Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

5.
Rapidité du temps

Et l’ange que j’avais vu se tenant sur la mer et sur la terre, leva la main droite vers le ciel, et jura par Celui qui vit aux siècles des siècles, qui a créé le ciel et les choses qui y sont, et la terre et les choses qui y sont, et la mer et les choses qui y sont, qu’il n’y aura plus de délai.

(Apocalypse 10.5-6)

Un mois déjà s’est écoulé depuis, que nous avons commencé ce Culte ; et ce mois est la douzième partie d’une année dont vingt-cinq ou trente restent à peine dans notre vie ! Mais c’est hier, semble-t-il, que nous avons reçu et formé des vœux de bonne année ; c’est hier que nous avons visité ces amis, embrassé cette famille. Oui, c’est hier, et cependant un mois s’est écoulé ; encore onze semblables, et l’année sera finie ; encore vingt ou trente de ces années, et la mort sera là, saisissant nos corps, aujourd’hui pleins de vie ! Quelle rapidité dans la fuite du temps ! Comme il avance dans sa marche uniforme ! Et qu’il ne soit pas possible de l’arrêter un jour, une heure, une minute ! Que les mots que je prononce à cette heure soient autant de secondes retranchées sur ma vie ! et que je descende vers la mort plus certainement et plus vite que le rocher détaché du haut de la montagne ne roule vers la plaine ! Cette pensée est effrayante ; mais elle est dans le vrai, et nous devons la contempler. Nous faisons de notre temps un emploi si frivole que, le plus grand service qu’on puisse nous rendre, c’est de nous enseigner à compter nos heures.

Vers la fin du monde, un ange, posant un pied sur la terre, l’autre sur l’Océan, criera : « Il n’y a plus de temps ! » Mais ce cri de l’ange doit retentir pour nous bien avant cette époque ; un jour qui n’est pas loin, puisqu’il est dans notre vie, un jour nous dirons avec certitude : Demain, ce soir, dans une heure, pour moi, il n’y aura plus de temps ! Supposez que ce jour soit venu pour nous ; quel souhait formerions-nous alors ? Probablement celui d’Ezéchias : que notre vie fût prolongée. Et dans quel but ? afin de racheter par une sainte activité le temps perdu. Alors nous paierions quinze ans de vie du prix de tous nos biens ; pour les obtenir, nous prendrions l’engagement d’être saint, pur, vigilant ; nous promettrions tout pour obtenir un sursis impossible à l’heure de notre mort.

Eh bien, aujourd’hui, ce vœu se trouve exaucé. Nous sommes en santé ; nous avons mieux que quinze ans assurés ; nous en avons un nombre qui, par cela même qu’il est indéterminé, rend le calme à notre âme. Ne ferons-nous pas de ce temps l’usage que nous projetions tout à l’heure sur notre lit de mort ? n’emploierons-nous pas nos heures plus saintement que nous ne l’avons fait jusqu’à ce jour ? Hélas ! ce serait parfaitement raisonnable ; et cependant, j’en ai là triste conviction, si nous quittions à cette heure notre siège pour rentrer dans la vie active, nous reprendrions le cours de nos futilités. Notre âme est comme engourdie ; la fuite rapide du temps nous semble une vérité bonne à remplir une causerie, un sermon ; mais nous ne songeons pas le moins du monde à en tenir compte dans notre conduite. C’est en perdant nos heures que nous regrettons nos heures perdues ; c’est dans de vaines conversations le soir, dans un repos prolongé le matin, c’est en restant inactifs que nous déplorons notre coupable inaction. Et ce qu’il y a de plus étrange, ce n’est pas nous que nous accusons de rester en place, c’est le temps que nous accusons de fuir. Nous sommes presque vains de nos sages réflexions ; nous poussons un soupir et nous restons immobiles, comme si nos regrets avaient tout réparé.

Combien de fois vous, moi, nous tous n’avons-nous pas dit : « Comme le temps passe ! comme la vie s’en va ! Je touche au soir et je n’ai rien fait depuis ce matin ! » – Et le lendemain, avons-nous mieux employé nos heures ? – Non ; mais le soir encore nous avons dit : « Comme le temps passe ! comme la vie s’en va ! Je touche au soir et je n’ai rien fait depuis ce matin ! » Et nous nous habituons si bien à répéter chaque jour la même chose que cette pensée traverse notre esprit sans y laisser la plus faible impression.

