Explication du Psaume 51

§ 57. Les papistes et les pharisiens ne reconnaissent pas la corruption totale de l’homme.

C’est dans cette contradiction perpétuelle que se jettent tout le Papisme et ceux qui marchent dans ses principes. Ils ne veulent point reconnaître qu’ils ne sont rien que péché, mais ils prétendent par force que la raison a encore sa droite connaissance et ses lumières, et que s’il y a quelque chose de corrompu dans la nature, ils croient que ce ne sont que les parties inférieures de l’âme qui en sont entachées ; cette partie inférieure, il est vrai, est emportée, disent-ils, par les passions et par la convoitise, mais pourtant les parties supérieures ont une lumière pure et incapable d’être éteinte. Si on disait cela seulement des actions civiles et extérieures, encore la chose serait en quelque façon véritable, quoique pas tout à fait, car même dans ces choses-là nous sentons combien la nature a perdu de ses forces par le péché. Mais quand il s’agit de la vraie connaissance du péché et de l’état de toute la nature, il n’y a rien de si faux que cette thèse, que la droite raison soit dans l’homme bien réglé et qu’elle connaisse ces vérités théologiques. Ainsi il demeure vrai que la connaissance de ces vérités, que Dieu est seul juste et que nous ne sommes rien que péché, se puise uniquement dans la révélation et dans la parole de Dieu.

Quand donc la parole de Dieu vient ainsi révéler et manifester le péché, alors il se découvre deux sortes de personnes, les unes justifient Dieu et lui donnent gloire en avouant par une humble confession que ces convictions de péché et ces reproches sont justes et véritables ; les autres condamnent ce Dieu qui veut les convaincre de péché, elles veulent le faire passer pour un menteur ; et ceux-ci forment le plus grand nombre, car la plus grande partie des hommes condamnent et persécutent cette parole qui veut convaincre et découvrir le péché, et ce ne sont pas seulement les Turcs ou les Juifs ennemis déclarés de la doctrine de la religion chrétienne qui font cela, mais le pape et ses adhérents et tous ceux qui laissent régner en eux les principes et les maximes de la corruption, sur lesquels le Papisme est fondé. Car ils disent qu’ils peuvent fuir le mal et faire le bien par les enseignements et les lumières de la raison, qu’est-ce autre chose que nier que la nature soit corrompue par le péché ? Et cette sentence si célèbre que, pourvu que l’homme fasse ce qu’il peut, infailliblement Dieu lui donne sa grâce, ne tend-elle pas au même but ? n’est-ce pas là accuser de mensonge Dieu, qui dit dans sa parole : Que tous ont péché, qu’il n’y en a pas un seul qui fasse le bien, que tous se sont égarés et se sont ensemble rendus inutiles. (Romains 3.11-12 ; Psaumes 53.1-6). Ces paroles ne condamnent pas seulement les grossières convoitises de la chair, comme l’impureté, l’avarice, etc. ; mais elles vont plus loin, elles condamnent cet éloignement et cet égarement où l’homme est à l’égard de Dieu, et qui fait que toute la nature de l’homme ne cherche point Dieu, ne se soucie point de lui, qu’elle est sans foi en ce Dieu dans les calamités, et sans crainte de ce Dieu dans la prospérité. Sans doute que cela fait bien voir que toute la nature et la raison humaine avec la volonté sont aveugles, sont ennemies et contraires au bien et à la vérité. Et c’est parce que nous enseignons et que nous soutenons de telles choses, que nous sommes condamnés comme des hérétiques et traînés au supplice sans miséricorde. Mais c’est là la réalisation de ce que dit cet excellent psaume, que Dieu ne peut pas être justifié et glorifié par les méchants en ses paroles ; mais qu’au contraire ils contestent contre lui et le condamnent.

