La Résurrection de Jésus-Christ

2. Le lieu de la mort du Seigneur.

… les animaux, dont le sang est porté dans le sanctuaire par le grand-prêtre, ont leur corps brûlé hors du camp ; c’est pourquoi aussi Jésus, afin de sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert la mort hors de la porte.

Hébreux 13.11-12

Le lieu où le Seigneur fut crucifié étant indiqué dans nos Évangiles comme très voisin de celui où Il fut enseveli et ressuscita (Jean 19.41-42), il n’est pas sans intérêt pour notre étude de chercher à le déterminer avec exactitude.

Comme on pouvait s’y attendre, ce lieu est indiqué comme situé hors de Jérusalem et près d’elle (Jean 19.20 ; Hébreux 13.12), et non loin d’une route fréquentée : c’est du moins ce que l’on peut conclure de Matthieu 27.39 et de Marc 15.29, où il est parlé de ceux qui passaient par là et qui outrageaient encore le Crucifié.

Nous voyons que dans ce lieu se trouvait un jardin et dans ce jardin un sépulcre neuf (Jean 19.41), creusé dans le roc (Matthieu 27.60 ; Marc 15.46 ; Luc 23.53), et appartenant à Joseph d’Arimathée, riche sénateur qui l’avait fait creuser pour lui-même (Matthieu 27.57, 60).

Enfin le nom que portait cet emplacement est donné. Le lieu dit : Golgotha, ce qui signifie étant traduit : lieu du crâne, ainsi s’exprime Matthieu 27.33Marc 15.22 : le lieu de Golgotha, ce qui signifie, étant traduit : lieu du crâne.Luc 23.33 : le lieu appelé : crâne.Jean 19.17 : le lieu dit : du crâne, ce qui est dit en hébreu : Golgotha.

Pourquoi ce lieu était-il appelé Golgotha, le lieu du crâne ou simplement, d’après Luc, le crâne ? Trois explications ont été données, dont deux semblent peu vraisemblables.

On a dit que le nom venait de ce que ce lieu était un lieu de supplice, d’exécution des malfaiteurs, mais on ne comprendrait pas cette dérivation, qui est cependant celle de Jérôme, car les malfaiteurs exécutés étaient certainement ensevelis.

On a dit, en second lieu, que le nom se rattachait à une tradition d’après laquelle le crâne d’Adam aurait été enseveli dans cet endroit. Cette tradition apparaît en effet de bonne heure chez les Pères, déjà au commencement du troisième siècle, semble-t-il, et, chose curieuse ! comme venant des Juifs, et elle explique comment aujourd’hui même une des nombreuses chapelles du bâtiment du St. Sépulcre s’appelle la chapelle d’Adam. Mais rien ne nous garantit que cette tradition vînt effectivement des Juifs, et nous comprenons très bien comment elle a pu naître dans l’Église chrétienne, en vertu d’un rapprochement d’idées qui certes ne manque ni de grandeur, ni de beauté.

La troisième opinion est beaucoup plus vraisemblable et elle est généralement adoptée. C’était déjà celle de Cyrille de Jérusalem. D’après elle, le lieu aurait été ainsi nommé à cause de sa forme de monticule arrondi ou nu, ou à la fois arrondi et nu. Ce qui confirme cette opinion, c’est qu’il s’y trouvait un sépulcre taillé dans le roc, et, comme nous aurons occasion de le relever plus en détail, un sépulcre où l’on entrait de plain-pied, non en descendant, une véritable grotte sépulcrale. Ce qui confirme encore cette opinion, c’est que les environs immédiats de Jérusalem présentent encore des monticules semblables, entre autres, celui de la grotte dite de Jérémie, au nord-ouest de la ville, dont la forme correspond si bien aux données de nos Évangiles que plus d’un voyageur moderne serait disposé à y voir le Calvaire (Thenius, Furrer, etc.).

Bovet dit à ce sujet : « Dans cet angle donc, s’élevait un petit tertre, un crêt, comme on dit dans nos montagnes, tout pareil à ceux que l’on rencontre en assez grand nombre au nord de la Jérusalem actuelle… C’était sans doute un rocher aride, comme le sont en général les crêts de ce genre, mais les propriétaires des jardins qui l’entouraient en avaient utilisé les flancs pour y creuser des tombeaux. Peut-être était-ce à ces grottes sépulcrales qu’il devait son nom ; peut-être, et plus probablement encore, ce nom ne lui venait que de sa forme arrondie. » (Voyage en Terre Sainte.) Renan, dans sa Vie de Jésus : « Le nom de Golgotha correspond, ce semble, à notre mot Chaumont, et désignait probablement un tertre dénudé, ayant la forme d’un crâne chauve. »

En fait de tradition, nous n’avons parlé jusqu’ici que des données du Nouveau Testament ; mais ces données ne sont pas les seules, bien qu’elles soient de la plus grande valeur. Il en est d’autres dont la valeur est contestée, il est vrai, mais qu’il n’est pas moins intéressant d’examiner. Elles ont d’autant plus d’importance que, si elles ne sont pas erronées, elles fournissent aux données bibliques un précieux complément.

