Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

11.
Les Sociétés d’évangélisation

Car quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Comment donc invoqueront-ils Celui en qui ils n’ont pas cru ? Et comment croiront-ils en Celui dont ils n’ont pas entendu parler ? Et comment en entendront-ils parler sans quelqu’un qui prêche ? Et comment y aura-t-il des prédicateurs, s’ils ne sont pas envoyés ? Selon qu’il est écrit : Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles !

(Romains 10.13-15)

Dans quelques jours, nos diverses sociétés pour l’évangélisation du monde et le soulagement des infortunes vont célébrer leurs anniversairesa. Dans ce moment elles adressent des appels aux chrétiens, et chacun de nous se dispose à leur répondre ; mais comment ? Pour nous fixer à cet égard, nous parlerons aujourd’hui des œuvres d’évangélisation, et, dimanche prochain, des œuvres de charité.

a – Nous avons déjà développé quelques-unes des idées de ce discours dans les Archives du Christianisme, en 1834.

Pour nous déterminer à soutenir une institution, il me semble que nous devons exiger deux conditions : qu’elle fasse une œuvre de Dieu et qu’elle la conduise avec succès. Or, l’évangélisation du monde est-elle une œuvre de Dieu, et les sociétés de notre patrie s’en occupent-elles avec succès ? C’est ce que nous allons examiner.

La prospérité d’une religion n’est pas toujours une preuve de sa vérité, car une religion peut s’établir sur la terre par deux puissances bien différentes : la puissance de l’homme ou la puissance de Dieu ; et, quelque florissante que soit une croyance, on pourra toujours dire que rien ne garantit qu’elle ne soit pas une œuvre humaine. L’homme a une volonté et un pouvoir ; s’il échoue souvent, il réussit quelquefois. Ne serait-il pas possible que l’œuvre qu’on nous présente comme divine ne fût qu’une œuvre humaine couronnée cette fois du succès ? Reconnaissons-le, ce raisonnement est juste. Mais si nous montrons qu’une œuvre, n’a pas prospéré par la volonté de l’homme, qu’au contraire elle s’est accomplie sans le secours de cette volonté, malgré cette volonté, ne sera-t-il pas évident alors que cette œuvre s’opère par une volonté supérieure à celle de l’homme, par la volonté de Dieu ? Eh bien, ce sont là précisément les destinées de l’évangélisation du monde. Cette œuvre s’accomplit sans le secours de la volonté de l’homme et malgré cette volonté ; dès lors, nous sommes en droit de conclure que cette œuvre est celle d’une volonté supérieure à l’homme, l’œuvre grande et sainte de Dieu lui-même. En voici plus d’un exemple.

A l’occasion de quelques petits différends de commerce, une guerre eut lieu récemment entre les Îles-Britanniques et le Céleste-Empire. S’il fut jamais évident que l’évangélisation était loin de la pensée de ceux qui l’ont préparée, c’est bien dans cette circonstance. Ce que le gouvernement anglais voulait introduire en Chine, ce n’était pas la Bible, mais l’opium ; non la vie, mais la mort. Et cependant, quel a été le principal résultat de sa victoire ? Cinq ports de la Chine ouverts à toutes les nations chrétiennes ; l’abolition des lois pénales contre les indigènes embrassant l’Évangile, le libre accès à des milliers de Bibles et à de nombreux missionnaires. Bien plus et bien mieux : aujourd’hui un rebelle, poussé par l’ambition, renverse trône et idoles, fait imprimer et répandre la Bible sans qu’on sache pourquoi, et se fait ainsi le serviteur aveugle mais puissant de la future évangélisation. Sans doute, c’est encore bien peu pour des contrées contenant le tiers du genre humain ; mais l’écluse est ouverte, le courant chrétien se précipite, le pays doit être un jour inondé ; et, ce que nous avons voulu surtout constater, c’est que l’œuvre chrétienne accomplie l’a été sans que le vainqueur l’ait voulu, sans que le vaincu y ait songé ; l’entrée refusée par l’un et conquise par l’autre à l’opium s’est finalement trouvée une porte ouverte à l’Évangile, son contre-poison.