Aussi suis-je à cette heure bien embarrassé pour faire sentir le prix du temps à des personnes blasées sur tout ce qu’on peut leur présenter à ce sujet, et qui se sont dit vingt fois à elles-mêmes ce que je viens de leur répéter. N’importe, je dois parler ; et malheur à qui, ne tenant aucun compte de cette parole, qui n’est encore qu’un avertissement de la Bible, s’endormirait jusqu’à ce que, sortant de la bouche de l’ange, elle se soit transformée en une sentence de condamnation : « Il n’y a plus de temps ! »

Je l’ai déjà dit, ce qui rend le temps précieux, c’est qu’il est court, c’est qu’il va finir. Mais ce qui vous en fera mieux encore sentir le prix, c’est l’importance des œuvres dont vous pouvez le remplir. On estime ordinairement le temps à la valeur de ce qu’il peut produire pour cette terre ; ainsi l’on dit volontiers qu’une journée passée dans l’inaction ou le plaisir est une journée de travail perdue, que c’est quelques francs retranchés de notre avoir, et l’on ne songe à rien de plus.

Mais la vie nous a-t-elle donc été donnée pour manger et pour boire ? Le Ciel n’en est-il pas le but, et ce but n’enchérit-il pas toutes les heures qui s’y rendent ? Une de vos heures perdues n’est pas seulement un morceau de pain dont vous privez vous ou votre famille ; c’est encore, c’est surtout une heure enlevée à votre sanctification, nourriture de votre vie future. Sans doute le temps perdu dans ce monde n’abrégera pas votre existence dans le monde à venir, mais il y changera certainement votre condition ; chaque minute de votre temps pèse sur votre éternité. Il y aura proportion entre votre sanctification sur la terre et votre félicité dans les cieux ; en sorte que vos heures perdues ici laisseront du vide dans votre âme là-haut. Pensez-vous que le brigand sur la croix, bien que pardonné, sauvé, mis dans le Ciel pour avoir cru quelques instants avant sa mort, sera placé sur la ligne de saint Paul, qui aura dépensé trente ans de sa vie dans une dévorante activité ? Non, non. Sans doute un même ciel renfermera tous les élus ; mais il y a plusieurs demeures dans la maison de notre Père ; il y aura donc plusieurs classes d’élus pour les habiter. Celui qui remplit sa vie de saintes pensées, d’actions généreuses, et arrive dans le Ciel chargé de ces fruits abondants, ne saurait partager son trône avec celui qui, bien que réellement sauvé, ne l’a été qu’avec peine et « comme à travers le feu. » Sans doute c’est par la foi, non par les œuvres, que nous sommes sauvés ; mais prenez garde de ne pas faire de cette pensée un oreiller de paresse. La foi, moyen de salut, doit être aussi une semence de sanctification ; votre vie est l’arbre où Dieu viendra non seulement chercher, mais encore compter les fruits. De l’un de ses serviteurs il reçut dix talents, de l’autre cinq, parce qu’il en avait donné dix à l’un et cinq à l’autre à faire valoir. Il vous demandera donc en juste proportion du nombre d’années qu’il vous aura données. Chaque branche de l’arbre doit rapporter sa charge, comme chacune de vos années son talent. Dans la végétation, chaque mois de l’année a son jet particulier à donner : le printemps ses feuilles, l’été ses fleurs, l’automne ses fruits. De même chaque saison, chaque mois, chaque jour de votre vie a sa tâche à remplir ; et si les feuilles ne peuvent pas renvoyer leur pousse en été, ni les fleurs leur développement en automne sans nuire à la récolte des fruits et les exposer à manquer en hiver, vous ne sauriez renvoyer l’œuvre d’aujourd’hui à demain, celle de cette année à l’année, prochaine, sans exposer votre sanctification arrivant imparfaite et avortée à l’heure de la mort. Toutes vos heures sont prises ; vos jours sont comptés, comme les cheveux de votre tête ; un seul que vous laisseriez tomber en terre laisserait son vide sur toute votre éternité.

