.15-16). C'est aussi lui qui nous permet de confesser « Jésus est Seigneur ». D'ailleurs, personne ne peut sincèrement déclarer « Jésus est le Seigneur ! si ce n'est par le Saint-Esprit » (1 Corinthiens 12.3). Le Nouveau Testament affirme clairement que l'Esprit trouve ses délices à rendre témoignage au Fils. Jésus lui-même a dit : « Lui [en l'occurrence le Saint-Esprit] me glorifiera, parce qu'il prendra de ce qui est à moi et vous l'annoncera. Tout ce que le Père a, est à moi ; c'est pourquoi j'ai dit qu'il prendra de ce qui est à moi, et vous l'annoncera » (Jean 16.14-15).

Pour savoir si une personne dit vrai en déclarant être inspirée et remplie du Saint-Esprit, il suffit de voir si elle honore le Seigneur Jésus, dirige l'attention d'autrui vers lui et cherche à le glorifier. C'est là un bon test d'authenticité. Plusieurs auteurs récents ont illustré ce fait en comparant le ministère du Saint-Esprit à un projecteur. Un bon projecteur sert à illuminer un monument ou un édifice, tout en se faisant aussi discret que possible. C'est justement le rôle du Saint-Esprit : rendre témoignage à Jésus-Christ tout en restant lui-même caché.

La meilleure façon de saisir le caractère indispensable de l'œuvre de l'Esprit consiste peut-être à examiner, l'un après l'autre, les six principaux aspects de la vie du disciple de Jésus-Christ, en commençant par sa nouvelle naissance pour terminer avec son espérance chrétienne et à montrer que, sans l'opération du Saint-Esprit, aucun de ces aspects ne serait possible.

Les débuts de la vie chrétienne

Comme nous l'avons vu, certains historiens et commentateurs considèrent que l'insistance sur la conversion fait partie des traits essentiels de la foi évangélique. Quelques-uns vont même jusqu'à parler d'une « expérience évangélique de la conversion » comme s'il n'existait qu'un stéréotype, comme si, par exemple, la conversion de Paul sur le chemin de Damas était le modèle auquel tous devaient se conformer. Nous rejetons fermement cette idée. Même si toute véritable conversion inclut une certaine rencontre avec Jésus-Christ, plusieurs éléments de la conversion de Paul (la lumière aveuglante, la chute au sol, la voix audible s'exprimant en araméen) sont atypiques.

C'est pourquoi, personnellement, je préfère de loin parler de régénération que de conversion pour parler du commencement de la vie chrétienne. Bien que les deux expériences puissent coïncider, elles sont fondamentalement différentes en ce sens que la conversion est une œuvre humaine (certes rendue possible uniquement par la grâce efficace de Dieu), alors que la régénération est une œuvre exclusivement divine. La conversion est le mouvement par lequel le pécheur se détourne du péché et de l'idolâtrie, mouvement que nous appelons la repentance, et par lequel il se tourne, par la foi, vers Dieu et Jésus-Christ. Sous une forme plus lapidaire, nous pouvons dire que repentance plus foi égale conversion.

La régénération ou nouvelle naissance est différente. Malheureusement la question a été banalisée. Or, la métaphore de la naissance livre de nombreux indices importants permettant de comprendre correctement ce qu'est la régénération.

Premièrement, la nouvelle naissance est une œuvre de Dieu. Il en va de la naissance spirituelle comme de la naissance physique : personne ne peut se donner la vie tout seul. La régénération n'est pas une génération spontanée ou un auto-engendrement. La nouvelle naissance n'est donc pas simplement une réformation morale, même si elle la produit. Dans son entretien nocturne avec Nicodème, Jésus a parlé à deux reprises de la nécessité de naître anothen, un adverbe qui peut signifier « de nouveau depuis le commencement » ou « d'en-haut » (Jean 3.3, 7). Compte tenu du contexte, c'est vraisemblablement ce deuxième sens qui convient le mieux. Dans ce cas, Jésus ne faisait pas allusion à un nouveau commencement d'en bas, résultant d'efforts humains, mais à une nouvelle naissance d'en-haut, opérée par la puissance de Dieu. D'ailleurs, la nouvelle naissance est celle produite par l'Esprit (Jean 3.5-8).

Deuxièmement, la métaphore de la naissance indique que la nouvelle naissance est instantanée. Car si la naissance de l'être humain est précédée de neuf mois de gestation et suivie de plusieurs années de développement avant d'atteindre la maturité, la venue au monde proprement dite est plus ou moins instantanée. Il en est de même de la nouvelle naissance. Des mois peuvent la précéder, au cours desquels le Saint-Esprit accomplit son œuvre de conviction du péché (Jean 16.8-11), aiguillonne la conscience (Cf. Actes 26.14) et illumine l'intelligence. Et des années de croissance chrétienne la suivent. Mais le fait même de la nouvelle naissance, c'est-à-dire le passage de la mort à la vie, est instantané.

Troisièmement, la nouvelle naissance n'est pas nécessairement une expérience consciente, même si elle l'est pour certains. La conversion, le demi-tour, est probablement une expérience consciente ; mais le moment où Dieu donne la vie nouvelle ne l'est pas. Là encore, la métaphore de la vie biologique nous vient en aide : nous n'étions pas conscients de notre naissance. Nous ne connaîtrions pas notre date de naissance si nos parents de nous l'avaient pas dite. De même, beaucoup de chrétiens ignorent la date de leur naissance spirituelle.

Quatrièmement, la nouvelle naissance n'équivaut pas au baptême. Les catholiques (aussi bien anglicans que romains) commettent une erreur en faisant coïncider ces deux expériences et en imaginant que, puisqu'ils sont baptisés, ils sont certainement nés de nouveau.

Certes le baptême est très important (Matthieu 28.19). Jésus l'a institué et a ordonné son observance. C'est pourquoi les évangéliques ne le minimisent pas. Mais nous insistons cependant sur le fait que le baptême ne doit jamais être confondu avec la nouvelle naissance. D'ailleurs, si l'entretien de Jésus avec Nicodème est historique (ce que nous croyons), la référence du Seigneur à naître « d'eau et d'Esprit » (Jean 3.5) ne peut être une allusion au baptême chrétien, puisqu'il n'existait pas encore à cette époque. C'est plutôt une référence au baptême et à la repentance que Jean prêchait, car le précurseur lui-même faisait une claire distinction entre l'eau et l'Esprit (Matthieu 3.11), entre le baptême d'eau qu'il pratiquait et le baptême d'Esprit que Jésus allait pratiquer.

Par conséquent, bien que le baptême soit un signe (ou « sacrement ») de la nouvelle naissance, il ne faut pas assimiler le signe avec la chose signifiée. La nouvelle naissance est un changement radical, profond, intérieur, opéré par le Saint-Esprit dans la structure la plus intime de la personnalité humaine, en vertu duquel nous recevons une vie nouvelle, un cœur nouveau, et nous prenons un nouveau départ dans la vie. De son côté, le baptême est le signe visible et public de la réalité intérieure et secrète qu'est la nouvelle naissance.

