Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

12.
Les Sociétés de bienfaisance

Ainsi donc, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous ; mais principalement aux domestiques de la foi.

(Galates 6.10)

On a longtemps reproché aux protestants français de n’avoir pas fondé des établissements de charité. A ceux qui nous adressaient ce reproche nous aurions pu répondre qu’ils étaient les vrais coupables, car, pour que les protestants de France pussent exercer la charité envers leurs frères, il aurait fallu d’abord qu’on les laissât vivre, qu’on ne confisquât pas leurs biens, qu’on leur accordât les droits de citoyen et qu’on tolérât leur culte. Ce n’est pas aux galères, en exil, dépouillé, bâillonné, qu’on peut songer beaucoup à fonder des établissements de charité pour ses frères, et voilà cependant ce qu’ont été depuis la réforme jusqu’à la fin du siècle dernier les protestants français. Mais cette réponse nous ne voulons pas la faire, nous aimons mieux dire comme Jésus : « Venez et voyez. » Venez à Paris, à Saverdun, à Nîmes, à Montauban, à Sainte-Foy, à Orléans, et voyez : hôpital pour les malades, refuge pour les repenties, asile pour les orphelins, hospice pour les vieillards, écoles pour les pauvres. Voilà l’œuvre de la foi protestante depuis qu’elle n’est plus comprimée ; cela ne vaut-il pas bien vos Sœurs de Charité ?

Mais c’est à d’autres que je dois parler ici, et ceux-ci n’ont pas besoin que je les justifie à leurs propres yeux. Ce dont ils ont besoin, c’est d’être excités à donner pour le soulagement de tant d’infortunes. Pour cela je ne leur dirai pas : Vous avez déjà fait quelque chose, faites encore davantage, non ; mais, contrairement à l’habitude, je leur dirai : Vous avez fait le plus, comment ne feriez-vous pas le moins ? Et si cette parole n’est pas suffisamment claire, vous allez bientôt me comprendre.

Il y a quelques années, la Grèce gémissait sous le joug musulman ; ses cris d’abord étouffés grossirent, traversèrent l’Europe et vinrent frapper votre oreille. Émus au récit de ses malheurs, vous n’avez eu qu’une voix pour demander son affranchissement et lui envoyer des secours. Ainsi vous avez soutenu l’étranger et vous avez bien fait.

Plus tard, quand des sociétés de Bibles et de Missions se sont formées, vous avez voulu contribuer à la diffusion de la vérité sur les quatre parties du monde. Ainsi vous avez concouru à la civilisation des païens, au salut de leurs âmes, et vous avez bien fait.

Oui, vous avez bien fait d’étendre vos compassions sur l’esclave grec jusqu’au sein de l’Asie et sur le Hottentot à travers les sables de l’Afrique. Mais aujourd’hui vous ferez mieux encore en portant vos secours à ceux qui sont à vos portes, à ceux qui parlent votre langue, à ceux que votre patrie a vus naître. Vous avez entendu la voix qui venait de loin, n’entendriez-vous pas la voix qui vient de près ? Vous vous êtes émus au récit des misères des étrangers, ne le serez-vous pas à celui des misères de vos concitoyens ? Vos secours pour parvenir en Afrique traverseront-ils la France sans y laisser quelque chose ? et les nécessiteux de votre patrie pourraient-ils dire, en les voyant passer devant eux : Voilà du pain et des vêtements qui vont au loin à des inconnus, et qui nous laissent, nous rapprochés et compatriotes, dans le froid, la misère et la faim ? Non, c’est la charité, j’aime à le croire, qui a ouvert vos cœurs à l’étranger, et la charité l’ouvrira plus large encore pour les enfants de votre patrie, pour les amis de votre pays, pour ceux qui vivent à côté de vous et qui ont avec vous une même contrée pour berceau et pour tombe. Mais permettez-moi de vous donner un second exemple.