On sait qu’au commencement du quatrième siècle, peu après le concile de Nicée qui eut lieu en 325, l’empereur Constantin fit élever de superbes constructions sur l’emplacement qu’il croyait être celui de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, que ces constructions, plus d’une fois détruites au milieu des désolations dont la Palestine fut si souvent le théâtre, furent toujours relevées, — qu’au moyen âge la chrétienté tout entière s’enflamma d’ardeur pour les reprendre aux disciples de Mahomet, et que de nos jours encore des milliers de pèlerins de toute nation continuent de se rendre à Jérusalem pour y invoquer le nom de Christ aux lieux mêmes où il mourut et ressuscita.

La question de l’authenticité des Lieux Saints a vivement préoccupé les voyageurs et les savants depuis le milieu du siècle dernier, et elle se débat encore. Du côté des adversaires de l’authenticité figurent, entre autres, les noms de Robinson, Tobler, Van de Velde ; du côté des défenseurs, ceux de Kraft, Williams, Schulz, Tischendorf, Sepp, Bovet, Pierotti, etc. Dans son magnifique ouvrage sur la géographie du globe, Ritter déclarait que la question ne pouvait point encore être résolue scientifiquement, mais depuis la publication de cet ouvrage de nouvelles études ont été faites, de nouvelles fouilles ont eu lieu, et la question sera peut-être définitivement tranchée dans quelques mois, lorsque les explorateurs anglais, qui déjà depuis deux ans font des fouilles à Jérusalem, auront achevé leur œuvre et publié leur rapport.

[Ils travaillent au service d’une société intitulée « The Palestine Exploration Fund » et patronnée par la reine d’Angleterre. Les fouilles sont surtout dirigées par le lieutenant Ch. Warren. Jusqu’à présent elles semblent avoir eu pour principal théâtre le contour de Morija. Puissent d’abondantes ressources pécuniaires mises au service de la Société dans un intérêt aussi religieux que scientifique, lui permettre de poursuivre largement son but !]

Il est peut-être téméraire de se prononcer avant cette époque ; toutefois nous n’hésitons point à communiquer les impressions que nous avons reçues en étudiant la discussion et qui sont devenues toujours plus nettes. Distinguons, du reste, avec soin les principaux éléments de la question : autre chose est l’authenticité du lieu en général ; autre chose celle de la grotte funéraire découverte sous Constantin ; autre chose enfin celle de la grotte funéraire actuelle. Nous reviendrons plus tard sur ces deux derniers points. Pour le moment, c’est le premier seul qui doit nous occuper, à savoir l’authenticité du lieu en général. L’ancien Golgotha était-il le même que le Golgotha actuel ? Etait-il à l’endroit où s’élèvent maintenant les bâtiments du St.-Sépulcre, c’est-à-dire dans la partie nord-ouest de la Jérusalem moderne ?

Pour répondre à cette question, nous pensons comme Tischendorf qu’il faut d’abord fixer son attention sur le récit que nous transmet Eusèbe concernant l’entreprise de l’empereur Constantin, — Eusèbe, très probablement né en Palestine, en tout cas y ayant passé sa jeunesse et ayant été longtemps évêque de Césarée, — Eusèbe, si savant dans les antiquités chrétiennes et si honoré de l’estime de l’empereur, — Eusèbe, qui en 336 fut présent à la dédicace de la première église du St.-Sépulcre et fut même chargé d’y prononcer le principal discours. Voici la traduction des principaux passages de ce récit (Vie de Constantin, III, 25-43) :

« … l’ami de Dieu accomplit une très grande chose en Palestine. Quelle fut-elle ? Il lui sembla qu’il devait rendre visible et vénérable le bienheureux endroit de Jérusalem où le Seigneur ressuscita, et il ordonna aussitôt d’y construire une maison de prières. Ce ne fut pas sans l’inspiration de Dieu qu’il eut cette pensée, mais il y fut poussé en son esprit par le Sauveur lui-même.

