Histoire de la Réformation du seizième siècle

3.8

Dispute de Francfort – Thèses de Tetzel – Menaces – Opposition de Kniepstrow – Thèses de Luther brûlées – Les moines – Paix de Luther – Thèses de Tetzel brûlées – Peine de Luther

Ainsi les esprits étaient peu à peu revenus de leur premier effroi. Luther lui-même était disposé à déclarer que ses paroles n’avaient pas la portée qu’on leur avait attribuée. De nouvelles circonstances pouvaient détourner l’attention générale, et ce coup porté à la doctrine romaine finir par se perdre dans les airs comme tant d’autres. Mais les partisans de Rome empêchèrent que l’affaire n’eût une telle issue. Ils agrandirent la flamme au lieu de l’étouffer.

Tetzel et les Dominicains répondirent fièrement à l’attaque qu’on leur avait faite. Brûlant du désir d’écraser le moine audacieux qui était venu troubler leur trafic, et de se concilier la faveur du pontife romain, ils poussèrent un cri de fureur ; ils prétendirent qu’attaquer l’indulgence ordonnée par le pape, c’était attaquer le pape lui-même, et ils appelèrent à leur aide tous les moines et les théologiens de leur écoleo. En effet, Tetzel sentit bien qu’un adversaire tel que Luther était trop fort pour lui seul. Tout déconcerté de l’attaque du docteur, mais surtout plein de colère, il quitta les environs de Wittemberg, et se rendit à Francfort-sur-l’Oder, où il arriva déjà au mois de novembre 1517. L’université de cette ville était de date récente comme celle de Wittemberg, mais elle avait été fondée par le parti contraire. Conrad Wimpina, homme de beaucoup d’éloquence, ancien rival de Pollich de Mellerstadt, et l’un des théologiens les plus distingués de ce temps, y était professeur. Wimpina jetait des regards envieux sur le docteur et sur l’université de Wittemberg. Leur réputation l’offusquait. Tetzel lui demanda une réponse aux thèses de Luther, et Wimpina écrivit deux séries d’antithèses, ayant pour but de défendre, la première, la doctrine des indulgences, et la seconde, l’autorité du pape.

o – Suum senatum convocat ; monachos aliquot et theologos sua sophistica utcunque tinctos. (Melancht. Vita Luth.)

Le 20 janvier 1518 eut lieu cette dispute préparée longtemps à l’avance, annoncée avec éclat, et sur laquelle Tetzel fondait tant d’espérances. Il avait battu le rappel. Des moines avaient été envoyés de tous les cloîtres des environs ; ils s’y rencontrèrent au nombre de plus de trois cents. Tetzel lut ses thèses. On y trouvait jusqu’à cette déclaration, « que quiconque dit que l’âme ne s’envole pas du purgatoire aussitôt que le denier sonne au fond du coffre-fort, est dans l’erreurp. »

p – Quisquis ergo dicit, non citius posse animam volare, quam in fundo cistæ denarius possit tinnire, errat. (Positiones fratris Joh. Tezelii, pos. 56, L. Opp. I, p. 94.)

Mais surtout il établissait des propositions d’après lesquelles le pape semblait vraiment assis, comme Dieu, dans le temple de Dieu, selon le langage d’un apôtre. Il était commode pour ce marchand effronté de se réfugier avec tous ses désordres et ses scandales sous le manteau du pape.

Voici ce qu’il se déclara prêt à défendre en présence de la nombreuse assemblée qui l’entourait :

