Le Réveil dans l’Église Réformée

4.2 Le Culte et les Œuvres chrétiennes.

4.2.1 Le Réveil et le Culte.

Le Réveil de Genève et le culte. — Cultes de l’Église du Bourg-de-Four, de l’Eglise du Témoignage. — Le méthodisme et le culte. — Les réunions d’exhortation mutuelle de Félix Neff. — les méthodes du Réveil en général. — Innovations. — L’influence extérieure du Réveil jugée par Samuel Vincent. — Cultes le soir à Paris et à Nîmes. — Réunions de prières. — Le chant. — Le cantique. — Chants de Sion.Chants chrétiens. — La piété du Réveil.

On se souvient que le Réveil de Genève prit naissance dans cette petite communauté morave, qui se réunissait chez le chantre Bost, et s’édifiait par quelque lecture pieuse et le chant de cantiques. Ce n’étaient que de simples réunions, qui ne groupaient guère que les membres de la famille et des amis très intimes :

[Il est très probable, en effet, que les frères moraves de Genève ne suivaient pas les formes du culte usitées dans les communautés plus nombreuses, telles que les litanies, la robe blanche que le ministre revêt pour donner la Cène et dans d’autres occasions solennelles, etc. (Voir, sur le culte morave : A. de Mestral, Tableau de l’Église chrétienne au 19e siècle. Lausanne, 1870, p. 413.)]

« Quand mon père fondait constamment ses petites réunions religieuses, dit Bost, et que plus tard nous y prenions une part active, nous cédions les uns et les autres à un simple besoin instinctif de piété ; et il y avait dans toute notre conduite si peu de formalisme, que jamais en sa vie mon père, dont il s’agit surtout en ce moment, n’a songé à faire un discours ni à présider une seule assemblée. Les réunions dont je parle étaient le plus souvent des soirées, surtout des soirées du dimanche, qui se passaient sous forme de conversation libre, sauf quelques lectures édifiantes et quelques chants. Il n’y avait aucune forme de culte proprement ditea. »

aMémoires, t. I, p. 16.

Souvent des frères moraves du dehors venaient contribuer à l’édification de ces soirées, entre autres Mérillat et Mettetal. Bientôt se fonda la Société des Amis ; enfin, le pasteur Moulinié réunissait quelquefois chez lui des étudiants en théologie pour y poursuivre en commun des études bibliques.

On sait l’opposition que manifesta la Compagnie des pasteurs vis-à-vis de toutes ces innovations, opposition qui ne fit que s’accroître lors de la visite de Mme de Krüdener, puis des chrétiens étrangers, Wilcox, Haldane, Drummond, Anderson. Les réunions qui se tinrent chez eux prouvaient clairement, d’autre part, que les cultes officiels ne suffisaient plus à la piété des nouveaux convertis, et que le moment n’était pas éloigné où ils se constitueraient en Église séparée. Le règlement du 3 mai 1817 consomma la rupture, et l’Église du Bourg-de-Four fut fondée.

En réalité, ce n’était pas tellement la forme du culte officiel qui éloignait des temples Guers, Pyt, Empaytaz et leurs amis, que le fond même de la prédication.

Seulement il arriva plus tard que la forme même du culte fut jugée insuffisante comme le fond, et les impressions chrétiennes ressenties à des services extra-officiels furent en partie attribuées à la simplicité, à l’intimité de ces cultes.

En outre, les hommes du Réveil étant en butte à l’hostilité de l’Église nationale éprouvèrent le besoin de se rapprocher toujours davantage, de resserrer leurs liens, et ainsi, soit par réaction contre cette Église, soit par souvenir des bénédictions reçues ailleurs, soit par la force même des choses, l’Église du Bourg-de-Four substitua presque entièrement au culte traditionnel un culte nouveau.

L’idéal de cette Église étant l’imitation des Églises apostoliques, voici comment elle appliqua ce principe au culte.

Il y avait le dimanche trois services : le premier avait lieu le matin : « Ce service, où l’on trouvait réunis tous les éléments du culte primitif (Actes 2.42) avait lieu chaque premier jour de la semaine (Actes 20.7). C’était le principal culte de l’Église. Il était présidé à tour par les pasteurs, et précédé d’une courte méditation faite par l’un d’eux ; les frères qui en avaient reçu le don y prenaient aussi la parole, soit pour exhorter, pour prier ou pour rendre grâces ; car, tout en reconnaissant la nécessité d’un d’un ministère spécial, l’Église admettait aussi ce qu’on appelle aujourd’hui, « le sacerdoce universel des croyants » (1 Pierre 2.9 ; Hébreux 10.24-25), sacerdoce qu’ils sont appelés à exercer dans tous les détails de leur vie, notamment dans le culte de l’Église.

Les méditations et les allocutions diverses qui accompagnaient la célébration de la Cène avaient lieu d’abord, comme on vient de le voir, avant cet acte solennel ; mais on se persuada plus tard qu’il valait mieux les placer après, afin de laisser à ce service son vrai caractère ; la Cène demeurait ainsi l’essentiel, l’édification mutuelle n’était plus que l’accessoire. De cette manière on se rapprochait encore plus, pensait-on, de l’institution primitive ; la Cène tenait en effet une large place dans le culte des premiers chrétiens ; elle en était, en quelque sorte, le centre (Actes 2.42 ; 20.7 ; 1 Corinthiens 11.17-29)… Après la sainte Cène, on procédait à la communication (Actes 2.42), ou collecte hebdomadaire (1 Corinthiens ch. 16) en faveur des frères indigents…

Le baptême (des enfants) était administré dans un culte spécial, immédiatement à l’issue de celui de la Cène, et dans le local ordinaire de nos assemblées.