Apprenons donc et sachons que c’est un grand péché que de débattre ainsi avec Dieu et de le vouloir contester contre ses paroles. Faisons plutôt ceci, quoique nous n’entendions et ne comprenions pas entièrement ces choses, croyons en pourtant à ce Dieu qui nous le dit et qui rend de nous de pareils témoignages. C’est lui qui nous a créé, il sait bien ce que nous sommes, il connaît bien quelle pauvre masse de boue est notre nature ; mais nous, nous ne le savons point. Un vase de terre dans lequel il s’est fait une fente en se heurtant contre un autre vase ou par quelque autre accident, ne sait pas s’il a une fente, mais le potier et celui qui l’a formé le sait bien. Nous aussi nous ne connaissons pas bien toute notre corruption, c’est pourquoi confessons notre faiblesse et disons avec humilité à notre Dieu : « Ô Dieu, je ne suis que terre et que boue, et toi tu es celui qui m’as formé et mon créateur ; puis donc que tu témoignes de moi dans ta parole que je suis tout péché, j’en veux croire à ta parole, reconnaître et confesser devant toi cette corruption et cette impiété cachée dans toute ma nature, afin que tu sois glorifié, et moi confondu, que tu sois juste et tout vie, et moi avec tous les hommes rien que péché et que mort, que tu sois reconnu comme le souverain bien, et moi et tous les hommes comme le souverain mal ; c’est ce que je reconnais et confesse eu étant instruit par tes promesses et par ta loi, et non par ma propre raison qui cacherait et déguiserait cette impiété, et même la recommanderait plutôt que de la découvrir et de la condamner. Mais je trouve plus d’avantage à te donner gloire. Une âme qui confesse ainsi ses péchés, c’est celle qui peut prier ce verset de notre psaume avec intelligence : « J’ai péché contre toi, etc. : Afin que tu aies gain de cause quand tu es jugé. »

Voici qui est ajouté pour notre consolation ; car ce jugement que Dieu porte de toute la nature, qu’elle est absolument sous le péché et que Dieu seul est juste, souffre bien des contradictions et des oppositions, puisque la plus grande partie du monde se rebelle et s’oppose à cette vérité, comme nous l’avons dit ci-dessus ; même nous portons en nous une naturelle et secrète répugnance à nous soumettre à ce jugement de Dieu pour reconnaître que tout, tant ses promesses que ses menaces, nous convainc de péché. Car même les saints sentent ces malheureux mouvements de blasphème par lesquels ils sont quelquefois indignés de voir condamner toutes leurs meilleures choses, car les saints le sentiront aussi en ce qu’il leur semble qu’ils prieraient plus diligemment, qu’ils croiraient plus fermement et qu’ils loueraient Dieu plus ardemment, s’ils se sentaient plus purs et plus nettoyés dans leurs affections et dans leurs actions, et s’ils étaient sans péché. Or, être sans péché en cette vie n’est pas être homme, mais Dieu ou ange. C’est ainsi que le péché qui est encore caché dans les saints lutte contre Dieu et s’oppose à son jugement, car quoiqu’ils soient gouvernés par l’Esprit et que par la force de cet Esprit ils acquiescent au jugement de la parole de Dieu, St. Paul avoue pourtant qu’il y a en lui et dans sa chair une loi qui combat contre cet Esprit et contre la parole de Dieu. Si donc les saints et les enfants de Dieu sentent cette perpétuelle contradiction dans leur chair contre Dieu et sa parole, faut-il s’étonner si on voit les âmes, qui ne connaissent et qui ne se fondent que sur l’extérieur, contredire ces divines vérités ? Mais voici une grande consolation pour ceux qui admettent ces vérités de la parole de Dieu, c’est que quoiqu’ils y soient contredits par plusieurs ennemis, pourtant ils n’y succomberont pas, parce que ce n’est pas eux seuls qu’on contredit, mais c’est Jésus-Christ même, sa parole, ses promesses et sa loi. C’est pourquoi l’événement et l’issue de ce combat ne peut être que favorable pour ceux qui tiennent à Jésus selon cette parole : Afin que tu vainques ou que tu aies gain de cause quand tu es jugé. C’est ainsi que Jésus est obligé de se laisser accuser d’hérésie par le Pape ; c’est ainsi que notre Dieu, qui promet la rémission des péchés par Jésus-Christ, est contredit et condamné comme une dangereuse peste par les hypocrites qui cherchent leur propre justice et leur propre sainteté ; c’est ainsi que notre raison et notre propre sagesse condamnent la sagesse de Dieu. Mais n’importe ; espérons une issue heureuse, et ne perdons pas courage au milieu d’une si grande troupe de contredisants. Jésus vaincra en nous par sa parole, et ces cœurs et ces bouches blasphématoires, qui ne veulent point reconnaître leur impureté et qui veulent joindre à Jésus leur propre sainteté et leur propre justice, seront confus et fermés un jour.

Cette malheureuse disposition de la nature corrompue à chercher toujours sa propre justice, est un grand blasphème contre Dieu ; de sorte que ce n’était pas sans raison que Jésus-Christ disait aux pharisiens (Matthieu 21.31) : Les péagers et les femmes de mauvaise vie vous devancent au royaume des cieux ; parce que ceux-ci vivant dans de grossiers péchés, s’humilient facilement et reconnaissent qu’ils sont pécheurs ; mais ceux-là à tout moment recommencent de nouveaux combats contre Dieu, par lesquels ils attaquent sa grâce, se défendent contre ses jugements et ne veulent point se soumettre à ses convictions. Certes, je crois bien que si nous étions seuls dans ce combat, nous serions obligés de céder à la fureur du monde et des hypocrites ; mais nous entendons ici que ce n’est pas nous qui sommes condamnés, mais que c’est Dieu même dans ses paroles. Le Pape, par exemple, m’a excommunié, non pas parce que je suis un sectaire et un pécheur, car en ce cas-là il pourrait bien me supporter comme il supporte les paillardises, les adultères et toutes les autres abominations de ses adhérents ; mais voici qu’il condamne en moi et dans mes frères que nous enseignons et annonçons ces paroles de Dieu, par lesquelles les péchés, les aveuglements et les misères du monde et du Papisme, sont mises au jour et blâmées ; mais nous ne pourrions pas le faire, si ce n’étaient les paroles du Dieu vivant qui nous ont ainsi instruits. Si donc nous sommes accusés et condamnés comme des hérétiques, si notre doctrine est regardée et taxée comme dangereuse, parce qu’elle combat et condamne toute la sagesse humaine et tous les soins que l’homme peut prendre pour se rendre Dieu propice, et même s’il y naît des guerres, des querelles, des troubles, nous avons cette consolation que Jésus vaincra, parce que ce n’est pas nous seuls, mais lui et ses paroles qui sont attaquées et condamnées. C’est pourquoi nous sommes assurés qu’il les défendra et qu’il en soutiendra la vérité contre ses ennemis. Il donne et envoie sa parole afin que les hommes soient sauvés par elle, et s’ils ne veulent pas la recevoir, il ne permet pas pour cela que sa parole soit foulée, mais il foule plutôt ceux qui la combattent, comme l’expérience le prouve souvent. Cette consolation qui nous soutient contre les excommunications, les contradictions et les mauvais traitements de la fausse Église et des ennemis du dehors, doit aussi nous servir contre nos ennemis intérieurs. Car, comme nous l’avons dit ci-dessus, il y a encore dans notre chair une contradiction et une lutte contre Dieu et contre sa parole. Quand nous sentons ces contradictions et ces mouvements coupables en nous, nous ne devons pas perdre courage ; travaillons seulement à tenir notre esprit dans la connaissance et dans l’aveu de notre misère et de nos péchés, quoique nous sentions quelquefois de ces pensées de blasphème contre les convictions de la lumière de Dieu. 11 arrivera que l’esprit vaincra, comme Dieu qui donne son Esprit obtient gain de cause quand il est ainsi jugé par les hommes. Mais cette victoire se fait aussi en esprit, car bien souvent, quant aux sentiments et aux mouvements qui se font sentir en nous, il semble que Dieu et l’Esprit soient vaincus en nous et que la chair et le monde aient le dessus ; car nous voyons que presque tout le monde nous condamne et nous rejette ; et la chair fait tant de bruit en nous, qu’il semble qu’elle éteigne et qu’elle surmonte entièrement l’esprit. Mais prends seulement courage dans ces différents combats, crois seulement que tu n’es qu’un pauvre pécheur, et que Dieu veut te regarder comme son enfant si tu le confesses et si tu te sens une pauvre créature perdue ; par cette confession par laquelle tu montres tes plaies au médecin et tu te confonds toi-même, tu donnes gloire à Dieu et tu l’engages à faire son œuvre en toi, son œuvre qui est de guérir les âmes malades, comme médecin souverain et céleste.

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