À L'Œuvre !

8. « QUI EST MON PROCHAIN ? »

J'ai pris pour notre sujet d'aujourd'hui l'histoire du bon Samaritain. Dans cette parabole, Jésus nous présente quatre individus différents, et il nous les décrit d'une manière si frappante que le monde ne les oubliera jamais. Les récits de l'Évangile nous laissent trop souvent indifférents, et nous oublions bien vite les leçons que notre divin Maître voudrait nous enseigner.

Pendant que Jésus était sur la terre, il était entouré par une certaine catégorie de personnes qui critiquaient sans cesse tout ce qu'il disait et tout ce qu'il faisait. Un jour, un docteur de la loi vint lui demander ce qu'il fallait faire pour obtenir la vie éternelle. Le Seigneur lui dit de garder les commandements, d'aimer Dieu de tout son cœur, et son prochain comme lui-même. Le docteur de la loi voulut savoir qui était son prochain. Alors Jésus lui raconta cette parabole pour lui montrer qui était son prochain, et comment il fallait l'aimer.

Il me semble que nous avons mis beaucoup de temps à découvrir qui est notre prochain. Dans la parabole du bon Samaritain, Jésus-Christ nous enseigne, si je ne me trompe, que notre prochain, c'est tout homme, toute femme, qui a besoin de notre sympathie et de notre secours, soit pour le corps, soit pour l'âme. S'il nous est possible de leur venir en aide, nous sommes tenus de le faire au nom de notre Maître.

Nous voyons d'abord deux hommes qui, l'un et l'autre, passent sans y prendre garde, à côté d'un pauvre voyageur, lequel avait cependant grand besoin de secours, car il était tombé entre les mains des brigands qui l'avaient dépouillé, chargé de coups, et laissé à demi-mort. Le premier qui passa, allant de Jérusalem à Jéricho, était un prêtre. Comme il cheminait, il entendit un cri de détresse, et s'arrêta pour en chercher la cause. Il lui fut facile de voir que le pauvre blessé était un Juif ; peut-être l'avait-il vu dans le temple le jour du Sabbat ; mais on n'était plus à Jérusalem. Tant qu'il était dans le temple, il était au service du public ; une fois hors de l'enceinte sacrée, il était libre. Les devoirs de sa profession étaient terminés, et l'on ne pouvait rien lui demander de plus.

Il était très pressé d'aller à Jéricho. Peut-être allait-on ouvrir une nouvelle synagogue dans cette ville ; en tout cas, c'était une affaire très importante qui l'y appelait, et il n'avait pas le temps de s'arrêter auprès de ce pauvre blessé. Aussi, il passa outre. Il se peut qu'en continuant son chemin, il ait raisonné ainsi en lui-même : « Quel mystère que Dieu ait laissé entrer le péché dans le monde ! S'il n'y avait pas de péché, ce pauvre homme ne se trouverait pas dans un état aussi lamentable. » — Ou bien ses pensées ont pris une autre direction, et il s'est dit qu'en arrivant à Jéricho, il formerait un comité pour veiller à la sécurité des pauvres voyageurs. Il donnerait volontiers une once d'or pour la nouvelle société ; ou bien encore, il ferait rechercher les brigands qui l'avaient dépouillé, et les ferait châtier.

Il ne se disait pas que pendant tout ce temps, le pauvre blessé se mourait. Il est probable qu'il était dévoré par la soif ; peut-être un ruisseau coulait-il tout près du lieu où il était étendu, et si ce prêtre l'avait voulu, il aurait pu lui donner à boire ; mais toute sa religion était dans sa tête elle n'était pas descendue jusqu'à son cœur. Il avait une certaine notion du devoir, et quand il avait accompli ce qu'il regardait comme son devoir, il trouvait qu'on n'avait plus rien à exiger de lui. Ce que Dieu nous demande, c'est le service du cœur ; si nous ne le lui donnons pas, il n'en acceptera pas d'autre.

