Histoire des Dogmes I — La Théologie Anténicéenne

14.4 — L’Église, l’initiation chrétienne, l’eucharistie.

L’œuvre de salut commencée et assurée par Jésus-Christ se réalise dans l’Église, son épouse, qui lui engendre continuellement des enfants, qui l’engendre lui, Christ et Verbe, dans le cœur des fidèles. Il n’y a et il ne peut y avoir qu’une Église, sainte, pure et immaculée ; catholique parce que ses membres sont répandus dans le monde entier, διὰ τὸ καϑ᾽ ὅλου κόσμου εἶναι ; apostolique, parce que ses premiers chefs ont été les apôtres, et qu’elle en suit toujours la doctrine et les lois. Comme elle est la dépositaire de la vérité, quiconque s’éloigne d’elle tombe nécessairement dans l’erreur. Malheur à qui méprise ses enseignements et devient hérétique ; mais malheur aussi à qui fomente des schismes et brise son unité. Dieu a montré dans l’Ancien Testament comment il traitera ces téméraires.

Les écrits disciplinaires surtout nous montrent les membres de l’Église nettement partagés en clercs et laïcs, les diaconesses cependant tenant à la fois des deux ordres. Le chef de la communauté chrétienne est l’évêque. La Didascalie ne tarit pas sur ses prérogatives et sa dignité. Il est la tête des fidèles (vi, 14, 11), prince des prêtres, docteur et père après Dieu dont il tient la place (ix, 26, 4) ; à lui le droit et le devoir de prêcher et d’enseigner (v, 11), de reprendre et de juger ceux qui pèchent (v, 11 ; vii, 18, 2, 3), de remettre les péchés (vii, 20, 9) ; c’est à lui qu’il appartient de consigner le baptisé, de donner le Saint-Esprit, de distribuer l’eucharistie (ix, 32, 4 ; 33, 2). Il commande aux prêtres et aux diacres, et sans lui on ne doit rien faire (iv, 1, 1 ; ix, 27, 1-3). Beaucoup de ces textes rappellent les épîtres de saint Ignace.

On entre dans l’Église par le baptême. Le baptême est le sceau, σφραγίς, le sceau infrangible imprimé par Dieu sur le chrétien : c’est une illumination, φωτισμός ; il est aussi l’achèvement de l’homme, τελείωσις : le chrétien est achevé, parfaitc. La Didascalie décrit sans beaucoup de suite le rite du baptême en Syrie. Le catéchumène recevait d’abord l’imposition des mains et une onction d’huile, qui était faite sur les femmes par les diaconesses. Puis il était plongé dans l’eau pendant qu’on invoquait les noms divins, c’est-à-dire au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. L’évêque ou, avec sa délégation, les prêtres et les diacres étaient les ministres ordinaires du baptême : les femmes, pas même les diaconesses, ne devaient le conférerd. L’effet du baptême est de remettre les péchés à celui qui le reçoit, de l’engendrer aune vie nouvelle, de lui donner le Saint-Esprit, d’en faire un autre Christ.

cThéognoste, P. G., X, 240, 244 : Τὸ δὲ πνεῦμα σφραγίς ἐστι τῶν τελειουμένων ; Didasc, X, 39, 6 ; Can. eccles., XII.

dDidasc, XV, 9, 1, 2 ; XVI, 19, 3. Firmilien (Epist. LXXV, 10) note comme un scandale qu’une femme ait osé baptiser en employant les formules officielles.

[Didasc, IX, 32, 4 ; 33, 2 ; XX, 9, 1, 4 ; XXIV, 14, 6 ; XXVI, 21, 1, 4. Methodius : Ὄπως ἕκαστος τῶν ἁγίων, τῷ μετέχειν Χριστοὺ, Χριστὸς γεννηϑῇ (Convia., VIII, 8, 9 ; De la sangsue, VIII, 2,3 ; De la distinction des aliments, IV, 1). Malgré cela, saint Épiphane signale comme une singularité d’Hiéracas qu’il excluait du ciel les enfants baptisés morts avant d’avoir accompli des bonnes œuvres (Haer. LXVII, 2. — Le martyre, lui aussi, remet tous les péchés (Didasc, XX, 7, 27 ; 8 ; 9, 6).]

