Le Jour du Seigneur, étude sur le Sabbat

1.2.2.5 — Grecs et Romains.

Nous voudrions, au sujet des anciens Grecs, établir surtout 1° que malgré ce qui a été dit et répété, ils n’avaient, aux temps où ils nous sont vraiment connus, ni la semaine, ni la célébration d’un 7e jour hebdomadaire, mais 2° que le nombre 7 était chez eux, au moins autant qu’ailleurs, marqué d’un sceau singulièrement significatif.

Sur ce dernier point, il convient de s’occuper simultanément des Grecs et des Romains, car ceux-ci subirent de bonne heure l’influence de ceux-là et devinrent de ces disciples qui aident beaucoup à comprendre leurs maîtres. D’autre part, avant de parler de l’importance du septénaire, nous rechercherons ce qui chez les Romains peut être rattaché plus directement à la double institution de la semaine et du repos du 7e jour, et nous terminerons, comme contre-épreuve, par quelques indications positives sur l’introduction de la semaine et de la semaine planétaire dans l’empire romain.

L’étude que nous allons présenter s’est allongée au delà de nos prévisions. Il y a là des matières intéressantes et peu connues. Puis, les Apologètes s’étant laissé dès les temps anciens induire en erreur, il importe de s’en rendre compte, mais en même temps de reprendre le fond de leur thèse, qui sous des formes nouvelles peut être défendue.

Semaine et célébration d’un 7e jour hebdomadaire chez les grecs.

Sans revenir sur les auteurs modernes qui ont prétendu que l’institution de la semaine se retrouvait dans toute l’antiquité, nous mentionnerons seulement Oschwald, qui parle expressément et sommairement des Grecs comme ayant eu à la fois la semaine et la célébration du 7e jour. Cette erreur a été fort répandue, et la source n’en est rien de moins que le témoignage de Clément d’Alexandrie et d’Eusèbe de Césarée.

Dans les Stromates, Clément, après avoir indiqué les emprunts que selon lui les Grecs ont faits aux livres hébreux, arrive à signaler dans le 10e Livre de la République de Platon une étrange prédiction du Jour du Seigneur, c’est-à-dire du dimanche, puis il s’exprime ainsi :

§ 108. Le 7e jour aussi est connu comme saint, non pas seulement par les Hébreux, mais encore par les Grecs, en tant que le chiffre de ce jour est celui des révolutions du monde entier, de tous les animaux et de tous les autres êtres de la nature. Hésiode s’exprime ainsi sur ce jour : « D’abord le 1er, puis le 4e et le 7e jour, jour sacré. » Et encore : « De nouveau au 7e jour la brillante lumière du soleil. » Homère dit aussi : « Au 7e jour vint ensuite un jour sacré. » Et : « Le 7e jour était sacré. » Et encore : « C’était le 7e jour dans lequel tout fut accompli. » Et de nouveau : « A la 7e aurore, nous quittâmes les rives de l’Achéron. » Callimaque le poète va jusqu’à dire : « A la 7e aurore, ils avaient tout fait » (ou : toutes choses avaient été faites). Et encore : « Le 7e jour est dans les jours favorables, et le 7e jour est un jour de naissance. » Et : « Le 7e jour est dans les premiers, et le 7e jour est parfait. » Et : « Par sept toutes choses avaient été faites dans le ciel sidéral, apparaissant en cercles par années ordonnées » (ou : ordonnées par années).

§ 109. Les élégies de Solon exaltent aussi extrêmement l’heptade.

Ces lignes de Clément se retrouvent deux fois, sauf quelques modifications, dans la Prép. évang. d’Eusèbe, mais la 1re fois à la fin d’une longue citation d’Aristobule, dit « philosophe hébreu » (fin du chap. 11) ; la 2de fois, comme faisant partie d’une citation de Clément. A la fin du chap. 12, Eusèbe dit expressément : « Toutes ces citations sont tirées d’Aristobule, semblables à ce que Clément a dit sur le même sujet : vous allez en juger par ce qui suit. »

Les quelques modifications auxquelles nous avons fait allusion, sont surtout celles-ci : 1° Les vers attribués par Clément à Callimaque, le sont par Aristobule à Linus ; 2° On ne trouve pas dans Aristobule la 2de citation d’Homère faite par Clément. Il n’en est pas moins évident que Clément lui-même, sans en avertir, n’a guère fait que citer Aristobule. Mais, avant de revenir sur les citations faites par Clément et Aristobule, recherchons qui était celui-ci.

« Aristobule, philosophe juif, dont le nom nous a été transmis par Eusèbe et S. Clément d’Alex., dit Ad. Franck dans son Diction. des Sciences philosoph., florissait dans cette dernière ville sous le règne de Ptolémée Philométor, c’est-à-dire environ 150 ans avant l’ère chrétienne. Telle est du moins l’opinion la plus probable, car il y a aussi un texte qui le fait vivre sous Ptolémée Philadelphe. II a composé sur le Pentateuque un commentaire allégorique et philosophique. Cet ouvrage n’est point parvenu jusqu’à nous ; mais les deux auteurs ecclésiastiques que nous avons cités plus haut, nous en ont conservé quelques fragments… Aristobule peut être regardé comme le fondateur de cette école moitié perse moitié grecque, dont Philon est la plus parfaite expression, et qui avait pour but, en faisant de l’Écriture une longue suite d’allégories, de la concilier avec les principaux systèmes de philosophie, ou plutôt de montrer que ces systèmes sont tous empruntés des livres hébreux. Pour prouver que toute sagesse vient des Juifs, Aristobule, comme un grand nombre de ses successeurs, ne se contente pas d’expliquer la Bible d’une manière allégorique, il a aussi recours à des citations falsifiées. C’est ainsi qu’il rapporte un fragment des œuvres d’Orphée, où cet ancien poète de la Grèce parle d’Abraham, des dix commandements de la Loi … »

Reprenons maintenant les principales citations :

La première citation d’Hésiode est le vers 770 de Opera et dies ; mais d’après le contexte, il y est question du 7e jour, non de la semaine, mais du mois, jour consacré, comme nous le relèverons plus tard, à Apollon, en souvenir de sa naissance. Voici en effet la traduction du passage d’où le vers est tiré : « Observe les jours d’après l’ordre établi par Jupiter, pour les apprendre à tes esclaves ; le 30e jour du mois est le plus convenable pour l’inspection de leur travaux et le partage de leur salaire, lorsque les peuples rassemblés entendront les arrêts de la justice. Voici les jours qui viennent du prudent Jupiter : d’abord le 1er de la nouvelle lune, le 4e et le 7e, jour sacré où Latone enfanta Apollon au glaive d’or. » La 2de citation d’Hésiode n’a aucune force probante. La 3e citation d’Homère : « C’était le 7e jour, dans lequel tout fut accompli », a ceci de très fâcheux que dans le texte homérique il est parlé non du 7e jour, mais du 4e. En outre, il s’agit tout simplement des préparatifs d’Ulysse pour son départ de l’île de Calypso : au bout de 4 jours ils sont terminés et d’après le vers suivant, « le 5e jour, » le héros reçoit de la déesse la permission de quitter son île. Les trois autres citations d’Homère sont reconnues supposées et de fabrication judéo-grecque.

Les trois fragments allégués par Clément comme étant de Callimaque, étaient attribués par Aristobule à Linus. Callimaque était un poète grec, né à Cyrène environ 270 ans avant Christ, et qui vécut à Alexandrie sous le règne de Ptolémée Philadelphe. De ses nombreux ouvrages il ne reste que des Hymnes et des Epigrammes, et l’on n’y retrouve pas les vers que lui attribue Clément. Linus était un personnage beaucoup plus ancien, mais il se présente à nous sous un aspect extrêmement mythique. « Que le nom de Linus soit pseudonyme, dit Séguier, il n’y a aucun doute, non plus que pour tous les vers qu’on lui attribue ; mais qu’on lui ait substitué celui de Callimaque dans saint Clément et que Bentley n’ait pas relevé cette erreur ou cette fraude et y ait adhéré dans sa publication des fragments de ce poète, voilà ce qui a surpris avec juste raison, tous les critiques. »

Enfin, quant aux élégies de Solon, dont il est question comme « exaltant aussi extrêmement l’heptade », nous connaissons en effet une remarquable poésie de cet illustre Grec sur la vie humaine, comme composée au plus de 10 phases comptant chacune 7 années.

Ce que nous venons de constater au sujet des fragments cités par Clément et Eusèbe soulève plusieurs questions assez délicates de critique et de moralité littéraires. Il y a là des falsifications d’interprétation et même de texte, dont Aristobule semble avoir été l’auteur, et c’est ce qui explique peut-être, au moins en partie, comme le pense Valckenaer, pourquoi PhiIon, qui cependant relève d’Aristobule à tant d’égards, ne le cite jamais. En outre, on ne comprend pas comment Clément a si légèrement fait des emprunts à Aristobule, sans même le dire, ni comment il attribue à Callimaque ce qui selon Aristobule était de Linus. D’autre part on se demande comment Eusèbe a pu citer de pareils morceaux d’Aristobule et de Clément sans paraître se douter de leur caractère suspect.

Mais ce que nous avons surtout à relever, c’est que les citations de Clément et d’Eusèbe ne prouvent d’aucune manière que les anciens Grecs aient célébré un 7e jour hebdomadaire, ni même aient connu la semaine. Et ce résultat nous surprend d’autant moins qu’on est bien renseigné sur la manière dont ils divisaient généralement le mois. Ils le divisaient, en effet, non pas en semaines, mais en décades (δεχὴμερον), comme cela apparaît déjà dans Hésiode, et principalement chez les Athéniens.

Semaine et célébration d’un 7e jour hebdomadaire chez les romains.

On a souvent rapproché du sabbat la fête romaine des Saturnales. On y était d’autant plus porté que la connaissance et l’adoption de la semaine planétaire se répandirent rapidement dans l’empire romain et que parmi les jours de cette semaine celui de Saturne coïncidait précisément avec le sabbat, de telle sorte que le même jour était appelé assez indifféremment par des écrivains fort divers sabbat et jour de Saturne. Mais on ne peut guère insister sur ce rapprochement.

