Histoire des Dogmes II — De saint Athanase à saint Augustin

8.2 — Le priscillianisme.

[Sources : Avant tout, les écrits de Priscillien : Priscilliani quae supersunt recensuit Georgius Schepps, Vindobonae, 1889 Corpus scriptor. ecclesiastic. latin., tom. XVIII) ; puis les actes des conciles et les ouvrages des auteurs qui se sont occupés de son hérésie : les voici à peu près par ordre de temps : Les huit canons du concile de Saragosse de 380 (Mansi, III, 633) ; Philastrius, De haeresibus, 61, 81 ; Saint Ambroise, Epist. XXIV (P. L., XVI) ; Maxime, Epist. ad Siricium (P. L., XIII, 592) ; Saint Jérôme, De viris illustribus, 121 ; Epist. CXXVI, CXXXIII ; Sulpice Sévère, Historia sacra, II, 46-51 ; Dialogus III, 11-13 (P. L., XX) ; P. Orose, Commonitorium de errore priscillisanistarum et origenistarum (édité à la suite des œuvres de Priscillien, ou bien P. L., XXXI) ; Saint Augustin, Epist. CCXXXVII ; Contra mendacium ; De haeresibus, 70 ; Contra priscillianistas et origenistas ; Pastor de Galice, Libellus in modum symboli (c’est le symbole et les anathématismes faussement attribués au premier ou au second concile de Tolède. Mansi, Coll. conc, III, 1002 et suiv. Travaux : J. Chapman, Priscillian, the author of the monarchian prologues to the vulgat gospels, dans la Revue bénédictine, 1900, t. XXIII. p. 335-339).]

L’histoire et surtout la doctrine de Priscillien constituent un problème qui n’est pas encore parfaitement éclairci et qui peut-être ne le sera jamais. Avant la découverte et la publication par Schepps, en 1889, d’une partie de ses œuvres, on était assez d’accord pour voir en lui, sur l’autorité de témoignages presque contemporains, un hérétique de la pire espèce. Depuis, une réaction s’est faite en sa faveur, et quelques esprits seraient assez disposés à l’innocenter entièrement, et même à saluer en lui un grand réformateur et un grand exégète. Essayons de voir ce qu’il en est.

Les origines du priscillianisme sont connues surtout par l’Historia sacra de Sulpice Sévère (ii, 46-51), composée tout au début du ve siècle. Ces origines, remarque-t-il lui-même, sont obscures. Un certain Marcus, égyptien, serait venu en Espagne vers 370, apportant une doctrine secrète empruntée au gnosticisme. Il gagna d’abord une noble femme, Agape et un rhéteur, Elpidius, qui devinrent à leur tour les maîtres de Priscillien. Celui-ci, encore laïc, esprit souple, ingénieux, recommandable par l’austérité de ses mœurs, mais d’ailleurs vain et orgueilleux, groupa bientôt autour de lui un certain nombre de disciples, des femmes surtout. Mais des évêques aussi se laissèrent séduire, tels qu’Instantius et Silvanus. Alors les orthodoxes s’inquiétèrent. Dénoncée par l’évêque Hygin de Cordoue à Idacius d’Emerita, la nouvelle hérésie fut condamnée dans un concile de Saragosse en 380. Malheureusement on chargea de l’exécution de la sentence l’évêque d’Ossonoba, Ithacius, violent et intempérant. Les priscillianistes résistèrent, Hygin de Cordoue passa dans leur camp et Priscillien fut ordonné évêque d’Avila. Le triomphe de la secte fut de courte durée ; Idacius et Ithacius sollicitèrent l’appui de Gratien, et les priscillianistes furent exilés.

[Le fait relaté ici par Sulpice Sévère est contredit par Priscillien lui-même (Tract. II, p. 35). Il prétend qu’au concile de Saragosse, « nemo e nostris reus factus tenetur, nemo accusatus, nemo convictus, nemo damnatus est, nullum nomini nostro vel proposito vel vitae crimen obiectum est » ; il ajoute que les priscillianistes n’assistaient pas d’ailleurs au concile. De fait, les canons du concile ne les nomment pas, et condamnent seulement certaines exagérations d’austérité reprochées aux novateurs.]

