Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

10.
L’Arche touchée par Huza

David rassembla encore toute l’élite d’Israël, au nombre de trente mille. Et David, avec tout le peuple qui était auprès de lui, se mit en marche depuis Baalé-Juda pour faire monter de là l’arche de Dieu sur laquelle est invoqué le Nom, le nom de l’Eternel des armées qui réside entre les chérubins. Et ils mirent l’arche de Dieu sur un chariot neuf et l’emmenèrent de la maison d’Abinadab qui était sur la colline ; Uzza et Ahjo, fils d’Abinadab, conduisaient le chariot neuf, et ils l’emmenèrent de la maison d’Abinadab qui était sur la colline avec l’arche de Dieu, et Ahjo allait devant l’arche. Et David et toute la maison d’Israël jouaient devant l’Eternel de toutes sortes d’instruments de bois de cyprès, de harpes, de luths, de tambourins, de sistres et de cymbales.

Et lorsqu’ils furent arrivés à l’aire de Nacon, Uzza étendit la main vers l’arche de Dieu et la saisit, parce que les bœufs regimbaient. Et la colère de l’Eternel s’enflamma contre Uzza, et Dieu le frappa sur place à cause de sa précipitation, et il mourut là près de l’arche de l’Eternel. Et David fut fâché de ce que l’Eternel avait fait une brèche en la personne de Uzza ; et ce lieu a été appelé jusqu’à ce jour Pérets-Uzza. Et David eut crainte de l’Eternel en ce jour-là et il dit : Comment l’arche de l’Eternel entrerait-elle chez moi ? Et David ne voulut point retirer l’arche de l’Eternel chez lui dans la cité de David, et il la fit déposer dans la maison d’Obed-Edom, de Gath. Et l’arche de l’Eternel resta trois mois dans la maison d’Obed-Edom, de Gath, et l’Eternel bénit Obed-Edom et toute sa maison.

Et on fit savoir au roi David que l’Eternel avait béni la maison d’Obed-Edom et tout ce qui était à lui à cause de l’arche de Dieu ; et David alla et fit monter l’arche de Dieu de la maison d’Obed-Edom dans la cité de David, avec joie.

(2 Samuel 6.1-12)

L’arche du Seigneur, mise d’abord dans le temple de Dagon, où l’idole tombe et le brise devant elle ; portée ensuite à Gath, où l’incrédulité des Philistins leur attire une terrible maladie ; envoyée plus tard dans une ville israélite, où d’indiscrets regards à son intérieur méritent la mort au peuple coupable, l’arche du Seigneur est enfin conduite chez Abinadab, et gardée par ses fils, Lévites, pendant plusieurs années. Toutefois, le peuple, et David lui-même, saisis d’un nouveau zèle, se décident à la transporter à Jérusalem. Un char est construit, l’arche y est déposée ; le peuple et le roi lui-même, tous armés d’instruments divers, marchent à sa suite en chantant les louanges de l’Eternel. Près de l’aire de Kidon, sur un terrain uni, les bœufs attelés au char ont peine à se tenir ; leurs pieds glissent sur la terre battue ; ils descendent, malgré leurs efforts pour s’arrêter ; le char, dans cette marche accélérée, perd son équilibre, l’arche sainte vacille, s’ébranle, s’incline ; Huza croit la voir tomber, et, Lévite conducteur de l’attelage, il lève promptement le bras pour la retenir. Mais, chose étrange ! ce n’est pas l’arche, c’est Huza qui tombe, et qui tombe mort aux yeux de tout le peuple et de David terrifiés ! Enfin, pour qu’il ne reste aucun doute sur la cause de cette mort, la Bible nous dit qu’Huza fut frappé par la colère de Dieu.

Mes frères, ce châtiment, qui jadis épouvanta tellement David qu’il ne voulut plus recevoir l’arche sainte dans sa maison, ne vous épouvante-t-il pas vous-mêmes encore aujourd’hui ? Quel était le crime d’Huza, et comment s’expliquer qu’il mérita la mort ? Voilà ce que plusieurs d’entre nous se sont peut-être déjà demandé. Pour leur répondre, étudions notre texte de plus près.