Le culte du dimanche matin était suivi par deux autres services, l’un à deux heures de l’après-midi, l’autre à sept heures du soir. En général les pasteurs y prenaient seuls la parole, et étaient alors dans leur rôle et leurs fonctions de pasteurs et instructeurs (Éphésiens 4.11 ; Romains 12.7). Le service de deux heures était plutôt consacré à l’instruction du troupeau ; celui de sept heures, plutôt à la prédication ou appel des âmes…

En outre, tous les soirs de la semaine, il y avait des services destinés à la lecture et à l’interprétation familière de la Parole de Dieu ; ils étaient également présidés tour à tour par les pasteurs. Le service du samedi soir était spécialement consacré à la prière et regardé comme une préparation pour le dimanche ; tous les frères qui s’y sentaient appelés pouvaient y présenter au Seigneur les prières, les requêtes et les actions de grâces de l’assemblée… Il y avait, de plus, une instruction catéchétique pour les enfants ; on n’y faisait usage que de la Parole de Dieu. Nos jeunes gens étaient ensuite reçus dans l’Église, s’ils en faisaient la demande, au même titre et de la même manière que l’étaient les autres membres.

Nous possédions encore une assemblée mensuelle pour les missions ; elle était, en général, fort suivie.

Indépendamment des services qui viennent d’être énumérés, il y avait tous les jeudis soirs une assemblée particulière d’Église, essentiellement consacrée à l’administration, ainsi qu’à toutes les communications qui pouvaient intéresser le troupeau. C’était là que s’exerçait la discipline quand il y avait lieu…

Ce culte était fort simple dans toutes ses parties. Ainsi la prédication, cela va bien sans dire, n’avait rien de recherché dans sa forme, rien d’académique. Seulement on appréciait beaucoup l’ordre et la méthode dans le développement des idéesb.

b – On se souvient que Méjanel fut trouvé insuffisant à ce point de vue et qu’on lui adjoignit Empaytaz pour le seconder dans cette partie de son ministère.

L’Église avait aussi la bénédiction nuptiale, mais sous une forme également très simple : le mariage ayant perdu son caractère ecclésiastique et n’étant plus considéré que comme un contrat civil, elle consistait purement et simplement à implorer, dans une assemblée spéciale, la bénédiction de Dieu sur les époux…

Nous ne faisions jamais usage de liturgies dans nos assemblées ; la simple lecture de la Parole, et la prière spontanée les remplaçaient dans toutes les parties du cultec. »

c – Guers, Le premier Réveil, p. 166-170.

Evidemment, c’était là une organisation toute nouvelle : non seulement il y avait des innovations extérieures, mais la notion même du ministère évangélique n’était plus celle de l’Église officielle. Les études théologiques, la consécration, y étaient envisagées sous des aspects tout à fait différents. Deux des trois pasteurs de l’Église, Empaytaz et Gonthier, n’avaient pas achevé leurs études ; Empaytaz seul était consacré, et pourtant tous les trois distribuaient les sacrements ; plus tard, ils devaient reconnaître qu’il est préférable de recevoir la consécration au début même du ministère, mais actuellement la réaction contre l’organisation traditionnelle était poussée jusqu’à ses dernières limites.

Si de l’Église du Bourg-de-Four nous passons à celle de César Malan, nous remarquons une notable différence. Les réunions que Malan présida d’abord, dans le cours de ses démêlés avec la Compagnie, étaient, suivant sa propre expression, « de petits cultes qui ne différaient en rien de ceux des pensionnats ou des familles nombreusesd. » Peu à peu ces assemblées devinrent plus nombreuses et finirent par former une véritable Église, l’Église du Pré-l’Évêque, puis celle du Témoignage. Mais Malan ne voulut pas rompre avec la tradition de l’Église nationale ; la forme du culte principal, celui du dimanche matin, était, à très peu de chose près, celle du culte officiel ; les prières liturgiques n’en étaient pas bannies, et la seule innovation sérieuse concernait le chant. Nous aurons à y revenir.

dLa vie et les travaux de C. Malan, p. 94-95.

Dans le méthodisme, nous trouvons un culte nouveau, à quelques égards, surtout en ce qui concerne l’absence de liturgies, la participation des laïques à l’évangélisation comme prédicateurs locaux, l’établissement des longues veilles (qui avaient lieu originairement tous les trimestres ; la veille des grandes fêtes) et l’institution des agapes.

Mais l’innovation capitale du méthodisme, c’est la classe et tout ce qui en dérive, réunions d’expérience, exercice de la discipline, etc. Cette institution, du reste, n’est pas sans analogie avec les chœurs des moraves.

Tels étaient les cultes des Églises qui ont concouru au Réveil. Quand ces Églises ont voulu agir au dehors, évangéliser, elles n’ont pas employé des méthodes sensiblement différentes de celles dont elles usaient pour s’édifier intérieurement. Les moyens extraordinaires, ce qu’on pourrait appeler les excentricités du Réveil, sont très rares.

