Histoire de la Réformation du seizième siècle

6.6

L’Évangile en Italie – Discours sur la messe – La captivité babylonienne de l’Église – Le baptême – Abolition des autres vœux

Mais de plus terribles combats attendaient Luther. Rome brandissait le glaive dont elle allait frapper l’Évangile. Le bruit de la condamnation qui devait l’atteindre, loin d’abattre le réformateur, augmenta son courage. Il s’inquiète peu de parer les coups de cette puissance superbe : c’est en en portant lui-même de plus terribles qu’il rendra inutiles ceux de ses adversaires. Tandis que les congrégations transalpines fulminent contre lui leurs anathèmes, il portera le glaive de la Parole au sein des peuples italiens. Des lettres de Venise parlaient de la faveur avec laquelle on y accueillait les sentiments de Luther. Il brûle du désir de faire passer les Alpes à l’Évangile. Il faut que les évangélistes l’y transportent. « Je désirerais, dit-il, que nous eussions des livres vivants, c’est-à-dire des prédicateursa, et que nous pussions les multiplier et les protéger partout, afin qu’ils transmissent au peuple la connaissance des choses saintes. Le prince ne pourrait faire une œuvre plus digne de lui. Si le peuple d’Italie recevait la vérité, alors notre cause serait inattaquable. » Il ne paraît pas que ce projet de Luther se soit réalisé. Plus tard, il est vrai, des hommes évangéliques, Calvin lui-même, firent quelque séjour en Italie ; mais pour le moment le dessein de Luther n’eut pas de suite. Il s’était adressé à un puissant du monde. S’il avait fait appel à des hommes humbles, mais pleins de zèle pour le royaume de Dieu, l’issue eût été bien différente. A cette époque on avait l’idée que tout devait se faire par les gouvernements, et l’association de simples individus, cette puissance qui opère maintenant de si grandes choses dans la chrétienté, était presque inconnue.

a – « Si vivos libros, hoc est concionatores, possemus multiplicare… » (Luth. Ep. I, p. 491.)

Si Luther ne réussissait pas dans ses projets pour répandre au loin la vérité, il n’en était que plus zélé à l’annoncer lui-même. Ce fut alors qu’il prononça à Wittemberg son discours sur la sainte messeb. Il s’y éleva contre de nombreuses sectes de l’Église romaine, et lui reprocha avec une haute raison son manque d’unité. « La multiplicité des lois spirituelles, dit-il, a rempli le monde de sectes et de divisions. Les prêtres, les moines et les laïques en sont venus à se haïr plus que ne le font les chrétiens et les Turcs. Que dis-je ? les prêtres entre eux, les moines entre eux, sont ennemis à mort. Chacun est attaché à sa secte, et méprise toutes les autres. C’en est fait de l’unité et de la charité de Christ. » — Puis il attaque l’idée que la messe soit un sacrifice et ait quelque puissance en elle-même. « Ce qu’il y a de meilleur dans tout sacrement, et par conséquent dans la cène, dit-il, ce sont la Parole et les promesses de Dieu. Sans la foi à cette Parole et à ces promesses, le sacrement est mort ; il est un corps sans âme, un vase sans vin, une bourse sans argent, un type sans accomplissement, une lettre sans esprit, un étui sans diamant, un fourreau sans épée. »

b – Luth. Op. (L.), XVII, p. 490.

La voix de Luther n’était pourtant pas renfermée dans Wittemberg, et s’il ne se trouva pas des missionnaires pour porter au loin ses instructions, Dieu avait pourvu à un missionnaire d’un nouveau genre. L’imprimerie devait remplacer les évangélistes. La presse devait battre en brèche la forteresse romaine. Luther avait préparé une mine dont l’explosion ébranla l’édifice de Rome jusque dans ses fondements. Ce fut la publication de son fameux livre sur la Captivité babylonienne de l’Église, qui parut le 6 octobre 1520c. Jamais homme, dans une situation aussi critique, n’avait montré tant de courage.

c – Luth. Op. lat., II, p. 63, et Leip. XVII, p. 511.

Il expose d’abord dans cet écrit, avec une superbe ironie, tous les avantages dont il est redevable à ses ennemis :

« Que je le veuille ou non, dit-il, je deviens de jour en jour plus savant, poussé comme je le suis par tant de maîtres célèbres. Il y a deux ans, j’attaquai les indulgences, mais avec tant d’indécision et de crainte, que maintenant j’en ai honte. Il ne faut pourtant pas s’en étonner, car j’étais seul alors à rouler ce rocher. » Il rend grâces à Prierio, à Eck, à Emser, et à ses autres adversaires. Je niais, poursuit-il, que la papauté fût de Dieu, mais j’accordais qu’elle était de droit humain. Maintenant, après avoir lu toutes les subtilités sur lesquelles ces damerets établissent leur idole, je sais que la papauté n’est que le royaume de Babylone et la violence du grand chasseur Nimrod. Je prie donc tous mes amis et tous les libraires de brûler les livres que j’ai écrits à ce sujet, et de leur substituer cette proposition unique : La papauté est une chasse générale commandée par l’évêque romain, pour atteindre et perdre les âmesd. »

d – « Papatus est robusta venatio Romani episcopi. » (Luth. Op. lat., II, p. 64.)