Jadis des hommes impies, ou plutôt par leur moyen la race entière des démons, s’étaient efforcés de livrer à l’obscurité et à l’oubli ce merveilleux monument de l’immortalité… Des impies avaient donc projeté de faire disparaître aux yeux des hommes cette grotte du Sauveur. Dans leur raisonnement insensé, ils pensaient ainsi cacher la vérité. Se donnant beaucoup de peine, apportant de la terre du dehors, ils en couvrent tout le lieu ; ensuite l’élevant à une certaine hauteur et le revêtant de pierres, ils ensevelissent ainsi sous un immense amas la divine grotte ; puis, pour ne rien oublier, ils construisent au-dessus de la terre un véritable et terrible sépulcre pour les âmes, bâtissant un obscur abîme d’idoles mortes en l’honneur du démon impur appelé Vénus, et là offrant des sacrifices abominables sur des autels profanes et maudits. Car ils pensaient qu’ils n’atteindraient leur but que s’ils enfouissaient la grotte du Seigneur par ces abominations maudites. Les malheureux, en effet, n’étaient pas capables de comprendre qu’il était impossible que celui qui avait triomphé de la mort laissât ignoré leur forfait, de même qu’il ne peut se faire que le soleil qui resplendit sur la terre et poursuit dans le ciel sa course accoutumée, soit caché du genre humain, car la puissance du Seigneur éclairant les âmes plus que le soleil n’éclaire les corps, remplissait déjà le monde entier de ses lumineux rayons. Ce que les hommes impies avaient machiné contre la vérité subsista néanmoins pendant longtemps. Aucun des anciens chefs, aucun des généraux, aucun des rois même ne fut trouvé capable d’anéantir l’audacieux attentat ; ce fut seulement l’ami de Dieu roi des rois. Animé de l’Esprit divin, il ne supporte pas que ce lieu célèbre demeure caché par toutes les matières impures qu’y avaient entassées les ennemis, et livré à l’oubli et à l’ignorance, il ne veut pas céder à la méchanceté des coupables, et ayant imploré le secours de Dieu, il ordonne la purification, pensant surtout que le sol qui avait été souillé par les ennemis devait jouir par son moyen de la magnificence de Celui qui est le Tout-Bon. Aussitôt que l’ordre fut donné, les machinations de la fraude furent précipitées sur le sol, les constructions du mensonge, avec les statues elles-mêmes et les démons, furent renversées et détruites.

Le zèle ne s’arrêta pas là. Le roi fait une nouvelle ordonnance pour que les pierres et le bois de ce qui avait été détruit soient enlevés et jetés au loin, et l’exécution suivit de près l’ordonnance. Mais ce n’était pas encore assez. Sous l’inspiration divine, le roi commande de nouveau qu’après avoir creusé profondément la terre, la terre même, souillée par les sacrifices faits aux démons, soit portée au loin.

Cela fut aussi exécuté tout aussitôt. Mais lorsque la terre enlevée eut laissé voir le sol primitif qui était précédemment enfoui, alors, contre toute espérance, apparut le témoignage très vénérable et très saint de la résurrection du Seigneur, et le sanctuaire de la grotte vit se reproduire en sa faveur une image de la résurrection du Sauveur. Après avoir reposé dans l’obscurité, elle vint de nouveau à la lumière et elle fournit à ceux qui la visitèrent l’occasion de contempler en quelque sorte d’une manière sensible l’histoire des merveilles qui s’y étaient opérées, attestant par des faits plus excellents que la voix la résurrection du Sauveur.

Après ce qui venait de se passer, le roi ordonna aussitôt de construire magnifiquement une maison de prières autour de la grotte du Sauveur… Et il écrivit en ces termes à l’évêque qui était alors à la tête de l’Église de Jérusalem :

