Précis de Patrologie

8
Les écrivains d’Alexandrie et de l’Égypte

8.1 — Saint Athanase.

On a dit un mot ci-dessus d’Arius et de ses erreurs. Ces erreurs rencontrèrent immédiatement un adversaire et un juge dans l’évêque d’Alexandrie, Alexandre (313-328). Il a existé un recueil des homélies d’Alexandre dont on retrouve les traces dans des fragments syriaques, et dont il reste probablement une pièce entière dans un Discours sur l’âme et le corps et sur la passion du Seigneur. Mais de plus, on possède de lui deux lettres encycliques adressées aux évêques et relatives à l’hérésie et à la condamnation d’Arius. La première, qui porte l’inscription erronée A Alexandre de Constantinople, est donnée par Théodoret (H. E., 1.3) et a dû être écrite vers 322 ; la seconde, un peu plus récente, est donnée par Socrate (H. E., 1.6)a. Elles sont l’une et l’autre importantes pour l’histoire du dogme.

a – Elle se trouve encadrée dans une petite pièce intitulée Déposition d’Arius et de ses fauteurs, qui doit venir du concile d’Alexandrie, 320-321.

Le 8 juin 328, Alexandre recevait pour successeur Athanase. Athanase est né à Alexandrie même, probablement en 295. Si ses parents furent païens, il dut se convertir de bonne heure, car on le trouve, vers 318-320, diacre de l’évêque Alexandre, avec qui il assista au concile de Nicée en 325. A partir de son épiscopat, son histoire se confond avec celle de l’orthodoxie nicéenne. Adversaire toujours visé par les ariens, il est cinq fois exilé : une première fois à Trêves, par Constantin, à la fin de 335 ou au début de 336 : il rentre à Alexandrie le 23 novembre 337 ; une seconde fois par Constance le 19 mars 340, lors de l’intrusion de Grégoire de Cappadoce : il ne peut rentrer que le 21 octobre 346, après la mort de l’intrus. Une troisième fois, déposé par les conciles d’Arles et de Milan, il doit fuir devant les soldats de Constance le 9 février 356, et ne rentre que le 21 février 362, après la mort de l’empereur. Mais Julien l’Apostat le trouve bientôt gênant : il faut qu’Athanase se retire dans la Thébaïde le 24 octobre 362, pour revenir à son siège moins d’un an après, le 5 septembre 363. Enfin, une dernière fois, sur l’ordre de Valens, l’évêque prend le chemin de l’exil le 5 octobre 365 : il n’y reste que peu de temps : devant les troubles que cette mesure occasionne Valens juge opportun de rappeler le vieil athlète. Athanase revient le 1er février 366 et jouit enfin de la paix jusqu’au jour de sa mort, 2 mai 373.

Athanase est avant tout un caractère : on n’en trouverait pas de plus résolu ni de plus noblement inflexible. Absolument convaincu que sa cause était celle de la vérité et que Dieu ferait tôt ou tard triompher cette vérité, l’évêque d’Alexandrie n’a jamais fléchi ni transigé sur le fond du débat : même dans les plus mauvais moments de la lutte, il n’a jamais désespéré, jamais douté de la victoire, finale. Mais il n’a pas d’ailleurs attendu cette victoire d’une intervention miraculeuse de la Providence : car tout ce qui se pouvait faire humainement pour l’assurer, il l’a fait. Avec une âme de martyr, il n’a pas voulu inutilement être martyr. Attaqué et calomnié, il s’est défendu ; poursuivi et traqué, il a fui. Joignant la souplesse des procédés à la fermeté des convictions, il a su temporiser, retenir ses amis trop zélés et parler aux hésitants le langage de la conciliation. C’était un vrai chef dont l’autorité jusqu’à la fin n’a pas été contestée.