Quelque temps après, un Lévite vint à passer le long du chemin où était étendu le pauvre blessé. Lui aussi, il entendit ses cris de détresse. Il se détourna un instant pour le regarder, mais il était pressé d'arriver à Jéricho. Peut-être devait-il prendre part à la dédicace de cette nouvelle synagogue ; peut-être avait-on convoqué à Jéricho une réunion pour discuter sur les moyens « d'atteindre les masses, » et allait-il y prononcer un discours. J'ai vu bien souvent des hommes aller à des conférences et parler pendant des heures sur ce sujet, mais ne pas vouloir étendre leur main vers ces masses qu'ils prétendaient atteindre.

Il est probable que les pensées du Lévite prirent un autre cours : « Je tâcherai, se disait-il, de faire prendre des mesures pour empêcher que ces brigands continuent à dépouiller et à assassiner les pauvres voyageurs. » — Aujourd'hui encore il ne manque pas de gens qui pensent que des mesures purement humaines peuvent ramener l'homme à Dieu, qu'une législation nouvelle pourrait prévenir le péché. De même que le prêtre, ce Lévite ne s'arrêta pas pour donner une goutte d'eau au malheureux blessé ; il n'essaya pas de bander ses plaies ni de lui porter secours en aucune manière. Il continua son chemin en se disant sans doute : « Ce pauvre homme est bien à plaindre. » Ce genre de compassion est très fréquent ; il vient des lèvres et non du cœur.

Un troisième voyageur vint à passer ; c'était un Samaritain. Or, il était notoire qu'un Juif n'adressait jamais la parole à un Samaritain ; la présence d'un Samaritain était une souillure pour un Juif scrupuleux. Jamais un Juif ne franchissait le seuil de l'étranger détesté ; jamais il ne s'asseyait à sa table ni ne buvait de l'eau de son puits. Jamais non plus il ne lui aurait permis de se reposer, sous son toit. Un Juif religieux s'abstenait même de tout trafic avec un Samaritain.

Ce n'est pas tout ; les Juifs croyaient que le Samaritain n'avait pas d'âme, qu'à sa mort il était anéanti. Il était le seul homme sur la terre qui ne pût devenir prosélyte, et entrer dans la grande famille juive. Il ne pouvait être amené à la repentance ni dans ce monde ni dans l'autre.

Il avait beau faire profession de judaïsme, les Juifs ne voulaient rien avoir à faire avec lui. Voilà la manière dont les Juifs traitaient les Samaritains ; et cependant, ce fut d'un Samaritain que Jésus se servit pour donner à ces Juifs haineux une leçon d'amour et de charité.

Un Samaritain, donc, vint à passer par ce même chemin. Quand il vit le blessé, il fut touché de compassion. Il descendit de sa monture, et se pencha sur lui ; un seul regard suffit pour lui montrer que c'était un Juif. Si lui-même avait ressemblé au Juif, il aurait dit probablement :

« C'est bien fait. Je regrette seulement que les brigands ne t'aient pas tué tout-à-fait. Tu peux être sûr que je ne lèverai pas un doigt pour te venir en aide, misérable Juif. » Mais il ne dit rien de semblable, au contraire.

Que ceci nous serve d'enseignement. Quand nous avons affaire à des gens que l'amour de la boisson, par exemple, a perdus et dégradés, ne nous hâtons pas de les condamner. Ils se condamnent eux-mêmes plus sévèrement que personne ne saurait le faire. Ce qu'il leur faut, c'est de la sympathie, c'est de la bonté, c'est de la douceur. Ce Samaritain ne se mit pas à faire un grand discours à ce blessé. Il y a des gens qui semblent croire que ce dont les hommes ont besoin avant tout, ce sont des sermons. Non, il ne faut pas une si grande abondance de paroles ; il faut annoncer l'Évangile avec nos mains et avec nos pieds, il faut le manifester au monde par des actes de bonté et de sympathie.

Ce que l'état du pauvre blessé réclamait tout d'abord, c'était du secours et de la sympathie. Aussi la première chose que fit le bon Samaritain fut de verser de l'huile sur ses plaies. Combien de blessés n'y a-t-il pas parmi nous qui ont besoin de l'huile de la compassion et de la sympathie ! Et cependant, bon nombre de chrétiens semblent vouloir remplacer l'huile par du vinaigre, et s'en montrent même très généreux.