Mais ce n’est pas en vue de nous seuls que notre temps est précieux, c’est aussi pour la multitude qui s’agite autour de nous ; et ce n’est pas non plus parce que nous pouvons lui donner un pain périssable, mais surtout parce que nous pouvons lui distribuer la nourriture qui ne se corrompt point.

Quelle pensée sérieuse que celle-ci : autour de nous des milliers d’âmes vivent et meurent sans avoir conscience d’elles-mêmes ! Des milliers d’âmes tombent à chaque instant dans les ténèbres, au milieu des pleurs et des grincements de dents ! A chaque seconde une vie expire ; à chaque seconde une âme s’envole ; à chaque seconde un frère tombe vivant dans l’enfer ! tandis que nous, inoccupés, nous laissons tomber l’une après l’autre des milliers de secondes sans nous soucier de ces milliers d’êtres perdus ! Un mot d’avertissement à l’un, un exemple à l’autre, une feuille mise dans la main d’un troisième eussent peut-être jeté dans leurs cœurs la semence de vie ; nous aurions ainsi pu dépenser, à sauver des âmes, des heures que nous gaspillons en paroles oiseuses, en lectures frivoles, dans mille petits riens !

Un homme nonchalamment assis sur le rivage voit d’instant en instant descendre sur le fleuve des malheureux se débattant au milieu des flots ; quelques-uns l’appellent ; d’autres lui tendent les bras ; les plus faibles passent en silence sous sa main, emportés par le torrent. Cet homme soulève légèrement la tête ; il voit ses semblables passer là vivants et s’engloutir un peu plus loin ; il voudrait bien les sauver, mais il voudrait aussi dormir ! il voudrait bien saisir leurs bras, mais il n’a pas le courage de leur tendre la main. Il lui faut ses heures de repos ; il laisse retomber sa tête appesantie et ferme les yeux, en se disant qu’il aura le temps d’en sauver d’autres demain !

Voilà ce que nous faisons tous autant que nous sommes. Étendus sur le rivage de l’éternité, où s’engloutissent à toute heure des hommes nos semblables, nous leur jetons un regard de compassion, nous les comptons avec sympathie au fur et à mesure qu’ils tombent dans le gouffre ; mais nous n’avons pas le courage de nous lever, et nous passons notre temps dans un stupide repos dont chaque seconde dévore une âme ! Épouvantable pensée ! et cependant juste mesure de notre paresse et de notre lâcheté !

Maintenant, qu’on ne se méprenne pas sur le sens de mes paroles. Je n’ai pas voulu dire que nous dussions tous passer notre vie à la recherche des âmes qui se perdent ; pas plus que je n’ai voulu dire, il y a quelques instants, que nous dussions perdre de vue nos propres besoins dans cette vie pour consacrer toutes nos heures à travailler directement pour la vie à venir. Mais ce que j’ai voulu, c’est faire sentir le prix immense d’un temps que nous jetons aux quatre vents ; ce que j’ai voulu, c’est mettre en contraste la valeur réelle du temps et le mépris que nous en faisons ; et ce que je voudrais ainsi, ce n’est ni de vous faire ermites ou missionnaires, mais de vous apprendre à compter, épargner et employer vos heures.

N’allez pas non plus dire qu’on ne peut pas s’ensevelir dans un travail assidu et pénible : ce n’est pas davantage ce que Dieu vous demande ; ce qu’il veut, Lui, c’est que chacune de vos heures soit remplie d’une manière utile, bien que variée. Vous vivez, vous pensez, vous parlez bien à toutes les heures ; pourquoi ne pourriez-vous pas penser utilement, parler de bonnes choses et vivre en Dieu ? On ne vous demande pas d’accomplir minutieusement telle ou telle, œuvre, mais d’agir constamment durant une vie si courte et dans un monde où il y a tant à faire.

