Histoire des Dogmes III — La Fin de l’Âge Patristique

7.9 — L’extrême-onction, l’ordre, le mariage.

On sait combien peu est attestée, dans l’ancienne théologie grecque, l’existence du sacrement d’extrême-onction, et combien vagues y sont les renseignements qui le concernent. Dans la période que nous examinons, les Constitutions de l’Église égyptienne (i, 22, 23) contiennent une formule de bénédiction de l’huile qui suppose qu’on s’en servait non seulement pour s’en nourrir, mais pour oindre les malades. Saint Cyrille, détournant les fidèles des incantations magiques, cite le texte Jacques.5.14-15, comme leur indiquant ce qu’ils ont à faire quand ils sont malades. De fait, un écrivain syrien, Isaac d’Antioche († vers 460), recommande aux vrais chrétiens de ne point vouloir préparer eux-mêmes l’huile pour oindre leurs malades, mais de les porter à l’église et, là où il y a un prêtre, de garder l’ordre établi. Enfin, l’auteur de la vie de saint Eutychius, Eustrate, qui écrivait peu après la mort du patriarche (582), raconte que le saint avait coutume, suivant la recommandation de saint Jacques, d’oindre d’huile les infirmes qui se présentaient à lui. En tout ceci cependant, si l’on retrouve le rite substantiel d’onction des malades, il est difficile de trouver l’idée d’onction dernière que nous nous faisons actuellement de l’extrême-onction.

Dans la hiérarchie ecclésiastique, je l’ai déjà remarqué, le Pseudo-Denys voit surtout un pouvoir de sanctification. De même que la hiérarchie angélique. la hiérarchie ecclésiastique est un intermédiaire entre Dieu et l’homme, destiné à rapprocher l’homme de Dieu. Elle comporte, elle aussi, trois degrés : le premier, le plus bas, dont la fonction est de purifier l’homme (καϑαρτική) : c’est l’ordre du diaconat ; le second, dont la fonction est de l’éclairer et de l’illuminer (φωταγωγικὴ τάξις) : c’est l’ordre des prêtres ; le plus élevé enfin, dont la fonction est de parfaire le chrétien et de l’unir à Dieu (τελειωτική) : c’est l’épiscopat. Denys explique à ce point de vue les fonctions de ces divers ordres, et décrit les cérémonies qui les confèrent. L’imposition de la main (χειροτονία) est le rite commun à tous, mais ce rite est accompagné pour l’épiscopat de l’imposition du livre ouvert des Écritures sur la tête de l’ordinand. Cette dernière cérémonie n’est pas mentionnée dans les Constitutions de l’église égyptienne. Celles-ci donnent, en revanche, le texte des prières qui accompagnaient l’imposition de la main. Le sous-diacre ne reçoit pas l’imposition de la main : il est simplement appelé à suivre les diacres ; les lecteurs ne la reçoivent pas non plus : l’évêque les ordonne par une prière et en leur remettant le livre des Épîtres. Les Constitutions remarquent que, dans le cas où un chrétien aurait confessé la foi dans les prisons, il ne serait pas nécessaire, pour en faire un diacre ou un prêtre, de lui imposer la main : « namque dignitatem presbyteratus confessione sua habet ». Cette cérémonie ne serait requise que pour en faire un évêque. Quant aux chantres que nous trouvons encore dans la hiérarchie grecque, la législation de Justinien les considéra comme clercs ; mais ils ne tardèrent pas à perdre ce titre.

[Quant aux dispositions disciplinaires relatives au choix des clercs aux conditions de leur ordination, à leur vie, à leurs devoirs, aux fonctions multiples entre lesquelles, dans les grandes villes surtout, ils étaient partagés, aux lois qui régissaient leur conduite privée et publique, aux divisions ecclésiastiques des patriarcats et des métropoles, etc., ce sont des questions qui relèvent du droit canonique, et que nous n’avons point à traiter ici. On en trouvera l’exposé fort bien fait dans le livre du P. J. Pargoire, L’Église byzantine de 527 à 8i7, Paris, 1905. — Disons seulement qu’au point de vue du célibat ecclésiastique, la discipline grecque était dès lors ce qu’elle est restée depuis. L’évêque seul y était astreint, et il ne pouvait devenir évêque qu’à la condition ou de ne s’être point marié, où d’être veuf en uniques noces d’une femme qui elle-même n’eût pas été mariée deux fois. Les prêtres, diacres et sous-diacres pouvaient continuer d’user du mariage contracté avant leur ordination ; mais, après leur ordination, il ne leur était pas permis de se marier, ni de se remarier en cas de veuvage. Aux lecteurs et aux chantres il était loisible de se marier et de se remarier même après leur ordination ; toutefois, dans le second cas, ils ne pouvaient plus être promus à un ordre supérieur.]

C’est dans les canons des conciles et dans les lois impériales plus que dans les écrits des docteurs qu’il faut chercher les détails relatifs au droit matrimonial. Le mariage est regardé comme un acte que le Christ a sanctifié aux noces de Cana, que la religion doit donc sanctifier à son tour, encore que la législation civile estime valide l’union contractée sans l’intervention de l’Église. La pensée de Théodoret sur la licité du divorce propter adulterium n’est pas claire ; en revanche saint Isidore de Péluse paraît bien autoriser le mari à rejeter tout à fait (ἐκβάλειν) la femme adultère. Une novelle de Justinien, la cxviie, de 542, est encore plus large, et compte pour le mari cinq causes légitimes de divorce : si la femme ne révèle pas une conspiration contre l’empereur ; si elle est convaincue d’adultère ; si elle conspire contre la vie de son mari ou ne lui fait pas connaître les conspirations ourdies contre lui ; si elle fréquente les festins et se baigne avec d’autres hommes ; si elle demeure hors du domicile conjugalb. Cette même novelle toutefois supprimait le divorce pour cause de possession diabolique de la femme, et le divorce par consentement mutuel. Cette dernière disposition fut rétablie par Justin II en 566.

b – On peut aussi divorcer pour cause d’entrée dans la vie monastique, ou si le mariage n’a pas été consommé au bout de trois ans.

Les secondes noces, bien que permises, continuèrent d’être mal vues dans le monde byzantin. On le fait assez entendre en renouvelant à leur sujet les canons de Laodicée et de Néocésarée qui les concernent. En même temps, les empêchements qui annulent le mariage se multiplient. Défense de s’unir à un ou à une hérétique ; mais si, de deux hérétiques mariés, l’un se convertit, il n’abandonnera pas son conjoint. Défense au parrain d’épouser la mère de l’enfant devenue veuve. Défense d’épouser sa cousine germaine ; défense au père et au fils d’épouser la mère et la fille, ou les deux sœurs ; à la mère et à la fille d’épouser les deux frères ; aux deux frères d’épouser les deux sœurs. Défense au beau-père d’épouser sa bru ; au beau-frère d’épouser sa belle-sœur ; défense d’épouser la fiancée d’un autre du vivant de cet autre. Pour pouvoir épouser celle qu’il a enlevée, le ravisseur doit préalablement la rendre à ses parents. Une fille ou une esclave ne peut se marier sans le consentement de son père ou de son maître. Toutes ces prescriptions renouvelées des anciens canons ou portées à nouveau, sont les témoins d’un droit matrimonial qui s’étend de plus en plus, et qui devient plus touffu à mesure sans doute que les mœurs elles-mêmes deviennent moins délicates.

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