Au point de vue littéraire, saint Athanase n’est pas un écrivain affiné et érudit comme Basile ou Grégoire de Nazianze, connaissant, comme eux, les classiques. Mais c’est un esprit très clair, qui sait bien ce qu’il veut dire et qui met dans ses écrits toute son âme. Sa composition ferme, précise, sans vains ornements, brille surtout par la logique qui en lie les parties. Beaucoup de ses livres d’ailleurs ne sont que des plaidoyers où les faits et les pièces justificatives jouent un grand rôle. Athanase notait attentivement les moindres événements et conservait avec soin les documents issus des partis. Au moment voulu, il produisait à leur place les uns et les autres pour confondre ses adversaires. Cette éloquence par les faits convenait bien à un homme qui n’a jamais écrit simplement pour écrire, et dont tous les livres sont des actes.

Enfin, au point de vue théologique, Athanase, tout appliqué à faire triompher la vérité du consubstantiel, s’en tient simplement au dogme et évite d’y mêler des spéculations et des théories qui en compliqueraient l’exposé et la défense. Il n’a point, comme Origène, rêvé de synthèse religieuse ni de système scientifique. Mais il a profondément médité les enseignements qu’il développe et en a saisi les rapports intimes avec l’ensemble de l’économie chrétienne. Le dogme n’est pas pour lui une vérité purement métaphysique : c’est une vérité dont notre vie surnaturelle de chaque jour doit traduire l’influence.

La célébrité de saint Athanase lui a fait attribuer beaucoup d’écrits qui ne sont pas sortis de sa plume ou dont l’authenticité est douteuse : on en parlera à leur place. Dans ses ouvrages à lui, on peut distinguer des ouvrages d’exégèse, d’apologie, de polémique dogmatique, de polémique historique, de morale et de discipline, et enfin des lettres.

I. Exégèse.

L’antiquité a connu beaucoup d’œuvres exégétiques de saint Athanase. Saint Jérôme a signalé de lui un écrit Sur les titres des psaumes ; Photius un commentaire sur l’Ecclésiaste et un autre sur le Cantique des cantiques. Les Chaînes ont fourni quelques fragments sur Job. La seule partie importante qui subsiste est une série de passages d’une Exposition sur les Psaumes (P. G., xxvii, 55-590 ; Pitra, Analecta sacra, i, p. 3-20), dans laquelle l’auteur développe surtout le sens moral et mystique. La Synopsis Scripturae sacrae, mise sous son nom (P. G., xxviii, 283-438), n’est pas authentique.

II. Apologie.

A l’apologie se rapportent les plus anciens vraisemblablement des écrits d’Athanase : le Discours contre les Grecs (Λόγος κατὰ Ἑλλήνων) et le Discours sur l’incarnation du Verbe (Λόγος περὶ τῆς ἐνανϑρωπήσεως τοῦ Λόγου). Ces deux traités primitivement n’en formaient qu’un en deux livres. Dans le premier, l’auteur explique d’abord l’origine de l’idolâtrie (1-10), réfute les différentes formes sous lesquelles elle se présente (11-29), et enfin indique comment l’homme peut s’élever à la connaissance du vrai Dieu et du Verbe par la connaissance de son âme spirituelle (30-34) et par la vue du monde extérieur (35-47). Dans le second livre ou Discours sur l’incarnation, Athanase traite d’abord du but de l’incarnation, qui est de réparer notre nature en lui rendant l’immortalité perdue, de restaurer aussi la connaissance oblitérée de Dieu ; puis à partir du chapitre 33, il esquisse une démonstration directe de la vérité du christianisme par l’accomplissement des prophéties (33-40) et la rénovation morale du monde, fruit de la nouvelle religion (41-55). On met généralement la composition de ces deux livres en 318-320.