  1. « Il faut enseigner aux chrétiens, que le pape, par la grandeur de sa puissance, est au-dessus de toute l’Église universelle et des conciles, et que l’on doit obéir à ses ordonnances en toute soumission.
  2. Il faut enseigner aux chrétiens, que le pape seul a droit de décider dans les choses de la foi chrétienne ; que seul il a la puissance, et que personne ne l’a excepté lui, d’expliquer d’après son sens, le sens de l’Écriture sainte, et d’approuver ou condamner toutes paroles ou œuvres des autres.
  3. Il faut enseigner aux chrétiens, que le jugement du pape, dans les choses qui concernent la foi chrétienne et qui sont nécessaires au salut du genre humain, ne peut nullement errer.
  4. Il faut enseigner aux chrétiens, que l’on doit plus s’appuyer et se reposer, dans les choses de la foi, sur la pensée du pape, telle que ses jugements la manifestent, que sur la pensée de tous les hommes sages, telle qu’ils la tirent de l’Écriture.
  5. Il faut enseigner aux chrétiens, que ceux qui portent atteinte à l’honneur et à la dignité du pape, se rendent coupables du crime de lèse-majesté et méritent la malédiction.
  6. Il faut enseigner aux chrétiens, qu’il y a beaucoup de choses que l’Église regarde comme des articles certains de la vérité universelle, quoiqu’elles ne se trouvent ni dans le canon de la Bible, ni dans les anciens docteurs.
  7. Il faut enseigner aux chrétiens, que l’on doit tenir pour hérétiques obstinés, ceux qui déclarent par leurs paroles, leurs actions ou leurs écrits, qu’ils ne rétracteraient pas leurs propositions hérétiques, dût-il pleuvoir ou grêler sur eux excommunications sur excommunications.
  8. Il faut enseigner aux chrétiens, que ceux qui protègent l’erreur des hérétiques, et qui empêchent par leur autorité qu’ils ne soient amenés par-devant le juge qui a le droit de les entendre, sont excommuniés ; que si dans l’espace d’une année ils ne s’abstiennent pas de le faire, ils seront déclarés infâmes et cruellement punis de plusieurs châtiments, d’après les règles du droit et pour l’épouvante de tous les hommesq.
  9. Il faut enseigner aux chrétiens, que ceux qui barbouillent tant de livres et de papier, qui prêchent ou disputent publiquement et méchamment sur la confession de la bouche, sur la satisfaction des œuvres, sur les riches et grandes indulgences de l’évêque de Rome et sur son pouvoir ; que ceux qui se rangent avec ceux qui prêchent ou qui écrivent de telles choses, qui prennent plaisir à leurs écrits et qui les répandent parmi le peuple et dans le monde ; que ceux enfin qui parlent de ces choses en cachette, d’une manière méprisable et sans pudeur, doivent tous trembler d’encourir les peines que nous venons de nommer, et de se précipiter eux-mêmes, et d’autres avec eux, au jour à venir, dans l’éternelle condamnation, et ici-bas déjà dans un grand opprobre. Car chaque bête qui touche la montagne sera lapidée. »

q – Pro infamibus sunt tenendi, qui etiam per juris capitula terribiliter multis plectentur pœnis in omnium hominum terrorem. (Positiones fratris Joli. Tezelii, pos. 36, L. Opp. I, p. 98.)

On voit que Tetzel n’attaquait pas Luther seul. Il avait probablement en vue dans la 48e thèse l’électeur de Saxe. Ces propositions, du reste, sentent bien le dominicain. Menacer tout contradicteur, de châtiments cruels, était un argument d’inquisiteur, auquel il n’y avait guère moyen de répondre. Les trois cents moines que Tetzel avait rassemblés, ouvraient tous de grands yeux et admiraient ce qu’il avait dit. Les théologiens de l’université craignaient trop d’être mis au nombre des fauteurs de l’hérésie, ou étaient trop attachés aux principes de Wimpina, pour attaquer franchement les étonnantes thèses qui venaient d’être lues.

Toute cette affaire, dont on avait fait si grand bruit, semblait donc ne devoir être qu’un combat simulé ; mais parmi la foule des étudiants qui assistaient à la dispute, était un jeune homme d’environ vingt ans, nommé Jean Kniepstrow. Il avait lu les thèses de Luther et les avait trouvées conformes aux doctrines de l’Écriture. Indigné de voir la vérité foulée publiquement aux pieds, sans que personne se présentât pour la défendre, ce jeune homme éleva la voix, au grand étonnement de toute l’assemblée, et attaqua le présomptueux Tetzel. Le pauvre dominicain, qui n’avait pas compté sur une telle opposition, en fut tout troublé. Après quelques efforts, il abandonna le champ de bataille et céda la place, à Wimpina. Celui-ci résista avec plus de vigueur ; mais Kniepstrow le pressa de telle sorte que, pour mettre fin à une lutte si inconvenante à ses yeux, Wimpina, qui présidait, déclara la discussion close, et passa sans autres à la promotion de Tetzel au grade de docteur, récompense de ce glorieux combat. Wimpina, pour se débarrasser du jeune orateur, le fit envoyer dans le couvent de Pyritz en Poméranie, avec l’ordre de l’y garder sévèrement. Mais cette lumière naissante ne fut enlevée des bords de l’Oder que pour répandre plus tard en Poméranie une grande clartéβ. Dieu, quand il le trouve bon, emploie des écoliers pour confondre des docteurs.

