La Théologie de Wesley

3. Appendice

Nous réunissons dans cet appendice divers morceaux de théologiens méthodistes pour la plupart, sur des sujets théologiques qui n’ont pas été abordés, ou qui ne l’ont été que faiblement par John Wesley.

[L’appendice de l’édition de 1924 comportait trois études de M. Lelièvre sur la Création d’après la Bible, l’origine du mal, la Chute d’après la Bible, que nous ne reproduisons pas, car d’une part, sur le plan scientifique, elles étaient surannées par rapport aux questions qui se posent aujourd’hui, d’autre part elles ne contenaient rien sur le plan théologique de spécifique au Méthodisme.]

3.1 Jésus-Christ est-il mort pour tous les hommes ?

Plus d’un prédicateur sincèrement pieux, en promenant ses regards sur une assemblée à laquelle il allait annoncer l’Évangile, s’est demandé s’il n’y en avait point quelques-uns, peut-être même beaucoup, parmi ses auditeurs, pour qui Jésus n’était pas venu mourir. D’un autre côté, bien des personnes qui entendent proclamer que les appels de la grâce s’adressent à tous les hommes, pensent qu’au fond il n’en est pas ainsi. Cet état de choses est trop sérieux pour que nous puissions l’envisager avec indifférence, trop triste pour que nous osions nous en indigner. Le fait est, pourtant, que ces préoccupations sont le fruit de certaines doctrines qui se rattachent au sujet le plus important, la mort de Jésus-Christ, et que ces enseignements ont été donnés avec une entière conviction par des hommes de talent et de piété qui, à ce double point de vue, méritaient l’influence qu’ils ont exercée sur leurs semblables. Si leurs idées sont conformes à la Parole de Dieu, ce n’est pas un peu d’opposition qui pourrait en diminuer la portée ; mais si elles sont erronées, l’erreur qu’elles propagent a quelque chose de particulièrement sombre et qui obscurcit tout un côté de la vérité évangélique, bien qu’elle ne puisse l’effacer entièrement.

S’il existe quelqu’un pour qui Jésus-Christ ne soit pas mort, que la situation de cet homme est épouvantable ! Il n’y a pas d’expiation pour lui. Il se trouve seul en face de la justice divine dans toute sa rigueur, sans médiation, sans sacrifice pour les péchés. Coupable et condamné, il attend le juste châtiment d’une âme en guerre avec son Créateur, d’une vie de révolte contre son Dieu. Si jamais il se sent poussé à dire : « Ô Dieu, aie pitié de moi qui suis pécheur ! » C’est l’impulsion d’un instinct faux et trompeur ; car, pour lui, il n’y a pas de propitiation : le propitiatoire s’appuie sur les tables de la loi éternelle. Un innocent pourrait s’en approcher impunément ; mais le coupable ne doit pas y venir sans un sacrifice expiatoire, ou bien la nuée de l’Éternel serait pour lui un feu consumant. Pour lui point de promesses : en vain en chercherait-on dans la Bible une seule qui puisse être invoquée par des pécheurs en dehors des mérites de la mort du Christ. Pour lui, point de repentance : il est entré dans ce monde incapable de faire autre chose qu’offenser Dieu ; il faut qu’il y vive sans pardon et qu’il le quitte sans espérance.

Nous voudrions maintenant aller humblement à la Bible pour y chercher la réponse à cette question solennelle : Jésus-Christ est-Il mort pour tous les hommes ?

« Et toi, agneau de Dieu, qui fus mis à mort (mais le fus-tu pour nous ?), toi que saint Jean vit sur le trône et comme immolé, accorde-nous de voir, non par nos yeux, mais par les tiens, qui sont les sept esprits de Dieu envoyés par toute la terre. Ô Moïse, ô David, ô Esaïe, et vous tous, prophètes des anciens temps, qui d’entre vous a annoncé que Celui dont vous prédisiez la mort ne porterait point les iniquités de nous tous ? Et vous, évangélistes qui, tous quatre, ayez eu le privilège de recueillir ses paroles et ses actes, qui de vous l’a entendu dire qu’il ne mourrait que pour une partie de l’humanité ? Et vous, apôtres, qui passâtes votre vie à proclamer sa mort et sa résurrection, avez-vous déclaré, avez-vous écrit qu’il n’avait point souffert pour tous ? »

Après avoir formulé ces solennelles questions, nous nous penchons sur le livre mystérieux, qui, pareil au fil qui conduit l’électricité, nous apportera la réponse de ceux qui sont là-haut. Mais un silence rassurant est leur seule réponse à toutes nos questions.

