Histoire des Dogmes III — La Fin de l’Âge Patristique

6.2 — La réaction dyothélite jusqu’au concile de Latran.

Le pape Honorius, avons-nous dit, était mort le 12 octobre 638. Son successeur Severinus, qui ne régna que deux mois, eut peut-être le temps de condamner le monothélisme. En tout cas, Jean IV, élu après lui, le fit condamner par un concile tenu à Rome en janvier 641, et communiqua cette sentence à Héraclius. Héraclius mourut le 11 février de cette même année, laissant le trône à ses deux fils, Héraclius le Jeune et Héracléon. Cette circonstance amena le pape à leur écrire presque aussitôt une lettre importante dont l’objet était d’exposer la vraie doctrine, et surtout de justifier l’orthodoxie d’Honorius. Sergius, disait-il, ayant mandé à Honorius que quelques-uns enseignaient l’existence en Jésus-Christ de deux volontés contraires, Honorius avait justement condamné cette erreur. En nous, en effet, qui naissons dans le péché et qui éprouvons la loi de la chair, il existe deux volontés opposées : duas aulem dico mentis et carnis invicem reluctantes ; mais en Jésus-Christ né innocent et en dehors de la convoitise, rien de semblable : il n’y avait dans sa sainte humanité qu’une volonté humaine ; et c’est ce qu’avait voulu signifier Honorius. Au lieu de cela, le patriarche Pyrrhus et ses partisans le représentent comme n’ayant attribué à Jésus-Christ qu’une seule volonté, commune à la fois à la divinité et à l’humanité. Rien n’est plus faux ; et d’ailleurs cette doctrine n’est pas soutenable. L’unité de volonté supposerait ou que la divinité ou l’humanité du Sauveur est incomplète, suivant que l’on admettrait que cette volonté est humaine ou qu’elle est divine, ou que les deux natures n’en font qu’une, si l’on admettait que l’unique volonté et l’unique opération viennent à la fois de la divinité et de l’humanité. — Le pape, en terminant sa lettre, demandait la suppression de l’Ecthèse.

[On remarquera que Jean IV faisait porter la défense d’Honorius uniquement sur la question de l’unité de volonté. Il ne justifiait pas son prédécesseur d’avoir défendu de parler d’une ou de deux opérations, et d’avoir dit que, sur ce point, l’Écriture ne donne aucun enseignement. De plus, il ne voyait dans le texte d’Honorius que l’affirmation d’une seule volonté humaine en Jésus-Christ. Or Honorius avait insisté en effet sur l’unité de la volonté humaine, par suite de l’absence de concupiscence en Jésus-Christ, mais pour en conclure qu’il n’y avait non plus en lui qu’une seule volonté divine et humaine quant à l’objet voulu. Sur ce dernier point, à vrai dire, Honorius n’avait pas besoin d’être défendu.]

On ne sait au juste quelle impression cette lettre produisit à Constantinople : des bouleversements survinrent qui jetèrent en scène coup sur coup d’autres acteurs. Héraclius le Jeune mourut cette année même (641) ; Héracléon fut renversé, et le trône occupé par Constant II. De son côté, le patriarche Pyrrhus fut impliqué dans la révolution : il dut s’enfuir en Afrique et reçut — sans qu’il eût donné sa démission — pour successeur un prêtre de Constantinople, Paul II (1er octobre 641). Enfin, le pape Jean IV mourut le 12 octobre 642, et, à sa place, on élut Théodore (24 novembre 642). Mais la politique pontificale resta la même. Aux lettres de communion de Paul, Théodore répondit en condamnant de nouveau l’Ecthèse — que Constant II avait d’ailleurs retirée, — en faisant remarquer au patriarche que sa situation canonique n’était pas régulière, et en réclamant de lui une attitude doctrinale nette. Ces représentations furent inutiles. Pendant que Pyrrhus soutenait en Afrique, en juillet 645, contre l’abbé Maxime, la célèbre conférence dont celui-ci sortit vainqueur ; pendant que, à la suite de cette victoire, un énergique mouvement conciliaire se produisait en Afrique contre le monothélisme, Paul de Constantinople répondant, en 647, à de nouvelles instances du pape ne sut que reproduire, en la renforçant encore, la doctrine de l’Ecthèse. Toute opération soit divine soit humaine vient du seul Verbe incarné. Il n’y a en Jésus-Christ qu’une seule volonté, parce que, autrement, il y aurait en lui deux volontés contraires et deux personnes, et parce que son humanité s’est approprié la volonté divine du Verbe, recevant en tout de lui l’impulsion et le mouvement (ϑεῖον ἐκέκτητο καὶ ἀδιάφορον ϑέλημα, ὑπ᾽ αὐτοῦ (Λόγου) διὰ παντὸς ἀγομένη τε καὶ κινουμένη), et n’exerçant jamais de sa propre initiative et séparément de lui son activité naturelle, mais seulement quand, et de la façon, et autant que le Verbe le voulait.