Il n’y a qu’un seul baptême qui ne peut se renouveler. Ce principe toutefois, comme on l’a remarqué ailleurs, ne tranchait pas immédiatement la question du renouvellement du baptême conféré par les hérétiques. Nous avons dit ci-dessus la part que Denys d’Alexandrie et Firmilien de Césarée avaient prise dans la discussion de cette question entre Rome et les Africains. Firmilien et les Églises de Cappadoce soutinrent le sentiment de saint Cyprien ; Denys joua surtout un rôle de conciliation et de paix.

Après avoir été baptisé et confirmé, le nouveau chrétien était admis à la sainte eucharistie. L’eucharistie est le pain sanctifié par les invocations, une nourriture sainte, ἅγια τροφή, ou simplement « les choses saintes », τὰ ἅγια, ou encore τὰ ἅγια τῶν ἁγίων : mais, plus précisément, recevoir le pain et le calice c’est communier, participer au corps et au sang de Jésus-Christ ; c’est toucher le corps et le sang du Christ, geste que l’on ne peut faire si l’on n’a pas reçu validement le baptême et si l’on n’est pas pur de corps et d’esprit. Le même Adamantius, qui s’exprime d’une façon si réaliste, dira sans doute, dans la même phrase, que le Christ a fait du pain et du breuvage les images, εἰκόνες, de son corps et de son sang (iv, 6) ; la Didascalie pressera les fidèles d’offrir « l’eucharistie agréable, image du corps royal du Christe » ; mais ces manières de parler que nous avons déjà rencontrées chez les Latins, et que nous rencontrerons encore chez les Grecs, ne supposent nullement que ceux qui les emploient sont des symbolistes. Elles marquent seulement le caractère sacramentel, le caractère de signe et de symbole qui convient dans l’eucharistie aux éléments sensibles. Le pain et le vin sont les figures, les antitypes du corps et du sang en quoi ils sont intérieurement transformés, et qui sont devenus nourriture et breuvage pour nous.

e – Le grec correspondant des Constitutions apostoliques porte : τὴν ἀντίτυπον τοῦ βασιλείου σώματος Χριστοὺ δεκτὴν εὐχαριστίαν (VI, 30, 2). Le mot primitif devait être ἀντίτυπον.

C’est le Saint-Esprit qui est l’agent de cette sanctification ; et c’est pourquoi la Didascalie ne veut pas que les chrétiennes qui ont en elles l’Esprit-Saint s’abstiennent de l’eucharistie pendant leur crise mensuelle. Possédant en elles le Saint-Esprit, elles peuvent participer aux œuvres de l’Esprit-Saint. L’auteur de la lettre à Basilide était d’un avis différent. En tout cas, outre la pureté générale du cœur, on exigeait spécialement du communiant qu’il pardonnât les injures et fût en paix avec ses frères. A ce compte l’eucharistie est un principe de sanctification et remet les fautes de qui la reçoit. Elle peut même, en cas d’absolue nécessité, tenir lieu d’absolution et suppléer à la réconciliation ecclésiastique.

En même temps qu’elle est reconnue comme un sacrement, l’eucharistie est regardée comme un sacrifice. La Didascalie en parle souvent, quoique assez brièvement en ce sens, et dit qu’on l’offre pour les défunts :

« Offrez l’eucharistie agréable… dans vos assemblées, dans vos cimetières, à la sortie de ceux qui meurent (aux enterrements, offrez) le pain sans tache fait dans le feu et sanctifié par les invocations. Priez et offrez (le sacrifice) sans hésitation aucune pour ceux qui dorment (les morts). »

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