Constantin, empereur, vainqueur, à Macaired : « La grâce de notre Sauveur est telle qu’il n’y a point d’expression capable de célébrer une telle merveille (ϑαύματος). Que le monument de sa très sainte passion ait pu rester tant d’années caché dans la terre pour briller de nouveau aux regards de ses serviteurs mis en liberté par la destruction de l’ennemi commun de tous, cela dépasse en vérité toute admiration. Quand on convoquerait tous les hommes habiles qu’il peut y avoir sur la terre pour leur faire parler dignement de l’événement, ils ne pourraient pas en exprimer la moindre partie. La nature de cette merveille surpasse toute celle de la capacité de l’intelligence humaine autant que les choses célestes sont supérieures aux choses humaines. Aussi mon premier et seul but a-t-il toujours été que, de même que la vérité de la foi se démontre chaque jour par de nouvelles merveilles, ainsi nos âmes à tous deviennent plus zélées pour la sainte loi en toute sagesse et avec une unanime ardeur. Comme je pense que cela est manifeste pour tous, sois persuadé que rien ne m’est plus à cœur que de voir orné de belles constructions ce lieu déjà débarrassé par mes soins des simulacres ignominieux de l’idolâtrie, comme d’un poids accablant, et qui dès l’origine a été fait saint par la volonté de Dieu et s’est montré plus saint encore en produisant au jour le témoignage de la passion de notre Seigneur. Il convient donc à ta prudence de tout disposer et de tout mettre en œuvre pour qu’une basilique s’y élève, qui surpasse les plus belles qui soient au monde, et que non seulement le bâtiment lui-même, mais aussi tous les accessoires l’emportent de beaucoup sur les plus beaux édifices qui soient dans aucune ville »…

d – Pour la traduction de cette lettre, j’ai profité de celle qui se trouve dans l’ouvrage de M. de Broglie sur l’Église et l’Empire au ive siècle, mais je m’en suis écarté plusieurs fois pour serrer le texte de plus près.

Ainsi écrivit le roi. Et en même temps que les paroles, l’œuvre marcha et, à l’emplacement du témoignage du Sauveur fut bâtie la nouvelle Jérusalem, en face de celle qui fut autrefois célèbre et qui était devenue un désert, après s’être souillée par le meurtre du Seigneur et avoir porté la peine de ses impies habitants. En face d’elle, le roi exalta par les plus splendides magnificences la victoire remportée sur la mort par le Sauveur, construisant ainsi la nouvelle Jérusalem annoncée par les oracles des prophètes… »

Après avoir décrit les constructions que l’empereur fit élever autour du Saint Sépulcre, Eusèbe parle d’Hélène, mère de Constantin, du voyage qu’elle fit alors en Palestine et des deux temples qu’avec l’aide de son fils, elle fit bâtir à Bethléhem et sur le mont des Oliviers.

Nous nous sommes permis d’étendre autant cette citation parce qu’elle nous paraît de la plus haute importance et qu’elle nous semble établir :

  1. Que Constantin voulut avant tout débarrasser le lieu témoin des dernières souffrances et de la résurrection de Jésus, de tous les remblais qui y avaient été accumulés à dessein et du temple païen qu’on y avait élevé à Vénus.
  2. Que si Eusèbe attribuait à l’empereur une inspiration divine, c’était seulement en vue du dessein qu’il avait formé et de la manière dont il se mit à l’accomplir, inspiration que le père de l’histoire ecclésiastique pouvait attribuer à Constantin, sans admettre par cela même qu’elle fût proprement miraculeuse.
  3. Qu’on fut extrêmement surpris, lorsque le déblaiement fut achevé, de trouver une grotte sépulcrale qui parut aussitôt être celle même où avait reposé le corps du Seigneur.
  4. Que dès le commencement, Constantin n’avait pas le moindre doute sur l’authenticité de l’endroit qu’il fallait nettoyer et qu’il ne devait cette certitude qu’à la tradition qui était alors généralement répandue.
  5. Que cette tradition était en quelque sorte éclairée et garantie par le culte idolâtre établi depuis longtemps dans cette localité et dont on attribuait l’établissement précisément au désir de combattre la foi chrétienne.

Au reste, Tobler lui-même reconnaît que d’après le récit d’Eusèbe, rien ne se serait proprement passé en dehors du cours naturel des choses. On ne peut en dire de même assurément des écrivains postérieurs, dont les récits renferment évidemment des additions légendaires, et d’après lesquels Hélène apparaît à la première place. C’est dans Socrate (1.13), Sozomène (2.1), Théodoret (ch. 16 à 18), et nullement chez Eusèbe, qu’il est question de la découverte des trois croix et de la miraculeuse guérison qui fit reconnaître la croix sur laquelle était mort le Seigneur, de la découverte des clous qui furent employés pour la crucifixion et de l’écriteau où on lisait en trois langues : Jésus, roi des Juifs. Mais remarquons aussi, que dans les récits de ces historiens, comme dans celui d’Eusèbe, il n’est pas fait mention de la plus légère incertitude sur l’emplacement lui-même où le Seigneur fut crucifié ; si l’on fait des recherches, c’est seulement pour trouver le sépulcre et surtout la vraie croix. Tous parlent également des constructions païennes qui déshonoraient, au vu et au su de tous les chrétiens, le lieu dont les souvenirs étaient pour eux si vénérables, et Sozomène dit en termes exprès, au commencement même de son récit, que Constantin résolut pour la gloire de Dieu de construire un temple sur le lieu qui est appelé le Calvaire. Le lieu était donc appelé le Calvaire, avant que l’empereur y construisît sa basilique.

