John Wesley, sa vie et son œuvre

2.5 La première conférence (1744)

Convocation de la conférence. — Son ouverture. — Règles acceptées pour les discussions. — La matière de l’enseignement. — Le mode de la prédication. — Relations des sociétés avec l’Église anglicane. — Discipline intérieure. — Règlements. — Les classes. — La prédication laïque. — Autorité de Wesley sur ses prédicateurs. — Fin de la conférence. — Coup d’œil sur l’état de l’œuvre. — Ses résultats numériques et moraux. — Opposition du peuple, du clergé et des autorités. — Une nouvelle période commence.

L’œuvre du Réveil, commencée, depuis cinq ans, en Angleterre par les Wesley, avait pris une extension à laquelle ils étaient loin de s’attendre. L’aîné des deux frères en était devenu naturellement le chef par ses talents et par les dons de gouvernement qu’il possédait à un si haut degré. Le moment lui paraissait venu toutefois d’en partager la responsabilité avec ses collaborateurs. En conséquence, dans les premiers mois de 1744, il convoqua à Londres les quelques ministres de l’Église anglicane qui sympathisaient avec son œuvre et les principaux prédicateurs laïques « qui l’assistaient comme des fils dans l’Évangile, pour avoir leur avis sur la meilleure manière de poursuivre l’œuvre de Dieu. » Cette formule de convocation indique parfaitement le but de cette première assemblée ; il s’agissait non pas d’organiser une Église ou une société nouvelle, mais tout simplement d’aviser aux meilleurs moyens de continuer avec vigueur l’œuvre du Réveil.

La conférence commença le lundi 25 juin 1744 et se prolongea toute la semaine. Outre les deux frères Wesley, elle comprenait quatre autres ministres anglicans, John Hodges, recteur de Wenvo (pays de Galles) ; Henry Piers, vicaire de Bexley, converti par le moyen de Charles Wesley et l’un des auxiliaires les plus dévoués du mouvement ; Samuel Taylor, arrière-petit-fils du Dr Rowland Taylor, qui confessa sa foi sur le bûcher au temps de Marie la Sanguinaire, et enfin John Meriton, pasteur dans l’île de Man et associé, pendant les dernières années de sa vie, au ministère itinérant de ses amis Wesley. Des quatre prédicateurs laïques qui firent partie de la première conférence, Thomas Richards, Thomas Maxfield et John Bennet devinrent ministres d’autres Églises. John Downes fut le seul qui vécut et mourut méthodiste.

La conférence, qui se réunit dans la chapelle de la Fonderie, fut précédée, la veille, d’un service solennel de sainte Cène, et, le matin même, d’une prédication d’ouverture par Charles Wesley. Placée ainsi dès l’abord sous une influence profondément sérieuse, cette petite assemblée eut pleinement conscience de la grande tâche qui pesait sur elle. L’une de ses premières résolutions fut la suivante : « Nous désirons que toutes choses soient considérées comme en la présence immédiate de Dieu ; nous désirons nous réunir avec un œil simple et comme de petits enfants qui ont tout à apprendre ; nous voulons que chaque sujet puisse être examiné à fond, que chacun dise librement ce qu’il a sur le cœur, et que toutes les questions proposées puissent être pleinement débattuesa. »

a – George Smith, History of Wesleyan Methodism, 1859, t. I, p. 211.

On se demanda ensuite dans quelle mesure chacun devrait se soumettre au jugement de tous. La réponse est digne d’être conservée : « Dans les choses de pure spéculation, nul ne peut se soumettre que dans la mesure où son jugement est convaincu ; mais, dans les sujets de pratique, soumettons-nous les uns aux autres, autant que cela nous est possible sans blesser notre conscience. » Il eût été difficile de se donner des règles plus sages et plus chrétiennes que celles-là.

La conférence avait à son ordre du jour trois questions : 1° Que faut-il enseigner ? 2° Comment enseigner ? 3° Comment régler la doctrine, la discipline, la pratique ?

Deux journées entières furent consacrées à l’étude des doctrines essentielles qui devaient faire l’objet de l’enseignement des prédicateurs. Wesley et ses amis mettaient surtout l’accent sur les vérités pratiques, sur celles qui sont le fondement de la vie chrétienne, telles que la repentance, la foi, la justification, la sanctification, le témoignage du Saint-Esprit. Ce qu’ils faisaient à cette heure, ce n’était pas une confession de foi, c’était une affirmation large et ferme des grandes doctrines que l’Église avait laissé tomber en désuétude. Ils étaient des témoins avant d’être des théologiensb.

b – Voir les Minutes of some late conversations between the Rev. Mr Wesley and others. Œuvres, t. VIII, p. 275.

