La Théologie de Wesley

1.4 Le lendemain d’une conversion

On se tromperait — et, par le fait, on s’est souvent trompé — en croyant que la vie spirituelle de John Wesley avait franchi définitivement, dans la soirée du 24 mai 1738, le cap des tempêtes. La vérité est qu’il fut rejeté en arrière, sur cette mer démontée qu’il ne connaissait que trop bien. Dès le lendemain, nous le voyons assailli par les doutes et les tentations et déclarant à ses amis qu’il n’est pas encore un vrai chrétien. Son voyage à Herrnhut ne lui apporta pas la lumière et le soulagement qu’il en attendait.

« Vous me demandez, écrit-il à son frère Samuel, le 23 octobre 1738, ce que j’entends par un vrai chrétien ; j’entends quelqu’un qui croit tellement en Christ que le péché n’a plus d’empire sur lui ; dans ce sens, je n’étais pas un chrétien avant le 24 mai dernier. Jusqu’alors, le péché dominait sur moi, quoique je luttasse contre lui continuellement ; mais depuis lors, il n’a plus de domination sur moi. C’est le fruit de la libre grâce de Dieu en Christ. Si vous me demandez par quel moyen j’ai été rendu libre, je réponds : par la foi en Christ, par une mesure de foi que je n’avais pas eue jusqu’alors. Je jouis, par la libre grâce de Christ, de quelque mesure de cette foi, qui apporte avec elle le salut ou la victoire sur le péché et qui implique la paix et la confiance en Dieu par Christ ; quoique ce ne soit encore en moi que comme un grain de semence de moutarde. Car cette πληροφορίᾳ πίστεωςa, le sceau de l’Esprit, l’amour de Dieu répandu dans mon cœur et produisant la joie dans le Saint-Esprit, joie que personne ne peut enlever, joie ineffable et pleine de gloire, — ce témoignage de l’Esprit, je ne l’ai pas, mais je l’attends patiemment. Je connais plusieurs personnes qui l’ont déjà reçu, et j’ai vu et entendu, en Angleterre et ailleurs, une nuée de témoins. Je ne puis pas douter que les croyants qui attendent en priant ne voient se réaliser en eux ces promesses scripturaires. Mon espérance est qu’elles se réaliseront en moi. Je bâtis sur Christ le Rocher des sièclesb. »

aHébreux 10.22 : … certitude de foi… (ThéoTEX)

b – Tyerman, Life of Wesley, t. 1, pp. 192-194.

Dans une autre de ses lettres, écrites à son frère Samuel, le 4 janvier 1739, John Wesley continue à s’accuser et à gémir :

« Mes amis affirment que je suis fou, parce que je leur dis que je n’étais pas un chrétien il y a un an. J’affirme que je ne suis pas un chrétien même aujourd’hui. J’ignore ce que j’aurais pu être, si j’avais été fidèle à la grâce qui me fut donnée alors que, n’attendant rien d’autre, je reçus le sentiment du pardon de mes péchés comme je ne l’avais jamais connu. Mais je suis certain que je ne suis pas un chrétien aujourd’hui, que je suis certain que Jésus est le Christ. Car un chrétien est un homme qui a les fruits de l’Esprit de Christ, tels que l’amour, la paix et la joie. Je ne les possède pas. Je n’ai aucun amour pour Dieu, je n’aime ni le Père, ni le Fils. Si vous me demandez comment je puis savoir si je n’aime pas Dieu, je vous poserai une autre question : Comment savez-vous que vous m’aimez ? Vous sentez en ce moment même, si vous m’aimez ou non. Eh bien ! je sens en ce moment que je n’aime pas Dieu. Et je le sais aussi par la simple règle posée par saint Jean : Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui. Or, j’aime le monde ; je désire les choses de ce monde, et je l’ai fait toute ma vie. J’ai toujours mis une partie de mon bonheur dans telles ou telles choses que l’on voit, dans le manger ou le boire, ou dans la compagnie de ceux que j’aime… Je n’ai pas ce qu’on appelle la paix de Dieu. La paix que je possède tient à des causes naturelles. J’ai la santé, la force, des amis, quelque fortune, un tempérament modéré et joyeux. Comment n’aurait-on pas une sorte de paix dans de telles conditions ? Mais ce n’est pas là une paix qui surpasse toute intelligence.