β – Spieker, Gesch. Dr. M. Luthers. Beckmani Notifia Univ. Francofurt. VIII, etc.



Kniepstrow (1497-1556)

Tetzel, voulant réparer l’échec qu’il avait reçu, eut recours à l’ultima ratio de Rome et des inquisiteurs, nous voulons dire au feu. Il fit dresser sur une promenade de l’un des faubourgs de Francfort une chaire et un échafaud. Il s’y rendit en procession solennelle avec ses insignes d’inquisiteur de la foi. Il déchaîna du haut de la chaire toute sa fureur. Il lança des foudres, et s’écria de sa puissante voix, que l’hérétique Luther devait être mis à mort par le feu. Puis, plaçant les propositions et le sermon du docteur sur l’échafaud, il les brûlar. Il s’entendait mieux à cela qu’à défendre des thèses. Cette fois il ne trouva point de contradicteurs ; sa victoire fut complète. L’impudent dominicain rentra triomphant dans Francfort. Quand les partis puissants sont vaincus, ils ont recours à certaines démonstrations qu’il faut bien leur passer comme une consolation de leur honte.

r – Fulmina in Lutherum torquet : vociferatur ubique hune hereticum igni perdendum esse : propositiones etiam Lutheri et concionem de indulgentiis publice conjicit in flammas. (Melancht. Vita Luth.)

Les secondes thèses de Tetzel forment une époque importante de la Réformation. Elles déplacèrent la dispute ; elles la transportèrent des marchés d’indulgences dans les salles du Vatican, et la détournèrent de Tetzel sur le pape. A ce méprisable courtier que Luther avait pris à bras-le-corps, elles substituèrent la personne sacrée du chef de l’Église. Luther en fut étonné. Il est probable que plus tard il eut fait de lui-même ce pas ; mais ses ennemis lui en épargnèrent la peine. Dès lors il ne fut plus seulement question d’un commerce décrié, mais de Rome ; et le coup dont une main courageuse avait voulu abattre la boutique de Tetzel, vint ébranler jusque dans ses bases le trône du pontife-roi.

Les thèses de Tetzel ne furent, au reste, que le signal donné à la troupe de Rome. Un cri s’éleva contre Luther parmi les moines, furieux de voir paraître un adversaire plus redoutable que ne l’avaient été Érasme et Reuchlin. Le nom de Luther retentit du haut des chaires des Dominicains. Ils s’adressaient aux passions du peuple ; ils appelaient le courageux docteur un insensé, un séducteur, un possédé du démon. Sa doctrine était décriée comme la plus horrible hérésie. « Attendez seulement encore quinze jours, quatre semaines tout au plus, disaient-ils, et cet hérétique insigne sera brûlé. » Si cela n’eût dépendu que des Dominicains, le sort de Hus et de Jérôme eût bientôt été celui du docteur saxon ; mais Dieu veillait sur lui. Sa vie devait accomplir ce que les cendres de Hus avaient commencé ; car chacun sert à l’œuvre de Dieu, l’un par sa vie, l’autre par sa mort. Plusieurs s’écriaient déjà que l’université de Wittemberg tout entière était atteinte d’hérésie, et ils la déclaraient infâmes. « Poursuivons ce scélérat et tous ses partisans ! » continuaient-ils. En plusieurs endroits ces cris réussissaient à soulever les passions du peuple. Ceux qui partageaient les opinions du réformateur étaient signalés à l’attention publique, et partout où les moines se trouvaient les plus forts, les amis de l’Évangile éprouvaient les effets de leur haine. Ainsi commençait à s’accomplir pour la Réformation cette prophétie du Sauveur : On vous injuriera, on vous persécutera, on dira faussement contre vous, à cause de moi, toute sorte de mal. Cette rétribution du monde ne manque en aucun temps aux disciples décidés de l’Évangile.

s – Eo furunt usque, ut Universitatem Wittembergensem propter me infamem conantur facere et hæreticam. (L. Epp. I, p. 92.)

Quand Luther eut connaissance des thèses de Tetzel, et de l’attaque générale dont elles furent le signal, son courage s’enflamma. Il sentit qu’il fallait résister en face à de tels adversaires ; son âme intrépide n’eut pas de peine à s’y résoudre. Mais en même temps leur faiblesse lui révéla sa force, et lui donna le sentiment de ce qu’il était lui-même.