Quoi donc ! cette doctrine qui pousse au désespoir ne repose pas sur quelque enseignement clair et positif de la Bible ? Non, sur aucun. Si nous écrivions ici ces mots : Christ n’est pas mort pour tous, nous écririons ce que jamais plume inspirée n’a écrit.

Mais si nous ne trouvons pas cette doctrine dans la Bible en tout autant de mots, n’y rencontrerons-nous pas des déclarations équivalentes où, comme cela se voit dans des cas analogues, l’idée est exprimée assez clairement pour faire autorité, bien qu’elle n’y soit pas formulée d’une façon dogmatique ? Imaginons quelques variantes à la question posée ci-dessus, et interrogeons de nouveau la Bible :

« Il est mort pour une portion seulement du genre humain. »

Ou bien : « Tous les hommes n’ont pas, à la lettre, une part aux mérites de sa mort expiatoire. »

Ou bien : « Il s’est donné uniquement pour ceux qui doivent être sauvés. »

Ou bien : « Il a offert son sacrifice pour ceux qu’il avait connus d’avance. »

Ou bien : « Il y en a un certain nombre qui ont été laissés de côté et pour qui il n’a point versé son sang. »

Ou bien encore : « Il n’a souffert que pour les siens. »

Cela y est-il ? Non ! aucune de ces phrases ne se trouve dans notre précieuse Bible, ni rien qui y ressemble.

Il n’y est dit nulle part en propres termes que tous ne seront pas sauvés ; il y est souvent question de ceux qui seront sauvés et de ceux qui ne le seront pas. Mais, si la Bible parle fréquemment de ceux pour qui Jésus-Christ est mort, elle ne fait pas une seule fois mention de ceux pour qui il ne serait point mort.

Il nous souvient qu’après avoir fait cette découverte que le Livre divin n’enseignait nulle part en termes exprès que Jésus n’est point mort pour tous, nous demandâmes à l’homme vénérable qui nous avait inculqué cette doctrine franchement et sans tous ces voiles et ces détours qu’on emploie aujourd’hui, de nous indiquer un passage où cela fût dit. Il nous cita celui-ci : « Mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour plusieurs » (Matthieu 26.28) ; et il ajouta : « et non pour tous.> Tout naturellement, il lui fut répliqué par une autre citation : « Par la désobéissance d’un seul homme, beaucoup ont été rendus pécheurs » (Romains 5.19). Dans ce passage, beaucoup n’équivaut-il pas à tous ? N’y a-t-il pas de passage plus clair ? « Jésus-Christ s’est donné lui-même pour nous, afin de nous racheter » (Tite 2.14) ; non pas tous, ajoutait notre interlocuteur, mais nous croyants. Mais le même apôtre nous fournit une réplique : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi. » Dans ce dernier passage, moi n’exclut pas nous, et pourquoi nous exclurait-il « non seulement pour nos péchés, mais aussi pour ceux du monde entier ? » (1 Jean 2.2). Nous ne nous souvenons pas qu’on ait jamais mieux réussi, et nous ne croyons pas qu’on puisse mieux réussir, en essayant de prouver par la Parole de Dieu que Jésus-Christ n’est pas mort pour tous.

« Mais n’est-il pas évident qu’il n’est mort que pour ceux qui seront sauvés ? Autrement il serait mort en vain. » Cela n’est pas évident ; car ce n’est dit nulle part dans la Bible. Nous y lisons qu’il est mort pour les impies, pour les injustes, mais jamais qu’il est mort seulement pour ceux qui seront sauvés. Et ces expressions ne seraient pas davantage contraires à l’Écriture Sainte si on supprimait le mot seulement. La phrase : Il est mort pour ceux qui seront sauvés, ne se trouve pas dans la Bible, ni rien qui y ressemble.

Au sujet de cette doctrine, que Jésus-Christ n’est pas mort pour tous, nous nous contenterons maintenant de résumer en quelques mots ce que nous venons de dire.

