Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

18.
La Langue, monde d’iniquité

Ne soyez pas nombreux à vous ériger en docteurs, mes frères, sachant que nous en serons jugés plus sévèrement. Car nous bronchons tous de bien des manières. Si quelqu’un ne bronche pas en parole, c’est un homme parfait, capable de tenir en bride aussi son corps entier. Or si nous mettons le mors dans la bouche des chevaux, afin qu’ils nous obéissent, nous dirigeons aussi leur corps entier. Voyez aussi les navires ; quelque grands qu’ils soient, et quoique poussés par des vents violents, ils sont dirigés par un très petit gouvernail, là où le désir de celui qui les gouverne le veut. De même aussi la langue est un petit membre, et elle peut se vanter de grandes choses. Voyez quelle grande forêt un petit feu peut allumer ! La langue aussi est un feu ; c’est le monde de l’iniquité. La langue se manifeste parmi nos membres, elle qui souille le corps entier et enflamme le cours de la vie, et est enflammée par la géhenne. Car toute espèce de bêtes sauvages et d’oiseaux, de reptiles et de poissons de mer, se dompte et a été domptée par l’espèce humaine ; mais la langue, aucun homme ne peut la dompter ; c’est un mal déréglé ; elle est pleine d’un venin mortel. Par elle nous bénissons le Seigneur et Père ; et par elle nous maudissons les hommes, qui ont été faits à la ressemblance de Dieu. D’une même bouche sortent la bénédiction et la malédiction. Il ne faut point, mes frères, qu’il en soit ainsi. La source fait-elle jaillir par la même ouverture, l’eau douce et l’eau amère ? Un figuier, mes frères, peut-il produire des olives, ou une vigne des figues ? Une source salée ne peut pas non plus produire de l’eau douce.

Qui est sage et intelligent parmi vous ? Qu’il montre ses œuvres par une bonne conduite dans la douceur de la sagesse. Mais si vous avez dans votre cœur un zèle amer et un esprit de dispute, ne vous glorifiez pas et ne mentez pas contre la vérité. Ce n’est point là la sagesse qui descend d’en haut, mais une sagesse terrestre, animale et diabolique ? Car là où il y a un zèle amer et un esprit de dispute, il y a du désordre et toute mauvaise action. Au contraire, la sagesse d’en haut est premièrement pure, ensuite pacifique, modérée, douce, pleine de miséricorde et de bons fruits, sans duplicité, sans hypocrisie. Or le fruit de la justice se sème dans la paix, pour ceux qui procurent la paix.

(Jacques 3)

« La langue est un monde d’iniquités. » Cette expression forte ne dit rien de trop. Pour la justifier, il suffirait de présenter le tableau d’un innocent ruiné, déshonoré, mis à mort peut-être par un faux témoignage ; – d’un femme couverte des mépris de la société par la calomnie ; – d’un homme trop confiant dupé par des mensonges ; – d’enfants scandalisés par un blasphème. – Mais sans aller chercher des preuves dans ces fautes graves, et tout en restant dans le cercle d’observation que nous fournit notre propre expérience, nous n’aurons encore que trop d’occasions de reconnaître que de nos paroles légères, de nos propos inconsidérés, de nos simples plaisanteries, de nos petites médisances, peut encore sortir pour tomber sur nos frères un monde entier d’iniquités.

On ne se fait pas en général une juste idée des conséquences funestes que peuvent avoir des paroles, et on ne songe guère qu’à l’effet produit au moment où elles se prononcent. Mais suivez-les dans leur rapide voyage de bouche en bouche, et vous serez effrayé des ravages qu’elles vont faire. Ce ne sera, si vous voulez, qu’une simple médisance, qu’on ne fera même que répéter. Mais pourquoi celui qui l’entend ne le répéterait-il pas à celui qui la répétera encore ? Et si cette parole tombe ainsi dans trois ou quatre échos qui la répercutent tour à tour, faudra-t-il beaucoup de temps pour qu’une famille, une société, une ville entière en soit informée ? Ce fait, raconté d’abord avec exactitude, sera dénaturé, grossi, et ce qui était vrai le matin se trouvera faux le soir ; répété devant des inconnus ou des indifférents, il parvient à l’oreille d’un ami, d’un maître, d’un protecteur. Dès lors reproches entre parents, brouille entre voisins, perte de confiance d’un supérieur, refus de travail d’un maître : voilà le fruit d’une simple médisance.