Si vous désirez contempler un spectacle moins éloigné et une preuve plus facile à constater, tournez les yeux vers l’Orient, aujourd’hui champ de bataille où va se décider l’avenir de l’Europe et de l’Asie. Que veulent ces empereurs et ces rois en présence ? Le Sultan, conserver son empire ; le Czar, transporter sa capitale de Saint-Pétersbourg à Constantinople ; les monarques d’Occident, arrêter le flot qui pourrait un jour couvrir l’Allemagne, la France, l’Angleterre et les Indes. En tous cas et à coup sûr, aucun d’eux ne songe à répandre l’Évangile. Et cependant jusqu’à ce jour, de ce conflit de prétentions qu’est-il sorti ? Ce que personne n’avait cherché ni prévu : sous la pression de l’opinion publique, sous l’influence d’une atmosphère chrétienne invisible, mais puissante, l’Empire turc se transforme : les armées sont tenues en échec, mais la civilisation avance ; les forteresses tombent, se relèvent pour tomber encore, mais le christianisme marche sans jamais faillir ; l’esclavage est aboli ; la liberté des cultes proclamée ; des temples protestants, des édifices catholiques construits ; des taxes, pesant sur les chrétiens, abolies ; des fonctions, réservées jusqu’à ce jour aux Musulmans, accordées à nos frères. Des chrétiens commandent dans l’armée turque, des chrétiens siègent devant des tribunaux mahométans ; des chrétiens sont consultés, obéis, et le sort de l’empire est en leur pouvoir. Des missionnaires et des Bibles partis d’Amérique, d’Angleterre, de France, sillonnent en tous sens déjà ce nouveau champ de leur commun Maître ; l’œuvre est commencée, et quoi qu’il arrive elle sera poursuivie. Certes, personne n’oserait dire aujourd’hui comment se terminera cette lutte entre les puissances terrestres ; mais ce que nous osons prédire avec confiance dès maintenant, c’est que la cause de l’Évangile sera tôt ou tard gagnée en Turquie, et celle du Coran tôt ou tard à jamais perdue.

Maintenant, ramenez vos pensées sur notre propre patrie, en commençant par une de ses colonies. Lorsque, en 1830, nos flottes se dirigeaient sur la côte nord de l’Afrique, que voulaient les deux partis en présence ? un petit prince voulait conserver son autorité sur une ville ; une grande nation semblait vouloir venger une insulte, mais cherchait en réalité à étendre sa puissance, à favoriser son commerce ; un roi, plus tard découronné, voulait raffermir par une victoire sa couronne déjà chancelante. Tous avaient en vue des intérêts humains. Alger fut acquis à la France ; notre patrie, puissante en Europe, posa un pied ferme en Afrique. L’œuvre fut accomplie. Quel en fut le résultat ? Des émigrations de peuples chrétiens sont allées se mêler aux disciples de Mahomet, porter parmi eux leur industrie, leurs idées, leur religion ; et aujourd’hui des chrétiens y prêchent la Bonne Nouvelle, des églises s’élèvent, des écoles chrétiennes s’établissent ; l’œuvre de l’évangélisation du nord de l’Afrique commence, et s’empare de la conquête faite par le commerce, l’ambition et la gloire humaine. Qui avait prévu et préparé ce résultat ? Est-ce l’homme ? Non, sans sa volonté, malgré sa volonté, l’œuvre s’est accomplie ; c’est que l’évangélisation du nord de l’Afrique, comme celle du monde, est l’œuvre de Dieu. Et sans aller si loin, ni dans le temps ni dans l’espace, regardons autour de nous et comparons ce qu’est la France religieuse d’aujourd’hui avec ce qu’était notre patrie il y a quinze ans, alors que l’Évangile était encore muré dans notre église protestante. Un correspondant d’un de nos journaux religieux demande aux lecteurs de cette feuille s’il n’y aurait rien à faire pour porter la lumière au sein des masses ténébreuses de ces trente millions de catholiques romains. Huit jours plus tard, une voix lui répond par l’offre de 500 francs pour cette œuvre encore indéterminée. Quelques amis suivent son exemple, une société se forme ; bientôt elle envoie ici des pasteurs, là des évangélistes, partout des colporteurs ; plus tard elle ouvre des écoles ; quelques mois d’existence doublent et une année triple ses ressources. La Suisse avait devancé et la Belgique a suivi cet exemple. Dans notre patrie même, la province imita la capitale. Bien plus, des hommes, qui avaient commencé par décrier l’évangélisation, réduits au silence, finirent par évangéliser à leur manière. Aujourd’hui le nombre des églises et des écoles fondées par ces diverses sociétés est près d’atteindre à la moitié de celles entretenues par l’État ; en quinze ans l’Évangile a conquis en France la moitié de ce qu’il avait mis trois siècles à conquérir ! Mais tout cela se fait-il avec l’appui de l’homme ? Non, au contraire, malgré ses persécutions, malgré les efforts du clergé romain, le mauvais vouloir de l’autorité, les intrigues, les procès et la prison. A l’heure où j’écris, cinq affaires judiciaires sont entamées, dix colporteurs bibliques ont leurs livres saisis, vingt pasteurs sont en lutte, et, au milieu de ces tracasseries de tous genres, l’Évangile avance ; tel département, hier noir de catholiques, s’illumine aujourd’hui de cinq ou dix lieux de culte, flambeaux évangéliques ; et si l’évangélisation ne marche pas plus vite, ce n’est pas que les populations manquent à nos évangélistes, mais les évangélistes aux populations.