On ne pouvait donc rien attendre du patriarche de Constantinople. En 648 ou 649, Théodore le déposa. Mais à ce moment même ou un peu auparavant, en 648, l’empereur lançait, sur les conseils de Paul, un nouvel édit : c’était le Type.

Le Type prétendait imposer silence aux deux partis, et terminer la controverse en la supprimant. Le monothélisme et le dyothélisme y recevaient égal traitement : on devait cesser absolument de discuter s’il y avait dans le Christ une ou deux opérations, une ou deux volontés. L’Ecthèse était retirée ; mais personne ne pouvait plus être inquiété pour ses opinions antérieures, et des peines sévères étaient édictées contre les délinquants.

Paru vingt ans plus tôt, le Type aurait peut-être réussi à faire la paix : maintenant, il était trop tard : la querelle s’était envenimée et des décisions autorisées étaient déjà intervenues ; le silence n’était plus possible. Non seulement les discussions continuèrent, mais le débat prit une ampleur nouvelle, et Rome se disposa à frapper un coup plus fort.

A Théodore, mort le 14 mai 649, succédait, au mois de juillet, le pape Martin Ier. Il avait été apocrisiaire à Constantinople, et connaissait bien à qui il avait affaire. Encouragé par l’abbé Maxime, un de ses premiers soins fut de réunir au Latran, du 5 au 31 octobre 649, un concile de cent cinq évêques considéré presque à l’égal d’un concile général, et où le monothélisme fut examiné de près. Le pape ne craignit pas d’engager sa personne, et parla beaucoup. La doctrine des documents monothélites lus dans la troisième session fut, dans la cinquième, rapprochée de celle des Pères et de celle d’hérétiques déjà condamnés.

[Trois séries de textes patristiques furent produits pour établir : 1° que d’après les Pères l’opération et la volonté ont leur source dans la nature et non dans l’hypostase, et conséquemment que le nombre des natures détermine celui des opérations et des volontés ; 2° que les Pères ont attribué au Christ deux volontés libres ; 3° qu’ils lui ont également attribué deux opérations naturelles.]

Le résultat fut une proscription de la nouvelle erreur, traduite dans une profession de foi et vingt anathématismes. La profession de foi était celle de Chalcédoine à laquelle on avait ajouté : « … Et duas eiusdem (Christi) sicuti naturas inconfuse, ita et duas naturales voluntates, divinam et humanam, et duas naturales operationes, divinam et humanam, in approbatione perfecta et indiminuta eumdem veraciter esse perfectum Deum et hominem perfectum secundum veritatem, eumdem atque unum Dominum nostrum et Deum Iesum Christum, utpote volentem et operantem divine et humane nostram salutem. » Cette même doctrine reparaissait dans les anathématismes, dont le deuxième affirmait la spontanéité (sponte des souffrances de Jésus-Christ pour nous, et relevait ainsi l’intérêt sotériologique de la controverse. Le dix-huitième était porté contre Théodore de Pharan, Cyrus d’Alexandrie, Sergius, Pyrrhus et Paul de Constantinople, contre l’Ecthèse et le Type.

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