Un témoignage beaucoup plus court et presque contemporain de celui d’Eusèbe est fourni par la relation qu’un pèlerin de Bordeaux fit de son voyage en Terre-Sainte, vers 333, relation qu’on peut trouver dans le second volume de l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, par Chateaubriand. Voici la traduction du passage qui nous intéresse : « A gauche est le monticule de Golgotha, où le Seigneur fut crucifié. De là, comme à un jet de pierre, est une grotte, où son corps fut posé et où il ressuscita le troisième jour. C’est là que sur l’ordre de l’empereur Constantin, a été construite une basilique, c’est-à-dire une église d’une merveilleuse beauté. »

Remarquons cette expression : le monticule de Golgotha. Jérôme qui, comme on le sait, séjourna longtemps en Palestine et appartient au ive siècle plus encore qu’au ve, fournit dans une des lettres qu’il écrivit à Paulin, de précieux détails sur les édifices païens construits sur Golgotha, qu’il appelle le Rocher de la croix (crucis rupes) : « Depuis les temps d’Adrien, écrit-il, jusqu’au règne de Constantin, pendant environ 180 ans, la statue de Jupiter a été adorée sur l’emplacement de la résurrection et une statue en marbre de Vénus avait été placée et était adorée par les païens sur le Rocher de la croix, les auteurs de la persécution s’imaginant qu’ils pourraient nous enlever la foi en la résurrection et en la croix, s’ils souillaient les Lieux Saints par des idoles. Notre Bethléhem, ce lieu le plus auguste de l’univers, dont le Psalmiste a dit : La vérité est sortie de la terre, était ombragée par un bois consacré à Thamus, c’est-à-dire à Adonis, et dans la grotte qui avait entendu les vagissements du Christ enfant, l’on pleurait le favori de Vénus. »

Il n’est, il est vrai, aucun témoignage plus ancien qui place les constructions païennes élevées sur Golgotha au temps d’Adrien, mais il n’est rien aussi qui contredise cette indication, et de plus elle est bien en harmonie avec ce que nous savons de l’histoire de cet empereur. Nous savons en effet que depuis la destruction de Jérusalem par Titus, cette ville demeura inhabitée (bien que quelques Juifs et quelques chrétiens pussent y séjourner au milieu des ruines), jusqu’au moment où Adrien, vers 130, la rebâtit et, après avoir étouffé la grande révolte des Juifs excitée par Barcochbas, y envoya une colonie pour continuer l’œuvre de reconstruction interrompue par la révolte. La montagne du temple fut plantée d’arbres et à la place du temple s’éleva une statue de Jupiter Capitolin. La ville elle-même fut appelée Ælia Capitolina.

[Le pèlerin de Bordeaux rapporte que lors de sa visite à Jérusalem, sur sept synagogues élevées sur la montagne de Sion, il en subsistait encore une. Et Epiphane, né en Palestine au commencement du ive siècle, dit qu’Adrien trouva la ville rasée à l’exception de quelques bâtiments et d’une petite église chrétienne construite sur l’emplacement de la chambre haute où les premiers disciples se rassemblèrent après l’Ascension. Il parle aussi des sept synagogues de la montagne de Sion, et de l’une d’elles comme ayant subsisté jusqu’aux temps de Constantin.]

Pendant la révolte, les chrétiens eurent beaucoup à souffrir des Romains, qui les traitèrent souvent comme s’ils étaient Juifs, et, en général, Adrien fut un des empereurs sous le règne desquels l’Église fut persécutée.

Il est encore vrai que tandis qu’Eusèbe parle seulement d’un temple construit en l’honneur de Vénus, sur l’emplacement du Saint Sépulcre, Jérôme mentionne une statue de Vénus élevée sur le Calvaire, et une statue de Jupiter, à l’endroit du Sépulcre. Mais il se pourrait qu’il y eût ici quelque erreur de Jérôme : d’ailleurs Eusèbe parle positivement de plusieurs idoles et statues, de telle sorte qu’on peut très bien admettre qu’une de ces statues était celle de Jupiter. Nous n’attachons pas plus d’importance à cette divergence entre Eusèbe et Jérôme qu’à celle qu’un passage de Paulin (cité par Tobler, Golgatha, p. 50) établit entre Jérôme et Paulin, la statue de Jupiter ayant été placée, selon le premier, sur l’emplacement du Saint Sépulcre, et selon le second sur le lieu de la passion, surtout si nous nous rappelons que les deux localités étaient très rapprochées et que Paulin en désignant l’une d’elles pouvait avoir en vue l’emplacement plus vaste qui renfermait les deux. Ce qui nous importe seulement, c’est le fait de ces constructions païennes élevées sur Golgotha et dont Paulin comme Jérôme attribue la fondation à l’empereur Adrien.