Le Samaritain aurait pu dire au blessé : « Pourquoi n'es-tu pas resté à Jérusalem ? Tu savais bien que les chemins ne sont pas sûrs; tu as été imprudent, et maintenant il faut que j'aie la peine de te soigner. » N'avez-vous jamais entendu des paroles sur ce ton-là ? Qu'un jeune homme de la province succombe aux tentations de la grande ville, on commencera par le gronder et lui faire des reproches : « Pourquoi avez vous quitté vos parents? Si vous étiez resté près d'eux, vous auriez évité les pièges où vous êtes tombé. » Ce n'est pas en parlant ainsi qu'on fera du bien. Il ne faut pas non plus haranguer les hommes du haut de notre propre justice ; il faut descendre jusqu'à eux, et nous pénétrer bien réellement de leurs chagrins et de leurs souffrances. Voyez le bon Samaritain : il s'approche de celui qui souffre, il bande ses plaies, il y verse de l'huile et du vin.

Le récit évangélique mentionne douze choses faites par le Samaritain. Quant au prêtre et au Lévite, un seul mot suffit pour raconter ce qu'ils firent : ils ne firent rien.

1) Il alla vers le blessé.

2) Il le regarda, et ne passa pas outre comme le prêtre.

3) Il eut compassion de lui. Si nous voulons réussir dans nos efforts pour gagner les âmes, il faut que nos cœurs soient pleins de compassion pour ceux qui périssent. Il faut sympathiser avec leurs souffrances et leurs épreuves si nous désirons gagner leur cœur et leur faire du bien.

4) Il s'approcha de lui.

5) Il banda ses plaies. Peut-être fut-il obligé de déchirer ses habits pour avoir des bandes.

6) Il y versa de l'huile et du vin.

7) Il le mit sur sa monture. Ne croyez-vous pas que le pauvre Juif ait dû regarder avec reconnaissance et tendresse le Samaritain qui lui prêtait sa monture, tandis que lui-même continuait sa route à pied à côté de lui ? Tous les préjugés de son cœur ont dû disparaître avant la fin du voyage.

8) Il le mena à une hôtellerie.

9) Il prit soin de lui. J'ai été très touché dernièrement en apprenant ce qu'un de nos collaborateurs dans un des districts de Londres avait fait. Il avait parlé, pendant la réunion, à un homme qui se trouvait dans la salle. Voyant qu'il était ivre, il le reconduisit chez lui, il passa toute la nuit près de lui ; puis le lendemain matin, quand cet homme fut rentré dans son état naturel, il causa avec lui. Beaucoup de personnes veulent bien parler aux ivrognes lorsqu'ils sont à jeun ; mais il y en a bien peu qui aient le courage d'aller à leur recherche quand ils subissent les honteuses conséquences de leur vice, et de rester près d'eux jusqu'à ce qu'ils aient recouvré leur bon sens et soient en état d'entendre parler du salut.

10) Le lendemain, en partant, le bon Samaritain pria l'hôtelier d'avoir soin de lui.

11) Il lui remit deux deniers d'argent pour payer la note.

12) Il lui dit : « Tout ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour. » Je ne connais rien dans tous les enseignements de Jésus qui fasse mieux ressortir le fond même de l'Évangile, que cette parabole. C'est une image fidèle du Sauveur venant sur la terre pour chercher et sauver ceux qui étaient perdus.

1) Jésus est venu dans ce monde de péché et de souffrance, se dépouillant de sa gloire pour quelque temps afin de revêtir notre humanité, et de se mettre sur le même niveau que ceux qu'il venait sauver.

2) Il regardait les pauvres et les malades afin de connaître leurs souffrances.

3) Il était ému de compassion pour les multitudes. Que de fois cela nous est dit dans les évangiles ! Un jour il versa des larmes à la pensée de toute l'angoisse que le péché a attirée sur l'humanité.

4) Jésus s'approchait dès qu'il entendait parler d'une souffrance. Jamais un cri de détresse n'a frappé en vain son oreille.