Quant à la méthode de la prédication, la conférence suggéra aux prédicateurs la suivante : inviter les pécheurs, s’efforcer de les convaincre, leur offrir Christ, les édifier, et elle leur recommanda de faire entrer, autant que possible, ces divers éléments dans chaque prédication.

Il était impossible que la conférence ne se préoccupât pas sérieusement des relations des sociétés avec l’Église anglicane. Wesley continuait à croire à la possibilité d’une entente cordiale, bien que l’attitude du clergé commençât à lui inspirer quelques craintes. Cette attitude peu favorable créait elle-même de nouveaux devoirs et dictait de nouvelles résolutions au méthodisme. La conférence émit l’avis qu’il fallait « obéir aux évêques dans toutes les choses indifférentes, et se soumettre aux canons ecclésiastiques, dans la limite où le permet la conscience. » Ces réserves étaient sagement libérales et indiquaient un progrès notable dans les vues ecclésiastiques de Wesley.

Les questions de discipline intérieure des sociétés furent aussi l’objet d’une étude attentive. A cette question : « Comment répartirons-nous les personnes qui veulent se placer sous nos soins ? » la conférence répondit comme suit : « En quatre classes : Sociétés unies (United Societies), Petites Compagnies (bands), Sociétés choisies (Select Societies) et Pénitents (Penitents). Les sociétés unies (les plus nombreuses de toutes) rassemblent toutes les personnes réveillées, dont une partie faisant profession de posséder le pardon de leurs péchés se réunissent en petites compagnies (bands) ; les membres de ces dernières, qui paraissent marcher à la lumière du Seigneur, composent les sociétés choisies ; et enfin les personnes en état de chute se réunissent à part comme pénitentsc. » Des règlements spéciaux pour chacune de ces classes de membres furent adoptés par la conférence. Dans leur nombre se trouvaient les Règles de la Société qui sont encore en vigueur de nos jours. Ces règles ont ceci de remarquable qu’elles ne demandent, « pour entrer dans la Société, aucune opinion religieuse particulière. La seule condition préalable réclamée de celui qui veut être admis, c’est le désir de fuir la colère à venir et d’être sauvé de ses péchés. »

c – Smith, Hist. of W. M., t. I, p. 213.

L’expérience montra plus tard combien impraticable était ce système de répartition des membres de la Société en quatre divisions reposant sur l’état spirituel de chacun. Il ne tarda pas à être simplifié considérablement ; ce qui en survécut, ce fut l’idée excellente qui l’avait inspiré. Cette idée, qui est l’idée mère du méthodisme et qui a fait son originalité, c’est la vie commune des âmes, dont la classe devint la réalisation. Ces petites assemblées, répondant à ce besoin de communion et de solidarité qui se manifeste chez les âmes à toute époque de réveil, réalisaient d’une manière pratique une idée que les Moraves avaient en commun avec Spener (ecclesiolæ in Ecclesia). Groupant quelques âmes pieuses sous la direction d’un chrétien d’expérience, elles formaient de véritables familles spirituelles, où tout était mis en commun, joies et tristesses, succès et revers, où le fort suppléait aux besoins du faible et apprenait à le supporter, où le faible lui-même, excité au contact du fort, marchait et surmontait sa faiblesse. A notre sens, la classe réalise, plus qu’aucune autre institution humaine n’a réussi à le faire, la notion chrétienne de l’unité du peuple de Dieu et de la communion des saints. En en faisant la pierre fondamentale de son organisation, Wesley assura la durée et la prospérité de son œuvre. La classe rendit possible cette expansion si rapide du méthodisme par toute l’Angleterre, qui est l’un des étonnements de l’historien ; en créant sur tous les points ces petits foyers de vie spirituelle, qui au besoin pouvaient se suffire et vivre d’une existence indépendante, elle donna à l’œuvre missionnaire son auxiliaire indispensable ; la classe fit l’éducation religieuse de ces milliers de nouveaux convertis qui passaient sans transition d’un état d’indifférence et parfois d’abrutissement à la vie spirituelle.

Nous avons vu précédemment que la prédication laïque avait été une nécessité pratique pour Wesley. Le moment était venu d’étudier de près cette institution nouvelle et de se rendre compte de sa légitimité et de son utilité. La conférence n’hésita pas à affirmer qu’elle répondait aux besoins de la situation. Elle encouragea Wesley à employer des aides laïques, mais seulement « en cas de nécessité. » Leur office consistait à « nourrir et guider, enseigner et gouverner le troupeau, en l’absence du ministre ». La conférence élabora un règlement en treize articles à l’usage de cette classe d’agents ; elle leur recommanda en outre de tenir un journal détaillé de leurs travaux, d’être en garde contre le formalisme et de le combattre en eux-mêmes et chez les autres. Il fut aussi question de fonder un séminaire pour former ces agents, mais ce projet dut être remis à plus tard ; les temps n’étaient pas encore mûrs pour sa réalisation.