Nous avons eu déjà l’occasion de mentionner le procédé employé à Paris par Porchat pour se procurer des auditoires : c’est une exception. D’ordinaire, l’évangélisation du Réveil s’est accomplie avec une grande simplicité. Rien ne distingue extérieurement le ministère de Neff ou de Pyt, sinon leur grande activité : ils se multiplient, les services succèdent aux services, mais les formes anciennes ne leur paraissent pas devoir empêcher le réveil de la foi et de la vie. « Pour réussir en France, dit Pyt, il faut se soumettre aux formes religieuses établies, aussi bien qu’on le peut, salva conscientia. »

Félix Neff établit à Mens de petites réunions intimes, très analogues aux classes, mais s’opposa à ce qu’on en fit une institution imposée et légale : « Toutes ces organisations, disait-il, effarouchent les âmes encore faibles, et donnent beaucoup de prise aux ennemis ; et quand les gens sont portés de bonne volonté, ils savent bien se réunir et s’édifier sans s’encadrer… » « J’ai organisé, dit-il ailleurs, parmi les frères une réunion d’exhortations mutuelles, composée uniquement de personnes converties, du même sexe, et rapprochées en même temps par l’âge et la condition. Dans cette réunion, il ne peut être agité d’autres questions que celles proposées à l’ouverture de la séance ; et c’est toujours quelque matière tendant immédiatement à la sanctification, comme la prière, la lecture, la méditation, l’emploi du temps, la patience, la charité, etc. ; les frères sont rangés en cercle, et celui qui préside les interroge tour à tour diverses fois. D’abord, il recueille les réflexions de tous sur l’importance et l’obligation du devoir en question ; en second lieu, chacun est appelé à avouer franchement où il en est à cet égard ; troisièmement, on doit dire à quoi on attribue sa négligence ; et, enfin, ce qu’on croit de plus propre à la prévenir. Les trois ou quatre tours finis, le président récapitule ce qui a été dit de meilleur, et exhorte les frères à s’en occuper sérieusement, afin de pouvoir, à la prochaine assemblée, dire quelles expériences ils ont faites. Cette réunion se tient deux fois par mois dans le bourg ; il y vient des frères de trois lieues à la ronde. Depuis environ cinq mois qu’elle existe, on m’en donne les meilleures nouvelles ; elle produit le plus grand bien, non seulement en excitant à la vigilance, mais encore en apprenant à chacun à sonder son cœur et en resserrant les liens de l’amour fraternel… Il serait sans doute à désirer qu’il existât de semblables réunions partout où il y a de vrais chrétiens ; et si elles sont rares, je crains bien que ce ne soit par l’opposition du vieil homme, qui n’y trouve pas aussi bien son compte que dans les questions stériles de dogme ou de discipline dont on s’occupe si volontierse. »

eLettres et biographie, I, 349, 481.

D’une manière générale, les méthodes du Réveil ont été des méthodes s’adressant de préférence aux individus, complétant par des visites, « des conversations, des réunions intimes l’œuvre commencée dans les grandes assemblées.

Parfois même, on n’hésitait pas à aborder spontanément un entretien religieux avec des compagnons de voyage ou des voisins de table d’hôte. C’était une des méthodes préférées de Malan, quoiqu’il en reconnût lui-même toutes les difficultés. La diffusion de traités religieux, d’exemplaires de la Bible ou seulement du Nouveau Testament, était aussi un des moyens d’évangélisation les plus employés.

En somme, comme le dit un des historiens du Réveil, « les premières années de l’évangélisation nous présentent le tableau d’un enthousiasme vif et naît. Les évangélistes partaient, comme un jour les apôtres, pour aller de tous côtés appeler les âmes de la mort à la vie.

Guers raconte qu’au moment du départ de quelque évangéliste, l’Église l’accompagnait de ses prières et de ses vœux ordinairement exprimés dans ce verset morave :

Chers frères, partez donc joyeux,
Allez chercher des âmes ;
Jésus en vous a mis ses feux
Répandez-en les flammes ;
Devant vous marche le Sauveur
Pour vous frayer la route
Et pour préparer bien des cœurs
Afin qu’on vous écoutef.

fLe premier Réveil, p. 240.

Lorsque les résultats dépassèrent toute attente, lorsqu’ils commencèrent à attirer l’attention générale, lorsque, de toutes parts, de petites et de grandes sociétés arrivèrent à se former pour venir en aide aux évangélistes, en un mot, lorsque, cessant d’être l’œuvre exclusive d’un zèle tout personnel, la mission fut devenue le but général et l’intérêt commun des Églises, on commença alors, d’un côté à se faire des idées exagérées sur la possibilité de l’évangélisation des peuples comme peuples ; et de l’autre, au milieu de la multitude des ouvriers et des divisions des partis, on finit par perdre la force vivante des premiers joursg. » De là, pour beaucoup, bien des mécomptes. Parfois, ce qui au premier abord avait paru être un réveil eu masse, n’était en réalité qu’une émotion fugitive, et la tiédeur, le sommeil spirituel, l’erreur succédèrent souvent à des heures d’enthousiasme. Ce qui était factice, extérieur, tomba et disparut ; ce qui était solide demeura.

g – De Goltz, op. cit., p. 249.

C’est ce qui s’est passé pour le culte. De toutes les innovations que nous avons signalées plus haut, il en est qui se sont continuées dans des Églises particulières, mais sans avoir une influence bien déterminée sur le culte en général.

D’autres au contraire sont devenues l’apanage de toutes les Églises évangéliques, qui les ont plus ou moins complètement adoptées. Directement ou indirectement il était difficile, en effet, qu’il en fût autrement. D’une part, les amis du Réveil étaient tout disposés à accepter ses méthodes ; de l’autre, ses adversaires ne pouvaient contester ses résultats : ils voyaient les foules se rendre à ces cultes d’un nouveau genre, et ils ne pouvaient méconnaître que ce ne fût là un besoin nouveau, qu’il fallait satisfaire : « Que faut-il faire, disait Samuel Vincent, en face du méthodisme ? Ma réponse se renferme en deux mots, beaucoup et rien.

Beaucoup dans le sein de l’Église, pour faire complètement le bien dont le peuple sent vivement le besoin, et que les méthodistes viennent lui offrir en partie.

Rien hors de l’Église, pour les troubler, pour les inquiéter, pour les gêner dans l’usage de leur liberté individuelle, pour empêcher leurs réunions, pour attirer sur eux l’inquisition et les rigueurs de l’autorité civile… Si tous craignez l’invasion des méthodistes dans vos églises, rendez-les inutiles. Votre peuple a besoin d’une religion plus profonde et plus vivante que celle dont il fut nourri, donnez-la lui. Il veut entendre parler de religion, et plus intimement qu’on ne lui en a parlé naguères : rapprochez-vous de lui ; appelez-le plus souvent près de vous ; appropriez votre langage à la portée de son intelligence et aux besoins de son cœur ; ne craignez point d’être familiers et populaires : c’est le peuple que vous avez à conduire… L’apparition du méthodisme parmi nous est-elle un bien ? est-elle un mal ? Je conçois les ennuis et les inquiétudes qu’il a causés dans plusieurs endroits. On peut dire que, dans quelques-uns, il s’est montré insupportable. Mais, quand je considère l’ensemble, quand je compare l’état religieux où nous sommes à celui où nous étions il y a douze ans, je ne puis m’empêcher de croire que l’apparition du méthodisme nous a fait du bien. Il a excité l’attention, rendu de l’intérêt aux discussions religieuses, fait naître des craintes justes ou exagérées, imprimé du mouvement. Dès lors l’indifférence a disparu. Chaque pasteur s’est rapproché de son troupeau, a fait plus de cas de l’instruction, a cherché des moyens de défense ; et tout a changé de face. Des améliorations ont été faites dans l’ordre et l’esprit du culte ; les écoles se sont multipliées ; les établissements utiles se sont fondés. Toutes ces choses sont excellentes sans le méthodisme. Elles n’ont pas besoin de lui pour faire du bien. Le mouvement général vers le perfectionnement de la société, qui se manifeste depuis la Restauration, aurait sûrement porté sur nous sa salutaire influence et nous aurait donné une bonne part de ce que nous avons. Tout cela est vrai. Mais ce qui est vrai aussi, c’est que l’introduction de ces mêmes améliorations date du même temps que celle du méthodisme, et s’est faite sur plusieurs points par les mêmes hommes. Il est vraisemblable que, sans lui, les communications eussent été plus lentes, et que nous serions moins avancés. Que sais-je ? le bien ne se serait fait que par raison, et la mollesse aurait lutté faiblement contre l’inertie du statu quo. Par la présence du méthodisme, le bien s’est fait de part et d’autre avec un peu de passion. Il y a gagné en vigueur, en persévérance et en force communicativeh. »

hVues sur le protestantisme, nouv. édit., 1859, p. 470, 475, 476.

On le voit, l’influence du Réveil sur l’Église en général n’est pas contestée par ceux-là mêmes qui ne se sont pas associés à son œuvre.

Au point de vue du culte, ce que nous avons gardé des innovations de l’époque, ce sont d’abord les réunions du soir. On sait quelle vive opposition ces réunions soulevèrent à Genève. Ces cultes « après le coucher du soleil » excitaient au plus haut degré l’hostilité de la Compagnie et de la majorité de la population. C’étaient de vrais scandales. On se racontait toutes sortes d’infamies qui, disait-on, s’y commettaient chaque jour. Quelques années après, on reconnaissait sans doute leur nécessité, puisqu’on en établissait dans l’Église nationale elle-même.

A Paris, on se heurta d’abord aux mêmes préjugés. Cependant Frédéric Monod prit l’initiative de faire un culte le soir dans la salle de l’école du dimanche (non dans le temple) de l’Oratoirei ; bientôt, sur ses instances et sur celles de quelques personnes, on décida de transporter ce culte dans le temple les derniers soirs de la semaine sainte. A l’église Taitbout, un service du soir fut organisé en 1840.

i – Ce culte fut inauguré par Marron le 30 mars 1828 ; il se composait de prières, de chants de psaumes et d’une exposition familière et pratique de la Bible (voir Arch. du christianisme, 1828, p. 190).

A Nîmes, en 1836, les pasteurs décidèrent d’ouvrir un culte le soir dans un local appelé l’Oratoire ; les motifs qu’ils donnent de leur détermination méritent d’être cités : ils sont pleinement en accord avec ce que disait Samuel Vincent, qui était, du reste, l’un des leurs ; pour lui, la pratique suivait parfaitement la théorie : « Pleins de sollicitude pour le troupeau qui leur est confié, les pasteurs de Nîmes avaient reconnu chez plusieurs fidèles qui le composent, un penchant assez prononcé pour les réunions d’édification, où l’on fait retentir d’ordinaire une parole plus familière, plus chaleureuse et plus intime. Plusieurs fois ce penchant avait été égaré, plus souvent encore il était demeuré sans aliment. A la vue de ces signes du temps, les pasteurs de Nîmes se sont arrêtés simultanément à l’idée d’offrir eux-mêmes aux âmes qu’ils sont appelés à diriger l’aliment spirituel sous cette forme qui paraît leur plaire et trouver le chemin de leur cœur. » Ces cultes avaient lieu le dimanche soir et le mardi soir ; c’étaient de simples explications de la Parole de Dieu, et les fidèles étaient invités à apporter leur Bible pour pouvoir profiter complètement de ces instructions. Le premier et le dernier chants étaient indiqués sur des tableaux et entonnés spontanément par l’assemblée ; on affichait aussi l’indication du texte de la méditation du jour, « afin que les fidèles puissent y réfléchir dès leur arrivée, avant l’ouverture du service. » Dans le cours du culte, quand le pasteur invitait l’assemblée à chanter, il lisait d’abord le chant tout entier, puis il le reprenait deux vers par deux vers, afin qu’il pût être chanté, même par les fidèles qui ne savaient pas lire. Quand quelque malade s’était recommandé aux prières des fidèles, l’assemblée chantait, après la première prière, un cantique approprié à cette circonstance.

Ce culte, où l’on reconnaît incontestablement l’influence des idées et des pratiques du Réveil, eut un très grand succès. Le nombre des auditeurs augmenta même à un tel point, que l’érection d’un nouveau temple, sous le nom d’Oratoire, fut reconnue indispensable et décidée. En attendant, les services du dimanche soir eurent lieu au Petit Temple, ceux du mardi soir dans le local appelé l’Oratoire. Notons encore un détail : au culte de l’Oratoire, les pasteurs n’étaient jamais en robe, mais en habit noir, et la prédication ne devait pas durer plus de quinze à vingt minutesj.

j – Voir Borrel, Notice historique sur l’Église de Nîmes, 1837, p. 89.

Nous avons donné quelques détails sur cette tentative si intéressante faite à Nîmes avec une pleine réussite, pour montrer combien ces cultes du soir, essayés d’abord avec timidité, entrèrent vite dans les mœurs. C’est là un des résultats visibles du Réveil : nous lui devons ce genre nouveau, les réunions.

Il faut y ajouter les réunions de prières, la participation des laïques à l’édification du troupeau, en un mot bien des choses qui ont rendu l’union entre les membres de l’Église plus intime et plus vivante.

Enfin, la célébration de la sainte Cène a été aussi depuis lors plus fréquente dans nombre d’Églises. Calvin lui-même s’était élevé à maintes reprises contre la rareté de cette cérémonie ; toutefois, dans les Églises nationales la communion n’est distribuée que quatre fois par an ; mais, dans des Églises qui, sans être des Églises libres proprement dites, sont cependant indépendantes de l’État, la sainte Cène est célébrée plus souvent, par exemple une fois par mois.

En résumé, l’influence du Réveil s’est fait sentir dans le nombre des cultes, qui a sensiblement augmenté, et dans leur ferveur, qui s’est accrue.

[Les services funèbres présidés dans les cimetières par les pasteurs ne remontent qu’à une date très récente : ainsi M. Borrel, dans sa Notice sur l’Église de Nîmes (1837), remarque que cette innovation a été essayée dans plusieurs Églises, et que, aux obsèques du fils de M. Guizot, un pasteur a parlé auprès de la tombe ; mais il ajoute que, à Nîmes, on n’a pas encore introduit cette pratique. (Voir aussi : Doumergue, L’unité de l’Église réformée, p. 82, 83)]

Jetons enfin un coup d’œil sur un dernier élément du culte, le chant.

[Voir Atger, Histoire et rôle des cantiques dans les Églises réformées de langue française (thèse). Genève, 1883. — Courtois, La musique sacrée dans l’Église réformée de France (thèse). Paris, 1887.]

Le chant a joué un grand rôle dans le Réveil. « Les méthodistes, dit Samuel Vincent, ont perfectionné le chant sacré ; ils l’ont rendu plus pur, plus harmonieux, plus religieux ; ils en font un grand usage dans toutes leurs réunionsk. »

kOp. cit., p. 467.

Au début même du Réveil c’étaient ordinairement les psalmodies moraves qui se chantaient chez Bost et dans la Société des Amis. Quand l’Église du Bourg-de-Four fut fondée, il se produisit pour le chant la même réaction que pour les autres éléments du culte ; les psaumes de Marot, même suivis des cantiques de Pictet, ne parurent plus suffisants pour traduire exactement les sentiments actuels du chrétien. Au reste, Samuel Vincent que nous aimons à citer parce qu’il n’est pas suspect de partialité en ces matières, reconnaît que, sans doute, les psaumes sont pleins de poésie. Ils contiennent l’expression libre et franche des émotions religieuses les plus profondes. Le génie oriental y respire avec tous ses élans et toute sa richesse. Mais c’est le génie oriental ; c’est plus encore, c’est le génie juif dans toute sa naïveté, dans toute son intensité, avec toutes ses particularités, avec toutes ses beautés et tous ses défauts, avec toutes ses richesses et toute sa pauvreté, avec ses amours et ses haines. C’est le génie juif ; ce n’est pas celui du christianisme, ni celui de l’humanité.

D’ailleurs, l’Église de la Confession d’Augsbourg et l’Église anglicane avaient, dès les débuts de la Réforme, chanté des cantiques ; quant à notre Église, si l’on excepte l’œuvre de Pictet, ce ne fut qu’au moment du Réveil que le cantique prit décidément droit de cité dans le culte ; au reste, les cantiques de Pictet eux-mêmes se rapprochent beaucoup plus des psaumes que de la généralité des cantiques admis plus tard dans nos recueils.

En 1817, Empaytaz publia un choix de cantiques chrétiens, empruntés pour la plupart au recueil des frères moravesl ; ce recueil fut remanié et augmenté on 1824, puis en 1836, par Rochat, Guers et F. Olivier, et celui de l’Église évangélique lui a fait en 1857 de larges empruntsm. Le nombre des psaumes, qui était au début assez considérable dans ce recueil, finit par diminuer peu à peu, et comme d’autre part on désirait y introduire beaucoup des innombrables cantiques parus à cette époque, il n’y eut plus dans l’édition de 1860 que dix psaumes fort abrégés et le mot de psaumes a disparu du titre du volume. C’est le recueil connu sous le nom de Cantiques en usage dans les Églises évangéliques de Genève et de Lyon.

l – Nous n’avons pas à parler ici des psalmodies moraves. On sait que leur principal caractère réside dans la place qui y est faite au Sauveur et à sa mort sanglante.

m – Voir Guers, Le premier Réveil, p. 170.

Mais les deux grandes productions du Réveil, dans lesquelles tous les autres recueils ont souvent puisé, sont les Chants de Sion et les Chants chrétiens.

César Malan a été le premier poète du Réveil. En 1821, il publia trente-cinq cantiques, destinés d’abord à l’usage des familles, sous ce titre : Cantiques chrétiens pour les dévotions domestiques. Peu après, une nouvelle édition parut, les Nouveaux cantiques chrétiens : elle contenait soixante chants. En 1824, Malan essaya de faire paraître une nouvelle version poétique des psaumes ; mais la première livraison n’ayant pas été accueillie avec faveur, il revint à ses cantiques, et en publia, sous le nom de Chants de Sion, une centaine. L’édition de 1828 en contint deux cents ; celle de 1832, deux cent trente quatre ; celle de 1836, trois cents. Ce chiffre n’a pas été dépassé. La dernière édition est de 1855.

De cette œuvre si considérable, il ne reste pas grand chose aujourd’hui ; quelques-uns des cantiques de Malan se sont disséminés dans divers recueils, mais les Chants de Sion eux-mêmes ont à peu près disparu du culte. Beaucoup avaient en effet un caractère très personnel, ou rappelaient trop les circonstances particulières dans lesquelles ils avaient été composésn. C’étaient souvent des rencontres tout à fait fortuites qui suggéraient à Malan l’idée d’un cantique, ou bien des événements de famille qu’il tenait à célébrer sous forme de louanges à Dieu.

n – Le beau cantique « C’est dans la paix que tu dois vivre » fut composé en réponse à une violente attaque du Journal de Genève.

Pour la musique, l’inspiration lui venait parfois d’une manière encore plus singulière : les sons produits par l’eau qui s’échauffait dans une bouilloire, au coin de son feu, le cri d’une charrette mal graissée qu’il rencontra sur une route, lui ont donné les premières notes de deux mélodies. Il avait une certaine difficulté à noter ses pensées musicales ; celles-ci étaient pourtant si distinctes, qu’il lui arriva parfois de se relever pour en écrire une qui l’empêchait de s’endormir. Mais pour la noter, il était obligé de tâtonner ; les connaissances techniques lui faisaient défauto.

o – Voir La vie et les travaux de C. Malan, p. 194-205.

Quoi qu’il en soit, les Chants de Sion ont eu, au moment de leur apparition, un très grand succès ; les Églises du Réveil ont souvent demandé à ces beaux cantiques d’augmenter l’édification de leur culte, et certainement ce succès aurait été plus durable, si la publication des Chants chrétiens, douze ans après les premiers Chants de Sion, n’avait pas, à cause de la variété et de la richesse de composition littéraire et musicale, éclipsé ce recueil qui, pour les paroles et la musique, était l’œuvre d’un seul homme.

Pour les Chants chrétiens, il s’est produit ce qui était arrivé pour les Chants de Sion. On publia d’abord six cantiques, à titre d’essai, pour les réunions de la salle Taitboutp. La tentative réussit au delà de toute espérance, et on se décida alors à éditer en 1834 un recueil contenant douze psaumes, y compris le cantique de Siméon, sept cantiques de Corneille, deux de Racine, six de Bénédict Pictet, quinze de Vinet, plusieurs des Chants de Sion, un de Félix Neff, et enfin, ce qui forme le trait essentiel des Chants chrétiens, de nombreux cantiques de M. Lutteroth pour les paroles, et de Mme Lutteroth pour la musique. Non seulement Me Lutteroth, sous le pseudonyme d’Henrich Roth, a composé la mélodie de quelques cantiques, mais encore elle a choisi dans les œuvres des grands maîtres et adapté la plupart des airs sous lesquels sont aujourd’hui connus et aimés un grand nombre de cantiques qui, jusqu’alors, n’avaient jamais été chantés.

pLe Semeur, 2 janvier 1833.

Les éditions suivantes des Chants chrétiens ont été toujours augmentées ; on y a ajouté notamment le cantique de Scherer : « Je suis à toi, » celui d’Adolphe Monod, « Que ne puis-je, ô mon Dieu, » celui d’Empaytaz, « Grand Dieu, nous te bénissons, » plusieurs de Bost, etc.

Tous les recueils actuellement existants sont plus ou moins tributaires des Chants de Sion et des Chants chrétiens, et là encore l’influence du Réveil s’est étendue bien au delà de l’époque où son œuvre immédiate s’accomplissait.

Si maintenant nous essayons précisément de nous replacer à cette époque, de nous représenter le milieu dans lequel ces cantiques furent composés et chantés, ces hymnes nous donneront une idée assez exacte de la piété du Réveil.

Le Réveil avait été d’abord un réveil de la doctrine, une réaction contre la négation et le doute, une affirmation des grandes vérités dogmatiques, le péché, le salut, l’œuvre de Jésus-Christ : ces sentiments se traduisent dans beaucoup de cantiques qui sont comme des déclarations et des confessions de la foi. Par exemple :

Éternel, ô mon Dieu, j’implore la clémence.

Dieu ! mon rocher, j’élève à toi mes cris.

Mon Dieu, quelle guerre cruelle,
Je trouve deux hommes en moi.

Sous ton voile d’ignominie,
Sous ta couronne de douleur,
N’attends pas que je te renie,
Chef auguste de mon Sauveur.

Agneau de Dieu, par tes langueurs,
Tu pris sur toi notre misère.

      Ecoutez tous une bonne nouvelle,
C’est pour sauver que Jésus-Christ est mort, etc.q

q – Auteurs respectifs : Docteur Lamouroux, Malan, Racine, Vinet, Malan, Lutteroth.

Le Réveil a été un réveil de la vie chrétienne ; aussi on chantera désormais que dans toutes les manifestations de notre activité, ce n’est pas nous qui vivons, mais Christ qui vit en nous. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire :

Dans le désert où je poursuis ma route,
Vers le pays que je dois habiter.
Que nul ennui, nul travail ne me coûte,
Car c’est du ciel que je dois hériter.

Saint des saints, tout mon cœur veut s’élever à toi.

Mon cœur joyeux, plein d’espérance,
S’élève à toi, mon Rédempteur.

C’est moi, c’est moi qui vous console,
A dit l’Éternel aux pécheurs.r

rChavannes, peut-être Juillerat, Malan, Malan, Lutteroth.

Le Réveil a été le signal et en même temps la cause d’une union plus grande entre les chrétiens ; ils se sont rapprochés les uns des autres. Le cantique : Tu nous aimes, Seigneur, comme Dieu, comme Père, exprime admirablement, surtout dans les derniers versets, ce sentiment de fraternité chrétienne.

O Seigneur, qu’il est doux, qu’il est bon pour des frères
De t’offrir en commun leurs vœux et leurs prières
      Et de travailler réunis ;

De s’aider au combat, de partager leurs joies
Et de marcher ensemble en ces pénibles voies
      Où tu diriges et bénis !

Le Réveil a été une marche conquérante de l’Église, une puissante impulsion pour l’évangélisation et la prédication de la Parole. Voici les promesses faites à cette Église, rappelées dans le beau cantique de Félix Neff :

Ne te désole point, Sion, sèche tes larmes,
L’Éternel est ton Dieu : ne sois plus en alarmes ;

la joie d’aller prêcher la bonne nouvelle, exaltée dans celui-ci :

Qu’ils sont beaux sur les montagnes
Les pieds de tes serviteurs.

Pour toutes ces grâces, que le nom de Dieu soit à jamais béni, et alors le Te Deum d’Empaytaz monte à nos lèvres :

Grand Dieu, nous te bénissons.

Joie pour l’Église, pour l’avancement du règne de Dieu ; mais joie aussi pour notre vie intérieure, joie de la délivrance du péché, joie du salut individuel, et l’Église chantera, avec Adolphe Monod :

Que ne puis-je, ô mon Dieu, Dieu de ma délivrance,
Remplir de ta louange et la terre et les cieux,
Les prendre pour témoins de ma reconnaissance,
Et dire au monde entier combien je suis heureux !

L’épreuve, le deuil, la souffrance, rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu, manifesté en Jésus-Christ ; c’est ainsi que le comprenaient ceux qui disaient à Dieu :

Seigneur, dans ma souffrance,
A toi seul j’ai recours.

On le voit, toute la piété du Réveil se retrouve dans les Chants chrétiens.

Un caractère qui distingue généralement les cantiques de cette époque, c’est le mouvement dans les idées, la gradation, la méthode analytique de la composition. Chaque verset exprime une idée nouvelle qui succède logiquement à l’idée du verset précédent. Prenons pour exemple le cantique de Scherer. C’est le cri d’adoration et de louange d’une âme convertie et parvenue à la connaissance et à l’expérience du salut : le premier verset est comme l’exorde, l’exposition de l’état actuel de l’âme rachetée :

Je suis à toi ! gloire à ton nom suprême !
O mon Sauveur ! je fléchis sous ta loi.
Je suis à toi, je t’adore, je t’aime ;
      Je suis à toi, je suis à toi !

Mais cette situation privilégiée, le chrétien ne l’a conquise qu’après de douloureuses expériences ; son intelligence, son cœur ont dû être d’abord éclairés :

J’errais, perdu dans les sentiers du doute,
Le vide au cœur et la mort devant moi,
Lorsque tu vins resplendir sur ma route ;
      Je suis à toi, je suis à toi !

Après ses facultés qui ont été ainsi délivrées de l’erreur, c’est sa vie entière qui a été soustraite à la domination du péché :

Jadis, j’étais sous l’empire du monde,
Mais aujourd’hui Jésus-Christ est mon roi.
Ton joug est doux et ta paix est profonde ;
      Je suis à toi, je suis à toi !

Comment s’est fait ce changement ! Est-ce sous l’empire de la crainte ou de l’amour ? Sont-ce les foudres du Sinaï qui ont épouvanté le pécheur ? A-t-il trouvé un Dieu sévère qui lui a reproché son incrédulité et ses chutes ? Non, certes, c’est bien plutôt le retour de l’enfant prodigue à la maison paternelle :

Les bras ouverts, les yeux pleins de tendresse,
Ce bon Sauveur m’accueille et me reçoit ;
Auprès de lui j’accours et je m’empresse ;
      Je suis à toi, je suis à toi !

Et maintenant tout est paix et joie pour lui : tous les désirs de son cœur ont trouvé en Christ leur pleine satisfaction ; à l’agitation, à l’inquiétude d’autrefois ont succédé le calme et le repos :

En te trouvant, j’ai trouvé toute chose,
Et ce bonheur m’est venu par la foi.
C’est sur ton sein qu’en paix je me repose ;
      Je suis à toi, je suis à toi !

Il y aurait pourtant une ombre à ce tableau. Cette joie d’aujourd’hui ne peut-elle disparaître demain ? Cette foi ne peut-elle s’ébranler ? Cette vie chrétienne ne peut-elle défaillir ? Non, c’est pour toujours que le racheté est heureux ; c’est pour toujours qu’il appartient à Jésus-Christs :

s – Hélas ! quel douloureux démenti a été donné à ces promesses !

Nul ne saurait m’effacer de ton livre ;
Nul ne saurait me soustraire à ta loi.
C’est ton regard qui fait mourir et vivre ;
      Je suis à toi, je suis à toi !

Alors, il n’y a plus rien à ajouter : la promesse est faite pour le temps et pour l’éternité ; tout est lumineux, la terre rejoint le ciel : ici-bas Jésus-Christ, là-haut Jésus-Christ, encore, toujours Jésus-Christ :

Sur cette terre où tu veux que j’habite.
O mon Sauveur, mon Dieu, je suis à toi !
Et dans le ciel, où ta grâce m’invite,
      Encore à toi, toujours à toi !

Remarquons la modification du dernier vers qui est comme un refrain ; dans les autres versets, même lorsque le poète exprimait les angoisses du doute ou les douleurs du péché, il ajoutait toujours comme finale : « Je suis à toi, je suis à toi ! » ; c’était pour faire encore mieux ressortir le contraste entre ces temps de misère spirituelle et la paix d’aujourd’hui que rien ne peut enlever. Mais maintenant tout cela est oublié : il ne veut plus voir que Christ ; un dernier élan, et, changeant le refrain, il prononce ce mot, sur lequel aucun autre ne peut renchérir, toujours : Encore à toi, toujours à toi !

Tels sont, à peu d’exceptions près, les cantiques du Réveil.

Evidemment cette méthode a de grands avantages ; elle évite les remplissages, les répétitions ; elle nous a donné des compositions qui expriment des états d’âme bien définis, qui sont, par conséquent, de véritables appels à des consciences traversant des crises semblables.

Mais elle a aussi ses inconvénients ; elle peut parfois conduire à la dissertation psychologique, et nuire ainsi à la libre inspiration.

[« Il y a dans ces chants plus de profondeur que de plénitude, plus de psychologie que d’élan. L’analyse, souvent fine, y occupe trop de place. On sent plutôt un chrétien qui se confesse qu’une Église qui fait monter sa voix à Dieu » (Revue chrétienne, 1855 ; de Pressensé, Rapide aperçu sur l’histoire du cantique, p. 723 et suiv.)]

Le dogmatisme des chants du Réveil leur a été souvent aussi reproché : il s’explique, si l’on réfléchit, comme nous l’avons dit, aux circonstances dans lesquelles ils ont été composés et aux Églises qui les ont chantés. Quelques cantiques de Malan ont été, en particulier, très vivement critiqués. Bost, par exemple, y déplore des exagérations et des expressions malheureusest.

tMémoires, t. I, p. 385 et suiv.

Quoi qu’il en soit, les chants du Réveil ont en un succès qui a bien couronné les efforts des poètes et des musiciens chrétiens de notre siècle, et nos Églises ne sauraient leur être assez reconnaissantes d’avoir introduit et acclimaté chez nous cet élément nouveau du culte, le cantique.

Si maintenant, comme conclusion à cette étude, nous essayons de rechercher la différence qui existe entre la piété des huguenots et la piété du Réveil, nous la trouverons dans la comparaison des Psaumes et des Cantiques. Evidemment, les sentiments qui sont exprimés diffèrent dans les uns et dans les autres. La joie des Psaumes, par exemple, n’est pas celle des Chants chrétiens. La joie des Psaumes est plus solennelle, plus mesurée ; celle des Chants chrétiens est plus débordante ; par exemple, la joie du psaume 103 :

Bénissons Dieu, mon âme, en toute chose,

n’est pas celle du cantique :

Je la connais, cette joie excellente,

ou de celui-ci :

L’Éternel est ma part, mon salut, mon breuvage.

La joie des Psaumes est plutôt une ferme assurance en la bonté et la toute-puissance de Dieu, qui a soutenu au travers des épreuves du passé et qui fortifiera dans les luttes de l’avenir. C’est la joie d’hommes toujours prêts au combat et dont cette perspective rend la vie, la parole, le chant sérieux et graves ; c’est la joie d’hommes qui vont tout à l’heure, peut-être, mourir pour leur foi, et qui alors ne craindront pas de redire sur les marches de l’échafaud l’expression de cette joie :

La voici l’heureuse journée
Qui répond à notre désir.
Louons Dieu qui nous l’a donnée,
Faisons-en tout notre plaisir.

Tout autres étaient le temps, le milieu, les circonstances du Réveil ; tout autres en ont été les productions, tout autre la piété même. Il nous semble que s’il fallait caractériser d’un seul mot la différence de ces piétés, il n’y aurait qu’à rapprocher deux épithètes : au temps des huguenots, on appelait un chrétien un homme de Dieu ; au temps du Réveil, on l’a appelé un enfant de Dieu.

La piété du Réveil a été moins virile dans son expression que celle des pèresu, moins virile, ce qui ne signifie pas moins austère : on se souvient de ce que nous avons dit de la société protestante de Paris en 1830 et de la rigidité de ses mœurs.

u – On peut encore s’en rendre compte en parcourant la littérature religieuse de l’époque, sermons, ouvrages d’édification, etc.

Mais il est incontestable que cette piété a quelque chose de moins grandiose, de moins auguste que celle des anciens jours. Le sentiment de l’adoption des enfants de Dieu y est peut-être plus développé ; le sentiment de la vigueur, de la puissance des hommes de Dieu y est peut-être plus atténué. C’est une lacune. Il eût mieux valu faire moins grande la place du sentimentalisme, prendre à nos pères quelque chose de cette forte piété qui n’excluait pas le sentiment de la finalité divine ; le Réveil n’y aurait probablement pas perdu en étendue, et il y aurait certainement gagné en profondeur.

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