5) Un certain jour, ayant ouvert le livre du prophète Esaïe, Jésus lut un passage qui se rapportait à lui : « L'Esprit du Seigneur est sur moi... Il m'a envoyé... pour guérir ceux qui ont le cœur brisé. Il a été blessé pour nos péchés, afin que par ses meurtrissures nous puissions être guéris. »

6) Il a non seulement consolé les affligés, mais il a promis d'envoyer son Saint-Esprit pour être le Consolateur de ses rachetés.

7) Le bon Samaritain plaça le blessé sur sa monture ; de même, le Sauveur nous soutient par sa parole puissante pendant tout le cours de notre pèlerinage. Il a promis d'être tous les jours avec nous jusqu'à la fin du monde.

8) Le Sauveur nous procure le repos : le repos dans son amour, le repos dans son salut ; et à la fin de notre vie, il nous introduira dans le repos éternel

9) Pendant qu'il était sur la terre, il s'intéressait directement à tout ce qui touchait ses disciples, et

10) Quand il fut monté au ciel il envoya le Consolateur pour demeurer éternellement avec son Eglise.

11) Il a donné à l'Eglise tous les secours nécessaires pour la faire croître dans la grâce et pour la fortifier.

12) Il reviendra, et récompensera ses serviteurs de leur travail fidèle.

Vous ne savez pas, dites-vous, ce qu'il faut faire pour atteindre les masses ? Allez dans leurs maisons, témoignez-leur de la sympathie, montrez-leur que vous êtes venus pour leur faire du bien, faites-leur sentir que votre cœur est ému de leurs souffrances. Quand on verra que vous savez.aimer réellement, tous les préjugés contre Dieu, contre le christianisme, disparaîtront. Les athées auront beau dire que vous avez des motifs intéressés, que le bonheur ou le malheur des autres vous laisse indifférents, on ne les croira pas. Il faut que nos vies donnent un démenti formel à cette assertion, inspirée par le père du mensonge.

Ce démenti, nous ne le donnerons que si nous allons personnellement vers ceux qui souffrent, et si nous leur prouvons que nous les aimons. Il y a des centaines et des milliers de familles qu'en pourrait atteindre facilement s'il y avait des milliers de chrétiens peur aller les voir et leur témoigner de la sympathie. C'est là ce qu'il leur faut. Ce pauvre monde gémit et soupire ; il a soif de sympathie, de sympathie humaine. Je suis tout-à-fait convaincu que c'est ce trait du caractère de Jésus qui touchait le plus profondément le cœur du peuple. Jésus s'était fait un avec lui. Lui, qui était riche, s'était fait pauvre pour nous. Il était né dans une crèche afin d'être au niveau des plus petits et des plus humbles.

Je crois que le Sauveur nous enseigne ici une grande leçon. Il veut que nous prouvions au monde qu'il est son ami. Le monde se refuse à le croire ; si une fois il pouvait saisir l'idée que Jésus-Christ est l'ami des pécheurs, il irait à lui en masse. Je suis sûr que quatre-vingt-dix-neuf sur cent de ceux qui n'appartiennent pas à Jésus-Christ, sont convaincus que, loin de les aimer, Dieu est leur ennemi. Comment découvriront-ils leur erreur ? Ils ne vont jamais à l'église, et dans bien des cas, même s'ils y allaient, ils ne seraient pas détrempés. Croyez-vous que si ces femmes de mauvaise vie qui parcourent vos rues étaient convaincues que Jésus les aime et veut être leur ami ; que, plutôt de les condamner, il chercherait, s'il était encore sur la terre à les relever et à les sauver ; croyez-vous que si elles en étaient convaincues elles continueraient à vivre dans le péché ? Croyez-vous que l'ivrogne qui chancelle dans la rue se doute que Jésus-Christ l'aime ? Pourtant, l'Ecriture nous enseigne clairement que si Jésus hait le péché, il aime le pécheur. Cette histoire du bon Samaritain est destinée à nous enseigner cette leçon. Annonçons à tous cette bonne nouvelle que Jésus aime les pécheurs, et qu'il est venu dans le monde pour les sauver.