D'ailleurs, le baptême ne produit pas automatiquement ce qu'il signifie. Les chrétiens évangéliques rejettent la conception ex opere operato (autrement dit mécanique) des deux sacrements de l'Évangile, le baptême et la Cène. L'eau du baptême ne communique pas la nouvelle naissance, pas plus que le pain et le vin de la Cène ne communiquent le corps et le sang du Christ. Il est vrai que le Concile de Trente a prononcé l'anathème sur quiconque « affirmera que la grâce n'est pas conférée par les sacrements... par leur propre pouvoir [ex opere operato]. »1 Or c'est justement ce que nous affirmons. Comme l'a déclaré Richard Hooker, « tous ceux qui ont reçu les sacrements de la grâce de Dieu n'ont pas pour autant reçu sa grâce. »2 Car, pour que les sacrements se révèlent efficaces, nous devons les recevoir « correctement ».

1 Concile de Trente, Session 7, Canon 8.

2 Richard Hooker, Ecclesiastical Polity, V, p. 67.

Or « correctement » signifie « par la foi ». Il est important que les membres des églises libres et des nouvelles communautés comprennent que pour les anglicans évangéliques, le baptême (d'enfant ou d'adulte) est dénué de toute efficacité s'il n'est pas accompagné de la foi. Je ne connais personne qui ait exprimé cette pensée avec plus de force que James Ussher, qui devint archevêque d'Armagh en 1625 :

De même que le baptême administré à des aînés n'a aucune valeur s'ils n'ont pas la foi, nous ne pouvons tirer aucun bienfait de notre baptême reçu dans notre enfance tant que nous ne croyons pas... Toutes les promesses de la grâce étaient incluses dans le baptême qui m'a été administré, et scellées en moi de la part de Dieu ; mais j'en tire profit lorsque je comprends ce que Dieu, par le baptême, a scellé en moi, et que je m'en empare par la foi.3

3 James Ussher, The Body of Divinity, chapitre 42.

Avant de quitter le sujet des débuts de la vie chrétienne, notons que la leçon primordiale que Jésus a enseignée à Nicodème était la nécessité absolue de la nouvelle naissance. Nicodème était un Juif (membre du peuple de Dieu), un pharisien (soucieux d'une vie droite), un chef (membre du sanhédrin), un docteur ou maître (un homme cultivé), un homme poli et qui sut apprécier à sa juste valeur le ministère de Jésus. C'était donc un homme religieux, moral, instruit et courtois. C'est pourtant à lui que Jésus a dit : « Ne t'étonne pas que je t'aie dit : il faut que vous naissiez de nouveau » (Jean 3.7).

Les chrétiens évangéliques ont toujours cherché à rester fidèles à cet enseignement de Jésus. Pour eux, nous devons nécessairement passer par la nouvelle naissance pour voir le royaume de Dieu ou y entrer, mais nous ne devons jamais penser que le baptême nous en dispense.

L'assurance chrétienne

Le Saint-Esprit ne nous abandonne pas une fois qu'il nous a fait naître de nouveau. Comme tous les parents, il sait que le nouveau-né a besoin d'attention et de nourriture. C'est pourquoi il reste avec nous. Mieux encore, il demeure en nous. D'ailleurs, la naissance par l'Esprit est suivie d'une vie dans l'Esprit.

Nous allons donc examiner les bienfaits de cette vie nouvelle, et en particulier ceux liés à l'assurance chrétienne.

Au cours de sa dernière soirée passée sur la terre en compagnie de ses apôtres, Jésus dit :

Je vous dis la vérité : il est avantageux pour vous que je parte, car si je ne pars pas, le Consolateur [« celui qui doit vous aider », BFC] ne viendra pas vers vous ; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai. (Jean 16.7)

Par ces mots, Jésus indique clairement que le ministère du Saint-Esprit en faveur des apôtres sera plus avantageux que ne l'a été son propre ministère terrestre. Ces paroles n'ont pas manqué d'en étonner profondément plus d'un. Comment le départ de Jésus pouvait-il être un avantage pour les apôtres, et servir leurs intérêts, eux qui allaient se retrouver seuls ? Combien de fois ne nous arrive-t-il pas d'envier les apôtres ! Si seulement nous avions pu côtoyer Jésus comme eux ! Si nous avions pu contempler la beauté de son visage, entendre le son mélodieux de sa voix ! Si nous avions pu le voir nourrir les affamés, guérir les malades, apaiser la tempête et ressusciter les morts ! Si nous avions pu nous asseoir à ses pieds comme Marie de Béthanie, ou nous reposer sur son sein comme Jean le disciple bien-aimé ! Qu'a donc voulu dire exactement Jésus ?

Les apôtres ont connu deux inconvénients majeurs directement liés à la vie terrestre de Jésus, que la venue du Saint-Esprit supprimerait. Premièrement, pendant que Jésus était avec eux sur la terre, sa présence était très localisée, ce qui fait que parfois ils étaient séparés de lui. C'était le cas quand il se trouvait à Jérusalem et eux en Galilée, ou quand il priait sur la montagne alors qu'eux étaient dans la barque. Ils ne pouvaient pas jouir d'une communion ininterrompue avec lui. Il ne pouvait être qu'en un seul lieu à la fois. L'Esprit a universalisé la présence de Jésus ; il le rend simultanément accessible à tout moment en tout lieu.

Deuxièmement, pendant que Jésus côtoyait ses apôtres sur la terre, sa présence leur était toujours extérieure. Il n'était pas en mesure d'entrer en eux et de les transformer de l'intérieur. Il ne pouvait pas remonter à la source de leurs pensées, de leurs motivations et de leurs désirs. Plus tard, il le pourra « parce qu'il demeure près de vous et qu'il sera en vous » (Jean 14.17). Le Saint-Esprit intériorise la présence de Jésus, de sorte que maintenant, il vit dans notre cœur par l'Esprit (Éphésiens 3.16-17) ; notre corps est le temple du Saint-Esprit (1 Corinthiens 6.19).

La présence du Saint-Esprit en nous est un des privilèges les plus merveilleux qui soit. Les chrétiens évangéliques ont toujours souligné cet avantage qui marque la différence principale entre la façon d'agir du Saint-Esprit dans l'Ancien Testament et sa façon d'agir dans le Nouveau. Même si les enfants de Dieu de l'Ancien Testament étaient évidemment régénérés, il ne semble pas que l'Esprit demeurait en eux de façon permanente. Ils fixaient leur regard vers l'avenir où Dieu accomplirait sa promesse : « Je mettrai mon Esprit en vous. » (Ézéchiel 36.27) C'est cette promesse que Jésus a confirmée.

A mon avis, tous les chrétiens évangéliques sont unanimes pour affirmer que la présence à demeure du Saint-Esprit dans le croyant est la marque distinctive des enfants de Dieu aujourd'hui, de sorte que « si quelqu'un n'a pas l'Esprit du Christ, il ne lui appartient pas. » (Romains 8.9) Paul nous exhorte de plus à ne pas attrister le Saint-Esprit par lequel nous avons été « scellés » pour le jour de notre rédemption (Éphésiens 4.30). Le Saint-Esprit en nous constitue le sceau dont Dieu nous a marqués comme signe d'appartenance.