Cependant leurs évêques, Instantius, Salvianus et Priscillien ne s’abandonnèrent pas. Pour trouver du secours, ils partirent pour Rome, semant, en passant, leurs erreurs dans l’Aquitaine. A Rome, le pape Damase, prévenu, refusa de les recevoirb. Même hostilité de la part de saint Ambroise à Milan. Ils réussirent cependant par intrigue à faire rapporter l’édit de Gratien. Mais Ithacius n’était pas homme à lâcher sa proie. L’usurpateur Maxime venait de se déclarer à Trêves. Ithacius obtint de lui que les hérétiques comparaîtraient au concile de Bordeaux (385). Instantius s’y défendit ; Priscillien commit la faute d’en appeler à Maxime lui-même. Mal lui en prit. Amenés à Trêves, les priscillianistes y furent suivis de leurs accusateurs. En vain saint Martin, alors présent à Trêves, s’interposa auprès de Maxime pour que, si la doctrine des hérétiques était condamnée, leur personne fût sauvec. En vain même, effrayé, au dernier moment, de sa responsabilité et des protestations soulevées par sa conduite, Ithacius se désista de son rôle d’accusateur. Poussé par deux évêques, Rufus et Magnus, Maxime n’écouta que les conseils de rigueur. Un laïc reprit, les poursuites. Priscillien avait avoué s’être rendu coupable d’actes immoraux, et s’être adonné à des études abominables. On le condamna à la peine capitale du chef de magie ; et avec lui, deux clercs, un diacre, des laïcs et une femme même furent mis à mort. Instantius et d’autres priscillianistes furent déportés ou exilés. Un cri de réprobation accueillit ces mesures. Saint Ambroise, venu à Trêves sur ces entrefaites, refusa de communiquer avec les évêques qui y avaient engagé Maxime ; Ithacius se démit volontairement de l’épiscopat et Ithacius en fut chassé.

b – C’est à cette occasion sans doute que Priscillien écrivit son traité II, Liber ad Damasum episcopum (p. 34 et suiv.), où il fait l’apologie de sa conduite et de sa doctrine.

c – Il regrettait même qu’un juge séculier fût appelé à se prononcer dans une question doctrinale : Satis superque sufficere, ut episcopali sententia haeretici iudicati ecclesiis pellerentur ; novum esse et inauditum nefas, causam ecclesiae iudex saeculi iudicaret (Hist. sacra, II, 50).

Tel est le récit de Sulpice Sévère. Il ajoute que la mort ou l’exil des chefs priscillianistes, loin d’étouffer la secte, parut d’abord redoubler son fanatisme. Le concile de Tolède, en 400, vit cependant revenir à l’orthodoxie quelques évêques, entre autres Dictinius d’Astorga, auteur d’un livre intitulé « La balance » (Libra). En 415, saint Augustin, sollicité par Paul Orose, écrivit contre l’erreur sa lettre ccxxxvii et son traité Contra mendacium. Dans ce dernier ouvrage, il réprouvait le secret et la dissimulation que l’on accusait les priscillianistes d’observer vis-à-vis de leur doctrine, mais en même temps il blâmait l’usage du même mensonge et de la même dissimulation avec eux, pour arriver à surprendre leurs secrets. Un peu plus tard, vers 447, l’évêque d’Astorga, Turribius, écrivit à saint Léon pour lui dénoncer encore la secte. La lettre de l’évêque a péri, et la réponse authentique du pape aussi probablementd. La guerre se continua entre hérétiques et orthodoxes sous forme de traités, de symboles et de condamnations conciliaires plus ou moins directes. La dernière grande manifestation contre le priscillianisme eut lieu au concile de Braga de 563, où 17 anathématismes furent portés contre les divers points de son enseignement. Ce fut le coup de grâce de l’hérésie. A partir de ce moment il n’en est à peu près plus question.

d – V. Kuenstle, op cit., p. 117 et suiv. Les deux conciles de Tolède et de Braga, indiqués comme tenus à la suite de la réponse du pape, n’ont jamais existé. Dans l’état de l’Espagne à ce moment, il était impossible de tenir des conciles provinciaux.