III. Dogmatique et polémique.

En tête des ouvrages dogmatiques et polémiques à la fois d’Athanase, il faut mentionner les Discours contre les ariens. Les éditions actuelles en comptent quatre ; mais les trois premiers seuls sont authentiques. C’est une défense, contre les ariens, de la définition du concile de Nicée. Le premier discours ou λόγος réfute les objections, tirées de l’Écriture ou de la raison, que l’on apportait contre l’éternité, la génération divine et l’immutabilité du Verbe. Le second est consacré presque tout entier à l’éclaircissement du fameux texte des Proverbes, Prov.8.22, Dominus creavit me, auquel orthodoxes et hérétiques accordaient, une importance capitale. Le troisième discours, le plus remarquable des trois, continuant de résoudre les objections, explique l’unité de nature du Père et du Fils et, abordant le mystère de l’incarnation, montre qu’on ne saurait attribuer au Verbe en soi les infirmités de la nature humaine qu’il a prise. Les mauristes ont fixé la composition de ces discours entre les années 356-362 ; d’autres auteurs (Cavallera] l’avanceraient aux années 347-350, ou même (Loofs) aux années 338-339.

De même que l’on a rejeté l’authenticité du quatrième discours contre les ariens, on a mis en doute celle du traité De l’incarnation et contre les ariens (P. G., xxvi, 983-1028), de l’opuscule qui a pour titre Sur le texte, Toutes choses m’ont été livrées [Matth.11.27] (P. G., xxv, 207-220) et d’un Exposé de la foi (P. G., xxv, 199-208) qui résume la croyance sur le Fils considéré avant et après l’incarnation. Les raisons apportées contre l’authenticité de ces écrits ne sont pourtant pas décisives. Il en va autrement pour le De trinitate et Spiritu sancto (P. G., xxvi, 1191-1218) en latin, qui a vu le jour en Occident ; pour les deux livres De incarnatione contra Apollinarium (P. G., xxvi, 1093-1166), qui peuvent dater de 380 ; pour le Sermo major de fide (P. G., xxvi, 1263-1204), qui n’est qu’une compilation postérieure ; pour L’Interpretatio in symbolum (P. G., xxvi, 1231-1232), et pour les deux traités De incarnatione Dei Verbi (P. G., xxviii, 25-30) et Quod unus sit Christus (ibid., 121-132), œuvres d’Apollinaire et de son école. Quant au symbole Quicumque vult, dit Symbole de saint Athanase, il y faut voir une composition latine du ve ou du vie siècle dont l’évêque d’Alexandrie n’est certainement pas l’auteur.

IV. Histoire et polémique.

C’est autant par l’histoire et par les faits que par les idées, nous l’avons remarqué, que saint Athanase a bataillé contre les ariens. Au nombre de ses ouvrages d’apologie historique il faut mentionner : l’Apologie contre les ariens, composée vers 348 et dans laquelle il résume les événements écoulés depuis 330 ; un écrit Contre Valens et Ursace, signalé par saint Jérôme (Vir. ill, 17) et qui est perdu ; puis l’Apologie à l’empereur Constance, qui est du milieu de l’année 357, et où l’auteur se justifie de l’accusation d’avoir favorisé l’usurpateur Magnence ; puis l’Apologie sur sa fuite, écrite vers la même époque, où il légitime la défiance que lui inspirent ses persécuteurs. — Et en même temps qu’il se défend personnellement, Athanase défend ses prédécesseurs et son œuvre ; il montre aux semi-ariens l’abîme où les anoméens les entraînent. Dans la lettre De sententia Dionysii, il prouve que les ariens ont tort de se réclamer de Denys d’Alexandrie ; dans le De decretis nicaenae synodi, il explique pourquoi et comment le concile de Nicée a adopté les mots ἐκ τῆς οὐσίας et ὁμοούσιος ; dans le De synodis Arimini in Italia et Seleuciae in Isauria celebratis, un de ses plus longs et importants ouvrages, écrit en 359, il fait l’histoire de ces deux lamentables conciles et tend la main à Basile d’Ancyre et à son parti. Enfin l’Histoire des ariens aux moines, malheureusement mutilée par les copistes, était comme un résumé, à l’usage des solitaires, de tous les débats suscités par l’hérésie depuis les origines jusqu’en 357, l’ouvrage datant lui-même de 358.