Placés comme vous l’êtes au milieu d’une population presque entièrement catholique, protestants, vous avez été plus d’une fois appelés au secours des membres de l’Église romaine ; votre main s’est tendue pleine et abondante vers la bourse d’un collecteur du bureau de bienfaisance, d’une Sœur de Charité et même d’un curé de paroisse. Vous avez voulu ainsi prouver votre tolérance ; vous avez fait comprendre que vous aviez de la charité même pour ceux dont vous déploriez les erreurs ; vous avez fait cela, et vous avez bien fait. – Mais si vous avez fait cela pour des hommes étrangers à votre église, ne le ferez-vous pas pour vos frères en la foi ? pour ceux qui sympathisent avec vous dans tous leurs sentiments religieux ? pour ceux qui avec vous ont un même Sauveur, lisent une même Bible ? pour ceux qui vous appellent frères sans restriction aucune ? pour ceux qui peuvent et veulent prier pour vous, vos familles et vos églises ? pour ceux qui avec vous ont une même espérance céleste ? pour ceux que vous pouvez rencontrer dans la vie assis sur le même banc, dans le même temple, devant la même table, à la même communion ? – Dites : Que penseriez-vous d’une mère de famille qui, laissant sa maison en désordre, ses enfants affamés ou malades, irait au dehors offrir son pain aux passants ?

Mais peut-être ai-je à combattre une toute autre difficulté ? Peut-être en est-il parmi vous qui seront disposés à me dire : Les nécessiteux que vous nous recommandez sont loin ; il en est de plus rapprochés ; vos protégés sont pauvres sans doute, mais ce ne sont pas nos pauvres ; nos pauvres sont dans notre propre église, dans notre ville, et c’est à eux que nous ferons bien de porter nos secours.

Oui, « ce ne sont pas nos pauvres, » voilà l’expression qui caractérise bien l’objection qu’on nous présente. Mais, moi, je vous demande : Qu’appelez-vous vos pauvres ? quelle est la condition à remplir pour avoir droit au titre de votre pauvre ? Est-ce d’habiter votre maison, de venir frapper à votre porte ? est-ce de circuler dans vos rues ? est-ce le droit qu’acquièrent des demandes répétées, importunes ? Prenez garde ! cette question n’est pas aussi oiseuse qu’il vous le semble ; un oui pourrait bien être la réponse à faire, et ce oui serait l’aveu d’une triste vérité. Oui, pour bien des gens, « nos pauvres » signifie ceux qui sont sans cesse à nous fatiguer de leurs demandes, et auxquels il faut bien donner pour s’en débarrasser ; « nos pauvres » signifie ceux auxquels nous n’oserions refuser sans rougir, parce qu’ils sont là affamés devant nos tables chargées, à demi nus en face de nos manteaux et de nos fourrures ; « nos pauvres » signifie ces administrateurs de charité qui nous sollicitent une liste à la main, où il faut bien placer son nom à côté de tant d’autres, sous peine d’être désignés comme plus riches et plus avares ; « nos pauvres » signifie, (j’ose à peine le dire !) nos pauvres signifie ceux qui courent nos rues, rôdent autour de nos fermes, sans mœurs et sans ressources, auxquels il faut jeter un morceau de pain, si l’on ne veut pas qu’ils nous l’arrachent de vive force ; « nos pauvres, » c’est-à-dire ceux qu’on redoute, ceux dont on a peur ! Ah ! si ce sont là ceux que vous appelez vos pauvres, ne décorez pas du nom de charité le motif qui détermine votre aumône ; un autre nom la caractériserait beaucoup mieux. En donnant à ces pauvres, c’est à vous que vous pensez ; ce n’est pas de la charité, c’est de l’égoïsme ; et si ce sont là vos pauvres, je comprends bien que ceux pour qui je parle ne soient pas de leur nombre. Mais si c’est à l’Apôtre que j’adresse cette question : Qui sont nos pauvres ? il me répond : « Faites du bien à tous, mais surtout aux domestiques de la foi. » Ce n’est donc pas ici une question de localité, mais une question, de foi ; et votre charité chrétienne, pour se faire sentir, ne doit pas demander qui est près, qui est loin : mais qui est mon frère, qui est ma sœur. Il doit y avoir plus d’affection entre deux chrétiens habitants des deux pôles qu’entre deux voisins séparés par la foi ou l’incrédulité. Ce n’est pas aux enfants de sa propre mère que Jésus donne le nom de frères, c’est à ses disciples qui font la volonté de Dieu. Et ce ne seront pas les habitants d’une même ville, d’une même demeure, qui seront placés dans le ciel, car l’un sera pris et l’autre laissé, dit la Bible ; mais ce seront ceux qui dans toutes les nations s’appliquent à la justice et sont agréables à Dieu. Or, les orphelins, les vieillards, les malades,- au nom desquels je parle, sont vos frères, vos condisciples en Jésus-Christ et vos cohéritiers célestes ; ils espèrent vivre à côté de vous, non pas dans cette ville, mais dans la Jérusalem céleste ; non pas durant quelques jours, mais pendant toute une éternité. Voilà ceux qui doivent s’appeler vos pauvres, alors même qu’ils ne touchent pas à votre cité, à vos quartiers, à vos demeures… Mais, que dis-je, ces pauvres sont vos pauvres dans tous les sens de ce mot, même dans le sens que je repousse ; ce sont les pauvres de votre propre ville, les orphelins de votre propre église, les vieillards qui peut-être ont servi votre enfance ; car ces asiles divers s’ouvrent aux infortunés de tous genres que vous-mêmes pouvez y diriger ; ces établissements n’appellent pas seulement vos secours ; ils réclament aussi vos orphelins, vos indigents, vos vieillards, pour vous rendre d’une main ce qu’ils auront reçu de l’autre ; tout l’avantage qu’ils ambitionnent, c’est la peine d’administrer pour vous, de surveiller pour vous et d’instruire pour vous ces infortunés.

Jusqu’à présent je n’ai parlé qu’à votre conscience en rappelant le devoir qu’impose la qualité de compatriote et de coreligionnaire. Mais je puis en appeler à votre cœur, car je parle en faveur de vieillards impotents, de malades incurables, et, les plus à plaindre, de jeunes détenus. Chacune de ces circonstances est déjà un désavantage ; que sera-ce donc que leur triste réunion sur une même tête ? Pour le comprendre, comparez à cette position celle de tant d’autres infortunés : qu’un homme soit entouré de parents ; s’il est pauvre seulement, c’est déjà pour lui une calamité. Pauvre, cela veut dire sans amis, privé de vêtements, de demeure, exposé à la faim ; pauvre, cela signifie abandonné à soi-même, méprisé qui que l’on soit, et méprisé précisément parce qu’on est pauvre. Qu’un enfant soit riche, s’il est orphelin, il excite la compassion. Qui remplacera cette mère attentive ? qui tiendra lieu de ce père dévoué ? L’argent donne des serviteurs, mais l’argent ne donne pas un père et une mère. Jamais une maison étrangère ne lui vaudra le foyer de famille où l’affection embellit tout, excuse tout, supporte tout. Avec de l’or il trouvera l’abondance, le luxe, la science, des amis de sa fortune ; mais avec de l’or on pleure encore la perte d’un cœur aimant. Qu’une femme soit à la vigueur de l’âge ; par le fait seul qu’elle est femme, dans une société telle que la nôtre, elle a bien des motifs pour nous porter envie : plus dépendante de l’opinion, moins libre dans ses volontés, elle passe sa vie à attendre et à obéir. Mais que sera-ce si vous réunissez deux ou trois de ces infortunes, si vous êtes à la fois pauvre et infirme, vieillard et malade, femme et orpheline ? Pauvres qui m’entendez, vous avez du moins des bras vigoureux pour gagner votre vie ; mais que feriez-vous si l’on vous retirait encore ces forces ? Enfants qui manquez d’expérience, vous avez du moins un père, une mère, pour fournir à vos besoins, mais que seriez-vous, faibles et chétifs, si la mort vous enlevait ensemble votre père et votre mère ? Orphelins qui êtes là, vous avez quelque fortune et ainsi des amis, ou du moins vous avez la santé et le travail, richesse du pauvre ; mais si vous perdiez en un jour fortune, amis, force et travail, dites, orphelins qui êtes là, que feriez-vous ? Iriez-vous de porte en porte demander du secours ? Non, vous n’oseriez pas ! et en eussiez-vous le courage, vous verriez que la porte se referme souvent malgré la main vide qui veut la retenir ! Que feriez-vous donc ! Vous mourriez de froid, de misère et de faim ; ou bien vous apprendriez peut-être que quelques amis chrétiens se sont émus à l’histoire de vos malheurs, qu’ils vous ont élevé une demeure, choisi des maîtres, et qu’ensuite ils sont allés d’église en église tendre pour vous la main devant vos frères au nom de Jésus-Christ ; et à cette nouvelle vous béniriez ce Jésus qui aurait inspiré cette pensée d’amour ; vous béniriez ces amis qui l’auraient exécutée ; vous béniriez ces frères qui auraient donné leurs offrandes. Eh bien, vous tous qui m’écoutez, vous n’êtes pas cela ; non, vous n’êtes pas à la fois pauvres et enfants, vieillards et infirmes, femmes et orphelines ; mais ce que vous n’êtes pas, d’autres le sont ; ce que je viens de supposer pour vous est une triste réalité pour eux, et ces divers infortunés font ce que vous auriez fait : comme ils allaient mourir de froid, de misère ou de faim, ils ont trouvé des chrétiens qui, comptant sur le concours de leurs frères, leur ont donné maison, maîtres et parents. Déjà ils bénissent Jésus qui a inspiré ces œuvres de charité, déjà ils bénissent ceux qui les ont entreprises ; il ne leur reste plus qu’à bénir ceux qui les auront soutenus, et nous avons quelque confiance que ces bénédictions-là tomberont sur vos têtes.

« Toujours donner, toujours donner, diront quelques personnes » avec humeur ; toujours donner, à la fin on se lasse et s’épuise. Aujourd’hui aux orphelines, demain aux indigents, plus tard » pour les sociétés de Bibles ou de Missions ! Pour y suffire il faudrait avoir des mines d’or ! » Et à l’expression d’ennui et de regret qui accompagne ces paroles on comprend que « toujours donner, » pour ces personnes, est un véritable supplice. Mais écoutez-nous.

Il est un Être pour lequel donner, toujours donner, paraît être l’occupation de préférence ; et vous, qui de Lui avez tout reçu, vous en savez quelque chose : donner l’existence à des milliers d’êtres depuis des milliers de siècles, voilà sa joie et sa vie ; et quand ces êtres ont reçu l’existence (et c’est de vous que je parle, mes frères), quand ce Dieu vous a donné l’existence, Il vous donne encore la santé qui la conserve, les parents qui l’embellissent, les biens qui la rendent plus douce. Après vous avoir tant donné, Dieu aussi pouvait bien s’arrêter et se dire : « C’est assez que de donner la vie, le mouvement et l’être à des millions de créatures auxquelles je ne dois rien. » Mais non, donner, toujours donner est sa seule pensée ; cette vie terrestre n’était pas assez longue à son gré, et il vous a donné une vie éternelle. Cette terre n’était pas assez belle pour vous, et il vous a ouvert le ciel ! Donner, toujours donner, a été sa devise. Habitués à tant recevoir de lui, vous avez oublié la source de ces dons, et maintenant votre ingratitude s’élève pour dire : Dieu de bonté, mais de justice, arrête-toi ; l’homme, couvert de tes bienfaits, se révolte contre toi, t’oublie, te méprise, et tombe dans le péché. – Non, s’écrie ce Dieu par sa Parole, donner, toujours donner ! et si l’homme tombe dans le péché, je lui donne mon pardon, je lui donne mon Fils, je lui donne en pur don la vie et l’éternité. Donner, toujours donner, c’est la vie de Dieu ! – Incrédule par sa nature, l’homme refuse de croire au don de ce Fils et de ce ciel, il laisse là l’Évangile et garde son péché, il repousse le Sauveur et retient son orgueil ; il s’est tellement éloigné de son Dieu que par lui-même maintenant il ne peut plus y croire, et son endurcissement s’élève et crie à Dieu : Tu as assez attendu, retire ta patience ; frappe l’homme qui refuse de croire à ton amour et qui croit à sa propre vertu ! Puisqu’il ne veut pas du ciel que tu donnes, laisse-lui ton enfer qu’il mérite ! – Non, répète Dieu par sa Parole, donner, toujours donner ! Si les hommes ne veulent pas croire, je leur donnerai mon Esprit pour les conduire à la foi ; s’ils ne se convertissent pas aujourd’hui, je leur donnerai encore la journée de demain, et s’ils me repoussent, je reviendrai encore à leur lit de mort leur offrir mon pardon ; ils comprendront peut-être alors que pour moi donner, toujours donner, c’est tout ; car mon nom, c’est amour et charité !

Mes frères, ce n’est pas moi qui vous prie de donner ; ce ne sont pas non plus vos frères infortunés ; c’est le Dieu qui vient de vous parler ! Voyez ce que vous avez à faire. Pour moi, il ne me reste qu’un vœu à exprimer : c’est qu’après tant de dons, Dieu vous en fasse encore un : qu’il vous donne la charité !

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