  1. Les Saturnales étaient une fête essentiellement ancienne et romaine, tandis que la dénomination du jour de Saturne était en Italie d’importation étrangère et relativement récente.
  2. Le Saturne romain, dieu des Saturnales, apparaît comme fort différent de l’Adar des Chaldéens et même du Kronos des Grecs, bien que ces deux derniers fussent appelés aussi Saturne par les Romains.
  3. La fête n’était point hebdomadaire, mais annuelle.
  4. Elle peut renfermer quelque lointain souvenir de la vie paradisiaque, souvent appelée par les païens l’âge d’or, mais il est difficile d’y voir un rapport avec le repos du 7e jour. Il y en aurait un cependant, mais fort éloigné, si, comme l’ont admis des auteurs très anciens et compétents, les Saturnales étaient primitivement une fête de sept jours.

L’institution des Saturnales nous parait donc avoir peu de rapport avec la semaine et le repos du 7e jour, mais il en est autrement de l’institution des nundines (nundinae), elle aussi profondément romaine et très caractéristique.

Rappelons d’abord brièvement comment les Romains divisaient le mois par le moyen des calendes, des ides et des nones. Le jour des calendes était le 1er jour du mois et il était ainsi désigné parce qu’en ce jour, dans les temps anciens, un prêtre, après l’observation de la nouvelle lune et l’offrande d’un sacrifice, proclamait au Capitole devant le peuple s’il devait y avoir cette fois 5 ou 7 jours entre celui des calendes et celui des nones, ces deux jours y compris, si les nones tomberaient sur le 5 ou le 7 du mois.

Ne l’oublions pas en effet : quand les Romains mesuraient l’intervalle qui séparait 2 jours placés à quelque distance l’un de l’autre, ils comptaient dans l’intervalle non seulement le jour du point de départ, le terminus a quo, mais encore celui du point d’arrivée, le terminus ad quem. Dans ce qui va suivre, nous suivrons en général le même procédé. Le prêtre prononçait donc 5 ou 7 fois la formule : Dies te quinque (ou septem) calo, Juno Novella, suivant que l’intervalle entre les calendes et les nones était de 5 ou de 7 jours. Par contre, il y avait invariablement 9 jours entre les nones et les ides ; les ides tombaient sur le 13 ou sur le 15, suivant que les nones étaient le 5 ou le 7. Le jour des nones (nonæ), était ainsi appelé, suivant une étymologie très recommandée, parce qu’il était le 9e jour avant les ides. On comptait à reculons, soit les jours entre les calendes et les nones, soit ceux qui séparaient les nones des ides : les premiers à partir des nones, les seconds à partir des ides.

Les ides partageaient le mois en deux parties à peu près égales et de là le nom de ce jour, venu peut-être d’un mot étrusque iduare, signifiant diviser. Le mot ides (idus) correspondrait alors à l’expression διχομηνία, dont les Grecs se servaient pour désigner la pleine lune. Les jours qui suivaient les ides, étaient comptés à partir des calendes du mois suivant. Les calendes correspondaient évidemment à la nouvelle lune ; les ides, à la pleine lune et les nones, au 1er quartier. Les calendes et les ides étaient des jours religieux, consacrés par des sacrifices : les calendes, à Junon et les ides, à Jupiter. Mais on ne peut pas en dire autant des nones.

Quant aux nundines, qui avaient un certain rapport avec les nones et peut-être se confondaient avec elles à l’origine, elles étaient, comme les ides, consacrées à Jupiter. Bien que deux nundines consécutives fussent séparées par un intervalle de 9 jours, comme le nom même l’indiquait (nono quoque die), il en résultait une semaine de 8 jours.

On parle quelquefois de cette institution comme surtout propre aux campagnards, qui travaillaient 7 jours dans les champs, puis venaient en ville le 8e (comme nous dirions) pour vendre et acheter, ce jour étant un vrai jour de marché. Mais les nundines avaient aussi de l’importance au triple point de vue civil, politique et religieux. D’abord c’étaient des jours fasti, c’est-à-dire des jours de tribunal, dans lesquels les rois eux-mêmes rendaient la justice ; puis plus tard, les préteurs.

En second lieu, les campagnards venaient alors à Rome pour prendre connaissance des projets de loi et, s’il y avait lieu, pour voter à leur sujet. Une loi promulguée l’an de Rome 656 stipulait que tout projet de loi devait être soumis à l’examen de tous les citoyens un trinundinum, c’est-à-dire l’espace qui séparait trois nundines, soit 17 jours. Enfin, chaque nundine on immolait à Jupiter un bélier dans la Regia Flaminica.

Le caractère religieux des nundines était très ancien, et les opinions partagées sur leur origine. Les uns la rapportaient à Romulus, lorsqu’il appela Tatius à partager la royauté ; d’autres, à l’Etrusque Servius Tullius. Suivant d’autres, parmi lesquels Varron, le jour des nundines aurait commencé à être célébré après l’expulsion des rois. Il ne serait peut-être pas difficile de combiner là aussi les diverses opinions, en tenant compte du développement de l’institution. Tandis que les calendes, les nones et les ides dépendaient du mois, les nundines, au moins telles quelles étaient déjà célébrées de très bonne heure, étaient complètement indépendantes du mois et même de l’année, comme nos semaines et nos dimanches.

Seulement on évitait soigneusement qu’elles tombassent sur les premières calendes de l’année et sur les nones. Après l’expulsion des rois, dit-on, le peuple romain célébrait avec la plus grande ardeur tous les jours de nones, parce qu’on pensait que Servius Tullius était né un de ces jours et qu’on en ignorait le mois. Aussi les magistrats, craignant que la multitude assemblée en un jour rentrant à la fois dans les nones et dans les nundines ne fit quelque soulèvement pour rétablir la royauté, décidèrent-ils de séparer à jamais les deux jours. Dans ce but, ou pour empêcher les calendes de janvier de tomber sur une nundine, on ajoutait ou l’on retranchait un jour dans l’année. On changeait ainsi le nombre des jours d’un mois et même d’une année, mais on respectait l’ordre des nundines.

Dans les calendriers romains, la semaine de 8 jours, avec la nundine qui la terminait, était désignée par les huit premières lettres de l’alphabet, appelées pour cette raison lettres nundinales, à peu près comme les 7 jours hebdomadaires sont indiqués dans nos calendriers par les initiales des noms de ces jours. Et il en était pour les nundines comme il en est actuellement pour nos dimanches ; elles ne tombaient pas toutes les années sur les mêmes quantièmes du mois, et ces variations constituaient un certain cycle analogue à celui qui, pendant une période de 28 ans, régit le rapport de nos dimanches avec les quantièmes.

Les Etrusques, à qui les Romains devaient le nom des ides, avaient aussi des nones ; mais il en avaient plusieurs dans chaque mois. On en a conclu avec assez de probabilité, que les nundines venaient des Etrusques, que primitivement elles étaient identiques aux nones et que la séparation se fit plus tard, peut-être après l’expulsion des rois : les nones restant purement mensuelles et étant réduites à l’unité pour chaque mois, les nundines, au contraire, étant indépendantes du mois et revenant rigoureusement tous les 9 jours. Ce serait un jour de nones qui aurait déterminé la première des nundines et qui aurait ainsi présidé à leur organisation perpétuelle. A l’origine, les nones se seraient donc confondues avec les nundines pour ne former qu’une seule institution, appelée probablement les nones ; puis, cette institution se serait bifurquée chez les Romains, en devenant, d’un côté, les nones, qui auraient conservé certains caractères de l’institution, mais n’auraient plus eu lieu qu’une fois par mois et auraient aussi perdu presque tout leur caractère religieux et, de l’autre, les nundines qui se seraient affranchies du mois et auraient hérité de la meilleure part des anciennes nones.

Les nundines étaient très soigneusement observées. Nundinas quoque vesiras nescire me fateor, de quibus observatio tam diligens, tam cauta, narratur, dit l’égyptien Norus, dans le dialogue des Saturnalia. Elles durèrent jusqu’à ce qu’un édit de Constantin les eût remplacées par nos dimanches. Mais même alors elles ne disparurent pas complètement et l’on a trouvé un calendrier, probablement du ive siècle, qui indique à la fois les nundines et les dimanches. Les nundines ne disparurent que depuis un édit de Théodose, qui prescrivit la célébration exclusive du dimanche.

En résumé, l’institution des nundines paraît si remarquable qu’on ne saurait la comparer qu’à celle de la semaine et du sabbat chez les Chaldéens. Si, d’un côté, ceux-ci ont conservé en général le vrai nombre des jours de la semaine, le nom même de sabbat et le repos comme caractère fondamental du 7e jour hebdomadaire, en revanche, la semaine n’est point chez eux indépendante du mois, comme elle l’est chez les Romains, et chez ceux-ci le dernier jour de leur semaine de 8 jours a bien un caractère religieux.

Terminons par deux citations d’éminents spécialistes, intéressantes à plus d’un égard pour notre étude.

« L’observation des 4 phases lunaires, aussi ancienne que l’humanité, dit Mommsen, a donné naissance au mois et à la semaine, incontestablement la plus ancienne division du temps déjà pour nos ancêtres les plus reculés, comme le prouvent le calendrier romain et même encore le calendrier actuel, dans lesquels la semaine est un élément hétérogène, en quelque sorte conservé seulement comme mémorial. Aussi longtemps que le calcul du temps fut déterminé par l’observation immédiate du disque tour à tour croissant ou diminuant, le quart de la lunaison, qui, comme on le comprend, devait se mesurer en jours entiers, alternait inégalement entre 7 et 8 jours, puisque le mois synodique dure 29 jours 12 h, 44 min, et le quart de la lunaison, environ 7,37 jours. L’année lunaire de 354 jours se compose ainsi de 30 semaines de 7, jours et 18 semaines de 8 jours. Ainsi s’expliquent les différentes institutions de la semaine, soit qu’on puisse historiquement les rapprocher les unes des autres, soit qu’elles se soient développées simultanément sous l’influence des mêmes causes. Comme on le sait, l’Orient connaît depuis les plus anciens temps la semaine de 7 jours et, à ma connaissance, aucune trace de la semaine de 8 jours ne s’y est conservée. En Grèce, toute l’institution a complètement disparu avec la plupart de celles qui remontent à la plus haute antiquité, à moins toutefois qu’on ne reconnaisse dans la période de l’octaétéride une semaine d’années. Mais en Italie la semaine se présente de la manière la plus antique et la plus intéressante. La semaine latine est de huit jours et elle porte en conséquence le nom du 9e jour (nundinum). Ici pourtant s’est conservée une trace d’ancienne hésitation dans l’antique institution, puisque le nom de la fille devait être donné le 8e jour après la naissance, et le nom du garçon, le 9e : c’està-dire, dans le 1er cas, après une semaine de 7 jours, et dans le 2d, de 8 jours. »

Nous ne pourrions pas nous approprier tout ce que dit à ce sujet Mommsen. Nous ne croyons pas, en particulier, que l’institution de la semaine ait été fondée sur la seule observation des phases de la lune. Pour nous, dans les racines mêmes de l’institution, s’entre-croisent souvent l’influence d’une tradition primitive et celle de l’observation des phases lunaires, sans qu’on puisse toujours démêler ce qui tient à l’une ou à l’autre influence, cette observation, du reste, nous paraissant se rattacher elle-même à la tradition primitive. Mais l’appréciation que fait Mommsen de la semaine romaine, la manière dont il relie cette semaine de 8 jours, non moins que celle de 7, aux phases de la lune, l’hésitation dont il croit reconnaître des traces, entre ces deux semaines, le contraste qu’il signale entre les Grecs et les Romains, ces derniers étant de beaucoup les plus conservateurs, tout cela nous paraît d’un haut intérêt.

Notre seconde citation sera tirée de Huschke, qui a beaucoup étudié « la vieille année romaine et ses jours », et qui est loin d’être toujours d’accord avec Mommsen. Entre autres, il ne comprend pas comme lui la lutte qui aurait eu lieu, dans les premiers temps de l’Etat romain, entre la semaine de 7 jours et celle de 8, et le point de vue qu’il expose est très digne d’être signalé. S’appuyant sur un fragment d’un ancien calendrier sabin-romain, communiqué par de Rossi à Mommsen, calendrier qui est de l’époque des premiers empereurs et où se trouvent juxtaposées les deux semaines, celle de 7 jours avant celle de 8, Huschke prétend que les Sabins avaient primitivement la semaine de 7 jours et que, devenus Romains, ils la conservèrent comme droit municipal. En faveur de cette opinion, il cite plusieurs traces qu’aurait laissées dans les coutumes romaines la semaine primitive des Sabins. Il signale en particulier cette même coutume de donner le nom de famille au garçon 8 jours après sa naissance, à la fille 7 jours après, et il allègue à l’appui de son interprétation le fait que depuis l’enlèvement des Sabines, on comparait volontiers le rapport entre Romains et Sabins aux relations conjugales.

Mommsen a expliqué la mention de la semaine de 7 jours dans le calendrier susmentionné, d’abord par l’influence de la semaine orientale, puis par celle d’une superstition privée. Schrader, en 1874, ne se prononçait pas entre Mommsen et Huschke ; de même Lotz, en 1883. Nous inclinerions pour l’opinion de Huschke.

introduction de la semaine et de la semaine planétaire dans l’empire romain.

Dans la première moitié du troisième siècle de notre ère, Dion Cassius, après avoir parlé de la prise de Jérusalem par Pompée, des Juifs et de leur sabbat, « le jour qui porte le nom de Saturne, » consacre deux paragraphes entiers à la désignation planétaire des jours de la semaine, et expose même les deux théories qui, suivant lui, ont présidé à cette désignation ainsi formulée : Saturne, Soleil, Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus. D’après lui, cette désignation venait des Egyptiens, par où, paraît-il, il faut entendre surtout les astronomes égyptiens postérieurs, c’est-à-dire des Grecs alexandrins ; elle existait alors chez les Romains et « parmi toute sorte d’hommes » ou « dans tous les pays, » comme une coutume nationale, mais sans remonter à une époque bien éloignée, sans avoir en particulier existé chez les Grecs.

Cette désignation planétaire des jours de la semaine était donc au commencement du troisième siècle et depuis un temps assez long très répandue dans l’empire romain : voilà qui est clair, positif et bien propre à servir de jalon dans l’histoire de la semaine et de la semaine planétaire dans cet empire. Le fait est du reste amplement confirmé. Il l’est en particulier, soit par une poésie d’Ausone, qui vécut de 309 à 394 de notre ère et qui fut revêtu à la cour de très hautes dignités, soit par une notice non moins explicite de l’évêque Isidore, de Séville, qui mourut en 636. Seulement, dans ces deux documents le 1er jour de la semaine n’est pas celui de Saturne, mais celui du Soleil, ce qui doit s’expliquer par l’influence exercée par l’édit de Constantin, qui rattacha solennellement l’institution du dimanche comme 1er jour hebdomadaire, au jour du Soleil.

Mais comment la semaine planétaire s’était-elle ainsi répandue dans l’empire ? Nous désirerions le savoir, ne fût-ce que pour avoir une contre-épreuve de ce que nous avons précédemment établi. Malheureusement, le fait est encore assez obscur, il se présente sous un aspect fort complexe, même embrouillé. Essayons cependant d’y relever quelques traits, sans trop nous préoccuper des lacunes que nous ne pouvons combler.