  1. Cette doctrine n’est enseignée en propres termes dans aucun texte de la Bible.
  2. Elle ne s’y trouve pas non plus exprimée en termes équivalents.
  3. Il n’y est jamais question d’individus ou de catégories de personnes pour qui Jésus ne serait point mort.
  4. La perdition des âmes n’y est jamais attribuée au fait que Christ n’est pas mort pour elles.
  5. Jamais les âmes sauvées n’y sont représentées comme étant tout spécialement celles pour qui il a souffert.
  6. Cette doctrine suppose que Dieu a consenti à ce qu’une partie des hommes pérît, ce qui est contraire à sa parole.
  7. Enfin, elle fait résulter la perdition de certaines âmes de ce que Jésus-Christ les aurait exclues du bénéfice de sa mort, tandis que la Bible explique cette perdition par le fait que ces âmes ont rejeté Jésus.

Ainsi donc, ô mon frère qui trembles parce qu’une voix effrayante a murmuré à ton oreille que tu es un de ceux pour qui Jésus n’est point mort, mets joyeusement la main sur le Volume sacré et répète : « Aucune des paroles qui sont sorties de la bouche de Dieu ne fait mention d’une classe d’hommes pour lesquels Jésus-Christ ne serait point mort ! »

Quant à cet argument : « Autrement il serait mort en vain » ; il ne saurait avoir de valeur que si la Bible le confirmait. Le soleil ne brille pas en vain entre quatre et huit heures du matin, quoique bien des millions d’yeux restent fermés à sa lumière. Saint Paul indique un seul cas où Jésus serait mort en vain : ce serait si nous pouvions nous justifier nous-mêmes par nos œuvres : « Si la justice s’obtient par la loi, Christ est donc mort en vain », c’est-à-dire sans nécessité (Galates 2.21).

Jésus serait encore mort en vain, si les conditions en vue desquelles il s’est offert en sacrifice ne se réalisaient pas. L’affirmation que si quelques-uns de ceux pour qui il a souffert périssaient, il serait mort en vain, suppose que la condition moyennant laquelle il a consenti à s’offrir en sacrifice était que tous ceux pour qui il souffrirait seraient sauvés. Cela semble tout naturel, et ce serait probablement l’impression de chacun de nous, s’il nous était permis de former notre opinion sans consulter les enseignements du Seigneur. Mais a-t-il jamais dit que c’était là la condition de son sacrifice ? A-t-il déclaré une seule fois, ou seulement donné à entendre qu’aucun de ceux pour lesquels il mourait ne serait perdu ? Non jamais, il a pourtant indiqué nettement les conditions qui se rattachent à sa mort expiatoire et au salut : « Il faut de même que le Fils de l’homme soit élevé afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle » (Jean 3.14-15). Cette parole se rattache aux commencements de son ministère. Et quand il était sur le point de monter au ciel, il exprima les mêmes choses en disant : « Prêchez la bonne nouvelle à toute créature. Celui qui croira… sera sauvé » (Marc 16.15-16). Si cela n’avait point lieu alors il aurait été élevé en vain ; mais ce résultat est infaillible : conséquemment Jésus n’est pas mort inutilement, quand même il arrive que « celui qui ne croira pas sera condamné » (même endroit). « La volonté de mon Père, c’est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour » (Jean 6.40). Si Jésus avait voulu dire qu’il faut de toute nécessité que tous ceux pour qui il est mort soient sauvés, comme il eût été simple et naturel, dans des passages tels que ceux-là, de dire : « Tous ceux dont il a porté les péchés, pour lesquels il a souffert », ou quelque chose d’équivalent, au lieu d’employer l’expression « quiconque croit ». Et si cette doctrine était vraie, est-il possible qu’on ne la trouve formulée dans aucun passage, tandis que la certitude du salut pour quiconque croit est si souvent affirmée ?

