Précis de Patrologie

13.8 — Poètes.

Jusqu’au vie siècle, les auteurs chrétiens grecs qui écrivaient en vers avaient simplement suivi, avec plus ou moins de bonheur, les règles de la poétique classique qui basait tout le rythme sur la valeur quantitative des syllabes. C’est ce que l’on peut voir dans les poésies de saint Grégoire de Nazianze, de Synésius et, au ve siècle, de l’impératrice Eudocie, de Nonnus de Panopolis et autres. Cependant, on trouve déjà, dans saint Grégoire, deux hymnes, l’Hymne du soir et l’hymne Aux vierges, dont le rythme, est fondé non plus sur la quantité des syllabes, mais sur l’accent tonique des mots. C’était une innovation qui se fit très vite accepter. Elle venait à point au moment où était levée pratiquement la défense qui interdisait, dans les églises grecques, le chant de pièces de poésie autres que celles des Livres Saints et où la magnificence du culte, dans la métropole byzantine, atteignait son apogée. Il s’ensuivit un splendide essor de l’hymnologie religieuse qui jeta sur la littérature en décadence un dernier éclat, et prouva que, dans cette société superficielle, la piété savait encore faire vibrer les âmes.

Des premiers hymnographes grecs au ve siècle nous ne connaissons que quelques-uns et par leur nom seulement : Anthime et Timoclès, cités par Théodore le Lecteur ; Marcianus, Jean le Moine, Séta et surtout Auxentius dont son biographe, Georges, a conservé une hymne. Il se peut que, dans la masse des pièces anonymes que nous possédons, quelques-unes doivent être attribuées à ces auteurs, mais aucune précision jusqu’ici n’est possible.

Au vie siècle, le premier hymnographe qu’il faille nommer est Romanos surnommé le Mélode. D’après les ménées grecs, qui mettent sa fête au 1er octobre, Romanos serait né à Emèse, aurait été diacre à l’église de la Résurrection à Beyrouth, puis serait devenu, à Constantinople, membre du clergé qui desservait la grande église des Blachernes. Ceci se serait passé sous Anastase. — Quel Anastase ? — Les plus récents critiques pensent qu’il s’agit d’Anastase Ier (491-518), et fixent, en conséquence, le principal moment de l’activité littéraire de Romanos entre 536 et 556. Cette activité fut très grande. Les ménées lui attribuent la composition de près de mille hymnes ou κοντάκια, dont on ne possède guère que quatre-vingts environ. Son œuvre dispersée, mutilée, se reconstitue difficilement. Mais d’ailleurs on est d’accord pour voir en lui le meilleur incontestablement des hymnographes grecs et peut-être des hymnographes connus, le mieux doué au point de vue poétique, celui chez qui l’inspiration est la plus vive, le sentiment le plus profond et l’expression la plus noble. Un seul défaut peut lui être reproché, qui lui est commun avec tous les poètes byzantins, la diffusion.

Il a été déjà question ci-dessus des poésies du patriarche de Jérusalem, Sophronius. Son collègue, Sergius de Constantinople, le monothélite (610-638), serait, d’après plusieurs critiques, l’auteur de la fameuse hymne ἀκάϑιστος (du jour où l’on ne s’assied pas), qui se chantait solennellement le samedi de la quatrième semaine de carême. C’est une longue hymne d’action de grâces à la Vierge, comprenant vingt-quatre parties, « le Te Deum grec », plein d’élan, d’effusion mystique et d’harmonie. Mais d’autres critiques l’attribueraient plutôt à Georges Pisidès, contemporain de Sergius, diacre et gardien des vases sacrés ou des archives de Sainte-Sophie à Constantinople. Cependant, à l’encontre des hymnographes de son époque, Georges a cultivé de préférence la poésie classique, en s’attachant à la quantité effective des syllabes et non à l’accent tonique des mots. Outre quelques poèmes profanes, on a de lui, en partie du moins, un poème sur la création du monde, un autre sur la vanité de la vie, un troisième contre Sévère d’Antioche, une hymne sur la Résurrection de Notre Seigneur, et de nombreuses pièces de moindre importance : tout cela écrit en vers toujours corrects, coulants, d’une élégance un peu froide.

Avec André de Crète, la poésie d’Église revient au vers basé sur l’accent tonique. André est né à Damas dans la seconde moitié du viie siècle ; puis il a été longtemps moine à Jérusalem et y a composé la plupart de ses œuvres. De là, les sources liturgiques le font aller à Constantinople où il aurait combattu le monothélisme et aurait été ordonné diacre. Ce qui est certain c’est que, avant l’an 711, il fut promu archevêque de Crète. Sous Léon l’Isaurien (717-741), il défendit la cause des saintes images, et mourut en l’an 720 ; les Grecs l’honorent le 4 juillet. André a laissé des sermons généralement fort étendus sur divers sujets, notamment sur la naissance et sur la mort de la Sainte Vierge, et des poésies liturgiques ayant leur chant propre (ἰδιόμελα) ; mais il est connu surtout comme le créateur de ces sortes d’hymnes appelées canons (κανόνες). Le canon est un chant composé de neuf odes ou hymnes plus courtes, comprenant à leur tour plusieurs tropaires ou strophes. Entre les nombreux canons que nous possédons d’André, le plus célèbre est le Grand canon, qui se chante en entier le jeudi de la quatrième semaine de carême : il ne contient pas moins de deux cent cinquante strophes. C’est un chant de pénitence qui parcourt tous les exemples de prévarication et de repentir rapportés dans l’Ancien et le Nouveau Testamenta. André a mis en général dans ses compositions beaucoup de théologie, et on ne peut lui refuser de la profondeur dans la pensée et les sentiments ; mais il ne sait ni écrire simplement, ni se borner dans l’expression de ses idées. On lit avec peine ses ouvrages longs et monotones.

a – Sur le chant de ce canon voir les détails donnés par Nilles, Kalend. manuale, ii, 147 et suiv. On se prosterne environ un millier de fois pendant sa récitation.

Après lui, l’Église grecque compta encore trois bons hymnographes : les deux Cosmas et saint Jean Damascène. Le plus ancien des Cosmas était un moine fort instruit, venu de Sicile, que le père de saint Jean Damascène délivra de l’esclavage des Sarrasins, et qui fut le maître de Jean et du plus jeune Cosmas. On sait qu’il écrivit des poésies religieuses ; malheureusement, elles se trouvent mêlées, dans les manuscrits, avec celles de son homonyme, et il est impossible, la plupart du temps, de distinguer lequel des deux Cosmas est l’auteur de telle ou telle pièce. — Cosmas le Jeune, surnommé le Chantre ou le MéIode, était un orphelin qui fut élevé avec Jean de Damas et qui, après avoir été moine, comme lui, à Saint-Sabas, devint, en 743, évêque de Maïouma, près de Gaza. Il avait beaucoup étudié les poésies de saint Grégoire de Nazianze sur lesquelles il a laissé des scolies. A l’imitation d’André de Crète, il écrivit des canons, plus courts, il est vrai, que ceux de son devancier, mais où il sacrifie souvent à la subtilité de la pensée et à la technique extérieure du vers l’élan de l’inspiration et la clarté du style. La postérité byzantine néanmoins l’a beaucoup admiré : elle ne l’a pas séparé de saint Jean Damascène, et les a mis tous deux au premier rang des hymnographes de l’Église grecque.

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