Dans une de nos villes d'Amérique, deux petits garçons devinrent subitement orphelins. Leur père et leur mère moururent à peu de jours d'intervalle, laissant leurs enfants dans la misère. Un riche négociant de la ville, en ayant entendu parler, adopta le plus intelligent des deux. L'autre fut placé dans un orphelinat, mais le pauvre petit n'avait jamais été séparé de ses parents pendant leur vie. Il n'avait jamais quitté sen frère, et il était si malheureux sans lui que tous les soirs il s'endormait en pleurant. Enfin un jour il disparut. Le lendemain, on le trouva sous le perron de la maison du riche négociant qui avait adopté son frère. Quand on lui demanda pourquoi il avait quitté son bon lit à l'orphelinat pour passer la nuit au froid, il répondit qu'il avait voulu se sentir près de Charlie. Il savait que s'il sonnait à la porte de la maison, on le renverrait à l'orphelinat, et c'était une joie pour lui d'être près de Charlie, même en passant la nuit sur la pierre. Son cœur avait soif de tendresse, et il savait que Charlie l'aimait plus que personne au monde. Tâchons de convaincre les pécheurs que quelqu'un les aime, et leur cœur sera touché.

Pendant notre guerre, un petit garçon, nommé Frank Bragg, fut amené dans un de nos hôpitaux ; mais il trouvait très dur d'être séparé de tous ceux qu'il aimait. Un jour, la garde qui le soignait, se pencha sur lui et l'embrassa, en lui disant qu'elle l'aimait.

« Est-ce vrai ? dit-il ; embrassez-moi encore, c'est comme ma sœur. » La garde fit ce qu'il lui demandait, et l'enfant lui dit avec un sourire : « Il ne me sera pas dur de mourir, maintenant que j'ai quelqu'un qui m'aime. » Si nous avions plus de cette sympathie pour ceux qui se perdent et qui souffrent, nous exercerions sur eux une grande influence.

Quelle leçon retirerons-nous aujourd'hui de l'exemple du bon Samaritain ? Écoutons la voix du Maître nous dire : « Va, et fais de même. » Nous pouvons tous faire quelque chose. Si ce n'est pas parmi les grandes personnes, que ce soit au moins parmi les enfants. C'est un grand privilège que d'être l'instrument dont Dieu se sert pour amener dans son royaume un de ses agneaux. Si nous apportons le salut à un seul enfant, notre vie n'aura pas été perdue, et nous entendrons la parole du Maître : « Cela va bien, bon et fidèle serviteur. » Pouvez-vous croire de bonne foi qu'il y ait ici aujourd'hui un enfant de Dieu, tellement faible, tellement dénué d'influence, qu'il ne puisse gagner quelque âme au Sauveur pendant la semaine, pourvu qu'il veuille s'en donner la peine ? Assurément, ce n'est pas trop demander ; et les résultats de cette œuvre nous accompagneraient jusque sur les rives de l'éternité.

J'ai vu récemment une dame qui a fondé il y a deux ans à Edimbourg un hôpital pour les enfants malades. Je lui ai demandé si elle était bénie dans son œuvre, et je n'oublierai jamais comme sa figure s'est éclairée. Dans une de nos dernières réunions, elle nous a raconté quelques cas très intéressants de conversion parmi ces enfants, et sa physionomie était radieuse. Quel privilège, mes amis, d'introduire ces pauvres êtres affligés dans le royaume de Dieu !