V. Morale et discipline.

Le plus connu des écrits d’édification de saint Athanase est la Vie de saint Antoine, dont on est à peu près d’accord actuellement pour reconnaître l’authenticité. C’est moins une histoire suivie qu’une série de souvenirs et un tableau de la vie ascétique du saint. Le succès en fut énorme. Les mauristes datent l’ouvrage de 365 environ ; d’autres critiques le font remonter à 357-361. Saint Antoine lui-même est mort en 356.

L’authenticité du traité De la virginité (P. G., xxviii, 251-282) a été contestée. Une des difficultés qui arrête les critiques, et qui se présente pour d’autres ouvrages, est l’emploi du mot ὑπόστασις dans le sens exclusif de personne, alors que saint Athanase le fait plutôt synonyme d’οὐσια ou substance. Bardenhewer, qui admet l’authenticité de l’ouvrage, en fixe la composition vers la fin de la vie de l’auteur, entre 353-373.

D’autres écrits, une Doctrina ad Antiochum ducem, des Canons ecclésiastiques, découverts en 1904 sous le nom d’Athanase, et toute une série d’homélies (P. G., xxviii, 133-250 ; 905-1114) ne sont pas ou ne sont qu’insuffisamment garantis.

VI. Lettres.

Les lettres de saint Athanase sont d’autant plus importantes que plusieurs d’entre elles sont de véritables traités. C’est le cas, par exemple, du De sententia Dionysii, du De decretis nicaenae synodi et du De synodis, écrits en forme de lettres et déjà signalés. C’est le cas encore de plusieurs des lettres que nous allons indiquer.

Dans la correspondance de saint Athanase il faut distinguer :

1° Les lettres synodales, écrites au nom de conciles d’Alexandrie dont elles font connaître les décisions. On en a trois : le Tome aux Antiochiens, issu du concile de 362 ; la Lettre à l’empereur Jovien, envoyée au nom du concile de 363, et enfin la Lettre aux Africains, au nom du concile de 309.

2° Les lettres encycliques, adressées aux évêques au nom personnel d’Athanase, et dans lesquelles il se défend contre les calomnies de ses adversaires : telles l’Epistula ad episcopos encyclica, écrite vers le mois d’avril 340, et l’Epistula encyclica ad episcopos Ægypti et Libyae contra arianos, qui est de 356 ou 357.

3° Les lettres dogmatiques. De ce nombre les lettres à Sérapion de Thmuis, écrites entre 356-362, ont pour objet la divinité du Saint-Esprit, les lettres à Epictète de Corinthe, à Adelphius et à Maxime le philosophe traitent de l’incarnation, et réfutent certaines erreurs répandues par les ariens et les apollinaristes. Elles datent de 370 ou 371.

4° Les lettres d’édification et de morale. Telles les lettres au moine Amunes, à l’évêque Rufinien, à Dracontius, à Marcellinus. La lettre aux moines (P. G., xxvi, 1185-1188) met les solitaires en garde contre les menées ariennes. Les deux lettres à Lucifer de Cagliari (P. G., xxvi, 1185-1186) en latin seulement, si elles ne sont pas complètement des faux, outrent certainement la pensée d’Athanase.

5° Un groupe spécial est formé par les Lettres festales, dont treize se sont conservées entières dans une traduction syriaque (P. G., xxvi, 1351-1444). Elles sont importantes pour la chronologie de la vie de l’auteur. Celle de l’année 367 (elle porte le numéro 39), dont on a un long fragment, contient un canon complet des Livres saints.

En somme les écrits d’Athanase ont été nombreux et, dans leur forme, assez variés ; mais ils n’ont eu tous qu’un but principal : la défense de la foi.

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