1° L’astrologie chaldéenne semble avoir fait de très rapides progrès dans les populations helléniques sous l’influence du mage Osthane ou Ostane, qui, d’après Pline, était un contemporain de Xerxès, monté sur le trône en 485 avant Christ, et cette influence aurait été encore augmentée par l’activité d’un autre Ostane, qui accompagnait Alexandre.

2° Les 5 planètes proprement dites turent d’abord désignées chez les Grecs par les dénominations purement physiques que voici : φωσφόρος, pour Vénus, le porteur de lumière ; στίλβων, pour Mercure, le scintillant ; πυρόεις, pour Mars, l’astre couleur de feu ; φαέϑων, pour Jupiter, le guide éclatant du char lumineux ; φαίνωv, pour Saturne,le brillant.

3° Le premier passage de la littérature grecque mentionnant le nom mythologique d’une de ces planètes, se trouverait dans le Timée de Platon, où il est parlé de la planète Mercure.

4° Le premier passage des auteurs grecs où sont réunies plusieurs des dénominations mythologiques des 7 planètes se lirait dans la Métaphysique d’Aristote (XII, 8). A propos des opinions d’Eudoxe, il est parlé de Mercure, Vénus, Jupiter et Saturne, à côté du Soleil et de la Lune. Les données sont plus complètes dans le livre De mundo (c. 11), qu’on n’attribue plus à Aristote, et qui cependant serait encore vraisemblablement du premier siècle avant Christ.

5° Après avoir très fortement subi l’influence spirituelle de la Grèce, Rome subit celle de l’Orient et en particulier celle de la Judée.

6° « A une époque fort ancienne, dit G. Boissier (La religion romaine d’Auguste aux Antonins,), s’opéra la fusion des dieux de Rome avec ceux de la Grèce, et les deux religions se confondirent si bien qu’il nous est difficile de les séparer. »

7° L’anarchie de près d’un demi-siècle qui précéda l’empire fut très favorable aux progrès des cultes païens orientaux dans l’empire romain. « En même temps que les dieux romains s’altéraient en se mêlant aux divinités de l’Egypte ou de la Syrie, les rites et les usages des cultes orientaux s’introduisaient furtivement dans les sanctuaires les plus vénérés de Rome … Dans les deux premiers siècles de notre ère s’accomplit à Rome le mélange de toutes les religions de l’ancien monde. » Deux seulement devaient être officiellement exclues de ce mélange, parce qu’elles ne pouvaient s’y prêter : le judaïsme et le christianisme.

8° Parmi les importations païennes de l’Orient, il faut spécialement mentionner l’astrologie, « cet art ou cette prétendue science de la religion syro-chaldéenne, qui, dans le premier siècle de l’empire, tantôt liée avec le culte religieux, tantôt indépendante, se répandit dans l’Occident … Ce n’étaient pas seulement le soleil et la lune dans lesquels on adorait les principes mâle et femelle de la puissance de la nature, mais aussi les étoiles et tout particulièrement les planètes, qui apparaissaient comme des puissances déterminant la nature en général et particulièrement la vie humaine. Il fallait donc, pour être heureux, s’assurer leurs bonnes influences et se préserver des mauvaises. Les planètes passaient à cause de leur mobilité pour être les interprètes qui annonçaient aux hommes la volonté du Destin. Nous avons encore dans les noms des jours hebdomadaires des traces de cette idée de la domination des planètes sur le monde terrestre. Aucune autre forme de la religion ne pouvait plus facilement se détacher du lieu de son origine pour se répandre ailleurs, et aucune n’était plus propre à se recruter partout des adhérents. Aussi, sous les empereurs, Rome était-elle pleine de Chaldéens et de mathématiciens qui vivaient de l’astrologie, et de temps en temps, mais toujours en vain, étaient expulsés de la ville. »

9° Trois faits contribuèrent à faire toujours plus connaître les Juifs aux Romains : la dispersion croissante des Juifs dans l’empire, et la double prise de Jérusalem, d’abord par Pompée l’an 63 avant Christ, puis par Titus l’an 70 de l’ère chrétienne. — Quelques mots sur le premier de ces faits pour en faire saisir toute la portée. Quand Cyrus permit aux Juifs de retourner dans leur patrie, le nombre de ceux qui partirent fut relativement petit. Plus tard, lorsque Alexandre eut détruit le royaume des Perses, beaucoup de Juifs s’enrôlèrent dans son armée, à condition de rester libres dans l’exercice de leur foi. Alexandre leur assura la même liberté dans toute l’étendue de ses Etats, ce qui dut singulièrement faciliter les voyages et l’émigration d’un peuple qui s’adonnait toujours plus au commerce. Sous les successeurs d’Alexandre, la dispersion juive s’accrut encore considérablement : les rois d’Egypte et de Syrie firent longtemps tout leur possible pour établir les Juifs dans les villes qu’ils fondaient et dont plusieurs, comme Alexandrie et Antioche, devinrent rapidement très importantes. De l’Asie Mineure, les Juifs se répandirent en Grèce, surtout dans les villes de commerce maritime. A Rome même, où Pompée, après la prise de Jérusalem, amena de nombreux prisonniers pour orner son triomphe, ils se comptèrent bientôt par milliers. Il n’y avait guère alors, dans le monde connu, de pays où ne se trouvassent des enfants d’Israël, et ce monde subissait presqu’en entier la domination romaine. Si populeuse que fût redevenue la Palestine au temps du Seigneur, elle ne renfermait peut-être que le tiers de la nation : sur 12 millions de Juifs, il y en aurait eu 8 à 9 de dispersés. Sous ce rapport, comme le remarque Schneckenburger, ils se plaçaient en quelque sorte à côté des Romains eux-mêmes, et la position de la diaspora était d’autant plus exceptionnelle parmi les autres populations de l’empire qu’elle entretenait toujours avec Jérusalem d’intimes relations. « Le monde ancien, dit de Champagny, n’avait donc pas usé envers Juda de moins de largesse que le monde moderne. Le Juif était Syrien à Antioche, Alexandrin dans le Bruchium, comme aujourd’hui il est Français à Paris et Anglais dans la cité de Londres, sans pour cela cesser d’être Juif. »