Mais que faire, direz-vous peut-être, que faire pour remplir nos heures de loisir ? Je crains bien que quelques-uns de ceux disposés à poser cette question ne cherchent plutôt à se justifier qu’à s’instruire. Toutefois, je leur adresse une réponse bien simple : Faites comme faisait Jésus-Christ, prenant occasion de tout pour accomplir le bien et prononcer des paroles utiles. Quand vous êtes embarrassés de votre temps, demandez-vous ce que Jésus à cette heure aurait fait à votre place, et soyez sûrs que votre conscience répondra. – Que, pouvait faire Jésus lorsqu’il venait, fatigué et altéré, chercher du repos et une onde fraîche au bord d’un puits ? Il pouvait parler à la Samaritaine de l’eau qui jaillit en vie éternelle. – Que pouvait faire Jésus, de nuit, seul, sur une montagne solitaire ? Il pouvait méditer et prier. – Que pouvait faire Jésus, les mains liées, en présence d’un huissier lui donnant un soufflet ? Il pouvait, par une réponse digne et calme, réveiller sa conscience. – Que pouvait Jésus sur la croix, les membres torturés, à son heure d’agonie ? Il pouvait exhorter le brigand, pardonner ses bourreaux et prier encore son Père. – Les apôtres ont-ils manqué d’occupation après Jésus ? – Saint Paul, travaillant nuit et jour ; a-t-il été embarrassé de son temps ? – Quel chrétien s’est jamais plaint de n’avoir rien à faire ? lequel ne dirait pas plutôt : « Comment, suffire à tant de choses ? » Voyez les ignorants que vous pouvez aider dans votre maison ; écoutez les gémissements de ce malade que vous pouvez consoler à deux pas de votre demeure ; regardez ces jeunes gens qui passent et courent sur la voie des plaisirs à la perte de leurs âmes, et jetez sur leur route la barrière d’une pensée religieuse. N’allez pas même si loin : tournez vos regards sur vous-mêmes ; voyez si vous n’avez plus rien à apprendre dans la Bible ou dans quelque science ; plus de prière à faire à votre Dieu, plus de méditations à nourrir dans votre cœur pour arriver enfin à vous guérir d’une passion qui vous tyrannise. Dites donc plutôt que vous avez trop à faire, et retournez-vous alors vers Celui qui, par sa force, vient au secours de toute infirmité.

Ah ! si vous connaissiez les joies d’une vie active, le bonheur qu’on éprouve à voir une œuvre bonne naître et se développer sous ses mains ; si vous saviez combien, il est doux, le soir, de pouvoir se dire qu’on a bien rempli sa journée ; certes, vous secoueriez cette paresse et vous vous trouveriez finalement plus heureux et plus saints dans une incessante activité que dans cet indigne repos. Mais je m’arrête et me plais à supposer que tous nous désirons mieux employer notre temps à l’avenir. Pour cela, que faire ? Deux choses d’abord, chaque jour, à chaque instant, nous poser cette question : « Que puis-je faire, non pas demain, non pas ce soir, mais maintenant, que puis-je faire de bon et de bien ? » Sans doute la réponse n’amènera pas toujours une œuvre grande, mais au moins une œuvre utile ; et c’est avec des œuvres utiles, petites, mais constamment répétées, qu’on finit par produire une grande et belle vie ; tandis que c’est en aspirant à de grands travaux qu’on se justifie de les renvoyer de jour en jour jusqu’au jour qui n’a pas de lendemain.

Une seconde règle qui sauverait beaucoup du temps que nous perdons serait de nous demander, avant de commencer tant d’œuvres inutiles que le monde jette sous notre main : A quoi bon ? à quoi bon cette parole ? à quoi bon cette lecture ? à quoi bon cette course ? à quoi bon ce repos ? Si notre conscience nous poursuivait ainsi d’heure en heure dans tous les recoins de notre existence, nous nous lasserions peut-être bientôt de vivre ainsi paresseux et tourmentés. Nous trouverions que mieux vaudrait se lever et agir que de rester dans un repos plus fatigant pour l’âme que l’activité ne le serait pour le corps.

Courage donc ! éveillez-vous ! levez-vous, il est jour et songez que la nuit va venir ! Ou plutôt, rappelez-vous cette parole de l’Ange : « Il n’y a plus de temps. » Que, chaque matin, chaque soir, à toute heure, ce cri retentisse à votre oreille : encore quelques jours, encore quelques heures, et le monde fuira sous mes pieds ; pour moi, tout à l’heure, il n’y aura plus de temps !

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant