Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

27.
Tous ceux qui me disent : Seigneur…

Ce n’est pas quiconque me dit : Seigneur, Seigneur, qui entrera dans le royaume des cieux ; mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. Plusieurs me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? et en ton nom que nous avons chassé des démons ? et en ton nom que nous avons fait plusieurs miracles ? Et alors je leur dirai ouvertement : Je ne vous ai jamais connus. Retirez-vous de moi, vous qui faites l’iniquité.

Quiconque donc entend ces paroles que je dis, et les met en pratique, sera comparé à un homme prudent, qui a bâti sa maison sur le roc. Et la pluie est tombée, et les torrents sont venus, et les vents ont soufflé et se sont jetés contre cette maison-là ; elle n’est point tombée, car elle avait été fondée sur le roc. Et quiconque entend ces paroles que je dis, et ne les met pas en pratique, sera comparé à un homme insensé, qui a bâti sa maison sur le sable. Et la pluie est tombée, et les torrents sont venus, et les vents ont soufflé, et ils ont heurté contre cette maison-là ; et elle est tombée, et sa chute a été grande.

Et il arriva, lorsque Jésus eut achevé ces discours, que les foules étaient extrêmement frappées de son enseignement. Car il les enseignait comme ayant autorité, et non pas comme leurs scribes.

(Matthieu 7.21-29)

« Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas dans le royaume des cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux. » – Il n’est pas de vérité plus facilement, plus généralement acceptée que celle-là. C’est qu’en effet il y a une contradiction si choquante à confesser de bouche celui qu’on renie d’action que notre conscience se soulève et s’indigne contre cette conduite hypocrite ou du moins inconséquente. Mais prenons-y garde ! ces paroles de Jésus s’appliquent à bien d’autres hommes que ceux que nous avons peut-être en vue : il ne s’agit pas ici seulement des hypocrites et des mondains, mais encore de personnes sérieuses, s’occupant avec activité de religion, et, bien que cela puisse vous paraître étrange, il s’agit ici, non seulement des autres, mais de vous, qui lisez ou écoutez, et de moi qui vous parle.

Tous, d’une manière ou d’une autre, nous contredisons nos paroles par notre vie ; tous nous sommes plus ou moins inconséquents ; tous, dans diverses mesures, nous sommes hypocrites, et en criant : Seigneur, Seigneur, nous ne faisons pas la volonté de notre Père qui est aux cieux.

Je le sais, cette accusation portée contre nous-mêmes nous paraît dure, injuste même, et de bonne foi nous nous disons que nous n’apercevons en nous ni cette hypocrisie ni cette inconséquence ; que nos paroles et notre vie sont d’accord, et que, s’il y avait en nous contradiction, nous le saurions mieux que personne. Mais cela ne pourrait-il pas prouver aussi que nous nous faisons illusion sur nous-mêmes ? – Ceux qui, au dernier jour, répondront à Jésus les rejetant : « Mais, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en ton nom ; n’avons-nous pas chassé les démons et fait des miracles en ton nom ? » s’étonnent d’être repoussés ; ils estiment donc jusque dans l’autre vie avoir fait la volonté de Dieu, et s’ils le pensent alors, à plus forte raison le pensent-ils aujourd’hui. Or, s’il est ainsi des hommes ici-bas qui se trompent sur eux-mêmes, et, comme nous, se croient dans la bonne voie, qui nous assure que ces hommes ce n’est pas nous, que leur illusion n’est pas la nôtre ? Il existe à cette heure dans le monde, dans notre patrie, dans notre localité, dans cette enceinte, des hommes qui s’abusent sur eux-mêmes ; voilà qui est certain, d’après la déclaration de Jésus. Est-ce vous ? est-ce moi ? Convenons du moins que c’est possible, et au lieu de nous roidir contre une vérité qui cherche à se faire jour dans notre esprit, écoutons la voix du Sauveur et celle de notre conscience qui tour à tour vont nous parler.