Cette insistance sur l'intériorité de l'œuvre de l'Esprit nous pousse à dire que la religion évangélique est une religion du cœur. « La quatrième caractéristique dominante de la religion évangélique, écrit l'évêque J. C. Ryle (après la suprématie de l'Écriture, l'étendue de la déchéance humaine et le salut en Jésus-Christ) est la place de choix qu'elle assigne à l'œuvre intérieure du Saint-Esprit dans le cœur de l'homme. »4

4 J. C. Ryle, Knots Untied, 1877 ; Thymne « people's edition », 1900, p. 6.

La religion doit évidemment aussi s'extérioriser. Mais tout au long de l'Histoire, la religion a eu tendance à dégénérer en rites superficiels et creux. Par la bouche du prophète Ésaïe, Dieu déclare : « Ainsi quand ce peuple s'approche de moi, il me glorifie de la bouche et des lèvres ; mais son cœur est éloigné de moi » (Ésaïe 29.13). Le reproche que Yahweh adressa au peuple d'Israël au huitième siècle avant notre ère, Jésus l'a expliqué aux pharisiens de son temps (Marc 7.6), et nous pouvons l'entendre aujourd'hui. Une trop grande partie de notre religion n'est que rite sans réalité, expression des lèvres sans engagement du cœur ; nous avons gardé « la forme extérieure de la piété », mais nous en avons renié « la puissance » (2 Timothée 3.5).

L'une des principales tâches liées à la présence à demeure de l'Esprit dans le chrétien est de donner à celui-ci l'assurance de son salut éternel. La doctrine de la sécurité éternelle du croyant est fortement soulignée par les évangéliques.5 Ceux qui sont de conviction catholique ou libérale sont enclins à considérer comme une horrible présomption ce que nous appelons assurance du salut. Pour être honnêtes, disons que nous, chrétiens évangéliques, avons besoin de nous repentir de nos attitudes outrecuidantes, présomptueuses et quelquefois triomphalistes. Prêtons attention à l'avertissement que Jean donne dans sa première épître, à savoir que notre affirmation de connaître Dieu et d'être ses enfants est fausse si elle ne s'accompagne pas d'une vie droite et aimante en plus d'une orthodoxie christologique.

5 C'est à cause de notre doctrine de la sécurité éternelle des croyants que nous, évangéliques, nous nous sommes toujours opposés à la pratique de la prière pour les défunts. Certes, nous nous souvenons d'eux. Il serait d'ailleurs étrange et même inhumain de les bannir tout d'un coup de notre mémoire. Et nous remercions Dieu pour eux. Pourquoi ne prions-nous pas pour eux ? Pour deux raisons. Premièrement parce que si le Nouveau Testament nous encourage constamment à prier pour les vivants, il ne comporte aucun texte nous enjoignant de prier pour les morts. Cette pratique ne repose donc sur aucun appui biblique. Deuxièmement, parce que nous sommes assurés qu'ayant « été justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ » (Romains 5.1). De plus, Paul écrit aux Colossiens qu'il rend grâces au Père « qui vous a rendus capables d'avoir part à l'héritage des saints dans la lumière » (Colossiens 1.12-14). Comment pourrions-nous alors prier pour le « repos » de l'âme des défunts et demander à Dieu « de faire briller sa lumière sur eux » alors que nous avons déjà la certitude que les rachetés de Dieu jouissent dès à présent de la « paix » et de la « lumière » ? Demander à Dieu de leur accorder ce qu'ils possèdent déjà serait contraire à l'œuvre du Christ et incompatible avec l'assurance chrétienne.

Pourtant, dans la première épître de Jean, la fréquente répétition d'expressions comme « nous reconnaissons que nous l'avons connu », « nous reconnaissons que nous sommes en lui », « nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie », « nous savons que nous sommes de Dieu » (Voir 1 Jean 2.3, 5 ; 3.14, 19 ; 4.13 ; 5.19) ne laisse planer aucun doute sur le désir de Dieu que nous connaissions, autrement dit, que nous ayons l'assurance de lui appartenir.

L'assurance du chrétien se fonde premièrement et principalement sur l'œuvre accomplie à la croix. Nous avons l'assurance du pardon parce que Christ a porté nos péchés à notre place et parce que son œuvre de substitution a été complète et achevée. Car Jésus-Christ a opéré sur la croix « par l'oblation de sa personne une fois pour toutes », ce que le Livre de Prière anglican (1662) appelle « un sacrifice plein, parfait et suffisant, une oblation et la satisfaction pour les péchés du monde entier. »6

6 La Prière de consécration du Service de communion.

A ce fondement objectif de notre assurance, le Saint-Esprit ajoute son témoignage subjectif. C'est la lettre aux Romains qui contient les affirmations les plus claires à ce sujet. En Romains 5.5, il est dit que Dieu a répandu son amour dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné. En 8.15-17, l'apôtre déclare que si nous pouvons crier « Abba !, Père ! », c'est parce que le Saint-Esprit témoigne à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Ainsi, le Saint-Esprit, présent à demeure en nous, enracine dans notre cœur l'assurance que Dieu est notre père et qu'il nous aime. Le contexte indique clairement que l'expérience de l'amour du Père répandu dans le cœur est un privilège accordé à tous les enfants de Dieu, quand bien même ceux-ci perçoivent cette assurance à des degrés divers en fonction du temps.

Puisque beaucoup de chrétiens associent ces expériences à ce qu'ils appellent « le baptême dans le (ou du) Saint-Esprit », j'estime le moment venu d'aborder de sujet. C'est une question qui divise les chrétiens. Les pentecôtistes et les charismatiques font généralement du baptême de l'Esprit une deuxième expérience nécessaire, subséquente à la nouvelle naissance, et dont l'authenticité est confirmée par le parler en langue. Les non-pentecôtistes pensent plutôt que les expressions « baptême de l'Esprit » et « don de l'Esprit » désignent la même expérience (Actes 1.5 ; 2.33, 38-39) accordée à tous les croyants, même si, par la suite, certains chrétiens font encore des expériences de différents types.

Faut-il vraiment que les chrétiens se divisent sur cette question par excès de rigidité ? Les pentecôtistes feraient bien de s'interroger sur la nécessité d'insister sur une expérience spirituelle en deux temps. Quant aux non-pentecôtistes, qui déclarent avoir reçu l'Esprit une fois pour toutes à leur conversion, qu'ils s'examinent pour savoir s'ils sont suffisamment ouverts et prêts à de nouvelles expériences avec lui. Les deux courants ne pourraient-ils pas s'entendre pour affirmer :

  1. que tous les chrétiens ont reçu le Saint-Esprit ;
  2. que le Nouveau Testament insiste surtout sur la réception initiale de l'Esprit, une expérience appelée nouvelle naissance, nouvelle création ou résurrection d'entre les morts ;
  3. que la sanctification est un processus qui suit la régénération ;
  4. que dans la phase de la sanctification, des chrétiens peuvent faire des expériences plus riches, plus profondes et plus complètes de l'Esprit.

Je me permets de clore cette section par une anecdote personnelle. J'ai été à plusieurs reprises l'hôte privilégié du diocèse anglican de Singapour. Lors d'une visite en 1987, j'eus l'occasion de m'entretenir avec l'évêque Moses Tay (aujourd'hui archevêque), un évangélique charismatique bien connu. Je lui demandais ce qui, à son avis, constituait l'essence du « renouveau ». Il me répondit : « Une nouvelle expérience de la présence de Dieu. » Cette explication me frappa, car j'avais récemment lu le livre de Packer, Keep in Step with the Spirit (1984), dans lequel l'auteur parlait d'une « nouvelle assurance de l'amour de Dieu ».