Le fait de ces constructions nous permet en effet de faire remonter beaucoup plus haut qu’au temps de Constantin la tradition concernant l’emplacement de Golgotha, dont l’existence est constamment supposée dans le récit d’Eusèbe, de la faire remonter jusqu’au temps d’Adrien, où se place si naturellement l’érection de ces édifices, — même plus haut encore, car il fallait bien que cette tradition existât vivante et enracinée parmi les chrétiens contemporains de cet empereur pour qu’il jugeât convenable de chercher à la détruire par ces constructions idolâtres. Nous arrivons ainsi à l’extrémité des temps apostoliques au commencement du iie siècle et vers la fin du ier, c’est-à-dire à l’époque de la composition de nos Évangiles, dans lesquels le lieu des souffrances de Notre Seigneur apparaît comme étant bien connu et comme portant toujours le nom qu’il portait à l’époque de la crucifixion. Dans Matthieu 27.33 le lieu est désigné par ces termes : Le lieu dit (λεγόμενον) : Golgotha, dans Luc 23.33 : le lieu appelé (καλούμενον) : Crâne, dans Jean 19.17 : le lieu dit (λεγόμενον) : du Crâne, ce qui est dit (λέγεται) en hébreu : Golgotha. »

Comment s’étonner, du reste, malgré tous les bouleversements dont Jérusalem fut le théâtre à la fin du ier siècle et dans le commencement du iie, de la conservation du nom d’un endroit à la fois situé tout près de la ville, d’une configuration saillante et où s’étaient passés des événements aussi importants pour les chrétiens et par là même pour leurs ardents persécuteurs juifs et païens, que la mort et la résurrection de Jésus-Christ ? N’est-ce pas plutôt le contraire qui serait en droit de nous surprendre ?

Avant d’examiner si la donnée traditionnelle qui existait au temps d’Eusèbe sur l’emplacement de Golgotha peut s’accorder avec les données du Nouveau Testament, arrêtons-nous quelques instants sur une hypothèse très hardie, qui a été émise en 1847 par Fergusson et qu’il a reproduite en 1865, après un voyage en Palestine, en la développant dans un ouvrage spéciale. Cette hypothèse n’avait d’abord rencontré que de l’opposition, et elle a fini par trouver des adhérents, même en Allemagne et en France. D’après Fergusson, c’est sur la colline de Morija, déjà si fameuse par l’ancien temple de Jérusalem, que Constantin aurait fait construire sa basilique en l’honneur du Saint Sépulcre ; la grande mosquée, surmontée d’une coupole de l’effet le plus imposant et appelée la coupole du rocher (Kubbet-el-Sakrah), ne serait pas autre chose que la rotonde qu’il aurait fait élever sur le sépulcre, et le sépulcre lui-même serait la grotte qui se trouve sous le rocher abrité par la coupole et si vénéré des Musulmans.

eEssay on the ancient Topography of Jerusalem. — The holy Sepulcre and the temple of Jerusalem. London, 1865.

Les arguments de Fergusson sont surtout tirés de considérations architecturales, et ces considérations ne sont point à dédaigner, mais elles paraissent devoir conduire à un tout autre résultat : elles s’expliquent très bien, si l’on admet, ainsi que Sepp cherche à le démontrer, que l’illustre mosquée a été primitivement une église chrétienne que Justinien aurait fait construire sur Morija au vie siècle. Elles s’expliquent peut-être mieux encore selon l’opinion émise par Pierotti et appuyée par plusieurs remarquables traditions : selon cet archéologue, en effet, on n’aurait pas employé pour la construction de la seconde église du Saint Sépulcre, qui ne tarda pas à s’élever sur les ruines de la première et qui était beaucoup plus simple, de magnifiques débris de la première, colonnes de marbre, ornements divers, et Omar se serait plus tard servi de ces débris pour la construction de sa mosquée.

