Explication du Notre Père

Lettre à Maître Peter, le barbier

Félix Kuhn (1824-1905), dans son tome troisième de Luther sa vie et son œuvre, mentionne que durant l’année 1535, le réformateur prêchait souvent devant le prince-électeur, dans sa maison et à ses enfants :

« … tandis qu’il parlait, se laissant aller aux caprices de l’improvisation, quelque disciple prenait des notes, rédigeait, ajoutait parfois du sien. Ces discours domestiques publiés plus tard, deux ans avant sa mort, sous le nom de Hauspostille, sont d’une exquise édification, pleins de sève et de sérieuse morale. C’est par là qu’il gagnait les cœurs. Ceux-là même que blessait la virulence de ses polémiques admiraient ici l’homme qui savait parler de Dieu et de la vie intérieure avec une si douce candeur. Nous avons aussi du même temps un petit écrit de quelques pages seulement, d’une bonhomie charmante : Simple Manière de prier, dédiée à mon ami maître Peter, le barbier. »

L’histoire a retenu le nom de ce barbier de Wittemberg, qui avait demandé à Luther de lui apprendre à prier, comme les disciples en avaient un jour formulé la demande à Jésus : Peter Beskendorf. Or la réponse de Luther renvoie littéralement à celle de Jésus, puisque l’essentiel de la lettre consiste en un court développement du Notre Père. Il était donc intéressant de la reproduire ici, par manière de comparaison, avec son traité sur l’Oraison dominicale. On remarquera d’emblée que le côté mystique de l’Explication a un peu disparu, au profit d’un aspect pratique, parfaitement congruent à l’aide et aux conseils que le docteur Luther désirait apporter à son ami.

Simple Manière de prier, dédiée à mon ami, Maître Peter, le barbiera.

a – Peter Beskendorf. La lettre de Luther se trouve dans Erlangen Edition (XXIII, 214).

« Mon cher maître Peter, je vous communique ici sur la prière ce que je sais de mieux, ce que je pratique moi-même. Veuille le Seigneur Dieu vous accorder à vous et à tout le monde de faire mieux. Amen.

D’abord, quand je sens que mes pensées et mes soucis me rendent froid et sans joie pour la prière (la chair et le diable cherchent toujours à y mettre obstacle), je prends mon psautier, je cours dans mon cabinet ou à l’église, selon l’heure et l’occasion, et je commence à réciter les dix commandements, le Credo, puis, si j’en ai le temps quelques passages des évangiles, des épîtres de saint Paul ou des Psaumes, absolument comme font les enfants. La prière doit être notre première occupation de la matinée, et notre dernière le soir. Sachons nous défendre contre ces pensées menteuses qui nous disent : Remets à plus tard, occupe-toi de telle ou telle affaire, tu prieras ensuite. C’est ainsi qu’on abandonne la prière pour les affaires, et dès que celles-ci nous ont saisi, elles ne nous lâchent plus.

Je ne nie pas qu’il n’y ait des œuvres qui valent la prière, celles entre autres qu’une nécessité nous impose. Un proverbe, attribué à saint Jérôme, dit : Toutes les œuvres du croyant sont une prière. Un autre ajoute : Bien travailler, c’est bien prier. Cela signifie sans doute que le croyant, dans ses œuvres, ne cherche qu’à honorer Dieu qu’il craint, qu’à suivre ses commandements, qu’à se garder de l’injustice et de la fraude. Toute œuvre inspirée par de telles pensées est une prière et une louange à Dieu… C’est dans ce sens que Jésus-Christ nous a dit : Priez sans cesse, car sans cesse nous avons à nous défendre du péché et de l’injustice, à craindre Dieu, et à suivre ses commandements. Néanmoins gardons-nous de prendre trop facilement des œuvres factices pour des œuvres nécessaires, et de perdre ainsi l’habitude de la vraie prière.