Et maintenant, quelle était au juste la doctrine priscillienne ? L’exposé le plus clair et le plus complet s’en trouve dans ces anathématismes du concile de Braga dont je viens de parler. Ils sont éloignés, il est vrai, de près de deux cents ans des origines de la secte, mais leur substance se retrouve toute entière dans le Libellus de l’évêque Pastor, composé vers le milieu du ve siècle, et en grande partie dans les sources datées du commencement de ce même siècle, ou même de la fin du ive. On peut donc les considérer comme contenant l’expression fidèle de ce qu’était la doctrine priscillianiste pleinement développée. Quant à la doctrine personnelle de Priscillien, c’est évidemment dans ses écrits qu’il faut la chercher. Or il se trouve qu’entre cet enseignement des écrits de Priscillien et l’enseignement qu’on lui attribue ou du moins qui est censé être venu de lui, des divergences, des contradictions même existent. Comment les expliquer ? Qui faut-il croire, de Priscillien ou des auteurs qui nous parlent de lui ? Où est enfin la vérité dans ce conflit ? C’est ce que nous allons nous appliquer à rechercher.

Voyons d’abord ce qu’était le priscillianisme au ve et au vie siècle. Le concile de Braga réduit, comme je l’ai dit, ses erreurs ou pratiques répréhensibles à dix-sept chefs dont voici l’énumération.

  1. Les priscillianistes nient la distinction réelle des personnes divines : ils sont sabelliens.
  2. Ils admettent en Dieu une sorte d’émanation ad intra d’éons ou d’êtres divins : il y aurait dans la divinité trinitas trinitatis.
  3. Le Fils de Dieu Notre-Seigneur n’existait pas avant de naître de Marie.
  4. Ils sont docètes, et ne croient pas que Jésus-Christ soit né in vera hominis natura. Aussi jeûnent-ils le jour de la naissance du Christ et le dimanche.
  5. Les anges et les âmes humaines sont des émanations de la substance divine.
  6. Les âmes humaines ont péché dans le lieu céleste où elles habitaient, et, à cause de cela, ont été précipitées dans des corps humains sur la terree.
  7. Le diable n’a pas été d’abord un bon ange créé de Dieu : il est sorti du chaos et des ténèbres ; il n’est pas créé : il est le mal substantiel même.
  8. Il est dans le monde des créatures qui sont l’œuvre du diable : c’est lui qui est l’auteur du tonnerre, des éclairs, des tempêtes et de la sécheresse.
  9. Les âmes et les corps humains subissent l’influence des astres.
  10. Les douze signes du zodiaque correspondent aux diverses parties du corps et de l’âme, et sont en rapport avec les noms des douze patriarches.
  11. Le mariage est mauvais et la procréation des enfants condamnable.
  12. Ce sont le diable et les démons qui forment au sein de la mère le corps de l’enfant. La chair ne ressuscitera point.
  13. La chair n’est pas l’œuvre de Dieu, mais une création des mauvais anges.
  14. Les priscillianistes s’abstiennent de manger de la chair et même des légumes cuits avec de la viande, non par mortification, mais parce qu’ils regardent la chair comme une nourriture impure.
  15. La secte enseigne que les clercs et les moines peuvent, en dehors de leur mère, de leur sœur, de leur tante ou d’une très proche parente, retenir auprès d’eux des femmes étrangères et cohabiter avec elles.
  16. Le jeudi saint, contre la coutume de l’Église, les priscillianistes célèbrent, à l’heure de tierce, des messes pour les défunts, et rompent le jeûne.
  17. Enfin le XVIIe anathématisme déclare que Priscillien a corrompu les Écritures ; il interdit de lire et de défendre les traités que l’évêque Dictinius avait composés avant sa conversion, aussi bien que les écrits fabriqués par les hérétiques sous le pseudonyme des patriarches, prophètes et apôtres.

e – P. Orose (Commonitor., 2) et saint Augustin (De haeresibus, 70) précisent ce point. Les âmes, nées de Dieu, descendent à travers sept cieux ou cercles pour venir combattre sur la terre. Elles sont saisies par les puissances malignes qui gouvernent le monde, et disséminées dans les corps. C’est à cause de cela que le diable est représenté, dans la parabole de la semence, sous la forme du semeur, parce qu’il a semé les âmes dans les corps, dans les pierres et les épines.