Il est évident qu’à ce moment Wesley et ses amis ne comprenaient pas encore toute l’importance de cette classe d’ouvriers et ne se rendaient pas compte des services qu’ils devaient rendre par la suite au méthodisme. Quoique nombreux déjà (ils étaient une cinquantaine), les auxiliaires laïques n’avaient encore qu’une mission temporaire, qui devait cesser, dans la pensée de Wesley, au jour où le clergé anglican se laisserait entraîner par le flot montant du Réveil. La plupart d’entre eux menaient encore de front les travaux de leur profession séculière et les labeurs d’un ministère itinérant. Hommes simples et illettrés, mais remplis de foi et de zèle, ils secondaient Wesley de toutes leurs forces. Appelés par lui à l’évangélisation, ils acceptaient pleinement sa direction ; c’était à lui qu’il appartenait de leur adresser vocation, de fixer leurs itinéraires et de surveiller leur travail. La douzième règle d’un Auxiliaire (helper) était ainsi conçue : « Agissez en toutes choses, non d’après votre propre volonté, mais comme des fils dans l’Évangile. Comme tels, vous devez employer votre temps de la manière que nous vous indiquerons ; vous devez en consacrer une partie à visiter le troupeau de maison en maison (surtout les malades), et une autre partie à la lecture, à la méditation et à la prière. Surtout, si vous travaillez avec nous dans la vigne du Seigneur, il est nécessaire que vous fassiez la portion de l’œuvre que nous vous assignerons, aux temps et aux lieux que nous jugerons à propos, en vue de la gloire de Dieu. »

Cette soumission complète que Wesley réclamait de ses aides laïques était une nécessité absolue de son œuvre. Confiant le soin des âmes à des hommes qui, s’ils avaient la foi et la piété, manquaient alors généralement de la culture intellectuelle qu’il eût désirée, Wesley fut conduit, par la force des choses, à accepter un pouvoir presque épiscopal, auquel ses subordonnés se soumettaient joyeusement. Ajoutons qu’il en fit le meilleur usage pour le développement et l’utilité de ses prédicateurs, les aiguillonnant au travail et à l’étude, leur indiquant des lectures à faire, leur signalant les défauts de leur prédication, en un mot travaillant de toutes ses forces à les élever à la hauteur de la tâche à laquelle la Providence les avait appelés. Rien n’est intéressant comme la correspondance qu’il entretenait avec eux. « Vos talents de prédicateur ne grandissent pas, écrivait-il à l’un d’eux ; vous en êtes au même point qu’il y a sept ans. Vous avez de la vie, mais pas de profondeur, pas d’idées. La lecture seule y remédiera, en l’accompagnant de méditations et de prières quotidiennes. En négligeant cela, vous vous faites tort à vous-même. Oh ! commencez ! Mettez à part une partie de chaque journée pour ces exercices. Vous acquerrez bientôt le goût qui vous manque ; ce qui vous paraît ennuyeux vous deviendra agréabled. »

d – Southey, Life of Wesley, chap. XVI.

Wesley se servait de son autorité sur les prédicateurs non seulement pour les faire étudier, mais encore pour les encourager ; il était leur ami en même temps que leur directeur. L’un d’eux, accablé de doutes au sujet de sa vocation, lui écrivit un jour pour le prier de lui envoyer un successeur, car, disait-il, il ne se sentait pas à sa vraie place. « Cher frère, lui répondit aussitôt Wesley, vous me paraissez en effet hors de votre vraie place ; car vous vous occupez à raisonner, au lieu de prier. » Une telle autorité, légitimée par une grande supériorité et tempérée par une affection et une bienveillance inépuisables, devait obtenir une obéissance prompte et joyeuse, et l’on peut dire en effet que jamais chef n’eut à sa disposition une armée mieux disciplinée et plus dévouée.

Après avoir donné quelques jours à l’étude des graves problèmes que soulevait l’apparition du Réveil, les membres de la première conférence se séparèrent pour s’en aller reprendre leur œuvre d’évangélisation. Rien ne ressemble moins à un synode constituant que cette petite assemblée, où l’on ne s’occupe pas de créer une organisation ecclésiastique, mais simplement de déterminer quelle est la voie providentielle qu’il faut suivre résolument pour continuer l’œuvre si bien commencée du réveil de l’Église et du salut des âmes. Wesley et ses amis posent les bases de la grande œuvre qui va s’accomplir, mais ils ne paraissent pas encore se faire une juste idée des proportions qu’elle va prendre.