Quel était le crime d’Huza levant la main pour empêcher l’arche de tomber ? On a répondu qu’Huza transgressait ainsi la loi de Dieu, défendant, même aux Lévites, de toucher l’arche sainte. Cette explication est, à la rigueur, suffisante pour fermer la bouche aux contredisants ; mais j’ose dire qu’elle ne satisfait pas le cœur ; et d’ailleurs, une semblable faute est excusée plus d’une fois dans la Bible. Ainsi, David lui-même avait touché aux pains de proposition, ce qui n’était permis qu’au grand-prêtre ; et sans doute Huza savait que pour cela Dieu ne l’avait pas puni. Nous savons nous-mêmes que Jésus donne cet exemple pour absoudre ses apôtres, froissant quelques épis de blé un jour de sabbat. D’ailleurs, ce n’était pas pour la profaner, mais pour la soutenir, que la main d’Huza se porta sur l’arche. Fallait-il donc la laisser tomber ? et comment la retenir sans la toucher ? Huza se rappelle que la chute de Dagon dans son temple avait été le moyen employé par Dieu pour faire mépriser cette idole, et il craint, d’après ce jugement, qu’une semblable chute n’attire sur l’arche un semblable mépris. Nous ne saurions donc admettre que ce soit pour avoir touché l’arche que le Lévite fut frappé. Enfin, si nous allons chercher dans les Chroniques le récit parallèle, nous y lirons, non pas qu’il ait touché, mais seulement qu’il leva la main. Si le crime eût été dans l’attouchement, comment l’écrivain sacré aurait-il raconté la punition sans parler du crime ? mentionné le mouvement du bras, circonstance insignifiante, en se taisant sur le toucher de l’arche qui constituait la faute elle-même ?

Non, le péché d’Huza n’était pas dans le contact de sa main et de l’arche sainte. Un mot du texte va nous aider à le découvrir. Il est dit que Dieu frappa Huza à cause « de son indiscrétion ; » ce n’est donc pas à cause de sa désobéissance. Mais que signifie ici le mot indiscrétion lui-même ? On appelle indiscret dans ce sens celui qui se mêle d’affaires qui ne le concernent pas, celui qui se donne un rôle au-dessus de sa portée, le serviteur qui prétendrait suppléer son maître dans son cabinet au lieu de le servir dans l’antichambre ; le geôlier qui monterait au tribunal du juge ; le prêtre usurpant à bonne intention le rôle de Dieu ; ou le prince lui-même se mêlant des sacrifices du prêtre, même pour assurer une victoire à la cause de son Dieu. Tel fut, par exemple, Saül ; tel est ici Huza. Il pense pouvoir aider son Dieu, et Dieu l’en punit ; il estime que l’arche peut tomber, et Dieu le frappe de mort ! Il craint que l’Eternel ne suffise pas à faire respecter ses lois, ou qu’il les ait oubliées ; peut-être même, en la voyant chanceler, conçoit-il un doute sur la sainteté de l’arche, et Dieu le renverse à l’instant lui-même dans la poussière, où son manque de foi lui montre déjà les tables de Sinaï.

Mais quelques-uns diront : l’homme n’est-il donc pas ouvrier avec Dieu, et même, en conduisant le char, Huza n’aidait-il pas l’arche à marcher tout aussi bien qu’en levant la main pour la retenir ? Oui, sans doute ; mais il faut regarder au sentiment qui conseille la coopération ; ce peut être l’obéissance ou la présomption. Nous pouvons travailler à l’œuvre de Dieu, ou parce qu’il nous l’a commandé, ou parce que nous craignons qu’il n’y suffise pas sans notre secours. Qui sait même s’il n’en est pas parmi nous qui en soient venus à considérer cette œuvre comme la leur propre, à oublier leur maître ? Ainsi descendus d’un travail divin à une occupation terrestre, de tels hommes n’ont-ils pas agi comme si l’arche sainte pouvait tomber ?

Pour mieux comprendre la différence que nous signalons entre les deux genres de secours offerts à Dieu, comparez celui qu’apporte David à celui qu’Huza veut donner : David jette dans les airs les sons de sa harpe ; Huza met au service de l’arche sainte un bras prompt et vigoureux. En quoi les chants de David aident-ils la marche du char ? En rien ; et dans quel but le Lévite lève-t-il la main ? Pour tout sauver en préservant l’arche du mépris. Oui, mais David joue et chante, plein de confiance en l’Eternel, tandis qu’Huza lève le bras par défiance même ! Son secours est trop grand, si je puis ainsi dire ; ou, mieux encore, son secours est présomptueux, téméraire, insolent ; car il suppose que Dieu peut faillir ! Mais pourquoi tant insister sur ce sujet, nous dira-t-on ? C’est que le tort d’Huza est aussi le tort de bien des chrétiens de nos jours, qui prétendent aider Dieu, si ce n’est même le suppléer. Jugez-en vous-mêmes.