Il me semble y avoir très peu de différence entre « une nouvelle expérience de la présence de Dieu » et « une nouvelle assurance de l'amour de Dieu ». Je me demande si ces formulations ne pourraient pas constituer la base d'une meilleure compréhension et d'un plus grand respect mutuels.

La sainteté chrétienne

En élisant domicile dans les chrétiens, le Saint-Esprit poursuit un objectif majeur : les transformer, les sanctifier. La promesse de Dieu dans l'Ancien Testament, déjà évoquée, « Je mettrai mon Esprit en vous » se poursuit par ces mots : « et je ferai que vous suiviez mes prescriptions, et pratiquiez mes ordonnances » (Ézéchiel 36.27). D'ailleurs, les deux promesses les plus directes de Dieu dans l'Ancien Testament étaient :

Je mettrai mon Esprit en vous (Ézéchiel 36.27).
Je mettrai ma loi au-dedans d'eux (Jérémie 31.33).

Il n'y a aucune différence fondamentale entre ces deux promesses. En effet, une fois en nous, l'Esprit se charge d'y écrire la loi de Dieu (Cf. Romains 8.3-4).

Paul met en évidence ce lien indissoluble entre le Saint-Esprit et le peuple saint dans lequel il vit en permanence. L'apôtre écrit que le Dieu qui nous a appelés « à la sanctification » nous « a aussi donné son Saint-Esprit » (1 Thessaloniciens 4.7-8). Avec le Saint-Esprit, la sainteté est indispensable ; sans lui, elle est impossible. Ne sous-estimons donc pas ce qu'il peut accomplir en opérant un réel changement, en nous donnant de nouvelles ambitions, de nouvelles références, de nouveaux idéaux et de nouvelles valeurs.

Mais comment s'effectue une telle transformation ? En abordant cette question dans Galates 5 et Romains 8, Paul ne peut manquer d'évoquer le combat incessant entre « la chair » et « l'Esprit ». Par « chair », l'apôtre entend notre nature déchue, qui ne se refuse rien ; quant à « l'Esprit », il n'est autre que le Saint-Esprit qui demeure en nous. Le secret de la sainteté, déclare Paul, consiste à adopter a bonne attitude en face de la chair et de l'Esprit. Notre attitude hostile ou négative face à la chair revêt un autre nom : la « mortification ». C'est le processus qui, à terme, vise la mort de la chair. C'est un exercice très négligé parmi nous. « Je suis de plus en plus convaincu, écrit le Dr Martyn Lloyd-Jones, que beaucoup de gens rencontrent des difficultés dans leur vie chrétienne parce qu'ils se dorlotent spirituellement. »7 Nous choyons notre nature égoïste au lieu de l'exécuter.

7 Dr. Martyn Lloyd-Jones, The New Man  An Exposition of Romans 6, Banner of Truth, 1972, p. 264.

A ce propos, Paul fait une déclaration propre à nous sortir de notre léthargie :

Si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si par l'Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez (Romains 8.13).

Ce texte oppose une façon de vivre qui mène à la mort à une autre qui conduit à la vie. Première différence, relative au style de vie : il s'agit dans un cas de « vivre selon la chair » (ce qui signifie ne rien se refuser), dans l'autre de « faire mourir les actions du corps » (autrement dit la mortification). Deuxième différence, relative aux conséquences : ces deux philosophies existentielles débouchent sur la mort dans un cas, sur la vie dans l'autre. Troisième différence, relative aux intéressés : par nous-mêmes, nous nous complaisons dans le péché, mais par l'Esprit nous nous mortifions. En d'autres mots, nous sommes appelés à rejeter de la façon la plus radicale et la plus ferme tout ce que nous savons être mal aux yeux de Dieu. C'est notre responsabilité, nous devons l'assumer. Nous ne pouvons cependant pas le faire par nos propres forces ; nous avons besoin de la puissance de l'Esprit qui habite en nous.

Mais qu'est-ce que cela signifie au juste ? Le langage est pieux et orthodoxe. Mais comment le Saint-Esprit œuvre-t-il concrètement dans notre vie ordinaire ? Pour ma part, j'ai trouvé commode de m'accrocher à ma formule des 5 « D », chacun d'eux décrivant une étape ou une phase de l'œuvre sanctifiante de l'Esprit. Celui-ci agit premièrement dans notre intelligence, nous permettant de discerner la volonté de Dieu. Deuxièmement, il agit sur notre conscience, nous rendant ainsi capables de distinguer entre le bien et le mal ; troisièmement, il œuvre dans notre cœur pour nous faire ardemment désirer les voies de Dieu ; quatrièmement, il intervient au niveau de notre volonté, créant en nous la détermination de suivre la volonté de Dieu. Nous pouvons alors passer au cinquième « D », celui de la bonne décision à prendre.

L'apôtre décrit ailleurs la sainteté comme une des neufs facettes du « fruit de l'Esprit ». Celui qui porte le fruit complet ressemble au Christ aussi bien dans son caractère que dans sa conduite. Comme un fruit, les neuf grâces mûrissent naturellement sous l'influence permanente du Saint-Esprit. La sainteté chrétienne n'est pas comme un sapin de Noël qui porte des décorations artificielles ; elle est un arbre fruitier qui produit son fruit naturel, à condition que le chrétien « marche par l'Esprit » (Galates 5.16), suive ses impulsions et vive sous son contrôle.

La tradition catholique a de tout temps insisté sur la sainteté, si bien que les évangéliques ne peuvent prétendre avoir le monopole de cette vertu. Nous pouvons cependant dire que l'histoire de l'évangélisme est une quête incessante de la sanctification. Nous le voyons à chaque siècle : chez les Réformateurs, les puritains, les piétistes, les méthodistes et, plus récemment, dans certains mouvements comme ceux associés à la Convention de Keswick. Les chrétiens évangéliques n'ont pas privilégié un enseignement particulier sur la sainteté.

Il est certes arrivé qu'un mouvement perfectionniste ait vu le jour, et ait prétendu possible l'« éradication » de notre vieille nature, ou l'« entière sanctification » ou l'« amour parfait ». Nous ne pouvons qu'admirer ceux qui ont ainsi pris avec un tel sérieux les passages du Nouveau Testament qui ordonnent la perfection (Voir par exemple Matthieu 5.48 ; 2 Corinthiens 7.1) ou affirment que ceux qui sont nés de nouveau ne pèchent plus et même ne peuvent plus pécher (1 Jean 3.6, 9 ; 5.18). John Wesley s'est longtemps débattu avec ces textes et a consigné ses conclusions dans A Plain Account of Christian Perfection (édition définitive en 1777). Cette tradition se retrouve aujourd'hui dans les églises méthodistes libres, nazaréennes et pentecôtistes.

Mais la plupart des évangéliques qui interprètent les passages prônant la perfection dans leur contexte sont convaincus que le Nouveau Testament ne promet ni l'éradication du mal ni la possibilité de mener une vie parfaite et sans péché ici-bas. Nous sommes des voyageurs, des pèlerins en marche vers la cité céleste. Comme Paul, nous ne sommes pas encore arrivés ni rendus parfaits, mais nous poursuivons notre course afin de saisir le prix, puisque nous aussi, nous avons été saisis par le Christ-Jésus (Philippiens 3.12).

Handley Moule, qui fut le premier Principal de Ridley Hall à Cambridge et devint plus tard l'évêque évangélique de Durham, a réussi à maintenir un équilibre biblique dans son livre intitulé Thoughts on Christian Sanctity (1888). Au chapitre « Buts », il écrivit :

Nous ne cherchons rien moins qu'à marcher avec Dieu à longueur de journée, à demeurer constamment en Christ, à aimer Dieu de tout notre cœur et notre prochain comme nous-mêmes... à « nous offrir à Dieu »... à rompre avec toute forme de mal et à poursuivre le bien sous toutes ses formes... Nous sommes formellement tenus de rejeter tout secret dessein de compromission morale, toute tolérance à l'égard d'une habitude coupable... Nous ne pouvons pas nous priver de marcher continuellement avec Dieu, jour après jour, heure après heure, en Jésus-Christ et par la grâce du Saint-Esprit.8

8 Handley Moule, Thoughts on Christian Sanctity, Seeley, 1888, pp. 13-15.

Au chapitre « Limites », l'évêque Moule précise cependant :

Je suis absolument convaincu, en m'appuyant sur l'expérience de l'Église et sur les déclarations de la Parole infaillible, que ces choses sont bien mystérieuses et qu'il y a des limites et même des limites humiliantes à nos efforts, que nous connaissons des manquements bien réels. En fin de compte, le chrétien est toujours un pécheur qui marche avec Dieu.9

9 Ibid., p. 16.

Avec ces buts et ces limites présents à l'esprit et en recherchant continuellement la plénitude de l'Esprit (Éphésiens 5.18), les chrétiens évangéliques ont faim et soif de justice (Matthieu 5.6).

La communauté chrétienne

Les chrétiens évangéliques ont la réputation d'être d'incorrigibles individualistes et par conséquent d'avoir de l'Église une doctrine lacunaire. Il est vrai que depuis la Réformation, nous avons insisté à la fois sur « le droit à l'opinion privée » (le privilège de nous former un jugement personnel de l'Écriture) et sur « le sacerdoce universel » (le privilège d'avoir un accès immédiat et individuel à Dieu par le Christ).

Mais nous savons aussi que le Nouveau Testament à une doctrine très élaborée de l'Église ; la communauté chrétienne est au centre du dessein éternel et historique de Dieu, et elle a une place de choix dans l'Évangile. L'Église s'inscrit dans la continuité de l'Israël de l'Ancien Testament. Il n'est donc pas tout à fait juste de décrire la Pentecôte comme le jour de la naissance de l'Église. En tant que peuple de l'alliance, l'Église est née quelque 2000 ans avant la Pentecôte, à l'époque d'Abraham. La Pentecôte marque le jour où le peuple de Dieu est devenu le Corps de Christ rempli de l'Esprit. L'Église est encore appelée la « communion de l'Esprit » (2 Corinthiens 13.13 ; cf. Philippiens 2.1) car c'est notre participation communautaire (koinonia) qui constitue l'Église. Le mot koinonia n'apparaît pas dans les Évangiles. Sa première mention remonte à Actes 2.42 où Luc décrit l'église de Jérusalem. En effet, il ne pouvait y avoir de koinania avant la venue de l'Esprit.

Le mouvement évangélique a toujours connu des divergences et des tensions à propos de la nature exacte de l'Église. Certains ne voient en elle que le rassemblement géographique visible de tous ceux qui, en un lieu donné, se déclarent chrétiens et professent la foi chrétienne.

D'autres évangéliques restreignent l'idée d'église à une communauté composée de ceux qui sont nés de nouveau et souscrivent à une confession de foi pleinement évangélique.

Ces deux visions de l'Église ne sont pas totalement incompatibles ; c'est pourquoi nous devrions éviter de nous polariser sur l'une ou l'autre définition. Nous partageons tous au moins deux croyances fondamentales.

Premièrement, tous les évangéliques reconnaissent la différence entre l'église visible et l'Église invisible. Cette distinction est de mise lorsque nous pensons à la qualité de membres et que nous en parlons. Nous sommes d'accord sur le fait que Dieu se réserve le droit souverain d'admettre des hommes et des femmes dans son Église authentique et invisible, et il le fait lorsque les personnes concernées placent leur foi en Jésus-Christ. Mais il délègue aux pasteurs la responsabilité d'admettre ces personnes par le baptême dans l'église visible, à la suite de la profession de leur foi.

Cette distinction nous permet d'affirmer avec force et solennité que la qualité de membre n'est pas du tout une garantie de salut. Paul met les Corinthiens en garde contre le danger d'imiter les Israélites dans le désert. Ils furent tous « baptisés en Moïse » et eurent tous droit à la même nourriture et au même breuvage spirituels. Autrement dit, dans le langage de l'Ancien Testament l'équivalent des membres baptisés et communiants de l'église. « Mais la plupart d'entre eux ne furent pas agréables à Dieu. » En quelque sorte, leur qualité de membres du peuple de Dieu ne garantissait pas leur immunité face à ses jugements (1 Corinthiens 10.1-5).

Deuxièmement, tous les évangéliques estiment que Dieu veut la pureté (doctrinale et éthique) de l'Église. Nous divergeons dans nos méthodes pour l'obtenir et la maintenir. Certains utilisent des mesures presque draconiennes et sont prêts à exclure de la communauté au moindre écart. Tout en reconnaissant le caractère sérieux de l'enseignement néotestamentaire à propos de la discipline ecclésiastique10, d'autres s'appuient sur la parabole de l'ivraie et du bon grain pour accepter que « dans l'église visible, le mal sera toujours mélangé au bien ». C'est pourquoi ils sont très réticents à brandir la menace de l'excommunication et de la scission.

10 Voir Truth, Error and Discipline, Vine Brooks, 1978, un pamphlet publié par et pour l'Église du Conseil évangélique d'Angleterre.

Dans le cadre de cette discussion sur la pureté de l'Église, il convient de dire un mot concernant la compréhension dont nous devons faire preuve. L'Église d'Angleterre a beaucoup été blâmée de s'être vantée de sa soi-disant « glorieuse largeur d'esprit » et de n'avoir pas tenu compte de la distinction faite depuis l'origine entre la tolérance justifiée et la tolérance inadmissible.

Dans l'introduction de son livre Principles for Churchmen11, l'évêque Ryle se lamentait sur la tolérance universelle qu'il constatait dans l'Église d'Angleterre à la fin du dix-neuvième siècle. Il écrivit, avec une pointe de sarcasme : « Qu'y a-t-il de plus facile pour promouvoir la paix et de faire cesser les querelles, que de comparer l'Église à une espèce d'arche de Noé dans laquelle toutes les opinions et toutes les croyances cohabiteraient en toute sécurité et sans se gêner, et où le seul critère de communion serait l'acceptation d'entrer à l'intérieur, quitte à laisser le voisin dehors ? »12

11 4ème édition, révisée 1900

12 En 1981, J. I. Packer s'empara de la célèbre expression de Ryle et écrivit A Kind of Noa's Ark ? The Anglican Commitment to Comprehensiveness comme pendant à son étude antérieure The Evangelical Anglican Identity Problem : An Analysis, Latimer House, Oxford, 1978.