Je conclus de là que, bien que j’aie donné et que je donne tout ce que j’ai pour nourrir les pauvres, je ne suis pas un chrétien. Quoique j’aie enduré les fatigues et porté ma croix, je ne suis pas un chrétien. Mes œuvres ne sont rien ; mes souffrances ne sont rien ; je n’ai pas les fruits de l’Esprit de Christ. Quoique j’aie usé continuellement des moyens de grâces depuis vingt ans, je ne suis pas un chrétien. »

Le Wesley qui se montre à nous dans ses lettres à son frère Samuel est pour nous un sujet de surprise, quelques-uns ont dit : de scandale. Qu’est devenue l’expérience faite le 24 mai 1738 ? Et le sermon si décisif sur le Salut par la Foi du 11 juin suivant ? Et les impressions rapportées de Herrnhut ? Ce qui s’est passé, le voici : la lumière qui s’est faite dans les hauteurs de l’intelligence de Wesley n’a pas encore illuminé les profondeurs de sa conscience et de son cœur. Il s’attendait à une délivrance sensationnelle, qui ne s’est pas produite. C’est le vent doux et subtil qui a soufflé sur lui, et non la tempête qui ébranle les rochers. Qu’importe ! une vie nouvelle a commencé, et elle ira s’accentuant de jour en jour. En attendant, il continuera, selon le conseil de Bœhler, à prêcher la foi, — et le témoignage de l’Esprit, et la paix qui surpasse toute intelligence, et la perfection chrétienne même avant de les avoir pleinement expérimentés lui-même. Il y a des doutes qui s’attachent à certains serviteurs de Dieu, comme la vipère de Malte autour du bras de saint Paul. Il faut, comme lui, les secouer dans la flamme et poursuivre sa tâche.

Maintenant, il est permis de s’étonner que Wesley ait choisi comme confident de ses doutes son frère Samuel, un clergyman ultra-anglican, fort opposé aux principes du Méthodisme, et qui s’étonnait que son frère John ne se contentât pas de la régénération reçue lors de son baptême. Avec de telles idées ritualistes, Samuel Wesley n’était pas en état de comprendre quoi que ce soit aux agitations intérieures de son frère.

S’il y eut quelque naïveté de la part de Wesley à confier ses doutes (peut-être en les exagérant) à son frère aîné, cette naïveté lui fait honneur. Son frère est pour lui non seulement un ami dont il honore l’expérience, mais un homme plus expérimenté que lui, dont il croit devoir prendre conseil. Il ne se doutait pas que ces lettres seraient plus tard remises au docteur Joseph Priestley, un ministre unitaire, qui s’empresserait, dès la mort de Wesley, de les publier avec une adresse aux Méthodistes. Joseph Benson, l’un des prédicateurs de Wesley, se proposait d’y répondre ; mais Priestley était devenu un chaud partisan de la Révolution française qui fit de lui un membre de la Convention et un correspondant de l’Institut. Une émeute populaire démolit sa maison et brûla sa bibliothèque. On jugea que ce n’était guère le moment de commenter de vieilles lettres de Wesley, qui faisaient d’ailleurs honneur au grand serviteur de Dieu qui venait de disparaître, chargé des gerbes d’une riche moisson d’âmes.

Wesley fit mieux que de courir après de nouvelles émotions : il se mit au travail pour Dieu et pour ses frères. Il resta toute sa vie discret au sujet de ses expériences intimes ; s’il ne se défia pas toujours assez des expériences plus ou moins authentiques des autres, il fut désormais très discret sur les siennes. Son journal est plus que sobre à cet égard. Son christianisme eut pour devise : Laboremus ! travaillons !

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