D’entrée, cette conscience parle en notre faveur et nous dit : Je sens à n’en pouvoir douter que j’ai quelque piété ; que je me plais à la communiquer aux autres ; que plus d’une fois même j’ai réussi à la faire partager. Dieu a béni sa Parole passant par ma bouche ; j’ai même été un instrument de conversion en sa main ; je suis donc moi-même un homme converti ; il est donc impossible qu’au dernier jour Jésus me jette l’appellation « d’ouvrier d’iniquité, » et dise ne m’avoir « jamais connu, » moi dont il se sera servi pour le faire connaître.

Mais à notre conscience Jésus répond : Ceux-là mêmes à qui je dirai ouvriers d’iniquité, ceux-là mêmes à qui je déclarerai ne les avoir jamais connus, ceux-là mêmes enfin qui devront se retirer loin de moi, ces hommes auront aussi prophétisé, c’est-à-dire annoncé l’Évangile en mon nom ; eux aussi auront chassé le démon du péché ; eux aussi auront fait des miracles de conversion.

Maintenant, puisque nous n’avons pas repoussé le témoignage de notre conscience, ne repoussons pas non plus le témoignage du Sauveur. Il nous le dit : Vous pouvez avoir connu l’Évangile, goûté la vérité, si bien connu, si bien goûté, que vous l’aurez fait connaître et goûter aux autres, et cependant vous pouvez être encore des ouvriers d’iniquité ! Ce langage de Jésus vous surprend sans doute, cher lecteur ; moi de même, je l’avoue. J’en ai plus d’une fois été surpris ; mais à la fin il a bien fallu me rendre à l’autorité du Sauveur, et aujourd’hui, au lieu de m’étonner, cette parole m’épouvante ! Aujourd’hui je me suis sérieusement demandé si ce ne serait pas moi qu’elle concerne. Aujourd’hui mes connaissances bibliques, mes travaux d’évangélisation ne suffisent plus à me rassurer, et je me dis avec terreur : « Après avoir annoncé l’Évangile, après avoir gagné des hommes à la cause de Christ, après avoir senti combien le Seigneur est bon, ne serais-je pas encore du nombre des réprouvés ? Ces dons que j’ai reçus de Dieu, ne les ai-je pas mis à mon service, bien qu’il les ait finalement fait concourir au sien ? Ne les ai-je pas tournés, quant à moi, en dissolution, alors même que, par mon intermédiaire, il en a fait profiter les autres ? J’ai connu le Seigneur, mais le Seigneur m’a-t-il jamais connu ? »

Parlons en toute liberté, pour vous aussi bien que pour moi : d’abord examinons nos prières ; rappelons-nous ce qu’elles sont ; comme nous nous y plaisons à nous humilier devant Dieu ; comme nous nous accusons volontiers de péché, d’ingratitude ; comme nous gémissons ; comme nous sommes ardents à demander, à supplier, pour obtenir des grâces ! Qui ne croirait, en nous voyant pour la première fois à genoux, qu’en nous relevant nous allons vivre comme des saints ? Oh ! comme les flots de paroles sortent de nos lèvres faciles et abondants ! Comme nous disons bien avec l’accent de l’âme : « Seigneur ! Seigneur !… » Mais, à peine relevés, nous courons à nos pensées légères, à nos conversations frivoles, à nos plaisirs, à nos affaires toutes terrestres. Il semble que nous avons placé notre tâche dans l’oraison elle-même, que nos péchés soient rachetés par notre aveu, que nous soyons meilleurs parce que nous avons demandé de l’être, et sans étonnement nous traversons la journée, impatients, légers, médisants, jusqu’à ce que, le soir, dans une nouvelle prière, nous disions encore : « Oh ! Seigneur, combien je suis impatient, léger, médisant, » et que le lendemain nous recommencions à être ce que nous étions la veille. Quel contraste entre nos prières et notre vie ! Prières d’anges, vie de mondains ! Nous confessons notre misère et nous restons dans notre misère ; nous crions : Seigneur ! et nous ne faisons pas la volonté de notre Père.