Ainsi, cette objection qu’autrement Jésus serait mort en vain, ne peut pas nous arrêter dans l’étude sincère que nous voulons faire de la Parole de Dieu ; mais, en même temps, elle est de nature à nous inspirer de la considération pour ceux qui la présentent. Car elle montre chez eux un profond respect pour cette mort expiatoire qui est le fondement de toutes nos espérances de salut, un respect que rehausse la crainte de porter atteinte en quoi que ce soit à sa valeur et à son efficacité infinies. De pareils sentiments méritent toute considération. Si nos impressions naturelles, quant aux conditions probables d’un sacrifice fait par le Seigneur pour les péchés, pouvaient tenir lieu d’arguments, elles nous porteraient à embrasser la même opinion ; nous y serions encore encouragés par tout le cours de notre expérience et de nos observations au milieu des hommes. Mais ces raisonnements et ces opinions ne sauraient trouver place là où des textes bibliques nombreux et absolument clairs ont déjà tranché la question.

« Mais, à coup sûr, aucun de ceux pour qui Jésus-Christ est mort ne peut périr ! » Nous répondons : Cela est-il écrit ? Nous voyons bien que celui qui croit ne périra point, que « ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie » (Jean 5.29), que les saints, les sanctifiés, les fidèles, les justes, ceux qui auront persévéré jusqu’à la fin, ceux qui auront vaincu, ceux qui auront lavé et blanchi leurs robes dans le sang de l’Agneau, ceux enfin qui écoutent sa voix et le suivent et qui sont décrits sous ces différents termes, nous voyons bien que ceux-là sont assurés de posséder le royaume des cieux. Mais où est-il dit que celui pour qui Christ est mort ne périra jamais, qu’il sera infailliblement sauvé et mis en possession du Ciel ?

Bien loin que la Bible enseigne qu’il est impossible que ceux pour qui Jésus est mort puissent périr, elle annonce tout le contraire, et de la manière la plus propre à faire impression. Quand Paul insiste, soit auprès des Romains, soit auprès des Grecs, sur le devoir imposé au chrétien de respecter la conscience de son frère, quel est l’argument suprême qu’il emploie ? Il dit au Romain : « Ne cause pas, par ton aliment, la perte de celui pour lequel Christ est mort » (Romains 14.15). Cet avertissement reposerait-il sur un danger purement imaginaire ? Au Grec, il écrit : « Et ainsi le faible périra par ta connaissance, le frère pour lequel Christ est mort » (1 Corinthiens 8.11). Est-ce que saint Paul supposerait ici un cas parfaitement impossible ? Pierre, en parlant de certains faux docteurs, représente comme le comble de leur hérésie qu’ils « renieront le Seigneur qui les a rachetés » ; mais, loin de les considérer comme ne risquant rien puisqu’ils ont été rachetés par Celui qu’ils renient, il ajoute aussitôt : « Ils attireront sur eux une ruine soudaine » (2 Pierre 2.1).

Cette idée que nul de ceux pour qui Jésus-Christ est mort ne peut périr, n’a pour elle aucun texte inspiré, et nous venons de voir qu’elle en a plus d’un qui lui est directement contraire. Ainsi, les objections, même spécieuses, même basées sur le sentiment du respect dû au « sang précieux de Christ » (1 Pierre 1.19), sont réduites à néant par les paroles du livre où nous apprenons les secrets de la Croix. Ce livre nous apprend que Jésus « est devenu l’auteur d’un salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent » (Hébreux 5.9) ; il ne dit pas : « Pour tous ceux pour qui il est mort. »

Nous sentons bien que, pour ceux qui ont appris à croire que nul de ceux pour qui Christ est mort ne saurait périr, l’affirmation du contraire doit sembler un blasphème, tout juste comme, pour ceux qui ont été élevés dans des sentiments contraires, il semble horrible de dire que Dieu fait prêcher la rédemption à des hommes qu’il n’a point rachetés.

La Bible nous offre des cas nombreux de division des hommes en catégories. Il y a les justes et les méchants, les Juifs et les Gentils, les savants et les ignorants, les fidèles et ceux qui se relâchent, ceux qui sont sauvés et ceux qui sont perdus, enfin les diverses classes des ouvriers du Seigneur. Mais y avons-nous jamais rencontré deux classes d’hommes distingués par le fait que Jésus aurait fait expiation pour les uns et non pour les autres ? Si une pareille classification était conforme à la réalité, il n’y aurait rien de plus simple et de plus naturel que de l’indiquer. Comment supposer que si elle existait, la Bible se fût soigneusement abstenue d’y faire allusion ? Mais, encore une fois, où nous dit-elle que ce qui distingue les hommes sauvés de ceux qui périssent, c’est que Jésus-Christ est mort pour eux ? Où donc nous représente-t-elle ceux qui périssent, comme étant ceux pour qui Christ n’est point mort ? Elle nous parle bien de ceux qui ne croient pas, qui sont impurs, qui résistent au Saint-Esprit, qui renient le Seigneur, qui servent le diable, qui sont perdus enfin ; mais où trouver un endroit de la Bible qui mentionne, ne fût-ce que par voie d’allusion, ceux pour qui Jésus n’est point mort ?

Nous allons maintenant modifier la forme de notre question. Disons, non pas aux hommes justes et sages des temps modernes, ou du Moyen Age, ou des premiers siècles, mais seulement à ces saints hommes d’autrefois qui parlèrent selon qu’ils furent poussés par le Saint-Esprit, disons-leur : « Ô vous, prophètes, et vous, apôtres, avez-vous affirmé que Jésus-Christ est mort pour tous ? » Cette fois, au lieu du silence, c’est comme une explosion, c’est un chœur immense de voix inspirées. Toutes, elles nous renvoient en les répétant, les termes mêmes de notre demande, ou bien des expressions équivalentes, toutes celles qui sont de nature à reproduire la même pensée. Ce sont des affirmations directes ou indirectes, qu’il s’agisse du but de la mort de Christ, ou des résultats obtenus ; c’est le point de départ de raisonnements et de démonstrations d’une grande importance, et les écrivains sacrés le supposent admis ; s’ils l’affirment souvent et expressément, c’est encore plus fréquemment sous-entendu dans leurs paroles.

« Nous avons tous été comme des brebis errantes, nous nous sommes détournés pour suivre chacun son propre chemin, et l’Éternel a fait venir sur lui l’iniquité de nous tous » (Ésaïe 53.6). Paroles simples et bénies ! Pourrait-on imaginer que le prophète, après avoir employé les mots nous tous et chacun dans leur sens naturel, eût voulu, dans la même phrase, à la fin, donner à nous tous un autre sens plus limité, et cela quand une pareille distinction mettait en question le salut de milliers d’âmes ? Notre Sauveur, dans la première circonstance connue où il parla de sa mission particulière et de sa mort, disait : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3.16). Remarquez bien que Jésus ne dit pas : quiconque sera racheté par lui, ou pour qui il mourra, souffrira, fera expiation, mais quiconque croit. Et il ajoute : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (v. 17). Que signifie le monde ? Quand nous lisons qu’« il parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre », nous comprenons, à l’aide du nom de César Auguste, qu’il s’agit de la terre, du monde de César Auguste. De même, dans le passage que nous avons cité : « Dieu a tellement aimé le monde », le monde doit signifier le monde de Dieu. Et, en rapport avec cette première et sublime déclaration de l’amour de Dieu pour le monde, notre Sauveur répète par trois fois que c’est la foi qui est la condition requise de l’homme pour qu’il puisse jouir des avantages de cet amour, et que quiconque croit ne périra point. Il indique, comme les vraies causes de la perdition des hommes, leur incrédulité et leur haine contre la lumière. Sans doute nous pourrions dire que tout cela signifie seulement qu’il est mort pour une partie du monde, et que c’est seulement pour cette partie qu’il a été envoyé, que les autres hommes ne peuvent pas croire, et qu’ainsi se réalise la parole : « Quiconque croira sera sauvé. » Mais est-ce bien là l’Évangile de Dieu ? Des expressions comme celle-là : « Afin que quiconque croit en lui ne périsse point », sont assurément faites pour inspirer de l’espoir à tout homme ; elles font retomber sur ceux qui rejettent le Seigneur Jésus toute la responsabilité de leur perte ; et elles ne pourraient, pas en toute sincérité, être employées vis-à-vis de gens qui ne pourraient pas croire parce que Jésus-Christ les aurait exclus du salut.

Saint Jean, qui se sert constamment de l’expression le monde pour désigner la portion du genre humain qui est plongée dans le mal, a pourtant écrit ces paroles simples, énergiques, mais qui induiraient facilement en erreur s’il avait eu en vue autre chose que le sens naturel des mots : « Il est la propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier » (1 Jean 2.2). C’est aussi lui qui a dit : « Nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde » (1 Jean 4.14). Et c’est encore lui qui rapporte cette parole de Jésus : « Ma chair que je donnerai pour la vie du monde » (Jean 6.51).

On voit souvent percer les opinions d’une personne dans les allusions qu’elle y fait en passant, encore plus clairement que dans ses déclarations directes. C’est ainsi que saint Paul, en parlant de l’incarnation de Jésus-Christ, après avoir dit qu’il s’est incarné « afin que, par la grâce de Dieu, il souffrît la mort », aurait pu s’arrêter là, ou bien ajouter : « Pour les siens, pour son peuple, pour ses élus » (Hébreux 2.9). Mais, ce sont là des termes que ni lui ni aucun autre des écrivains sacrés n’emploie quand il parle de la mort de Jésus. A ces mots : « Souffrît la mort », succèdent tout naturellement ceux-ci : « Pour tous », aussi naturellement que si l’apôtre eu à dire que le temple de Jérusalem était ouvert à tous les Juifs. De même, quand saint Paul déclare que l’Évangile « nous enseigne à vivre dans la tempérance, dans la justice et dans la piété », il l’appelle « la grâce de Dieu pour le salut » ; mais il ne s’arrête pas là ; il n’ajoute pas : « De son peuple, de ses élus » ; il dit : « De tous les hommes » (Tite 2.11-12).

Lorsque ce même apôtre veut montrer que tous les hommes sont morts dans leurs péchés, il établit cette vérité en s’appuyant sur une autre. Et quel est ce point de départ fixe et certain ? Le voici : « Etant persuadés que si un seul est mort pour tous, tous donc sont morts, et qu’il est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes » (2 Corinthiens 5.14-15). Peut-on supposer que le mot tous, au milieu de la phrase, signifie tous, et que les deux autres tous, avant et après, ne signifient pas tous ? Evidemment non : car alors le raisonnement de l’apôtre n’aurait aucune force, et, ce qui est encore plus important, ses paroles seraient de nature à faire naître des espérances trompeuses.

Voilà donc une vérité, admise par tous les chrétiens, celle de l’état de chute et de dépravation de tous les hommes, qui est prouvée par le fait que Jésus-Christ est mort pour tous. Voici maintenant un devoir, celui de prier pour tous, qui est basé par saint Paul sur ce même fait. Après nous avoir exhorté à intercéder pour tous les hommes, il ajoute : « Car cela est bon et agréable aux yeux de Dieu notre Sauveur » (1 Timothée 2.1-6). Mais pourquoi est-ce bon et agréable à Dieu ? Parce que c’est concourir à l’accomplissement de Sa volonté : « Il veut que tous les hommes soient sauvés et qu’ils parviennent à la connaissance de la vérité ; car il y a un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ, homme, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous. » Prier pour tous les hommes, parce que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parce que Jésus s’est donné en rançon pour tous : est-il possible de faire autrement que de prendre ces expressions dans leur sens naturel ? Ne sont-elles pas d’une simplicité divine ? Ne nous disent-elles pas, à vous et à moi, que Jésus-Christ s’est donné pour nous, que le Père veut que nous ayons part au salut, et qu’il n’y a pas sur la terre un seul homme pour qui nous ne devions prier, et prier avec foi ?

Le mandat confié par notre Sauveur à ses disciples, c’est : « Allez par tout le monde et prêchez l’Évangile à toute créature » (Marc 16.15). Qu’est-ce que prêcher l’Évangile, à moi par exemple ? C’est me dire : « Crois au Seigneur Jésus-Christ, et tu seras sauvé » (Actes 16.31). Mais tenir un pareil langage à quelqu’un que Jésus-Christ n’aurait jamais songé à racheter et qui, conséquemment, ne peut ni maintenant ni plus tard, être sauvé, ce serait un effroyable mensonge. « Crois au Seigneur Jésus-Christ, et tu seras sauvé ! ; ces paroles n’ouvrent positivement la porte du salut, si elles s’adressent à moi ; elles me disent clairement que si je n’entre pas par elle, ce n’est pas parce que Jésus me la ferme, mais parce que je ne veux pas entrer. Me dire que d’autres seront sauvés, ce ne serait pas une bonne nouvelle pour moi, quand bien même on me dirait que beaucoup seront sauvés, ou bien tous ceux que la mort du Christ a rachetés. « Serai-je sauvé ? Puis-je l’être ? » Voilà pour moi la question ; et si vous ne pouvez pas y répondre affirmativement et positivement, votre message n’est pas une bonne nouvelle pour moi. Mais si vous me dites : « Crois au Seigneur Jésus-Christ, et tu seras sauvé », alors c’est l’Évangile que vous m’annoncez à moi. Et c’est cela qu’il faut annoncer à toute créature. Pouvons-nous le dire sans arrière-pensée ? Croyons-nous que cela signifie que Christ s’étant donné en rançon pour tous, tous peuvent et doivent croire en lui, et que, si quelqu’un ne le fait pas, il sera justement condamné pour avoir rejeté le Seigneur qui l’a racheté ? Ou bien, en répétant ces paroles, avons-nous le sentiment intime qu’elles veulent dire toute autre chose ?

Ce qui ressort des déclarations, tant du Nouveau Testament que de l’Ancien, c’est que la perte d’une seule âme est contraire à la volonté de Dieu. Saint Pierre affirme que Dieu « ne veut point qu’aucun périsse, mais que tous viennent à la repentance » (2 Pierre 3.9). C’est pour cela qu’il « annonce maintenant aux hommes que tous, en tous lieux, se convertissent » (Actes 17.30). C’est pour cela qu’il leur envoie à tous son Évangile et qu’il prescrit à son Église de prier et de travailler pour le salut de tous. Dieu rejette toujours la responsabilité de leur ruine et de leur perdition sur ceux qui, vivant loin de Christ, meurent dans leurs péchés : c’est là un fait qui n’a pas besoin d’être prouvé ; mais la chose est trop sérieuse pour qu’on puisse l’expliquer autrement qu’en admettant qu’elle est vraie, vraie à la lettre et en prenant les mots dans leur sens le plus ordinaire, celui qui apparaît tout naturellement à l’esprit de celui qui les entend. Si l’expression : « Vous ne voulez pas », signifie : « Vous n’êtes pas disposés, vous ne consentez pas, vous n’acceptez pas », alors cette parole de Jésus : « Vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie », nous dit certainement qu’il voulait donner la vie, et la donner libéralement. On ne pourrait pas supposer qu’il eût voulu la donner à d’autres hommes et la refuser à ceux auxquels ces paroles s’adressaient. D’ailleurs s’ils sont séparés de Jésus, cela vient de lui, ou bien d’eux ; et Jésus affirme que c’est d’eux. Mais s’il avait commencé par les exclure du bénéfice de son œuvre expiatoire, leur incrédulité ne pourrait pas leur être reprochée : ce serait le résultat naturel et inévitable de la réjection de ces hommes par Jésus-Christ. S’il n’y avait pas pour eux de sacrifice expiatoire, ils n’avaient pas à croire à un Sauveur. Autrement, quand le Seigneur leur dit : « Convertissez-vous et détournez-vous de toutes vos transgressions ; car pourquoi mourriez-vous ? « (Ézéchiel 18.30-31), ils pourraient lui répondre avec amertume : « Nous mourons parce que tu n’as pas voulu mourir pour nous. » Si Dieu avait voulu ôter à certains hommes la possibilité du salut, c’eût été pour des raisons justes et valables, tout aussi justes et valables que celles qui font que le pécheur périt pour avoir rejeté Jésus ; et il n’aurait pas cherché à déguiser son intention en feignant d’offrir le salut à tous, pas plus qu’il n’a dissimulé le caractère obligatoire de la foi, ou promis que, finalement, tous seront sauvés. Avec quelle clarté, avec quelle solennité il énonce ce grand principe du plan divin : « Celui qui croit n’est point condamné ; celui qui ne croit point est déjà condamné, parce qu’il n’a pas cru. » (Jean 3.18). Si Dieu rejette quelqu’un, il le fait ouvertement et en disant pourquoi.

« Tous, tout homme, le monde, tout le monde », tels sont les termes employés dans l’Écriture Sainte, sans que jamais elle nous avertisse qu’il faut restreindre la portée de ces termes. Il est pourtant bien vrai que, dans certains cas, on peut employer couramment ces termes généraux en leur assignant une valeur limitée : par exemple, on dira que toute l’Angleterre vient visiter Londres, ou que tout Londres s’est pressé sur le passage de la reine ; mais ces expressions n’induisent personne en erreur. Il y a, au contraire, des cas où l’on ne saurait employer des termes universels dans un sens limité, sans risquer d’égarer les auditeurs ; il y a des cas où les hommes les plus ordinaires, les moins inspirés, ne voudraient pas les employer avec de pareilles restrictions mentales ; il y a des cas où l’emploi d’un mot d’une portée générale pour exprimer quelque chose de restreint a un effet encore plus déplorable que celui d’induire en erreur. Ce qui, pour les uns, ne serait qu’inexact, se trouverait, pour d’autres, décevant et cruel. Si un souverain proclamait une amnistie générale à la seule condition que les rebelles se soumissent, tout en se réservant à part lui d’exclure des bienfaits de l’amnistie une certaine classe de révoltés, son décret ne serait pas simplement équivoque, il mériterait une qualification plus sévère. Il offrait le pardon à tous et en excluait un certain nombre. Si le motif de cette exclusion n’était pas indiqué, le décret d’amnistie, en se conformant aux habitudes du langage humain, devait ouvrir la voie de la réconciliation à tous les rebelles qui se soumettraient et imploreraient le pardon. Plus grand est le privilège offert, plus grande la délivrance promise, et plus il importe de ne pas employer des termes généraux si l’on veut faire des exceptions et restreindre ses bienfaits. Voici quelles sont les habitudes du langage humain en pareil cas. Si l’on parle de choses indifférentes, qui ne touchent ni aux intérêts, ni à l’honneur de ceux auxquels on s’adresse ou dont il s’agit, on peut employer des termes généraux avec un sens restreint qui n’est pas leur sens naturel ; mais cela ne peut pas, ne doit pas se faire quand des intérêts graves sont en jeu, quand il s’agit de priver quelqu’un d’un bien précieux, surtout de la vie. Et rien, même le danger de perdre la vie, ne peut se comparer au danger qui menace l’âme du pécheur. Du fait de sa rédemption par Jésus-Christ, dépend la vie éternelle pour toute âme humaine. Si elle n’a point eu sa part de cette œuvre expiatoire, elle ne saurait avoir part aux promesses de l’Évangile, aux espérances du ciel. Dans un cas aussi sérieux, s’il y avait quelque exception à la règle, un écrivain ordinaire, privé de l’inspiration d’en haut, ne manquerait pas de bien constater que tels et tels ne pourront pas participer aux bienfaits annoncés.

Ainsi, d’une façon incontestable, l’Écriture Sainte, — soit quant à la lettre, soit quant à l’esprit, — la voix unanime des prophètes, des évangélistes, des apôtres, les promesses, les commandements, les exhortations du Seigneur, ses déclarations touchantes et solennelles qu’il ne veut point la perte de ceux qui périssent, les textes bibliques cités par nous, et d’autres plus nombreux encore que nous ne citons pas, enfin l’absence absolue de révélations contraires dans la Parole de Dieu, tout nous dit et nous répète ce joyeux message : « Jésus-Christ est mort pour tous, et conséquemment tous peuvent être sauvés ! »

W. Arthur
(Traduit par J.-W. Lelièvre)

[William Arthur, pasteur wesleyen anglais, naquit en Irlande en 1819. Il fut missionnaire, pendant quelques années, dans l’Inde. Revenu en Europe pour cause de santé, il fut pasteur anglais à Paris, de 1846 à 1848, où il apprit à connaître à fond notre langue et à aimer notre peuple. Il devint ensuite l’un des secrétaires généraux de la Société des Missions wesleyennes et contribua à la création de la Conférence méthodiste française en 1852. Il a composé de nombreux ouvrages dont deux, la Langue de feu et la Loi morale et la Loi physique. Ce dernier, traduit par M. Lelièvre, est une remarquable réfutation du positivisme. L’étude que nous publions sur l’universalité de l’œuvre de Christ, est un morceau remarquable de théologie biblique. M. Arthur a vécu les dernières années de sa vie à Cannes, sur la Côte d’Azur. Il fut l’un des représentants les plus distingués du Méthodisme contemporain.]

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