Mais prenons l’exemple, d’une faute encore moins grave ; suivons un jugement téméraire. On n’affirme pas que le fait soit vrai, on le soupçonne seulement. Le trait est parti ; le premier a dit : Peut-être ; le second ajoute : C’est probable ; un troisième dit : C’est certain ; heureux si un dernier ne dit pas : Je l’ai vu ! Pour tout réparer, ou plutôt pour tout gâter, un ami officieux rapporte à l’accusé ce qu’on a dit de lui ; celui-ci, qui se sait innocent, ou qui du moins s’indigne qu’on scrute ses intentions, s’irrite, remonte à la source du bruit, la découvre, porte plainte, se justifie ; ceux qui ont dit et répété ne veulent pas avoir tort ; de là explications, disputes, haines, vengeance peut-être, et un levain laissé dans le cœur pour le reste de la vie.

Mais voulez-vous en dernier exemple un tort encore plus léger, s’il est possible ? C’est une simple plaisanterie, faite, non pas aux dépens d’un absent, non, ce serait trop grave, mais sur un homme présent, qui s’efforce de la prendre en riant. – S’il est spirituel, il renvoie la flèche, et de réponse en réponse on arrive à des paroles acerbes, amères, ironiques. S’il est timide, il est d’autant plus douloureusement blessé qu’il ne peut pas arracher le trait de son cœur pour le renvoyer à son adversaire, et c’en est assez pour que dans l’occasion il lui rende la pareille, lui refuse un service, lui nuise dans la société ; voilà le fruit d’une plaisanterie.

Je le sais, toutes les médisances, tous les jugements téméraires, toutes les railleries n’auront pas des conséquences aussi graves ; mais faut-il donc que vingt balles portent pour tuer un homme ? Faut-il que vingt traits déchirent un cœur pour qu’il saigne ? Et, lorsque sur vingt médisances, jugements téméraires et plaisanteries une seule aurait un tel résultat, ne resterait-il pas encore, dans la vie de celui qui ne veille pas sur sa langue, assez de médisances, de paroles vaines, de railleries pour souiller bien des réputations, brouiller bien des amis ? Qui peut dire tout le mal accompli de cette manière ? Personne, parce que ce mal échappe à l’observateur le plus attentif ; il est impossible de suivre de bouche en bouche une parole prononcée et répétée ; il est impossible surtout d’apprécier le trouble qu’elle porte dans les esprits ; mais chacun sait qu’on n’a jamais dit une parole nuisible en sa présence sans qu’il en restât, malgré lui, dans sa mémoire, une prévention, une répugnance que la bonne conduite de l’accusé ne réussit pas toujours à détruire ; et si de chaque trait parti de la langue il reste quelque trace, quel sera le mal produit par une langue durant une vie entière semée de médisance, de propos inconsidérés, de jugements téméraires, de railleries mordantes ?

Voilà le mal. Mais qui le commet, ce mal ? « Aucun homme, dit saint Jacques, ne peut dompter sa langue. » Si la Parole de Dieu ne peut errer, tous les hommes sont donc coupables ; et, si tous le sont, ne le sommes-nous pas aussi, vous et moi ? Oh ! je le sais, aussi longtemps que j’ai parlé d’une manière générale, n’appliquant le reproche à personne, et laissant à chacun la liberté de le renvoyer à d’autres, chacun a senti la vérité de mes paroles ; mais dès l’instant où je retourne l’arme contre nous-mêmes, chacun se met en garde et se prépare à se défendre. « Ce n’est pas moi qui suis ainsi, se dit-on, cela ne me concerne pas. » Eh bien, à mon tour, appuyé sur la Parole de Dieu, j’ose répondre à tous, à vous, à moi-même : « Aucun homme, et vous en êtes un, aucun homme ne peut dompter sa langue. »

Cet homme ne croit pas faire un mauvais usage de sa langue, il parle seulement d’un absent ; il n’en dit pas de mal, il raconte sa simple histoire ; tout ce qu’il rapporte est bien vrai, car il l’a vu lui-même ; c’est d’ailleurs une chose connue de tout le monde, le répéter c’est ne rien apprendre à personne. Du reste, il reconnaît à l’absent de bonnes qualités ; il les cite même, en relève le prix : « Mais c’est dommage qu’à côté il ait un tel travers ; à part cela c’est un si brave homme ! Enfin qui n’a pas ses défauts ? Voyez, c’est comme tel autre, qui ne lui ressemble pas à cet égard, mais qui, d’un autre côté, tombe dans l’excès contraire. Je l’ai vu un jour… » Et ici recommence une nouvelle histoire encore véritable, rapportée comme exemple. « Avec cela, dit-on, on ne leur en veut pas ; au besoin, on leur rendrait service. » Et en attendant on les déchire innocemment à coups de langue. Quel est cet homme-là ?