Portons notre examen sur un autre point. Chacun de nous peut se rendre le témoignage de lire chaque jour la Bible. Quelques-uns peut-être font plus et parcourent des ouvrages de piété, des journaux religieux ; on trouve dans tous les coins de nos demeures Bibles, traités, rapports ; nous nageons dans un océan de brochures excellentes… Mais ensuite quoi de plus ? Après avoir déposé le livre, allons-nous mettre en pratique ce qu’il a dit ? Après nous être efforcés de bien comprendre un passage de l’Évangile, allons-nous l’appliquer dans les détails de notre vie ? Semble-t-il que nous ayons étudié la Parole de Dieu dans un autre but que de caser les résultats de cette étude dans un coin de notre tête, comme ces savants antiquaires qui cherchent les inscriptions à demi effacées des vieux monuments, les rétablissent, et, quand ils les ont bien comprises, les copient soigneusement et les ferment dans leur bureau pour aller vaquer à leurs affaires ? Je ne sais si ma supposition est fausse ; mais il me semble que nous avons lu tant de chapitres, parcouru tant de livres, approuvé tant de préceptes, que, si nous en avions mis un sur mille en pratique, nous serions aujourd’hui plus saints que saint Paul, tandis qu’il faut convenir que nous sommes bien loin de ce modèle… Il est donc vrai que nos lectures, comme nos prières, prouvent que nous savons crier : Seigneur ! Seigneur ! sans pour cela faire la volonté de notre Père.

Une autre preuve encore : n’avez-vous pas souvent admiré la merveilleuse facilité avec laquelle nous parlions de religion dans nos entretiens avec des frères ? comme sur un sujet quelconque nous avions toujours quelque chose à dire ? comme, lors même que dix avaient parlé avant nous, nous avions encore quelques mots à ajouter ? N’avez-vous pas remarqué que nous étions tous capables de faire des réflexions bonnes, justes, délicates ? Eh bien, je ne veux pas mettre en regard ces conversations et notre vie pour savoir si nous sommes de ceux qui crient : Seigneur, sans faire la volonté de Dieu ; mais je veux mettre en regard nos paroles et les motifs de ces paroles. Nous parlons, par exemple, de l’humilité ; nous relevons le prix de cette vertu chrétienne, nous la peignons dans toutes ses nuances, et maintenant, si nous voulons être de bonne foi, nous conviendrons que nous avons discuté sur l’humilité étant inspirés par l’orgueil ; nous avons voulu donner à ceux qui nous écoutaient une preuve de la perspicacité de notre esprit, de la délicatesse de notre conscience. Une autre fois nous avons discouru sur la charité aussi bien que saint Paul ; nous avons dit qu’elle était douce, patiente, mais, hélas ! nous n’exaltions cette vertu que pour mieux faire sentir que tel ne l’avait pas. Oui, la religion a en quelque sorte envahi nos causeries, nos demeures, notre vie, mais sans en chasser la mondanité ; les deux se sont associés, l’Évangile est devenu monde ; dans le salon et dans la chaumière des chrétiens, on ne s’entretient plus des événements politiques ou de la nouvelle du jour comme sujet de distraction, mais toujours pour se distraire on parle religion ; on ne fait plus briller son esprit sur la science humaine, mais toujours pour faire briller son esprit on déroule ses connaissances divines. Ainsi nos médisances ne portent plus sur le ridicule des paroles, des actions ou des vêtements de nos frères, mais toujours pour médire nous disséquons leurs paroles et leurs actions religieuses. De nos sentiments nous nous faisons un jeu, et, ce qu’il y a de pire, c’est qu’après tout cela nous nous retirons satisfaits de nous-mêmes, nous disant que nous avons passé des heures délicieuses, sans nous apercevoir que nous avons crié : Seigneur, Seigneur, en faisant le contraire de la volonté de notre Père.