Maintenant, prononcez ; voici la question : Quand l’évangélisation s’avance ainsi sur tous les points du globe à travers mille obstacles, ou bien inaperçue des hommes qui la poussent, peut-on croire que cette évangélisation soit l’œuvre de l’homme ? Non, les hommes la méprisant, et toujours elle avance ; les hommes la repoussent, et elle poursuit sa marche ; les hommes la combattent, et cependant elle prospère. Oui, l’évangélisation chrétienne court, triomphante, à la conquête du globe, sans la volonté de l’homme, malgré la volonté de l’homme ; c’est que l’évangélisation du monde, comme le germe de nos moissons, comme le cours de nos fleuves, comme la lumière du soleil, est vraiment l’œuvre de Dieu.

Mais, dira-t-on, cette œuvre que vous nous présentez comme s’accomplissant sans la volonté de l’homme, n’est-elle pas entre les mains des hommes eux-mêmes ? N’est-ce pas par la volonté et la puissance de ces missionnaires que cette évangélisation fait des progrès ? Non, ces missionnaires ne sont que des instruments dans la main de Dieu ; ils vous l’avouent eux-mêmes ; ils plantent et arrosent, mais Dieu seul donne l’accroissement à leur œuvre ; et si vous en voulez une preuve, écoutez-nous quelques instants.

Il y a deux siècles qu’une œuvre du même genre, la conversion des Indiens de l’Amérique méridionale, fut entreprise par une société religieuse, vaste, riche, puissante, qui comptait dans son sein les princes de l’Église et les rois de l’Europe, par la Société de Jésus. La conversion au catholicisme et la civilisation de ces peuplades entre les mains de ces hommes instruits, riches et adroits, réussit d’abord au-delà de toute espérance. Les sauvages étaient devenus des hommes intelligents et industrieux ; des ateliers de tous genres s’étaient élevés, des armées s’étaient formées, des habitations avaient été construites. Tout prospérait, lorsqu’un accident imprévu contraignit les Jésuites à abandonner ces établissements ; et aussitôt ces peuplades sauvages, livrées à elles-mêmes, abandonnèrent leur industrie, leurs habitations, leur vie paisible, leur nouvelle religion, pour aller vivre dans leurs forêts, insouciantes et libres. Pourquoi donc cette œuvre ne s’est-elle pas maintenue ? N’était-elle pas aussi la conversion des païens ? N’était-elle pas soutenue par une riche et puissante société ? Oui ; mais cette conversion extérieure à l’Évangile n’était réellement qu’une conversion à l’Église de Rome ; cette soumission apparente à Jésus-Christ n’était qu’une soumission au pape ; et, dès lors, l’œuvre croula, l’œuvre fut anéantie. Ce n’était pas l’œuvre de Dieu. Et ce que ces missionnaires romains n’ont pu faire, il y a deux siècles, avec leurs richesses, leur puissance et leur science, les missionnaires évangéliques l’ont accompli sans puissance, sans richesses, sans science humaine ; un seul livre à la main ! Mais ce livre était la Bible ; et la Bible est la Parole de Dieu. – Où donc est maintenant l’influence de l’homme dans l’évangélisation du monde ? En vain je la cherche ; je ne la trouve nulle part ; et ici encore je répète avec conviction : L’évangélisation du monde s’accomplit sans la volonté de l’homme, malgré cette volonté ; cette évangélisation est donc l’œuvre de Dieu.

Voulez-vous un exemple dont vous-mêmes ayez été témoins ? Voyez l’île de Taïti, déjà convertie par nos missionnaires : on y porte la messe protégée par le canon ; on essaie d’y faire goûter le catholicisme à la faveur des fêtes, de la musique et de l’eau-de-vie, et, malgré ces appâts si puissants pour le cœur de l’homme, la tentative romaine échoue au milieu des triomphes militaires. Ces persécutions réveillent au contraire la piété ; les indigènes se serrent plus que jamais autour de la Bible, et les efforts pour déraciner la foi évangélique du milieu de ces contrées ne servent qu’à la développer dans les cœurs !