Un petit garçon écossais avait mal à une jambe. On l'amena à Edimbourg, mais comme il n'y avait pas de place dans l'hôpital des enfants, on le conduisit à l'hôpital général. Il n'avait que six ans ; son père était mort ; sa mère était malade et ne pouvait le soigner ; c'est pourquoi on avait été obligé de l'amener à l'hôpital d'Edimbourg. Mon ami, le pasteur Wilson, alla le voir, et l'enfant lui raconta que le chirurgien devait venir le jeudi suivant pour lui couper la jambe. Vous qui êtes pères ou mères de famille, vous pouvez vous représenter ce que souffrirait l'un de vos enfants si, à l'âge de six ans, loin de vous, dans un hôpital, un chirurgien lui disait qu'il allait venir, tel jour, pour lui couper la jambe. L'enfant, naturellement, avait beaucoup de chagrin. Le pasteur lui demanda où était sa mère, et le pauvre petit raconta sa triste histoire. Voulant le consoler, mon ami lui dit : « La garde est très bonne ; elle te fera du bien. » — « Oui, répondit l'enfant, et peut-être que Jésus sera avec moi. » Pourriez-vous en douter ? Le vendredi suivant, le pasteur retourna à l'hôpital, mais le petit lit était vide. Le pauvre enfant était parti : le Sauveur était venu et l'avait emporté dans ses bras.

N'y a-t-il pas dans cette grande ville des centaines et des milliers de personnes qui ont besoin de sympathie? Une marque de cette sympathie que leur cœur réclame, les touchera plus sûrement que le plus éloquent des sermons. Beaucoup d'hommes que les sermons éloquents laissent indifférents, ne résisteraient pas à la bonté, à la douceur, à la sympathie.

Le grand docteur Chalmers a dit : « Le peu que j'ai vu du monde et que je connais de l'histoire de l'humanité m'a appris à regarder ses erreurs avec plus de tristesse que de colère. Quand je pense au pauvre cœur qui a péché et qui a souffert ; quand je me représente les luttes et les tentations qu'il a traversées ; ses courtes joies et ses regrets amers; la faiblesse de ses bonnes résolutions; les mépris d'un monde qui a peu de charité ; la désolation intérieure ; la voix menaçante du remords ; la santé perdue ; le bonheur détruit ; — quand je me représente toutes ces angoisses, je n'ai qu'un désir : remettre l'âme coupable de mon frère entre les mains de Celui qui l'avait créée. »

Quelques-uns d'entre vous se demandent peut-être comment on peut éprouver de la sympathie pour ceux qui souffrent. C'est là une question très importante. On se met souvent à travailler pour Dieu comme si on s'acquittait d'un métier. Je vous dirai comment on arrive à éprouver de la sympathie pour les autres. Cela m'a toujours réussi. Mettez-vous à la place de ceux qui souffrent et à qui vous voudriez témoigner de la sympathie. Si vous le faites, vous gagnerez bientôt leur cœur et vous pourrez leur faire du bien.

Il y a plusieurs années, Dieu m'a donné à ce sujet une leçon que je n'oublierai jamais. Je dirigeais alors à Chicago une école du Dimanche fréquentée par plus de quinze cents élèves. Pendant les mois de Juillet et d'Août, il y eut une grande mortalité parmi ces enfants, et comme la plupart des pasteurs étaient absents, j'eus un grand nombre d'enterrements à faire, — parfois, jusqu'à trois ou quatre dans la même journée. J'en avais pris une telle habitude que j'avais fini par le faire presque machinalement. Je pouvais voir la mère donner un dernier regard à son enfant, et je pouvais voir fermer le cercueil sans en éprouver grande émotion.

Un jour, en rentrant chez moi, j'appris qu'une des élèves de mon école du Dimanche s'était noyée, et que la mère désirait me voir. Je pris ma petite fille avec moi, et partis immédiatement. Le père, assis dans un coin de la chambre, était ivre. La mère me raconta qu'elle était blanchisseuse, et qu'elle était obligée de travailler pour gagner sa vie et celle de ses enfants, car son mari buvait tout ce qu'il gagnait. La petite Adélaïde avait l'habitude d'aller au bord de la rivière pour attraper au passage les morceaux de bois qui flottaient ; elle les rapportait à la maison pour en faire du chauffage. Ce jour là, elle était allée à la rivière comme d'habitude. Elle avait vu un morceau de bois à une certaine distance du rivage; elle s'était trop penchée pour l'atteindre, son pied avait glissé, elle était tombée dans l'eau, et elle s'était noyée. La pauvre mère me conta ses peines : elle n'avait pas d'argent pour payer le cercueil, et elle me pria de lui aider. Je sortis mon carnet de ma poche, j'inscrivis son nom et son adresse, je pris les mesures pour le cercueil, et je promis de lui en faire faire un tout de suite.