Il est encore un autre piège à signaler. Il y a une manière de dire : Seigneur, Seigneur, qui ressemble tellement à l’action de faire la volonté de Dieu qu’on risque bien de s’y tromper. Sans doute, il est bien de s’occuper d’avancer le règne de Dieu dans le monde, il est bien d’exhorter un frère souffrant à la patience, bien de distribuer la Parole sainte, bien de diriger une œuvre chrétienne, bien de contribuer à l’envoi d’un missionnaire, enfin bien de se mêler au mouvement religieux qui s’accomplit autour de nous ; tout cela nous communique la vie, nous réchauffe. Toutefois, prenons garde ! ce n’est pas là notre première tâche. Notre première tâche c’est de travailler sur nous-mêmes. Mais comme il nous est infiniment moins dur de songer à corriger les autres que nous-mêmes, nous prenons volontiers un devoir pour l’autre. Cette activité répandue au dehors satisfait notre conscience et en même temps nous étourdit sur nous-mêmes ; nous sommes séduits par ce qu’il y a de grand dans l’évangélisation du genre humain, et nous dédaignons de nous occuper de ce qui nous paraît petit, la nôtre propre, et à force d’exhorter nos frères aux vertus chrétiennes, de demander pour eux la foi, nous finissons par nous persuader que nous avons déjà nous-mêmes cette foi et ces vertus. Oh ! que notre cœur est rusé et désespérément malin ! comme il sait bien substituer la langue à l’action, l’œuvre du dehors à l’œuvre du dedans, les autres à nous-mêmes ! Prenons garde, nous avons assez crié : Seigneur, Seigneur ; il est plus que temps de faire la volonté de notre Père.

Oui, nous devons travailler à faire la volonté de Dieu et pour cela apprenons à connaître ce qu’elle est. Jésus-Christ nous le dit ailleurs : « Ma nourriture c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé. » La volonté de Dieu doit donc être prise comme une nourriture ; ce n’est pas une chose qu’on doive faire seulement dans de grandes occasions, mais tous les jours, à toutes heures, dans les petites comme dans les grandes circonstances ; elle doit soutenir notre âme comme le pain soutient notre corps ; nous ne pouvons nous passer d’aliments, nous ne devons non plus nous dispenser d’accepter la volonté de Dieu. A la lettre nous ne le pouvons pas ! La volonté de Dieu est immuable ; nous serons toujours contraints de nous y soumettre. Il est vrai que cette volonté, combinée avec notre volonté, a deux faces, mais sous l’une ou sous l’autre elle s’accomplira nécessairement, infailliblement. Ainsi, dans notre texte, Dieu veut que nous fassions sa volonté, ou sur la terre, en vivant en Jésus, ou dans l’éternité, en nous retirant loin de lui. C’est à nous de choisir. Désobéissons, Dieu nous ramènera toujours à l’obéissance, si ce n’est aujourd’hui ce sera demain, si ce n’est par la prospérité et les douces exhortations ce sera par l’épreuve et les rudes censures, si ce n’est dans ce monde ce sera dans l’autre, sinon dans le ciel du moins dans l’enfer ! Toujours est-il que la volonté de Dieu s’accomplira. Le Seigneur est plus fort que nous ; en vain regimberions-nous contre l’aiguillon, nous n’en serions que plus profondément blessés. Ne cherchons donc pas à sortir de la voie qui nous est tracée, marchons plutôt de bonne grâce, et alors nous verrons que le joug du Seigneur est doux, son fardeau léger, et sa volonté agréable et parfaite. Mais pour le sentir ainsi il ne faut pas se soumettre à moitié, se dévouer à moitié ; il faut se soumettre sans réserve, se dévouer complètement, marcher avec Dieu, vouloir ce qu’il veut. Ainsi nous ferons toujours notre propre volonté. Rappelons-nous que c’est surtout dans les détails de la vie, dans nos occupations journalières, dans nos rapports domestiques, que nous devons accepter cette sainte volonté ; car c’est vraiment là ce qui nous regarde, c’est une tâche de tous les jours, de tous les instants, c’est la vie cachée en Christ, vie de petits combats qui portent leur récompense dans la victoire. Ne renvoyons pas à demain, n’attendons pas une occasion favorable, mais aujourd’hui, dans tous les coins de notre intérieur, faisons la volonté de Dieu, et nous n’aurons pas la crainte de nous entendre dire : « Retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité, » mais l’assurance d’ouïr ces paroles : « Venez, les bénis de mon Père ; possédez en héritage le royaume qui vous a été préparé depuis la création du monde. »

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