Il ne se laissa pourtant point aller à ces mouvements d’orgueil si naturels au cœur de l’homme. « J’ai plus de peine, écrivait-il alors à Spalatin, à m’empêcher de mépriser mes adversaires et de pécher ainsi contre Jésus-Christ, que je n’en aurais à les vaincre. Ils sont tellement ignorants des choses divines et humaines, que c’est une honte que d’avoir à combattre contre eux. Et cependant c’est cette ignorance même qui leur donne leur inconcevable audace et leur front d’airaint. » Mais ce qui fortifiait surtout son cœur au milieu de ce déchaînement universel, c’était l’intime conviction que sa cause était celle de la vérité. « Ne vous étonnez pas, écrivait-il à Spalatin, au commencement de l’année 1518, de ce qu’on m’insulte si fort. J’entends avec joie ces injures. Si l’on ne me maudissait pas, nous ne pourrions pas croire si fermement que la cause que j’ai entreprise est celle de Dieu mêmeu. Christ a été mis pour être un signe auquel on contredira. Je sais, disait-il encore, que la Parole de Dieu a été dès le commencement du monde d’une nature telle, que quiconque a voulu la porter dans le monde, a dû, comme les apôtres, abandonner toutes choses et attendre la mort. S’il n’en était pas ainsi, ce ne serait pas la Parole de Jésus-Christv. » Cette paix au milieu de l’agitation est une chose inconnue aux héros du monde. On voit des hommes qui sont à la tête d’un gouvernement, d’un parti politique, succomber sous leurs travaux et sous leurs peines. Le chrétien acquiert d’ordinaire dans la lutte de nouvelles forces. C’est qu’il connaît une source mystérieuse de repos et de courage qu’ignore celui dont les yeux sont fermés à l’Évangile.

t – Epp. Luth. I, p. 92.

u – Nisi maledicerer, non crederem ex Deo esse quæ tracto. (L. Epp. I, 85.)

v – Morte emptum est (verbum Dei), continue-t-il dans un langage plein d’énergie, mortibus vulgatum, mortibus servatum, mortibus quoque servandum aut referendum est.

Une chose pourtant agitait quelquefois Luther : c’était la pensée des dissentiments que sa courageuse opposition pourrait produire. Il savait qu’une parole peut suffire pour enflammer tout le monde. Il voyait quelquefois prince contre prince, peut-être peuple contre peuple. Son cœur allemand en était attristé ; sa charité chrétienne en était effrayée. Il eût voulu la paix. Cependant il fallait parler. Ainsi le voulait le Seigneur. « Je tremble, disait-il, je frémis à la pensée que je pourrais être une cause de discorde entre de si grands princesw. »

w – Inter tantos principes dissidii origo esse, valde horreo et timeo. (L. Epp. I, p. 93.)

Il garda encore le silence sur les propositions de Tetzel concernant le pape. Si la passion l’avait emporté, il se serait sans doute jeté aussitôt avec impétuosité sur cette étonnante doctrine à l’abri de laquelle son adversaire prétendait se cacher. Il ne le fit point. Il y a dans son attente, dans sa réserve, dans son silence, quelque chose de grave et de solennel, qui révèle suffisamment l’esprit qui l’animait. Il attendit, mais non par faiblesse ; car le coup n’en fut que plus fort.

Tetzel, après son auto-da-fé de Francfort-sur-l’Oder, s’était hâté d’envoyer ses thèses en Saxe. Elles y serviront d’antidote, pensait-il, à celles de Luther. Un homme arriva de Halle à Wittemberg, chargé par l’inquisiteur d’y répandre ses propositions. Les étudiants de l’université, encore tout indignés de ce que Tetzel avait brûlé les thèses de leur maître, apprirent à peine l’arrivée de son messager, qu’ils le cherchèrent, l’entourèrent, le pressèrent, l’effrayèrent : « Comment oses-tu apporter ici de telles choses ? » lui dirent-ils. Quelques-uns lui achetèrent une partie des exemplaires dont il était muni ; d’autres se saisirent du reste ; ils s’emparèrent ainsi de toute sa provision, qui montait à huit cents exemplaires ; puis, à l’insu de l’Électeur, du sénat, du recteur, de Luther et de tous les professeursx, ils affichèrent ces mots aux poteaux de l’université : « Que celui qui a envie d’assister à l’embrasement et aux funérailles des thèses de Tetzel, se trouve à deux heures sur la place du marché. »

x – Hæc inscio principe, senatu, rectore, denique omnibus nobis. (L. Epp. I, p. 99.)