Tel passage de la Bible nous paraît étrange. Nous le considérons de plus près, et son étrangeté ne fait qu’augmenter à nos yeux. Nous en concevons des inquiétudes, non pour nous, mais pour d’autres ; nous serions peinés qu’une doctrine injustifiable au jugement de l’incrédule se trouvât dans la Parole de Dieu. Nous cherchons donc à l’en effacer, et, pour y réussir, nous mettons à la torture et notre esprit, qui ne comprend pas, et le passage étrange, qui ne peut y entrer. Nous le commentons, retendons, l’abrégeons jusqu’à ce qu’il cadre juste avec notre système, et alors nous sommes fiers d’avoir ainsi justifié la sainte Bible ! Cette conduite diffère-t-elle beaucoup de la conduite d’Huza ?

Une autre fois, la marche des affaires humaines est tellement à contre-sens de l’attente générale que chacun se demande s’il est bien certain qu’une Providence gouverne l’univers. Au croyant il suffirait de rappeler que les voies de Dieu ne sont pas nos voies, que Dieu tire le bien du mal, et qu’enfin ces coups, blessant notre corps, peuvent guérir notre âme. Mais à l’incrédule ces raisons ne suffisent pas ; alors, pour le satisfaire, nous essayons d’en forger d’autres ; nous entrons dans son idée, c’est-à-dire que nous sortons de l’Évangile. Nous avons recours aux arguments de la sagesse humaine ; c’est-à-dire que nous ne comptons pas assez sur la puissance de l’Esprit-Saint pour faire accepter la vérité. C’est bien l’œuvre de Dieu que nous prétendons soutenir, mais avec le bras charnel du Lévite ; et n’est-ce pas avec son indiscrétion ?

Un autre jour nous rencontrons un obstacle sur notre route, en accompagnant l’arche sainte, en conduisant une œuvre chrétienne, en travaillant enfin d’une manière quelconque à l’avancement du règne de Dieu. Comme c’est en agissant avec droiture et simplicité que nous avons échoué contre la malice des hommes, nous nous faisons presque un reproche de cette droiture et de cette simplicité, et nous voulons cette fois essayer de l’adresse et de la ruse. Sous prétexte de nous « faire tout à tous pour en gagner quelques-uns, » nous nous faisons tout à tous de manière à nous perdre avec les autres. Ce n’est pas assez. Pour gagner les mondains, nous employons les mondains eux-mêmes à traîner le char qui porte l’Évangile. Parce que celui-ci est riche, nous le mettons en tête ; parce que celui-là est habile, nous en faisons un conducteur. Nous employons la foule à pousser par derrière, et nous finissons par nous confondre dans cette tourbe d’incrédules que nous prétendions diriger. Au milieu d’un tel cortège nous perdons la foi nous-mêmes, et nous copions ceux qui devaient nous imiter. Faut-il donc s’étonner si Dieu laisse périr notre œuvre ? N’est-il pas plus admirable que nous soyons encore épargnés par Celui qui punit Huza portant un bras incrédule au secours de l’arche sainte ?

Mais supposez que l’œuvre chrétienne à laquelle nous portons notre main marche longtemps triomphante et prospère ; supposez que nous ayons le temps de la narrer dans le monde et dans l’Eglise, de nous en réjouir nous-mêmes et d’en bénir Dieu ; supposez que, au milieu de ces longs succès, arrive un échec inattendu : aussitôt notre foi bouillonnante s’abaisse, notre zèle turbulent se calme, nous commençons à craindre d’avoir trop espéré, de nous être fait des illusions, d’avoir mis trop de confiance dans les promesses de l’Évangile ; nous concevons des inquiétudes pour l’œuvre de Dieu ; plus nous craignons, comme Pierre, plus nous nous enfonçons comme lui sous les eaux ; nous oublions que nous avons été appelés du Seigneur et que nous sommes toujours sous son regard. Alors nous perdons notre calme, nous agissons avec précipitation ; comme la main de Dieu se cache, nous avançons la nôtre ; comme il paraît agir moins, nous agissons plus. La fièvre de l’activité nous gagne : nous pensons, parlons et travaillons tout à la fois ; il semble en vérité que nous soyons seuls sur le navire, qu’il nous faille en même temps tenir le gouvernail, déployer la voile, et que les vents soulevés par Satan, ne puissent pas être apaisés par Jésus ! Faut-il donc s’étonner que Dieu nous laisse alors descendre sous les flots ?

Et remarquez que je parle ici des chrétiens. Si j’avais voulu peindre le monde avec ses prétentions de venir au secours du Seigneur, de redresser sa Providence, de favoriser sa religion par ses institutions politiques et sa sagesse humaine ; ce monde, prenant doctement la place de Dieu, et disant que, s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer, oh ! si j’avais voulu parler d’un tel monde, j’aurais eu de tout autres choses à dire ; mais non, c’est Huza, le Lévite, qui nous sert ici de type, et c’est nous, chrétiens, qui malheureusement lui ressemblons.