10° Les Romains furent frappés d’étonnement à la vue d’une religion qui proclamait l’unité de Dieu, apprenait à l’honorer sans image et célébrait dans ses synagogues le culte le plus simple et le plus spirituel. Beaucoup d’entre eux se sentaient attirés par cette religion qui semblait promettre à leurs besoins religieux une satisfaction cherchée vainement ailleurs. Aussi autour d’une multitude de synagogues répandues dans l’empire, se groupait-il un certain nombre de païens, hommes et femmes, qui se rattachaient plus ou moins étroitement à la loi de Moïse, les uns se faisant complètement juifs ; la plupart, et souvent les plus dignes, se bornant à prendre part à plusieurs actes du culte. Ces prosélytes à des degrés divers se trouvaient en tout pays, dans toutes les classes de la société et jusque sur les trônes.

11° Il est vrai qu’en même temps les Juifs étaient pour les Romains un objet de vive répulsion, et ils l’étaient très honorablement sous plusieurs rapports, par exemple, comme adorateurs exclusifs du Dieu d’Abraham et comme refusant tout culte aux empereurs.

12° Les Romains, dans leurs nombreux rapports avec les Juifs, avaient été d’autant plus frappés de leurs sabbats qu’ils en avaient largement profité dans leurs sièges de Jérusalem. Ils désignaient même parfois les Juifs par le sobriquet de sabbatariens. Mais ils jugeaient l’institution très différemment les uns des autres et souvent, comme Auguste, d’une manière fort erronée. Tantôt ils s’en moquaient dédaigneusement, comme le faisaient Juvénal, Perse, Rutilius, et, pour être équitable, il ne faut pas oublier que l’observation du sabbat se présentait alors sous sa forme pharisaïque. Tantôt ils manifestaient une crainte superstitieuse de ce jour : c’était un dies ater, et ils l’associaient même à l’anniversaire de la sanglante défaite de l’Allia. Tantôt ils jugeaient le sabbat si favorablement qu’ils se l’appropriaient, ou réellement, comme le faisaient les prosélytes, ou de la plus étrange façon. — Horace, dans son Epître du Fâcheux, se met lui-même en scène, comme complètement indifférent au sabbat, tandis qu’un de ses amis, qui aurait une confidence à lui faire, s’y refuse, pour cause de sabbat solennel. — Comme le remarque heureusement d’Orelli, pour beaucoup de païens « le sabbat fut un précurseur du christianisme. Ils étaient ainsi conduits à la synagogue, où les attendait la prédication de la bonne nouvelle. »

13° D’autre part, le jour du sabbat fut assez tôt identifié avec le jour hebdomadaire de Saturne. Déjà sous Auguste, le poète Tibulle, à la veille de partir pour un voyage et cherchant à différer son départ, prétextait « tantôt le vol des oiseaux, tantôt de mauvais présages, tantôt la sainteté du jour de Saturne. » Frontin (40-106 après Christ) dit que Vespasien triompha des Juifs en les attaquant « le jour de Saturne, jour auquel il leur est défendu de faire quoi que ce soit de sérieux. » Vers 138, Justin Martyr parle du samedi comme « jour de Saturne, » du vendredi, comme veille de ce jour, et du dimanche, comme son lendemain ou comme « jour du Soleil. » Dion Cassius enfin, dans son récit de la prise de Jérusalem par Pompée, désigne le sabbat comme jour de Saturne. Les rabbins reconnurent aussi cette coïncidence, en appelant Schabbtaï la planète Saturne.

14° L’identification du sabbat et du jour de Saturne pouvait se justifier de deux manières aux yeux des Romains. Le sabbat, comme jour de repos, n’était pas sans rapport avec leurs idées primitives sur Saturne et son paisible règne, idées qu’entretenait toujours la fête des Saturnales. On pouvait aussi retrouver dans le sabbat quelque chose de la sinistre influence attribuée par l’Orient à la planète Saturne, puisque le jour qui lui était consacré, interdisait, comme dies ater, toute entreprise, toute activité productrice, commandait ainsi un certain chômage. Mais ce qui, en fait, a produit l’identification, c’est une simple coïncidence fortuite ; car on ne saurait admettre qu’elle ait été cherchée par les Juifs ou par les païens.

15° Le premier passage de la littérature romaine où le sabbat est désigné comme jour de Saturne, est le passage de Tibulle, et cette désignation y apparaît comme une expression déjà courante. La dénomination planétaire des jours de la semaine devait donc être alors en usage à Rome, même depuis un certain temps. Mais il est difficile de préciser la date du passage. En tout cas, l’usage de la dénomination astrologique des jours hebdomadaires à Rome semble remonter aux derniers temps de la République, comme on l’admet généralement.

16° Dans la satire de Pétrone sur le souper de Trimalcion, écrite sous Néron ou peut-être déjà sous Claude, il est parlé d’un « second » tableau se rapportant au cours de la lune et des étoiles, et renfermant 7 images peintes, avec l’indication des jours favorables et des jours dangereux

17° Dans une peinture trouvée à Pompéi et par là même antérieure à l’an 79 après Christ, les bustes des divinités tutélaires de la semaine sont représentés dans 7 médaillons. En allant de gauche à droite, on trouve d’abord Saturne : vieillard avec une harpe, la tête couverte d’un bonnet, et enveloppé d’un ample manteau jaune, comme le bonnet ; — puis le Soleil : jeune homme, dont la tête est environnée d’un nimbe rayonnant ; il porte une chlamyde rouge sur l’épaule et tient un fouet ; — la Lune, avec une chevelure abondante, un nimbe autour de la tête, un vêtement blanc et un sceptre ; — Mars, avec casque, bouclier, lance et une cuirasse de feu ; — Mercure, coiffé du pétase ailé et revêtu d’une chlamyde ; — Jupiter, avec barbe, manteau rouge et sceptre ; — enfin Vénus, portant un diadème enrichi de perles et un modius. Sa tunique est blanche et un petit amour est à son épaule droite.

18° L’ordre planétaire que nous venons de décrire (Saturne, Soleil, Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus), est bien l’ordre proprement égypto-gréco-romain ou gréco-romain. C’est celui qu’indique aussi Dion Cassius et qu’il explique de deux manières. L’ordre planétaire qui ne diffère de l’ordre gréco-romain que parce qu’il débute par le jour du Soleil, au lieu du jour de Saturne, doit être appelé proprement l’ordre hébraïco-romano-chrétien ou, plus brièvement, hébraïco-chrétien. Comme nous l’avons indiqué, depuis Constantin cet ordre dut prévaloir sur l’ordre proprement gréco-romain. L’ordre hébraïco-chrétien résulte au fond de la triple influence du judaïsme, du paganisme et du christianisme, et cela ressort encore des noms français des jours de la semaine : l’influence chrétienne s’y manifeste par le nom de Dimanche ; l’influence juive, par celui de Samedi.

19° Schrader et Riehm disent que les noms planétaires des jours de la semaine sont arrivés des Chaldéens aux Romains par le moyen des Syriens. D’autre part, Dion Cassius estime que c’est des Egyptiens, c’est-à-dire, semble-t-il, des astrologues alexandrins, que la semaine planétaire est venue aux Romains. Ces deux assertions doivent être réunies et combinées, en ce sens que si les Chaldéens, dont les Syriens étaient les disciples, ont inventé et élaboré la semaine planétaire, ce sont les astrologues alexandrins qui l’ont fixée. En fait, la semaine chaldéenne a pour formule Lune, Soleil, Jupiter, Vénus, Saturne, Mars, Vénus, et la semaine égypto-gréco-romaine n’en est point provenue. Mais toutes les deux dérivent également de l’ordre planétaire par grandeur d’orbite : la 1re, à partir de la plus petite orbite, la 2de, de la plus grande.

20° Des quatre explications que nous avons données de l’ordre général de la semaine planétaire actuelle, les deux empruntées à Dion Cassius : la 1re, mystique et musicale ; la 2de, astrologique, se recommandent à nous comme conduisant à l’ordre égypto-gréco-romain. Il est très probable que cet ordre est au fond celui de la 4e explication, mais on ne peut l’affirmer d’après le planisphère de Bianchini, puisqu’il n’indique pas le point initial. — En outre, la 2de explication doit être préférée à la 1re, à cause de l’importance énorme qu’avait acquise l’astrologie.

21° Comme nous l’avons annoncé, l’empire romain vit se répandre, concurremment avec le sabbat, une étrange manière de célébrer le jour de Saturne : par le simple chômage et la bonne chère, ainsi que nous l’apprend Tertullien.

22° Si l’on tient compte soit des Juifs et de leurs prosélytes, qui célébraient religieusement le sabbat, soit des païens qui envisageaient ce même jour comme un dies ater, dans lequel il ne fallait rien entreprendre, ou qui en profitaient pour festoyer, on reconnaît que certaines assertions de Philon et de Josèphe sur la diffusion du sabbat à leur époque, ne sont pas loin de la vérité, mais seulement exagérées, déclamatoires. On comprend aussi comment Sénèque, qui ne voyait dans le sabbat qu’un moyen de perdre presque la 7e partie de sa vie, pouvait aller jusqu’à dire : « La coutume de cette race criminelle a tellement prévalu que déjà presque toute la terre la reçoit. Les vaincus ont donné leurs lois aux vainqueurs. » (De civit. Dei, VI, 11.)

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