La pauvre femme était dans une grande douleur, mais je n'en fus que modérément affecté. Je lui dis que je reviendrais pour l'enterrement, et je m'en allai. Ma petite fille marchait à côté de moi : « Papa, me dit-elle, si nous étions très pauvres, et si maman était obligée de laver pour gagner notre vie, et si j'étais obligée d'aller ramasser du bois au bord de la rivière pour faire du feu ; si je tombais dans l'eau et si j'étais noyée, est-ce que tu serais malheureux ? » — « Si je serais malheureux ! Mais, mon enfant, je ne sais pas ce que je deviendrais. Je n'ai pas d'autre petite fille que toi, et si je te perdais, cela me briserait le cœur. » Et en disant cela, je la pris dans mes bras et l'embrassai. « Alors, est-ce que tu as été malheureux pour la maman de cette petite fille ? » Comme cette question me perça le cœur ! je retournai à la maison, je pris ma Bible, et je lus à la pauvre mère le quatorzième chapitre de l'Evangile selon saint Jean. Puis je priai avec elle, et m'efforçai de la consoler. Le jour de l'enterrement, je l'accompagnai jusqu'au cimetière. Le père était encore ivre. Le cercueil de la petite Adélaïde fut mis dans la fosse commune, et pendant qu'on le recouvrait de terre, la mère me dit : « C'est bien dur, monsieur, d'enterrer son enfant dans la fosse commune. Si j'étais restée dans mon village, elle aurait été avec mes parents. Oh ! oui, c'est dur de voir mettre mon aînée dans la fosse commune ! » Je me dis que moi aussi je trouverais bien dur d'avoir à enterrer ma fille dans la fosse commune, et je n'eus pas de peine à sympathiser avec la pauvre mère.

Le Dimanche suivant, je racontai aux enfants de l'école ce qui s'était passé. Je leur proposai d'acheter un terrain pour en faire un cimetière pour l'école du Dimanche, de sorte que lorsqu'un des enfants viendrait à mourir, on l'y enterrerait au lieu de le mettre dans la fosse commune. Avant même que l'acte de vente eût été dressé, une mère vint me demander la permission d'y faire enterrer sa petite fille qui venait de mourir. Au moment de déposer le petit cercueil dans la terre je lui demandai le nom de l'enfant

« Emma » me dit-elle. C'était le nom de ma petite fille, et je ne pus m'empêcher de pleurer à la pensée de ce que j'éprouverais si c'était ma petite Emma qui était dans ce cercueil. Quelques jours après, une autre mère vint me demander d'enterrer dans notre cimetière son petit garçon, qui s'appelait Willie. A cette époque, je n'avais qu'un seul garçon, et il s'appelait Willie. Je me représentais ce que je souffrirais si c'était mon Willie qui était mort. Ainsi les deux premiers enfants qui furent enterrés dans notre cimetière portaient les noms de mes deux enfants. Je me mis à la place des pauvres mères affligées, et il me fut facile de sympathiser avec elles.

Une des premières choses que je fis en retournant à Chicago après une absence de plusieurs années, fut d'aller visiter le cimetière de l'école du Dimanche. J'avais cru qu'il servirait pendant bien des années, mais il était déjà presque plein. Un grand nombre d'enfants y sont couchés, en attendant le jour de la résurrection, et j'aimerais à être enterré à côté d'eux.

Chers amis, si vous voulez éprouver de la sympathie pour les autres, mettez-vous à leur place. Dieu veuille remplir nos cœurs du même esprit qui animait le bon Samaritain, de telle sorte que nous soyons pleins de bonté, d'amour et de compassion.

Je veux vous citer, en terminant, un précepte qui m'a été d'un grand secours. Il a été écrit par un quaker : Il n'est pas probable que je revienne une seconde fois sur la terre. Si donc je trouve moyen sur ma route de faire du bien à quelqu'un de quelque manière que ce soit, je veux me hâter de le faire. Je ne veux ni négliger cette occasion ni différer d'en profiter, car je ne repasserai jamais par ce chemin.

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