Enfin vous faut-il un exemple de ce que peut cet Évangile quand on le laisse paisiblement tomber et croître au sein d’une population ? Jetez un dernier regard sur des îles voisines de Taïti. Il y a cinquante ans, les Sandwich n’étaient peuplées que d’hommes sauvages, errant nus dans les bois comme des bêtes féroces, ne se réunissant que pour porter la guerre à leurs voisins, dont ils dévoraient la chair après la victoire. Toute leur religion consistait à sacrifier à quelques idoles des victimes humaines. Des enfants précipités dans des gouffres, jetés au milieu des flammes, ou lancés dans les airs et reçus sur des piques, étaient pour eux des moyens de plaire à la Divinité. Aujourd’hui, c’est-à-dire cinquante années plus tard, par l’influence de l’Évangile, ces hommes ont quitté leurs forêts, élevé des habitations commodes, vêtu leurs personnes, étudié des arts mécaniques et l’agriculture. De nombreuses écoles existent au milieu d’eux, où hommes et femmes, enfants et vieillards, roi et sujets viennent étudier la Parole de Dieu. Des imprimeries y sont établies et nous envoient leur littérature. Ce peuple, naguère sans lois, en a fait aujourd’hui lui-même contre le meurtre, le vol, l’adultère et la débauche. Les femmes qui, il y a peu d’années, se livraient aux grossières passions des équipages européens, vivent maintenant dans la pureté, dirigent leurs maisons, élèvent avec soin leurs enfants et cherchent leur bonheur dans les joies domestiques.

Telle est la nature de l’évangélisation : elle est divine ; et tels sont ses résultats dans le monde : des centaines de milliers d’âmes converties. Mais savez-vous maintenant quel est le nombre de ces âmes qui restent encore à convertir dans les contrées païennes, sans compter celles qui sont parmi nous ? Cinq cents millions de païens couvrent encore la terre ! cinq cents millions d’hommes qui attendent le salut de Christ ; cinq cents millions d’hommes qui vous demandent l’Évangile ; cinq cents millions qui meurent jour après jour dans l’impénitence pour aller comparaître, pécheurs, devant le tribunal du Dieu vivant ! Vous qui avez tant reçu, sans avoir mérité plus que cette masse d’hommes, vous, élevés dans un pays paisible, civilisé, instruit, vous à qui les péchés ont été pardonnés, vous pour qui Christ est mort sur la croix, vous qui avez tout reçu gratuitement, ne ferez-vous rien pour cinq cents millions d’hommes privés de tous ces biens ? Ah ! si l’un de ces pauvres sauvages, comprenant toute sa misère, pouvait sa présenter à vous et vous dire : Pour l’amour de Jésus ton Sauveur, donne-moi une Bible, que j’y puise comme toi le salut ! donne-moi une Bible, que j’y cherche le pardon de mes péchés ! donne-moi une Bible, que j’apprenne à fuir la colère éternelle ! une Bible, mon frère, pour l’amour de Jésus ! elle peut me sauver ! la refuseriez-vous ? Non, ou bien il n’y aurait en vous ni l’âme d’un chrétien ni le cœur d’un homme. Eh bien, ce cri que ce païen ne peut vous faire entendre, parce qu’il ne connaît pas sa misère, les missionnaires qui l’entourent vous l’adressent pour lui : une Bible, chrétiens, et vous pouvez contribuer au salut d’une âme ! Qui de nous n’entendra pas cet appel ? Quel riche ne voudra pas retrancher de son superflu le prix d’une Bible ? Quel pauvre ne pourra pas s’unir à d’autres pauvres pour prendre, même sur son nécessaire, le prix d’une Bible ? Quelle femme chrétienne ne voudra pas donner une heure de travail chaque mois pour acquitter le prix d’une Bible ? Chrétiens, nous ne voulons pas vous presser davantage. Cette Bible est dans vos mains ; elle vous a été donnée de Dieu, et, après y avoir puisé tant de trésors célestes et éternels, vous ne refuserez pas à une âme qui a faim de la parole de vie une parcelle de vos biens périssables ; ce que vous aurez donné vous sera rendu au centuple, et de plus la vie éternelle dans le sein de votre Dieu !

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