Luther attaque ensuite les erreurs dominantes sur les sacrements, sur les vœux monastiques, etc. Il réduit à trois, baptême, pénitence et sainte cène, les sept sacrements de l’Église. Il expose la véritable nature de la cène du Seigneur. Puis il passe au baptême, et c’est ici surtout qu’il établit l’excellence de la foi et qu’il attaque Rome avec puissance. Dieu, dit-il, nous a conservé ce seul sacrement net des traditions humaines. Dieu a dit : Celui qui aura cru et qui a été baptisé sera sauvé. Cette promesse de Dieu doit être préférée à tout l’éclat des œuvres, à tous les vœux, à toutes les satisfactions, à toutes les indulgences et à tout ce que l’homme a inventé. Or, de cette promesse, si nous la recevons avec foi, dépend tout notre salut. Si nous croyons, notre cœur est fortifié par la promesse divine ; et quand tout abandonnerait le fidèle, cette promesse qu’il croit ne l’abandonnerait pas. Avec elle il résistera à l’adversaire qui fond sur son âme, et il répondra à l’impitoyable mort et au jugement même de Dieu. Sa consolation dans toutes ses épreuves sera de dire : Dieu est véritable en ses promesses ; j’en ai reçu le gage dans le baptême ; si Dieu est pour moi, qui sera contre moi ? Oh ! que le chrétien, que le baptisé est riche ! rien ne peut le perdre, à moins qu’il ne se refuse à croire.

Peut-être qu’à ce que je dis sur la nécessité de la foi on opposera le baptême des petits enfants. Mais comme la parole de Dieu est puissante pour changer même le cœur d’un impie, qui n’est pourtant ni moins sourd ni moins inhabile qu’un petit enfant, de même aussi la prière de l’Église, à qui toutes ces choses sont possibles, change le petit enfant, par la foi qu’il plaît à Dieu de verser dans son âme, et ainsi le nettoie et le renouvellee. »

e – « Sicut enim Verbum Dei potens est dum sonat, etiam impii cor immutare, quod non minus est surdum et incapax quam ullus parvulus, ita per orationem Ecclesiæ offerentis et credentis parvulus fide infusa mutatur, mundatur et renovatur. » (Luth. Op. lat., II, p. 77.)

Après avoir exposé la doctrine du baptême, Luther s’en sert comme d’une arme contre la papauté. En effet, si le chrétien trouve son salut dans le renouvellement de son baptême par la foi, qu’a-t-il besoin des prescriptions de Rome ?

C’est pourquoi, dit Luther, je le déclare, ni le pape, ni l’évêque, ni quelque homme que ce soit, n’a le pouvoir d’imposer la moindre chose à un chrétien, à moins que ce ne soit avec son consentement. Tout ce qui se fait autrement se fait tyranniquementf. Nous sommes libres à l’égard de tous. Le vœu que nous avons fait dans le baptême suffit à lui seul, et est plus que tout ce que nous pouvons jamais accomplirg. Tous les autres vœux peuvent donc être abolis. Que quiconque entre dans le sacerdoce ou dans un ordre religieux comprenne bien que les œuvres d’un religieux ou d’un prêtre, quelque difficiles qu’elles puissent être, ne diffèrent en rien devant Dieu de celles d’un paysan qui travaille à son champ, ou d’une femme qui prend soin de sa maisonh. Dieu estime toutes choses d’après la foi. Et il arrive souvent que le simple travail d’un serviteur ou d’une servante est plus agréable à Dieu que les jeûnes et les œuvres d’un moine, parce que la foi manque à ceux-ci… Le peuple chrétien est le véritable peuple de Dieu, transporté en captivité à Babylone, où on lui a ravi ce que le baptême lui avait donné. »

f – « Dico itaque, neque papa, neque episcopus, neque ullus hominum habet jus unius syllabæ constituendæ super christianum hominem, nisi id fiat ejusdem consensu ; quidquid aliter fit tyrannico spiritu fit. » (Luth. Op. lat., II, p. 77.)

g – « Generali edicto tollere vota… abunde enim vovimus in baptismo, et plus quam possimus implere. (Ibid., p. 78.)

h – « Opera, quantum libet sacra et ardua, religiosorum et sacerdotum in oculis Dei prorsus nihil distare aboperibus rustici in agro laborantis, aut mulieris in domo sua curantis. » (Ibid.)

Telles étaient les armes par lesquelles s’accomplissait la révolution religieuse dont nous retraçons l’histoire. D’abord la nécessité de la foi était rétablie ; et alors les réformateurs s’en servaient comme d’une massue pour pulvériser les superstitions. C’était avec cette puissance de Dieu qui transporte des montagnes qu’ils attaquaient tant d’erreurs. Ces paroles de Luther, et tant d’autres semblables, répandues dans les cités dans les couvents, dans les campagnes, étaient le levain qui faisait lever toute la pâte.

Luther termine ce fameux écrit sur la captivité de Babylone par ces paroles :

« J’apprends que de nouvelles excommunications papales doivent avoir été fabriquées contre moi. S’il en est ainsi, on peut regarder le présent livre comme une partie de ma future rétractation. Le reste suivra bientôt pour faire preuve de mon obéissance, et le tout formera, avec l’aide de Christ, un ensemble tel, que Rome n’aura jamais rien vu ni entendu de pareil. »

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