Quant à l’hypothèse elle-même, elle ne nous arrêtera pas longtemps, tant elle nous paraît insoutenable. Comment admettre en effet que jusqu’en 1847 on ait pu si grossièrement se méprendre sur l’emplacement de cette église du St. Sépulcre qui depuis Constantin joua un si grand rôle dans l’histoire entière du monde chrétien ou mahométan ? Rappelons seulement qu’en 333 le pèlerin de Bordeaux mentionne deux statues d’Adrien comme encore subsistantes sur l’emplacement de l’ancien temple, tandis qu’il parle du monticule de Golgotha comme situé à la main gauche du voyageur qui de la montagne de Sion se rendait à la porte de Damas, et comme orné d’une splendide basilique construite par Constantin. Rappelons aussi que Jérôme pouvait encore parler de la place de l’ancien temple comme couverte de ruines, même comme devenue un lieu d’immondices et la demeure des oiseaux de nuitf.

fComment. d’Esaïe, ch. LXV et de St. Matthieu, ch. XXV.

Nous nous en tenons donc à l’opinion généralement adoptée, d’après laquelle les bâtiments actuels du St. Sépulcre s’élèveraient à la même place où Constantin bâtit jadis sa basilique qui devait être tant de fois détruite et tant de fois réédifiée ; mais peut-on reconnaître dans cet emplacement, si recommandé par la tradition, le Golgotha de nos Évangiles ? Telle est la question qui nous reste à examiner et qui a été ces dernières années très vivement débattue.

Remarquons en premier lieu que si le nom de Golgotha ou Calvaire vient de la forme de l’emplacement, de son caractère de monticule arrondi ou nu, ou à la fois nu et arrondi, comme nous l’avons jugé très vraisemblable, cette désignation peut très bien se rapporter à l’endroit que le pèlerin de Bordeaux appelle un monticule et Jérôme, le rocher de la croix, qu’elle ne se rapporte pas moins bien aux différences de niveau qui existent toujours dans les bâtiments du St. Sépulcre. Et en effet, pour se rendre de la nef principale, l’église du St. Sépulcre proprement dite, à la chapelle du Calvaire, qui se trouve à l’orient de cette église, il faut gravir un escalier de 18 marches (Bovet, Voyage en Terre-Sainte). Tobler évalue à une hauteur de 14 pieds environ la différence de hauteur entre le sol de l’église du St. Sépulcre et celui de la chapelle du Calvaire ; il dit lui-même que si l’on examine tout avec impartialité, on peut à peine contester que l’église ne renfermât une élévation du sol, un amoncellement de terre ou une éminence rocheuse regardée comme le lieu de la crucifixion de Jésus, et il cite à cette occasion un passage de Cyrille digne d’être rapproché de ceux du pèlerin de Bordeaux et de St. Jérôme que nous venons de rappeler. Cyrille parle dans ce passage du témoignage que dépose en faveur de l’Évangile la simple vue de l’éminence de Golgotha (ὁ Γολγοϑας ὁ ἄγιος οὗτος ὁ ὑπερανεστηκὼς, μαρτυρεῖ φαινόμενος).

[Selon M. Pierotti, qui a pu examiner comme nul autre le sol et le sous-sol de Jérusalem, l’éminence de Golgotha, sur laquelle aurait eu lieu la crucifixion du Seigneur, ne se serait pas élevée à l’est du Sépulcre, à l’emplacement de la chapelle actuelle du Calvaire, mais à l’ouest du Sépulcre. Il dit, entre autres, que dans cette direction, à savoir dans la chapelle des Syriens, on voit encore un rocher qui monte graduellement à l’occident vers le bazar chrétien. (Jerusalem explored, l, p. 107). Ce qui nous préoccupe du reste, ce n’est point l’emplacement précis de la partie la plus élevée de Golgotha, mais seulement la détermination générale de la localité.]

En second lieu, si nos Évangiles parlent du sépulcre neuf creusé dans le roc par Joseph d’Arimathée, la nature éminemment rocheuse du terrain recouvert aujourd’hui par les bâtiments du St. Sépulcre est prouvée tout au moins par celle de la grotte située à l’extrémité occidentale de la rotonde de l’église du St. Sépulcre. Cette grotte aboutit à la chapelle dite des Syriens et elle est très connue à cause des tombeaux qu’elle renferme et qu’une tradition sans importance désigne comme ceux de Joseph d’Arimathée et de Nicodème. « Ici, dit Tobler lui-même, tout est véritablement rocher, même la partie supérieure de la grotte ; il n’y a que la paroi adossée à l’église qui soit un mur. » (Golgatha) Tobler dit ailleurs : « On retrouve aujourd’hui le rocher au côté occidental de l’église dans les tombeaux de Joseph et de Nicodème, au côté nord dans la prison de Christ, et à l’est dans la chapelle de la découverte de la croix. »