Quand votre cœur est bien échauffé par les paroles que vous venez de réciter, et qu’il est bien rentré en lui-même, mettez-vous alors à genoux ou restez debout, les mains jointes, les yeux au ciel, et dites, le plus brièvement que vous pourrez, des paroles telles que celles-ci : Ah ! mon Père céleste et mon bon Dieu, je suis un pauvre et misérable pécheur, bien indigne d’élever mes mains vers toi et de t’adresser ma prière ; mais puisque tu nous l’as ordonné à tous et que tu as promis de nous exaucer, puisque tu nous as même enseigné par ton cher Fils comment il faut te prier, je viens donc à toi, obéissant à ta Parole, je m’abandonne à ta gracieuse promesse, et au nom de mon Seigneur Jésus-Christ, avec tous les saints qui sont sur la terre, je te dis : Notre Père qui es aux cieux, etc., toute la prière dominicale, mot à mot.

Première demande : Que ton nom soit sanctifié.

Ensuite, répétez en une partie, celle que vous voudrez, la première pétition, par exemple : « Que ton nom soit sanctifié, » ; dites : Oui, Seigneur Dieu, mon bon Père, que ton nom soit sanctifié, en nous comme à travers le monde entier. Arrache et détruis les abominations, l’idolâtrie, l’hérésie du Turc, le Pape et tous les faux docteurs, les fanatiques et tous ceux qui abusent de ton nom, qui le prennent en vain dans leurs voies de scandale, et le blasphèment horriblement. Ils se vantent constamment d’enseigner ta Parole et les ordonnances de l’Église, quoiqu’en réalité, sous ton nom, ils se servent des tromperies et des ruses du diable, pour séduire misérablement beaucoup de pauvres âmes à travers le monde ; ils assassinent et répandent des flots de sang innocent, croyant te rendre un culte par de telles persécutions.

Seigneur Dieu, convertis-les, réprime-les ! Convertis ceux qui doivent l’être, afin qu’eux avec nous, et nous avec eux, nous puissions ensemble sanctifier ton nom, possédant à la fois la saine et pure doctrine, et menant des vies bonnes et saintes. Réprime ceux qui ne veulent pas se convertir afin que de force ils cessent d’abuser, de souiller, de déshonorer ton saint nom, et d’égarer les pauvres gens. Amen.

Seconde demande : Que ton règne vienne.

Dites : O bon Seigneur, notre Dieu, notre Père, vois comment les hommes dans leur sagesse et leur raison non seulement profanent ton nom, détournent l’honneur qui t’est dû pour le prodiguer à leurs mensonges et au diable, mais encore ils s’emparent de la position, de la puissance, de la richesse et de la gloire que tu leur as données, pour satisfaire leur propre ambition et s’opposer à ton royaume. Nombreux et puissants, ils abîment et oppressent le petit troupeau de ton royaume, faible, méprisé, insignifiant. Ils ne supportent pas la présence de ton troupeau sur terre, et croient qu’en le dévorant, ils te rendent un divin service. Seigneur Dieu et Père, convertis-les et défends-nous ! Convertis ceux qui doivent encore devenir enfants de Dieu et membres de ton royaume, afin qu’eux avec nous, et nous avec eux, nous puissions te servir dans ton royaume, animés d’une vraie foi et d’un amour sincère ; que partant de ce royaume qui a commencé sur terre nous puissions entrer dans ton royaume éternel ! Défends-nous contre ceux qui ne voudront pas cesser d’employer leur force et leur pouvoir à la destruction de ton royaume, afin que quand ils seront détrônés et humiliés, ils soient obligés d’arrêter leurs exactions. Amen.