Quelle folie est la nôtre ! L’Évangile vient-il de Dieu, ou bien n’en vient-il pas ? S’il en vient, que craignons-nous pour lui ? et s’il n’en vient pas, pourquoi lui donner une seule pensée ? S’il est divin, Dieu le laissera-t-il périr ? et, s’il ne l’est pas, le ferons-nous triompher ? N’est-ce pas la plus étrange des aberrations que de supposer Dieu insuffisant pour lutter contre le monde ou de compter sur le monde pour assurer le triomphe à Dieu ? Mais faisons donc une bonne fois notre compte, asseyons-nous sur la pierre du chemin avant de nous mettre en voyage, et supputons le trésor de notre foi pour juger s’il nous conduira jusqu’au bout de la route. Craignons de perdre haleine en chemin. Fortifions-nous avant de partir, et ne courons pas à l’aventure.

Ah ! si nous avions plus de foi, si nous en avions seulement un grain de la véritable, comme notre activité chrétienne changerait de nature, comme le calme descendrait dans notre vie, l’ordre dans nos idées et le succès dans nos œuvres ; bien plus, je dirai : comme nos œuvres seraient plus abondantes, tout en nous fatiguant moins ! Il y a tant de charmes à s’abandonner à la main du Seigneur, à se laisser conduire en tout et partout ! Il est si bon de savoir ni hâter, ni ralentir le pas ; ni craindre, ni espérer ; mais toujours compter sur Dieu ! Il est si doux de voir sa main dans le revers comme dans le succès, dans les obstacles comme dans la marche facile. Nous en avons fait l’expérience, bien que, hélas ! nous ne sachions pas nous maintenir dans ces hautes régions de la paix, où, par moment, le souffle de l’Esprit nous a transportés. Mais puisque nous y avons déjà respiré avec tant de bonheur, pourquoi ne pas déployer les ailes de notre foi pour nous y porter encore ? le passé nous est garant de l’avenir ; l’Évangile est toujours la puissance de Dieu ; l’Esprit-Saint n’a pas perdu de son efficacité ; c’est nous seulement qui laissons faiblir la foi dans notre cœur : tout le mal est là. Voyons donc si le dernier mot de notre texte ne nous fournira pas un remède.

Huza prétendit soutenir l’arche, et Huza fût frappé. David ne voulut pas la recevoir dans sa ville, et David ne fut pas béni comme Obed-Edom qui la laissa mettre dans sa maison. Ce dernier n’appela ni ne repoussa l’arche du Seigneur, il la reçut en toute simplicité, la laissant entrer et la laissant partir.

C’est quelque chose de semblable que nous avons à faire à l’égard des œuvres de Dieu. Laissons à Dieu lui-même le soin de les faire naître ; et, quand il les place devant nous, employons-nous-y avec ardeur. S’il les retire de notre main, ne veuillons pas les retenir ; nageons avec le courant au lieu de prétendre le remonter. Tout en un mot : suivons Dieu sans marcher devant lui, ni nous faire tirer. Les temps portent presque toujours avec eux leurs signes, les événements leurs leçons ; c’est à nous de regarder et d’entendre. Ce qui rend pénible notre marche, c’est que d’abord nous résistons, ensuite nous voulons diriger, et nous finissons par faire fausse route. Prêtons donc une oreille attentive au moindre souffle de la conscience, portons un regard droit sur les ordres de sa sainte parole ; et, par-dessus tout, consultons le Seigneur dans la prière ; laissons-nous conduire ainsi par la main puisque nous sommes les enfants de Dieu et non ses conseillers.

Au moment de terminer, une pensée me frappe. Si vous ou moi nous nous étions trouvés sur la route de l’arche, et que David nous eût proposé de la recevoir dans notre demeure, n’aurions-nous pas reçu avec joie ce saint dépôt, portant avec lui les bénédictions du Seigneur ? Mais que contenait cette arche ? – La parole de Dieu. – Eh bien, l’arche sainte est dans notre demeure, la Bible est dans nos mains, sous nos yeux ; et, loin de nous le défendre, Dieu nous ordonne d’y regarder. Ah ! quand le Seigneur nous accorde un nouveau privilège, n’y répondons pas par une nouvelle désobéissance, mais allons chercher dans le contact de cette parole sainte, non la mort comme Huza, mais la vie éternelle qu’y donne Jésus-Christ.

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