Le passé était cependant déjà un garant assuré de l’avenir. Depuis cinq ans à peine que le Réveil avait éclaté, ses succès avaient dépassé toutes les prévisions. Ses deux fractions, divisées sur un point de doctrine, rivalisaient de zèle et d’activité. Néanmoins celle dont Wesley était le représentant principal distançait rapidement l’autre, grâce à son organisation puissante. Il n’existe pas de statistique complète du méthodisme à cette époque. Nous avons dit que les prédicateurs itinérants étaient au nombre d’une cinquantaine ; quant aux membres des sociétés, ils se comptaient par milliers. A Londres seulement, ils étaient deux mille deux cents.

Les diverses régions de l’Angleterre proprement dite avaient déjà été parcourues par Wesley et ses amis, depuis Newcastle dans le Nord, jusqu’au cap Land’s-End, à l’extrémité sud des Cornouailles. Londres, Bristol, Saint-Ives et Newcastle étaient à ce moment les centres du mouvement ; depuis peu cependant, un nouveau foyer de réveil s’était formé à Wednesbury, au centre de l’Angleterre, et les débuts de cette œuvre avaient été signalés, comme nous l’avons vu, par de violentes persécutions. Wesley, comme son Maître, s’était adressé de préférence à la portion la plus pauvre et la plus dégradée de la population, et il s’était fait le missionnaire de la populace de Londres et des mineurs de Kingswood, du Staffordshire et de Newcastle. On sait de quels succès ses travaux avaient déjà été couronnés au sein de ces classes déshéritées de la société, succès de bon aloi, puisqu’il impliquait non pas une simple amélioration des mœurs, mais la conversion des cœurs à l’Évangile.

Les opposants n’avaient pas manqué jusqu’ici à cette œuvre de réveil. Le peuple anglais avait prouvé par son attitude même à quel point il avait besoin d’être évangélisé. Son opposition n’effraya pas Wesley. Derrière ces foules abruties par la boisson et exaltées par la colère, il sut découvrir le vrai peuple facilement impressionnable et aussi ardent dans ses élans vers le bien que dans ses entraînements vers le mal. Ce ne fut pas cependant en le flattant qu’il adoucit ce despote de mauvaise humeur qui était habitué à tout voir plier devant soi, même le gouvernement, et à se passer toutes ses fantaisies. Wesley avait l’âme trop élevée pour faire un bon courtisan ; sa parole sincère disait toujours ce qu’elle voulait dire. Même au milieu d’une populace indisciplinée, il ne prit jamais l’attitude d’un suppliant. Le revirement qui s’opéra peu à peu dans les sentiments de la multitude à son égard doit être attribué uniquement à la puissance morale qu’il mettait en œuvre. Si, après avoir été honni et conspué, il devint le prédicateur aimé et vénéré des masses, c’est que, sous cette parole si franche et si pleine d’autorité, on sentait battre un cœur chaud et dévoué. Le peuple, quelque inconstant qu’il soit dans ses goûts, sait rendre justice tôt ou tard à ceux qui l’ont aimé et qui ont travaillé à lui faire du bien.

Wesley n’eut pas aussi facilement raison d’autres adversaires qui ne pouvaient pas alléguer, pour excuser leur mauvais vouloir, l’ignorance et les préjugés de la foule. Le clergé et la magistrature, nous l’avons vu, loin de s’opposer aux fureurs de la populace, ne se firent pas scrupule de les exciter. C’est là un des lamentables spectacles que l’histoire a à contempler en ce triste siècle, et c’est avec douleur qu’elle est obligée de compter les éclaboussures laissées par la fange de l’émeute sur la robe du magistrat et sur le surplis du ministre. Le clergé en particulier voyait trop dans l’activité de Wesley un reproche à sa paresse et dans sa foi un reproche à son indifférence, pour ne pas laisser éclater sa mauvaise humeur. Plus d’une fois même l’on vit des ministres se faire chefs d’émeute, et conduire leurs ouailles à l’attaque des méthodistes occupés à prier Dieu. « Ils poussent le peuple, dit Wesleye, à nous traiter comme des gens hors la loi ou comme de mauvais chiens. »

eJournal, 10 mars 1745.

Toutes ces oppositions avaient déjà éclaté au moment où notre récit est parvenu. Elles allaient redoubler de violence et se multiplier ; mais les prédicateurs du Réveil, qui avaient vaillamment soutenu le premier choc, étaient déjà rompus à la lutte.

La période de la naissance du méthodisme se termine à cette première conférence, où il s’affirme avec une foi si modeste, mais si ferme. Nous allons assister maintenant aux développements successifs de cette œuvre ; il nous suffira pour cela de reprendre le fil de la vie de Wesley, car jamais ouvrier ne s’identifia mieux que lui avec son œuvre.

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