Troisième demande : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

Dites : O bon Seigneur, notre Dieu et Père, tu sais que si le monde n’a pas le pouvoir de détruire ton nom et d’anéantir ton royaume, néanmoins il s’ingénie nuit et jour à concevoir des ruses perverses, des conspirations et des intrigues, à se réunir secrètement pour s’encourager dans le mal, par la colère et la menace, désirant attenter à ton nom, à ta parole, à ton royaume et à tes enfants. C’est pourquoi, bon Seigneur, Dieu et Père, convertis-les et défends-nous ! Convertis ceux qui doivent un jour se soumettre à ta bonne volonté, afin qu’eux avec nous et nous avec eux, nous puissions obéir à ta volonté joyeusement, et pour ton seul plaisir ; que nous puissions supporter patiemment et sereinement tout mal, toute croix, toute adversité, et par ces épreuves reconnaître, goûter, expérimenter, ta volonté bonne, agréable et parfaite. Cependant défends-nous contre ceux qui, pleins de rage, de fureur, de haine, de menaces et de mauvaises convoitises, ne cessent pas de nous nuire. Réduis à néant leurs méchants projets, leurs ruses, que leurs pièges se retournent contre eux, comme nous chantons dans le Psaume. (Psa.7.16)

Quatrième demande : Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien.

Dites : Bon Seigneur, notre Dieu et Père, bénis-nous dans cette vie présente et éphémère. Dans ta grâce garantis-nous une paix bénie. Garde-nous de la guerre et des désordres. Accorde à notre cher empereur richesse et succès face à ses ennemis. Accorde-lui la sagesse et l’intelligence pour pouvoir gouverner ce royaume terrestre et le conserver dans la paix et la prospérité. Accorde à tous les rois, princes, et gouverneurs de bons conseils, le désir de maintenir leur domaine et leurs sujets dans la tranquillité et la justice. Aide et guide en particulier notre cher prince Jean-Frédéric, sous la protection duquel tu nous as placés, qu’il soit gardé de tout mal et puisse régner sereinement, à l’abri des atteintes de langues médisantes et de sujets déloyaux. Accorde ta grâce à tous ses sujets afin qu’ils veuillent le servir loyalement et fidèlement. Accorde à tous les citadins et aux fermiers d’être diligents, charitables, honnêtes entre eux. Donne-nous un temps clément et de belles moissons. Je te recommande ma maison et mes biens, ma femme et mes enfants. Accorde-moi de bien les conduire, de les soutenir et de les éduquer comme un chrétien doit le faire. Défends-nous contre le Destructeur et tous ses mauvais anges, qui voudraient nous faire du mal dans cette vie. Amen.

Cinquième demande : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

Dites : O bon Seigneur, notre Dieu et Père, n’entre pas en jugement contre nous, car il n’y a aucun homme vivant qui soit justifié devant toi. Ne considère pas comme péché le fait que nous soyons si ingrats au regard de tes bontés ineffables, spirituelles et matérielles, ni que nous tombions tous les jours dans un nombre de fautes au delà de ce que nous pouvons reconnaître et compter. Ne t’arrête pas sur le bien ou le mal que nous avons fait, mais sur la miséricorde infinie que tu as déployée sur nous, en Christ ton cher Fils. Accorde le pardon à ceux qui nous ont fait du mal et du tort, car nous leur pardonnons du fond du cœur. Ils s’infligent eux-mêmes les pires blessures, en provoquant ta colère par leur conduite envers nous. Leur ruine ne nous apporterait rien, et nous préférerions infiniment qu’ils soient sauvés avec nous. Amen. Si quelqu’un se sent incapable de pardonner qu’il prie pour recevoir la grâce de pouvoir le faire (sujet de sermon).

Sixième demande : Ne nous induis pas en tentation.

Dites : O bon Seigneur, notre Dieu et Père, maintiens-nous utiles et alertes, prompts et diligents pour ta parole et ton service, que nous ne tombions pas dans la complaisance, la paresse, la négligence, croyant être déjà parvenus à quelque chose ; de sorte que le redoutable ennemi ne puisse surgir sur nous à l’improviste, pour nous enlever ta parole, susciter des querelles et des partis entre frères, nous entraîner dans un péché et un déshonneur, tant du corps que de l’esprit. Accorde-nous au contraire, par ton Esprit, sagesse et force, afin que nous résistions vaillamment contre lui, et que nous remportions la victoire. Amen.