Il dit encore au sujet de la chapelle même du St. Sépulcre : « D’après les anciens témoignages, on ne peut douter qu’on ne vît le roc vif à l’emplacement de cette chapelle, d’autant plus qu’il résulte de mon étude des tombeaux de Joseph et de Nicodème que dans la chapelle du St. Sépulcre le roc pouvait bien s’élever à une hauteur de deux pieds. En tout cas, il doit y avoir un fond de rocher sous le sol de cette chapelle. »

En troisième lieu, nos Évangiles parlent du lieu où le Seigneur fut crucifié comme étant situé en dehors de la ville ; or cette donnée fondamentale se retrouve-t-elle dans l’emplacement du Golgotha actuel ? C’est ici surtout qu’il y a discussion et que la question ne peut pas être encore complètement tranchée.

Depuis des siècles, les bâtiments du St. Sépulcre font partie de la ville et sont au centre du quartier dit chrétien, tandis qu’au sud, sur le mont de Sion, est le quartier arménien et que la partie orientale de la ville renferme au nord le quartier musulman et au sud le quartier juif. Ce qui n’est pas moins avéré, c’est que peu d’années après là mort de Jésus l’emplacement actuel des bâtiments fut enfermé dans l’enceinte du troisième mur qu’Hérode Agrippa fit construire autour de Jérusalem. L’était-il déjà par le second mur ? Voilà ce qui est contesté et ce qui ne pourra être parfaitement éclairci que lorsque l’on sera certain du tracé de ce second mur, qui commençait, selon Josèphe, à une porte nommée Gennath ou porte des Jardins. Nous ne pouvons point examiner ici toutes les raisons alléguées de part et d’autre, mais nous aimons à renvoyer nos lecteurs à l’impression que l’aspect général des lieux a suggérée à M. Bovet et qu’il a exprimée d’une manière si favorable à l’authenticité de l’emplacement actuel de Golgotha. — Disons encore que le témoignage d’Eusèbe, qui certes était bien mieux placé que nous pour connaître la Jérusalem ancienne, nous paraît très fort : il dit positivement que les édifices qui furent construits par Constantin et qu’il appelle la nouvelle Jérusalem, furent élevés en face de l’antienne. — Ajoutons que dans la grotte des prétendus tombeaux de Joseph d’Arimathée et de Nicodème, outre deux fosses verticales qui paraissent d’origine relativement moderne, il en est deux autres creusées horizontalement dans le roc, qui semblent très anciennes ; or on sait que, hormis des cas très exceptionnels, les anciens n’ensevelissaient pas leurs morts dans les villes — Ajoutons enfin que les observations récentes du Dr Pierotti semblent décidément favorables au tracé du second mur qui laisserait le St. Sépulcre en dehors de la ville.

Nos Évangiles parlent en quatrième lieu de Golgotha comme étant près de la ville et, semble-t-il aussi, non loin d’une route fréquentée. Si le Golgotha actuel était hors de l’ancienne ville, comme nous le pensons et comme nous espérons que cela sera bientôt définitivement établi par la reconnaissance complète du tracé du second mur, il était évidemment situé tout près de la ville, tout près de ce second mur, et certes ce n’étaient pas les routes qui manquaient dans le voisinage : au sud, il y avait la porte de Gennath, par laquelle on sortait de la cité de David et où commençait le second mur ; et à l’est, il est impossible qu’il n’y eût pas une porte par laquelle on sortait de la partie centrale de la ville pour se rendre dans la direction de la porte de Jaffa, la porte moderne la plus fréquentée et d’où partent les routes qui conduisent dans la direction du sud à Bethléhem et à Hébron, dans la direction du sud-ouest à Gaza, et dans la direction du nord-ouest à Rama et à Jaffa. Cette ancienne porte était probablement celle qui est appelée dans Néhémie la porte de la vallée (Néhémie 2.13, 15 ; 3.13), et elle était ainsi désignée comme conduisant d’abord dans la vallée de Hinnom.

Terminons ce chapitre en exprimant la satisfaction que nous avons éprouvée en reconnaissant que les principales opinions que nous y avons soutenues avaient été déjà exposées par le savant et judicieux Winer, dans l’article de son Bibl. Realwœrterbuch sur Golgotha.

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