A ces reproches du concile de Braga on peut en ajouter quelques autres, mentionnés par les auteurs du ive et du ve siècle. On accusait encore les priscillianistes d’introduire dans l’interprétation des Écritures un allégorisme outré, de mettre sur le même pied que les livres canoniques ou même de leur préférer des apocryphes sans autorité, de se servir d’une Memoria apostolorum qui expliquait l’évangile d’une façon particulière. Saint Augustin cite quelques passages d’un Hymnus Dornini, ou cantique chanté par Notre-Seigneur après la scène, et dont les hérétiques faisaient grand cas. Ils expliquaient l’origine de certains phénomènes naturels par des mythes étranges. Saint Jérôme et Sulpice Sévère les accusent de pratiques infâmes. Enfin on leur reprochait de dissimuler leurs vrais sentiments en présence de ceux qui ne les partageaient pas, et d’autoriser le parjure plutôt que la violation des secrets de la secte : « lura, periura, secretum prodere noli ». Ils autorisaient même leurs adhérents à renier le Christ pour échapper à la persécution.

Telle était l’idée qu’on se faisait, au ve siècle, de la doctrine priscillianiste. On y voyait un mélange de gnosticisme et de manichéisme, un système composite où se rencontraient le dualisme, l’astrologie, le pythagorisme, le docétisme, un encratisme exagéré, le tout combiné avec le sabellianisme et certaines doctrines origénistes. Mais était-ce là la doctrine de Priscillien, et, même en faisant la part de développements ultérieurs qui ont pu et dû se produire, en retrouve-t-on le fond dans ses écrits ?

Sur quelques points, oui, mais non sur l’ensemble. Le premier des reproches que la lecture des écrits de Priscillien paraît confirmer, est celui d’abuser des livres apocryphes. Priscillien a écrit sur ce sujet un traité tout entier, le troisième : Liber de fide et apocryphis. Il remarque que les écrivains canoniques se sont servis eux-aussi de livres et de prophéties non canoniques : tels saint Jude (p. 44, 45), l’évangile, saint Paul, Daniel, Ezéchiel (p. 48, 50). On trouve indiquées dans la Bible des prophéties de Noé, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob (p. 45-47). Saint Paul a recommandé aux Colossiens la lecture de son épître aux Laodicéens, qui n’est pas canonique (p. 55). Priscillien en conclut que le canon ne contient pas tout ce qui est inspiré, que les apocryphes ou livres extra-canoniques ne doivent pas sans doute être mis entre toutes les mains, parce que les hérétiques les ont corrompus, mais qu’il s’y trouve de bons éléments dont il faut profiter (p. 46, 47, 56). Conformément à ces principes, M. Schepps regarde comme probable que, dans ses canons sur les épîtres de saint Paul, l’évêque d’Avila avait fait entrer l’épître aux Laodicéens, et qu’il comptait ainsi 15 épîtres de l’apôtre.

Un second reproche, plus grave, qui trouve quelque soutien dans les œuvres de Priscillien, est celui de sabellianisme. Outre qu’il insiste beaucoup sur l’unité de Dieu, — ce qui en soi est fort correct, — on trouve chez lui deux ou trois formules inquiétantes au point de vue qui nous occupe : « Tu enim es deus qui… unus deus crederis, invisibilis in Patre, visibilis in filio et unitus in opus duorum sanctus spiritus inveniris. » Et encore, parlant de l’incarnation : « Invisibilis cernitur, innascibilis nascitur, incomprehensibilis adtinetur. » Et enfin : « Unus deus trina potestate venerabilis, omnia et in omnibus Christus est sicut scribtum est : Abrahae dictae sunt repromissiones et semini eius : non dicit in seminibus tanquam in multis sed quasi in uno et semini tuo quod est Christus. » Ce dernier passage, observe M. Künstle, paraît dénoter une sorte de panchristisme. Et cependant nous voyons Priscillien condamner le patripassianisme, et sa formule baptismale n’omet nullement, entre les noms des personnes divines, le mot « et », comme Orose le prétend.