Septième demande : Mais délivre-nous du mal.

Dites : O bon Seigneur, notre Dieu et Père, cette triste vie est tant remplie de misères et de calamités, de dangers et d’incertitudes, de malice et d’infidélité (Paul, Eph.5.16, dit que les jours sont mauvais), que nous aurions des motifs de nous décourager et d’aspirer à la mort. Mais toi, tendre Père, tu sais notre fragilité, aussi aide-nous à traverser sains et saufs cette mer de méchanceté et de corruption. Que quand viendra notre dernière heure dans cette vallée de larmes, nous puissions regarder la mort en face, sans crainte ni désespoir, et armés d’une foi solide, remettre nos âmes entre tes mains. Amen.

Amen !

Accentuez bien cet Amen, et ne doutez nullement que Dieu ne mette toute sa grâce à vous écouter et qu’il ne réponde : « oui », à votre prière. Songez donc que vous n’êtes pas seul à genoux, mais que la chrétienté entière prie avec vous. Or, Dieu ne peut pas mépriser ce que celle-ci lui demande, ne vous relevez point que vous ne puissiez dire : Certainement, Dieu exaucera, c’est-à-dire Amen.

Sachez aussi que je n’entends nullement que vous prononciez toutes ces paroles dans votre prière ; car vous tomberiez alors dans de vaines redites et dans un bavardage inutile. Je n’ai voulu qu’échauffer votre cœur et vous indiquer les pensées que l’Oraison dominicale doit vous inspirer. Qu’importe que vos paroles soient celles-ci ou d’autres ? Moi-même, je ne m’y assujettis pas ; aujourd’hui je prie d’une façon, demain d’une autre, selon que je me sens bien disposé et joyeux.

Un bon barbier a toujours les yeux, les sens, toutes ses pensées fixés sur son rasoir ; quand il rase ou quand il taille, il sait toujours où il en est. S’il se met à babiller, à penser à toute autre chose qu’à ce qu’il fait, il pourrait bien vous faire une entaille à la joue, au nez, ou même vous couper la gorge. Chaque chose, pour être bien faite, veut son homme tout entier. Qui pense à mille choses diverses, dit le proverbe, ne pense à rien de bon. Aussi la prière, si elle est vraie, exige le cœur tout entier, uniquement appliqué à elle. »

Dans la suite de sa lettre, après qu’il en a fini avec le Notre Père, Luther suggère à Peter de s’approprier de la même façon les Dix Commandements ; il devra les considérer successivement, tressant pour chacun d’eux une guirlande à quatre brins : 1° comprendre ce que demande le Seigneur, 2° louer le Seigneur pour le commandement, 3° confesser ses péchés relatifs au commandement, 4° prier adéquatement.

Par exemple :

Troisième commandement : Souviens-toi du jour du repos, pour le sanctifier.

  1. Luther médite le fait que le sabbat n’a pas été donné à l’homme seulement pour son bon plaisir, et pour qu’il demeure dans l’oisiveté, mais pour qu’il se consacre davantage à Dieu par sa Parole et la prière.
  2. Luther remercie le Seigneur pour son immense bonté d’avoir pourvu à la prédication de sa Parole, ce jour particulier de la semaine ; de vivre dans un temps et dans un lieu où il en bénéficie, tandis que les hommes qui en sont privés demeurent dans les ténèbres et les calamités, la mort et la tyrannie.
  3. Luther confesse que bien des fois il a profané le sabbat par sa paresse, son indifférence à l’écoute de la Parole, etc.
  4. Luther prie que le monde ne soit jamais privé de la prédication, que l’Église soit préservée des faux docteurs, que le Maître envoie de bons ouvriers dans la moisson, que le Seigneur nous fasse la grâce d’écouter humblement sa Parole et de nous y soumettre.

Enfin, si Peter en a le temps et le désir, il pourra également passer en revue les trois articles du Credo, correspondants à la Trinité, et leur appliquer les quatre étapes.

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