Ils s’y rassemblèrent en foule à cette heure et livrèrent aux flammes les propositions du dominicain, au milieu de bruyantes acclamations. Un exemplaire échappa à l’incendie. Luther l’envoya plus tard à son ami Lange d’Erfurt. Cette jeunesse généreuse, mais imprudente, suivait le précepte des anciens : Œil pour œil et dent pour dent, et non celui de Jésus-Christ. Mais quand les docteurs et les professeurs donnaient un tel exemple à Francfort, faut-il s’étonner que de jeunes étudiants le suivissent à Wittemberg ? La nouvelle de cette exécution académique se répandit dans toute l’Allemagne, et y fit grand bruity. Luther en ressentit une vive peine.

y – Fit ex ea re ingens undique fabula. (Ibid.)

« Je m’étonne, écrivit-il à son ancien maître Jodocus à Erfurt, que vous ayez pu croire que c’était moi qui avais fait brûler les thèses de Tetzel. Pensez-vous donc que j’aie tellement perdu l’esprit ? Mais que puis-je y faire ? Quand il s’agit de moi, tous croient tout de tousz. Puis-je enchaîner les langues du monde entier ? Eh bien qu’ils disent, qu’ils écoutent, qu’ils voient, qu’ils prétendent ce qu’il leur plaira. J’agirai tant que le Seigneur m’en donnera la force, et, Dieu aidant, je ne craindrai jamais rien. Ce qu’il en aviendra, dit-il à Lange, je l’ignore, si ce n’est que le péril dans lequel je me trouve devient par cela même beaucoup plus granda. » Cet acte montre combien les cœurs des jeunes gens brûlaient déjà pour la cause que défendait Luther. C’était un signe d’une haute importance ; car un mouvement qui a lieu dans la jeunesse est bientôt porté nécessairement dans la nation tout entière.

z – Omnes omnibus omnia credunt de me. (L. Epp. I, p. 109.)

a – Ibid., p. 98.

Les thèses de Tetzel et de Wimpina, quoique peu estimées, produisirent un certain effet. Elles agrandissaient la dispute, elles élargissaient la déchirure faite au manteau de l’Église, elles lançaient dans la querelle des questions du plus haut intérêt. Aussi les chefs de l’Église commencèrent-ils a y regarder de plus près, et à se prononcer avec force contre le réformateur. « Je ne sais vraiment en qui Luther se confie, dit l’évêque de Brandebourg, qu’il ose ainsi porter atteinte à la puissance des évêques. » Comprenant que cette nouvelle circonstance demandait de nouvelles démarches, l’évêque vint lui-même à Wittemberg.

Mais il trouva Luther animé de cette joie intérieure que donne une bonne conscience, et décidé à livrer le combat. L’évêque sentit que le moine augustin obéissait à une puissance supérieure à la sienne, et il s’en retourna irrité à Brandebourg. Un jour, c’était encore pendant l’hiver de 1518, étant assis devant son foyer, il dit, en se tournant vers ceux qui l’entouraient : « Je ne veux pas reposer en paix ma tête, que je n’aie jeté Martin au feu, comme ce tison ; » et il jeta dans le brasier le tison qu’il tenait. La révolution du seizième siècle ne devait pas plus s’accomplir par les chefs de l’Église, que celle du premier ne l’avait été par le sanhédrin et par la synagogue. Les chefs du clergé furent opposés, au seizième siècle, à Luther, à la Réformation, à ses ministres, comme ils l’avaient été à Jésus-Christ, à l’Evangile, à ses apôtres, et comme trop souvent, dans tous les temps, ils le sont à la vérité. — « Les évêques, dit Luther en parlant de la visite que lui avait faite le prélat de Brandebourg, commencent à s’apercevoir qu’ils auraient dû faire ce que je fais, et ils en sont honteux. Ils m’appellent orgueilleux, audacieux, et je ne nie pas que je le sois. Mais ils ne sont pas gens à savoir ce que Dieu est et ce que nous sommesb. »

b – Quid vel Deus vel ipsi sumus. (L. Epp. I, 224)

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