Troisième reproche. Le concile de Braga (anath. V) accuse Priscillien de regarder les anges et les âmes comme des émanations de la substance divine, et l’évêque Pastor (anath. V) l’accuse d’apollinarisme. N’y aurait-il pas quelque trace de la dernière erreur surtout dans ces mots du traité vi (p. 74) : « Denique deus noster adsumens carnem, formam in se dei et hominis, id est divinae animae et terrenae carnis adsi gnans, etc. » La divina anima ici est le Verbe.

Que l’on ajoute encore, si l’on veut, le caractère nettement gnostique du fragment de lettre cité par P. Orose dans son Commonitorium, 2 ; l’insistance du canon xxxiii (p. 124) sur l’abstention des œuvres de la chair ; du canon xxxv (p. 125) sur l’abstinence de la viande et du vin ; une désapprobation, en tout cas très indirecte, du mariage et de la procréation dans le traité iv (p. 59, 60 : « humanae nativitatis vitia castigat [Christus] ») ; c’est tout ce que les écrits de Priscillien contiennent des doctrines que les ive et ve siècles lui ont attribuées à lui ou à ses disciples.

Car par ailleurs, ces doctrines sont plutôt, dans ces écrits, contredites et condamnées. Ainsi Priscillien admet que Dieu est le créateur du monde, de l’homme et de son corps ; il condamne le manichéisme, dont il avoue d’ailleurs qu’on accuse son parti ; il condamne ceux qui adorent les astres et leur accordent un pouvoir ; il affirme et répète que Jésus-Christ est venu dans la chair, et repousse le docétisme. Anathème aux nicolaïtes, ophites, ariens, novatiens, basilidiens, homuncionites, borborites, patripassiens. La différence des sexes vient de Dieu, et l’on doit lutter contre la concupiscence. Il confesse la résurrection de la chair, et n’admet que quatre évangiles. A remarquer le témoignage qu’il donne à la virginité de Marie post partum.

Entre ces affirmations de Priscillien et le priscillianisme connu jusqu’à la découverte de M. Schepps, il y a une distance qu’un développement même rapide d’idées ne suffit pas à combler, car de ces idées les germes ne se trouvent pas tous dans le fondateur de la secte. Saint Jérôme constatait déjà, en 392, dans son De viris illustribus (121), que l’on était partagé sur ce qu’enseignait au juste l’évêque d’Avila « defendentibus aliis non ita eum sensisse ut arguitur ». C’est donc que cet enseignement prêtait à des interprétations différentes, ou que ses écrits ne correspondaient pas tout à fait aux opinions qu’on lui prêtait. Or la controverse signalée par saint Jérôme, pouvons-nous la trancher ? Pouvons-nous expliquer les divergences qui séparent les traités de Priscillien des anathématismes de Pastor par exemple, décider entre les deux qui a droit d’être cru ? — Pas entièrement. On peut sans doute observer, d’une part, que des homme comme Sulpice Sévère, P. Orose, Pastor, sont des hommes sincères et rapprochés des événements, d’autre part, que nous ne possédons qu’une partie des écrits de Priscillien, que leur allure fuyante, la souplesse de sa phrase obscure et traînante sont plutôt de nature à nous mettre en défiance contre sa véracité ; que l’on ne voit pas pourquoi il aurait si haut prisé les apocryphes s’il n’y avait eu quelque intérêt doctrinal ; que la secte est de bonne heure accusée de dissimuler ses sentiments. Toutes ces considérations plaident sans doute contre le novateur ; mais elles ne détruisent pas entièrement l’impression que produit la netteté de ses déclarations. On est bien obligé de tenir compte du caractère mondain et sensuel de son premier et plus grand ennemi, l’évêque Ithacius, et l’on peut se demander si, au point de vue de l’encratisme par exemple, certaines pratiques d’austérité, exagérées si l’on veut, de Priscillien et de son entourage n’ont pas été présentées aux contemporains comme de véritables hérésies par cet homme dont Sulpice Sévère écrit qu’« il portait la folie jusqu’à incriminer comme complice ou disciple de Priscillien tout homme pieux, ayant le goût de l’étude ou s’imposant des jeûnes prolongés », et qu’« il osa même lancer une infamante accusation d’hérésie contre saint Martin, homme de tout point comparable aux apôtres ».

On ne saurait donc, en dehors des points clairement confirmés par ses écrits, se prononcer absolument sur la doctrine originale de l’évêque d’Avila.

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