Les auteurs de The Fulness of Christ (1950) firent une remarque similaire : « Il y a des limites à la tolérance dans l'Église... La vérité révélée par le Christ peut être souple, mais pas indéfiniment. »13 Puis, en 1957, le Dr Alec Vilder rejeta « le principe d'un syncrétisme injustifié » au profit « du principe de tolérance » qui permet à « une église de s'en tenir aux fondements de la foi et en même temps d'accepter des différences d'opinion et d'interprétation sur les questions secondaires... »14

13 The Fullness of Christ : The Church's Growth in Catholicity, rapport présenté à l'archevêque de Canterbury, SPCK, 1960, pp. 7-8.

14 Alec Vilder, Essays in Libetality, SCM, 1957, p. 166.

En 1973, J. I. Packer établit une claire distinction entre « la vertu qui consiste à tolérer différents points de vue sur des sujets secondaires à partir d'un accord précis sur l'essentiel » et « le vice qui consiste à tourner le dos à la lumière de l'Écriture pour se réfugier dans une brume intellectuelle sans frontières claires, où tous les chats sont gris et le syncrétisme de rigueur. »15

15 Essai « Taking Stock in Theology » dans Evangelicals Today, ed. John C. King, Lutterworth, 1973, p. 17.

Après avoir examiné les conceptions évangéliques relatives à la nature de l'Église, nous pouvons maintenant voir comment le Saint-Esprit l'équipe pour remplir sa mission. Je commence par les ministères ordonnés. Par leur lecture du Nouveau Testament, les évangéliques sont d'accord pour reconnaître que l'épiscope, celui qui exerce un ministère pastoral, est un don de Dieu à son peuple. C'est pourquoi Paul exhorte les anciens de l'église d'Éphèse à veiller sur eux-mêmes et sur tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit les a établis évêques (episkopoi, Actes 20.28). Le Saint-Esprit leur a confié la charge de se comporter en bergers de l'église.

Le mot « pasteur » est bibliquement correct pour désigner le leader de l'église locale ; quand au mot « prêtre » il ne convient pas et induit même une erreur. Le Nouveau Testament ne l'utilise jamais pour les responsables d'églises. Certes, le mot français « prêtre » dérive du grec prebyteros, qui signifie « ancien ». C'est la raison pour laquelle les Réformateurs l'ont conservé. Mais peu de gens font la gymnastique mentale de dire « prêtre » en pensant « ancien ». Il vaut mieux, pour les Anglicans, suivre la pratique des églises de l'Inde du Sud, de l'Inde du Nord et du Pakistan qui ont trois types de ministres du culte : l'évêque, l'ancien et le diacre. Soyons conséquents dans notre façon de parler de ces réalités religieuses. Le prêtre catholique offre un sacrifice sur l'autel ; les pasteurs évangéliques distribuent le pain et le vin du repas présenté sur la table du Seigneur.

Même si certains responsables évangéliques se sont montrés en pratique extrêmement autocratiques, ils ont en théorie rejeté le cléricalisme qui confère l'exercice des ministres au clergé et prive les laïcs de toute responsabilité. Les évangéliques ont même toujours défendu non seulement le sacerdoce de tous les croyants, mais également la possibilité pour tous d'exercer le ministère. D'ailleurs, récemment, sans doute en partie grâce à l'influence du mouvement charismatique, la vision paulinienne où chaque membre du corps du Christ exerce un ministère s'est largement répandue.

Les évangéliques ne sont pas d'accord entre eux sur l'identité des dons spirituels (charismata) encore en usage aujourd'hui, ou sur leur classification par ordre d'importance. Nous devrions cependant pouvoir nous entendre pour reconnaître que :

  1. les dons sont de nature très variée (certains étant même très prosaïques comme la gestion financière ou la libéralité) ;
  2. Les dons sont distribués en vue du bien commun, pour l'édification de l'Église aussi bien en taille qu'en profondeur ;
  3. pour évaluer les dons, il suffit d'examiner dans quelle mesure ils contribuent à l'édification de l'Église. Comme Paul l'a écrit, « que ce soit pour l'édification de l'Église que vous cherchiez à les avoir en abondance. » (1 Corinthiens 14.12)

La mission chrétienne

Les évangéliques se sont toujours beaucoup préoccupés de la mission proche et lointaine. Comme les noms le suggèrent, évangélisme et évangélisation sont étroitement imbriqués. Nous, évangéliques, insistons sur le fait que le Saint-Esprit est le grand agent de l'évangélisation. C'est un Esprit missionnaire, et la Pentecôte fut un événement missionnaire.

Alors évêque de Winchester, John V. Taylor commença son livre sur le Saint-Esprit (intitulé The Go-Between God) par ces mots : « Le Saint-Esprit est le principal acteur dans l'histoire de la mission de l'Église chrétienne. Il est le Directeur de toute l'entreprise. »16

16 John V. Taylor, The Go-Between God, SCM, 1972, p. 3.

Le Manifeste de Manille, rédigé lors du Deuxième congrès sur l'évangélisation mondiale en 1989, inclut le paragraphe suivant intitulé « Dieu l'évangéliste » :

L'Écriture déclare que Dieu lui-même est l'évangéliste en chef. Car l'Esprit de Dieu, c'est l'Esprit de vérité, d'amour, de sainteté et de puissance, et l'évangélisation est impossible sans lui. C'est lui qui oint le messager, confirme la parole, prépare les cœurs, convainc le pécheur, illumine l'aveugle, donne vie au mort, nous rend capables de nous repentir et de croire, nous rassemble dans le corps de Christ, nous donne l'assurance que nous sommes enfants de Dieu, nous conduit sur la voie d'une nature et d'un service plus ressemblants à ceux de Jésus-Christ, et nous envoie à notre tour pour être les témoins du Christ. Dans tout cela, le principal souci de l'Esprit est de glorifier Jésus-Christ en nous le révélant et en le formant en nous.17

17 John Stott, Making Christ Known : Historic Mission Documents from the Lausanne Movement 1974-1989, Paternoster, 1996, p. 238.

Pendant son ministère terrestre, le Seigneur Jésus lui-même a clairement enseigné la nature missionnaire du Saint-Esprit, notamment dans Jean 7.37-39. C'était le dernier et le plus grand jour de la fête des tabernacles. Jésus, debout à un endroit surélevé du temple, dit d'une voix forte (pour souligner la solennité de ses paroles) : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son sein, comme dit l'Écriture. Il dit cela de l'Esprit qu'allaient recevoir ceux qui croiraient en lui ; car l'Esprit n'était pas encore donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié. » Notez bien la double référence à l'eau, la première à l'eau potable (v. 37 : « Si quelqu'un a soif... »), la seconde aux fleuves d'eau (v. 38 : « des fleuves d'eau vive couleront... »). Les deux images sont remarquablement associées. L'eau ne pourra jaillir de nous que si elle a d'abord été absorbée. Quand nous buvons, c'est par petites gorgées. Mais par le pouvoir extraordinaire du Saint-Esprit, ces gorgées sont transformées en fleuves, et l'eau qui étanche la soif devient fleuves d'eau. Le monde est comparé à un désert aride, et le Saint-Esprit à un système d'irrigation qui permet au désert de fleurir.