Cet autre ne croit pas faire un mauvais usage de sa langue ; seulement il vous donne un avis : « Il faut être prudent dans les affaires ; on ne doit se fier à personne dans ce monde ; » il ne vous dit pas cela en vue de celui dont vous parlez, mais en thèse générale ; bientôt, du général, qui ne sert que de prétexte pour entrer en matière, il passe au cas particulier. « Ne faites rien sans prendre vos mesures avec cet homme, vous dit-il ; il pourrait vous tromper en se trompant lui-même ; ensuite on peut-être honnête homme et se laisser tenter : ce ne serait pas le premier. Cependant je ne puis rien vous en dire de certain, je ne le connais pas assez ; j’ai bien entendu quelques mots de côté et d’autre, mais tout cela est peut-être mensonger ; on se plaît tant à répandre des faux bruits ! Toutefois tenez-vous sur vos gardes, soyez prudent ; je vous parle uniquement dans vos intérêts et en ami. » Et, dans l’intérêt de son confident, ce conseiller ne craint pas de nuire aux intérêts de l’absent, dont il fera peut-être plus tard un confident à son tour. Ainsi l’on éveille les soupçons, détruit la confiance pour le seul plaisir de se faire écouter, de se donner de l’importance par des paroles inconsidérées. Où sont ces hommes-là ?

Celui-ci ne médit pas ; il écoute seulement, et approuve d’un sourire ; par complaisance, il ajoute un mot à la conversation ; il faut bien répondre à qui nous interroge ; on ne peut pas brusquer les opinions et l’on y abonde en citant aussi son trait. Celui-là commence par faire un éloge pompeux pour être mieux cru quand il fera la critique, et se donner le mérite de l’impartialité ; un autre cite un tort, mais c’est pour l’excuser ; un autre parle de ses propres défauts, afin de pouvoir nommer ceux qui les partagent avec lui ; un autre a l’intention de plaisanter, il faut bien passer le temps ; un autre n’affirme rien, mais seulement répète ce qu’on a dit ; un autre n’accuse pas, mais il écoute, questionne, approuve celui qui parle ; un autre ne dit rien dans le monde, ce n’est qu’à vous, son ami, qu’il en parle ; cela n’ira pas plus loin. Et combien d’autres encore qui, sans remords, prennent un secret plaisir à répandre le venin de leur langue sur la vie de leurs frères ! Encore une fois, quels sont ces hommes-là ?

Mais pourquoi ne dirai-je pas ce que proclame l’évidence, ce que déclare la Parole de Dieu ? Ces hommes-là, c’est vous, c’est moi, c’est nous tous ; car « aucun homme ne peut dompter sa langue, » et j’aime à croire qu’il y a en nous assez de bonne foi pour que chacun s’applique à lui-même ces paroles. Au lieu donc d’insister davantage, cherchons un remède à un mal aussi grave et aussi répandu.

Pour brider leurs langues impatientes et rétives, on pourrait bien dire aux hommes : Songez qu’un seul mot peut avoir des conséquences fâcheuses ; qu’il est injuste d’attaquer un absent ; qu’à peine vous aurez fermé la bouche vous regretterez de l’avoir ouverte ; que vous donnez le droit d’en agir de même à votre égard ; que vous vous faites des ennemis. Mais ces conseils, facilement acceptés dans le calme, seraient impossibles à suivre en présence de la tentation. Parler est un penchant plus fort que notre volonté ; il faut que notre langue se meuve, que nos paroles sortent, que notre cœur s’en soulage. Combien de fois n’avons-nous pas voulu les retenir, et combien de fois ne les avons-nous pas laissées s’échapper comme si elles nous étouffaient ! En vérité, notre langue serait glacée, nos lèvres cousues, que nous trouverions encore moyen de nous faire comprendre, et de transmettre une médisance, une malice, un bon mot. Oui, l’apôtre le dit : « C’est un mal qui ne peut se réprimer ; » vous pouvez bien emmuseler un coursier et le contraindre à vous obéir, dompter une bête sauvage et l’amener à lécher votre main, apprivoiser l’oiseau né pour la liberté et lui apprendre à rester dans sa cage entr’ouverte ; mais vous ne pouvez pas dompter la langue, le plus petit de vos membres ; et, pour le comprendre, il suffit de remonter à la source de tout discours : « C’est de l’abondance du cœur que la bouche parle ; » en sorte que, pour diriger la langue, il ne faut rien moins que changer le cœur.

Changer le cœur ! Qui donc le peut ? Aucun homme ; mais Dieu. Celui qui l’a fait ne pourra-t-il pas le refaire ? non seulement il le peut, mais il le veut. Écoutez ses promesses : « Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai au dedans de vous un esprit nouveau, et j’ôterai votre cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. Demandez donc, et il vous sera donné ; car si tout méchants que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus Dieu, votre Père céleste, ne vous donnera-t-il pas son Saint-Esprit ? »

Eh ! comment Dieu n’accorderait-il pas des secours contre un mal que lui-même condamne aussi sévèrement ? Je ne dirai pas que Dieu a défendu les parjures, les faux témoignages, les blasphèmes ; non, vous le savez assez ; mais écoutez cette terrible menace de Jésus sur les fautes les plus légères de la langue : « Je vous dis, en vérité, que les hommes rendront compte, au dernier jour, de toutes les paroles vaines qu’ils auront prononcées ; car, par ses paroles, l’homme sera justifié, et, par ses paroles, l’homme sera condamné. » Écoutez encore l’apôtre qui nous a fourni notre texte : « Si quelqu’un d’entre vous pense être religieux, et qu’il ne sache pas tenir sa langue en bride, la religion d’un tel homme est vaine. »

Nous avons vu que l’homme veille inutilement s’il ne prie ; ajoutons que la prière serait vaine sans la vigilance. Veillons donc sur notre langue après avoir demandé un nouveau cœur. Avant de parler, réfléchissons sept fois ; taisons-nous plutôt que de hasarder une parole ; nous lui retrouverons toujours une place si elle est utile et bonne. Veillons constamment, car l’occasion de dire le mal revient constamment dans un monde où le mal surabonde.

Je me suis quelquefois demandé ce que les anges et les bienheureux pouvaient se dire et dire à leur Dieu dans le céleste séjour ; j’ai, sur ce sujet, interrogé la Bible, et j’ai vu que les anges prosternés devant le trône du Seigneur répétaient nuit et jour : « Saint, saint, saint est le Dieu des armées. » J’ai compris que les rachetés de Jésus, célébrant ses louanges, son amour, sa puissance, devaient traverser l’éternité au milieu de doux et longs entretiens, toujours recommencés avec un nouveau plaisir.

D’autres fois je me suis demandé ce que Satan et ceux qui lui seront livrés pourront se dire au séjour des ténèbres. J’ai encore ouvert la Bible, et ses déclarations m’ont fait entendre, à travers des pleurs et des grincements de dents, des faussetés, car Satan, est-il dit, est le père du mensonge ; des parjures, car Judas n’a parlé que lorsque le diable fut entré dans son cœur ; des calomnies, car le roi de ce séjour est appelé le calomniateur. Toutes ces paroles haineuses lancées de toutes parts, se croisant au milieu des remords, du désespoir et des souffrances d’une agonie sans cesse renaissante, me donnaient une idée des tourments de l’enfer.

Eh bien, c’est à nous de choisir pour lequel de ces deux séjours nous voulons nous préparer pendant notre exil sur la terre ; voyons à qui nous voulons ressembler, aux démons ou aux anges ; de qui nous voulons être les enfants, du Dieu d’amour et de vérité, ou de Satan, le père de la haine et du mensonge ; décidons sur lequel de ces deux avenirs nous anticiperons, dès ce monde, dans nos maisons, au milieu de nos familles. Nous pouvons faire descendre le ciel ou l’enfer ici-bas, établir dans nos demeures la paix, la concorde, l’amour, par les paroles conciliantes, ou la jalousie, la haine et la guerre, par des cris de malédictions.

Oh ! qu’il est beau le rôle de l’homme dont les lèvres ne s’ouvrent que pour laisser couler sur la terre la vérité, la paix et la conciliation, qui met une caresse où d’autres placeraient une injure qui calme les deux parties se renvoyant des outrages, et conduit à se tendre la main ceux qui semblaient d’abord vouloir se déchirer ! Qu’il est doux le spectacle d’un intérieur où la parole est calme, simple, vraie, et ne sert qu’à faciliter les rapports qu’elle entrave, peut-être ailleurs ! Comme cette vue fait du bien à l’âme, édifie même celui qui vit dans la dispute, et l’oblige à rentrer en lui-même ! Nous nous plaignons parfois de ne pas posséder les moyens de répandre des bienfaits sur la terre. Eh ! quels moyens en même temps plus grands et plus faciles que de faire du bien par nos paroles, portant ici la paix, ailleurs la consolation, partout la lumière de l’Évangile. Si la langue est un monde d’iniquité, la parole n’est-elle pas le salut du monde ? Oui, puissante pour le mal, elle est aussi puissante pour le bien ; elle gagne les cœurs, et par la persuasion gouverne finalement le monde. Parlons donc, mais avec réserve, avec sagesse, et surtout, ce qui sera facile à tous, parlons, parlons avec vérité.

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