Le Jour du Seigneur, étude sur le Sabbat

6. — La semaine des Germains.

L’opinion exposée par l’illustre Jacob Grimm dans sa Deutsche Mythologie sur l’histoire de la semaine chez les anciens Germains, peut ainsi se résumer :

1° Depuis les temps les plus anciens, ils ont connu la semaine d’après les phases lunaires.

2° Plusieurs siècles avant leur conversion au christianisme, au moins dans le 4e ou le 5e siècle de notre ère, ils ont emprunté aux Romains leur dénomination des jours hebdomadaires, en traduisant, le mieux qu’ils purent, les noms latins en noms germains analogues et en adoptant l’ordre romain. Ils arrivèrent ainsi aux noms suivants : 1° Sonntag (Jour du Soleil) ; 2° Mondtag (Jour de la Lune) ; 3° Dienstag ou Ertag, etc. (Jour de Ziu ou Tyr ou Eor, etc. dieu de la guerre, comparable à Mars) ; 4° Wodanstag (Jour de Wuodan ou Odin, etc., la plus haute divinité des Germains, tout en pouvant à certains égards être rapprochée de Mercure ; le mercredi anglais s’appelle encore Wednesnay, etc.) ; 5° Donnerstag (Jour de Donar ou Thor, dieu du tonnerre, pouvant être comparé à Jupiter, mais en occupant une place inférieure) : 6° Freitag (Jour de Freia, sœur d’Odin, souvent confondue avec Frigg, son épouse, et offrant certaines analogies avec Vénus) ; 7° Saerntag, etc, Jour de Saturne (le samedi anglais s’appelle encore Saturday, etc.).

Après leur conversion au christianisme, la plupart des Germains changèrent le nom du samedi, Saerntag, en Samstag (de sabbatum) et celui du mercredi, Wodanstag, en Mitwoche (Jour du milieu de la semaine).

A l’appui du caractère primitif de la semaine chez les Germains, Grimm allègue le mot gothique Vikô, dans le haut-allemand wächa et wäshal, correspondant au latin vix, vicis et se rattachant à la racine veika, vaik, haut-allemand wichu, parce que la vicissitude, ou changement alternatif, implique continuellement une retraite (weichen, retrocedere). On ne retrouve pas dans les textes gothiques le mot vikô appliqué au retour périodique des phases de la lune, mais on peut conjecturer qu’il l’était, car les mots du haut-allemand vâcha, wocha, de l’anglo-saxon vuca, de l’ancienne langue du Nord vika, du suédois vecka, du danois uge, se rapportent exclusivement à la semaine.

Grimm remarque encore que Tacite, en rapportant que les Germains avaient des jours fixés (certi dies) pour les sacrifices qu’ils offraient à Mercure, montre déjà qu’ils étaient attentifs aux divisions du temps. Mais évidemment pour que cette observation ait de la valeur, il ne faut pas traduire, avec Burnouf, certi dies par « certains jours ».

Un autre preuve de l’antiquité de la semaine chez les Germains semble pouvoir être tirée de la facilité et de la spontanéité avec laquelle plusieurs siècles avant leur conversion au christianisme, ils adoptèrent, en la traduisant, la nomenclature romaine des jours hebdomadaires. Ils l’adoptèrent tous, tôt ou tard, mais non sans variété de traductions.

« Tous les peuples habitant derrière nous (c’est-à-dire évidemment au nord-est de la Germanie), Slaves, Lithuaniens, Finnois, dit Grimm, ne connaissent pas les noms planétaires des jours de la semaine, mais ils les comptent, de même que les Grecs (c’est-à-dire l’Église grecque), non parce qu’ils ont été convertis après les Germains, mais parce qu’ils ont été familiarisés plus tard avec la civilisation latine. Il faut reconnaître aussi que cela n’est point venu de l’influence missionnaire de Byzance, car elle fut nulle sur les Lithuaniens et sur les Finnois, et elle ne s’exerça que sur une partie des Slaves. »

Ces lignes, qui ont dû être écrites à bon escient, sont fort intéressantes en elles-mêmes et par ce qu’elles suggèrent. D’abord, elles nous montrent la semaine existant primitivement chez des peuples aussi divers que les Slaves et les Lithuaniens, d’une part, et, de l’autre, les Finnois, qui appartiennent à une toute autre race, et y existant avec la simple numérotation des jours hebdomadaires.

Mais ce n’est pas tout. Pourquoi ne pas supposer que cette numérotation se retrouvait aussi chez les Germains avant leur contact avec la civilisation romaine ? Et n’y aurait-il pas une confirmation de cette hypothèse dans le fait que plusieurs contrées de la Haute-Germanie (oberdeutsche Gegenden) appelaient le jeudi phingstag, c’est-à-dire le 5e jour ? Grimm rattache ce mot, il est vrai, à une influence gréco-slave et le fait venir du grec πέμπτε, du slave petek, piatek, patek, mais le mot ne pourrait-il pas être d’origine purement germanique et venir de fünf ou d’une de ses anciennes formes ? Faudrait-il attribuer une importance sérieuse à la différence entre ph et f ? En tout cas, si le mot a été emprunté, il correspondait à un mot indigène tout à fait de même famille. — On peut encore alléguer, en faveur de l’origine germanique, que le 5e jour hebdomadaire n’était pas le même pour les Germains et pour les Slaves : c’était le jeudi pour les premiers, qui comptaient le dimanche comme 1er jour, et c’était le vendredi pour les seconds, dont le 1er jour était le lundi. — En outre, ne pourrait-on pas voir dans ce curieux Mitwoche, qui se rattache au point de vue numérique des jours de la semaine, apparaît de bonne heure dans la Haute-Germanie et devient depuis la conversion des Germains le nom ordinaire du mercredi pour les Allemands, un ancien nom germain que l’Église aurait été heureuse de remettre en vigueur ? Ce qui le confirmerait, c’est que pour les Slaves et les Lithuaniens le jeudi était aussi « le Jour du milieu » (Slave : sreda, sereda. Lith. : serrada), d’où Grimm conjecture que cette coutume avait peut être influé sur la dénomination ordinaire du mercredi dans le haut-allemand.

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