Dans Reading in St. John's Gospel, l'archevêque William Temple commenta ainsi les propos de Jésus : « Personne ne possède l'Esprit de Dieu (ou mieux, n'est habite par lui), et ne peut conserver l'Esprit pour lui. Là où se trouve l'Esprit, il s'écoule ; s'il n'y a pas d'écoulement, il n'est pas là. »18

18 William Temple, Reading in St. John's Gospel, 1945, Macmillan 1955, p. 130.

Le lien entre le Saint-Esprit et la mission chrétienne est indissoluble. Négliger la mission, c'est aller à l'encontre de la nature même de l'Esprit. Par conséquent, une église remplie de l'Esprit se caractérise essentiellement par l'évangélisation passionnée des personnes qui vivent autour d'elle, et par sa participation active à la mission mondiale. Harry Boer l'exprime avec force dans les paroles suivantes :

Lorsque l'église cherche à emprisonner le Saint-Esprit, elle agit simultanément contre sa propre nature et contre celle de l'Esprit. Car pour l'église il est dans l'ordre normal des choses qu'elle étende ses cordages, et pour l'Esprit qu'il transmette sa vie à des cercles de plus en plus grands. Si l'église n'obéit pas à cette loi de sa nature et de celle de l'Esprit, elle éteint celui-ci qui alors se retire d'elle, laissant un dépôt de religiosité qui se putréfie chez ceux qui l'ont attristé.19

19 Harry Boer, Pentecost and Missions, Lutterworth, 1961, p. 210.

Avant de clore ce chapitre sur le Saint-Esprit et sa mission, disons encore un mot sur trois autres aspects qui lui sont liés.

Premièrement, l'évangélisation et l'action sociale. Ce sujet a longtemps divisé les évangéliques, mais c'est de moins en moins le cas aujourd'hui. Le Grand Rapids Report (1982) précise la connexion entre les deux de la façon suivante :

  1. L'activité sociale est une conséquence de l'évangélisation, car la vie nouvelle des convertis se manifeste dans le service.
  2. L'activité sociale peut être une passerelle vers l'évangélisation, car elle rend souvent les gens mieux disposés à l'écoute de l'Évangile.
  3. L'activité sociale est l'associée de l'évangélisation, de sorte qu'elles sont « comme le deux lames d'une paire de ciseaux ou les deux ailes d'un oiseau ». Comme dans le ministère public de Jésus, il faut qu'aujourd'hui encore paroles et actes, proclamation et démonstration, bonne nouvelle et bonnes œuvres aillent de pair.20

20 John Stott, op. cit., pp. 181-182.

Deuxièmement, l'évangélisation et les miracles. Les miracles devraient-ils accompagner la proclamation de l'Évangile aujourd'hui ? Au cours des dernières décennies du vingtième siècle s'est développé un mouvement qui prône les signes et les prodiges, sous l'impulsion de John Wimber et de ses églises Vineyard. Dans ses deux ouvrages Allez... évangélisez (1985) et Allez... guérissez (1986), Wimber prétend que « les signes et les prodiges faisaient partie de la vie de tous les jours » à l'époque du Nouveau Testament et qu'il devrait en être de même aujourd'hui. Son raisonnement s'appuie sur le fondement théologique suivant : puisque les miracles étaient la preuve que Jésus avait bien inauguré le royaume de Dieu, nous devrions normalement les constater encore aujourd'hui.21 Certains observateurs ont même salué l'explosion des signes et prodiges comme « la troisième vague » du mouvement pentecôtiste du vingtième siècle. Que répondre à ces assertions ? Commençons par ne pas tomber dans les pièges opposés extrêmes du scepticisme et de la crédulité.

21 Allez... évangélisez, p. 122.

D'un côté, nier la possibilité du miracle, que ce soit à partir de préjugés théologiques ou du matérialisme scientifique frise l'absurde. A partir du moment où nous croyons que Dieu est le créateur souverain de l'univers, admettons aussi qu'il peut intervenir de façon surnaturelle à tout moment dans ce monde. Nous n'avons pas le droit de l'emprisonner dans nos catégories bien définies ni de lui dicter ce qui lui est permis de faire. Nous avons un exemple frappant de cette incrédulité dans un épisode de la vie religieuse en France vers la fin du dis-huitième siècle. Comme les Jansénistes prétendaient que des miracles remarquables s'opéraient sur la tombe de l'Abbé François de Pâris, les autorités catholiques romaines firent fermer le cimetière et fixèrent un écriteau sur lequel on pouvait lire : De par le roy défense à Dieu de faire miracle en ce lieu. L'épithète « absurde » n'est pas trop forte pour qualifier une telle folie.

A l'extrême opposé, on trouve ceux qui, selon les mots de John Wimber, considèrent les signes et les prodiges comme caractéristiques « de la vie chrétienne normale. »22 Mais plusieurs raisons s'inscrivent en faux contre cette assertion. Premièrement, quelle que soit notre définition du « miracle », celui-ci doit rester l'exception et non devenir la règle. Il indique une transgression du mode d'action habituel de Dieu. Car le Dieu de la Bible est avant tout le Dieu de la nature et donc du naturel, et non celui du « surnaturel » érigé en principe. C'est le Dieu qui fait briller le soleil et donne les pluies, soutient le monde, revêt les fleurs, nourrit les oiseaux et donne à tous la vie, le souffle et toutes choses. C'est par là que commence la révélation biblique de Dieu. Les miracles ne la précèdent pas et ne la remplacent pas. L'Écriture fixe aux signes miraculeux un objectif précis : authentifier chaque nouvelle étape de la révélation, celle de Moïse, celle des prophètes à partir d'Élie, l'enseignement de Jésus et l'autorité des apôtres (Voir par exemple Exode 4.1-9 ; 1 Rois 17-18 ; Actes 2.22 ; 2 Corinthiens 12.12).

22 Ibid., p. 122.

Deuxièmement, si, comme l'enseigne John Wimber, Dieu « nous a donné l'autorité de faire les œuvres de Jésus »23, pourquoi celles-ci seraient-elles limitées aux guérisons ? Pourquoi ne multiplierions-nous pas les pains et les poissons, ce qui résoudrait le problème de la faim dans le monde ? Et pourquoi ne parviendrons-nous pas à calmer les tempêtes et ainsi sauver des milliers de personnes menacées chaque année par les typhons, les ouragans et les inondations ?

23 Op. cit., p. 106.

Troisièmement, la réalité objective ne cadre pas avec les affirmations. Promettre la guérison miraculeuse à tous ceux qui croient provoque beaucoup de désenchantement, et attribuer l'échec à l'incrédulité du malade, c'est faire preuve d'une cruauté inouïe.

Pour résumer, nous devons certainement admettre la possibilité du miracle (car Dieu est le créateur), mais rien ne nous autorise à espérer que les signes miraculeux se produiront avec la même fréquence qu'à certaines périodes charnières de la révélation biblique, puisque nous ne vivons plus à une période de révélation. Nous sommes dans des temps intermédiaires entre le « déjà » du royaume inauguré et le « pas encore » du royaume consommé.

Les évangéliques charismatiques et non-charismatiques devraient pouvoir s'entendre sur la déclaration équilibrée du Manifeste de Manille (1989) : « ... nous n'avons pas la liberté de fixer aujourd'hui des limites au pouvoir du Créateur vivant. Nous rejetons le scepticisme qui nie les miracles, et la présomption qui les exige. »24

24 John Stott, op. cit., p. 238.

Troisièmement, l'évangélisation et le réveil spirituel. Comme nous l'avons indiqué au début, « l'aspiration au réveil spirituel » est l'une des caractéristiques du mouvement évangélique. Nous en parlons, nous étudions les grands réveils religieux de l'Histoire, et nous en faisons un sujet de prière constant. Mais qu'est-ce qu'un réveil ? Pour la plupart des évangéliques, le réveil est une intervention surnaturelle de l'Esprit souverain de Dieu qui fait prendre conscience de sa sainte présence25 à une ville, une région ou un pays. Les pécheurs sont convaincus de péché, se repentent et implorent la miséricorde de Dieu. Les chrétiens rétrogrades sont repris et restaurés dans leur communion avec Dieu. Les chrétiens tièdes sont ranimés dans leur zèle. Et tout le peuple de Dieu, submergé par le sentiment de la majesté divine, porte visiblement le fruit de l'Esprit aux neuf facettes et s'adonne à la pratique d'œuvres bonnes.

25 Il est clair qu'en définissant le réveil comme une initiative surnaturelle et souveraine de Dieu, j'exclus les « réunions de réveil » organisées sous forme de campagnes d'évangélisation ; cette expression est créée par l'homme et reste en usage dans certains États du sud des États-Unis.

L'espérance chrétienne

L'Ancien Testament attendait l'effusion ou de don de l'Esprit comme la bénédiction principale et caractéristique de l'âge messianique. Celui-ci serait l'ère de l'Esprit. Aussi, quand le Saint-Esprit descendit le jour de la Pentecôte, le peuple de Dieu sur le qui-vive sut qu'il venait d'entrer dans l'ère nouvelle et que le royaume de Dieu était inauguré dans l'Histoire. Mais il savait aussi que l'établissement du règne de Dieu n'était que partiel et que le plein accomplissement de la promesse divine était encore à venir. Le don du Saint-Esprit correspondait donc aussi bien au commencement des temps de la fin qu'à l'assurance divine que le reste suivrait. C'était « à la fois la réalisation d'une promesse et la promesse d'une réalisation. »26

26 Johannes Blow, The Missionary Nature of the Chruch, 1962, Eerdmans 1974, p. 89.

Le Nouveau Testament se sert de trois métaphores pour exprimer cette double perspective : l'une est commerciale (l'acompte et le solde du paiement), la deuxième agricole (deux stades de la moisson) et la troisième mondaine (deux plats d'un festin).

Considérons d'abord le don de l'Esprit comme l'acompte versé sur un achat. Il est à la fois le premier paiement et la garantie que le solde sera versé au moment voulu. Car Dieu « a mis dans nos cœurs les arrhes [arrabon] de l'Esprit. » (2 Corinthiens 1.22 ; cf. 5.5 ; Éphésiens 1.14)

Ensuite, le don de l'Esprit est comparé aux prémices de la moisson. Il marque le commencement de la récolte et donne la garantie que la récolte battra son plein plus tard. (Romains 8.23).

Enfin, le don du Saint-Esprit est comme le hors-d'œuvre d'un festin. Il en donne l'avant-goût et donne l'assurance aux convives que la suite viendra. (Hébreux 6.4-6)

Dans les trois cas, le Saint-Esprit est à la fois don et promesse, expérience initiale et objet d'espérance future.

Nous, évangéliques, nous ne sommes pas toujours d'accord sur les détails de l'eschatologie, et nous continuons de discuter de questions relatives à la tribulation, à l'enlèvement et au millénium. Mais nous croyons tous au retour personnel, visible et glorieux de Jésus-Christ, à la résurrection des corps, et à la création de nouveaux cieux et d'une nouvelle terre. Nous croyons d'ailleurs que le Saint-Esprit est le garant de ces certitudes futures.

Nous vivons dans un intervalle, entre la première venue du Christ et la deuxième, entre le royaume en voie d'établissement et le royaume consommé, entre la réalité présente et notre destinée future. La présence du Saint-Esprit en nous constitue la passerelle entre le « déjà » et le « pas encore ». Comme Paul l'a déclaré, « nous aussi, qui avons les prémices de l'Esprit, nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l'adoption, la rédemption de notre corps. » (Romains 8.23)

Les chrétiens ont tous du mal à concilier ces trois perspectives de façon équilibrée. Certains sont tellement obnubilés par la gloire future et par l'Esprit qui en est le garant, qu'ils ne soupirent jamais, et n'admettent jamais le caractère incomplet de leur salut présent. D'autres soupirent constamment et attendent impatiemment la gloire promise, mais ils oublient que l'Esprit leur en donne déjà un avant-goût. D'autres encore sont tellement désemparés par la tension actuelle entre l'Esprit et les souffrances qu'il oublient de guetter le jour où cette tension disparaîtra.

Notre attente doit être simultanément « impatiente » et « patiente » ou « persévérante ». C'est un autre équilibre qu'il faut atteindre et conserver. N'attendons pas avec une telle ardeur que nous perdions patience, ni si patiemment (de façon léthargique) que notre espérance s'étiole. Notre attente doit se caractériser par l'ardeur et la patience.

Un certain nombre des divisions au sein des évangéliques, notamment entre les charismatiques et les non-charismatiques, me semblent tenir au fait que nous ne parvenons pas à maintenir un juste équilibre entre le « déjà » et le « pas encore ».

Dans ce chapitre, nous avons donc montré que du commencement à la fin, de notre conversion à Jésus-Christ jusqu'au retour du Seigneur, le Saint-Esprit exerce une fonction unique et indispensable. Les chrétiens évangéliques restent divisés sur certains points, en particulier sur le sens précis du « baptême » de l'Esprit et de ses « dons ». Mais nous reconnaissons unanimement que la nouvelle naissance est l'œuvre de l'Esprit, que l'assurance du chrétien découle du témoignage intérieur du Saint-Esprit, que la sainteté résulte de l'action du Saint-Esprit, que l'Église est la communion de l'Esprit et que l'espérance chrétienne est entretenue par le don de l'Esprit, arrhes de notre héritage final.

Quel immense bonheur que le Seigneur Jésus, né et mort pour nous, ressuscité d'entre les morts et monté à la droite du Père, ait envoyé son Esprit pour vivre et agir en nous ! La vie chrétienne est la vie de l'Esprit. Sans sa présence à demeure en nous et sans sa puissance, la vie chrétienne serait à la fois inconcevable et impossible. Voilà un point sur lequel tous les évangéliques sont d'accord.

Bibliographie

René Pache, La personne et l'œuvre du Saint-Esprit, Éditions Emmaüs.
Sylvain Romerowski, L'œuvre du Saint-Esprit, Éditions Centre de Culture Chrétienne.
Ralph Shallis, Explosion de vie, Farel.
Alfred Kuen, Baptisé et rempli de l'Esprit, Éditions Emmaüs.

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