Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

32.
Les dix Lépreux

Et il arriva, comme il était en route pour Jérusalem, que lui-même passait entre la Samarie et la Galilée. Et comme il entrait dans un bourg, dix hommes lépreux vinrent à sa rencontre et s’arrêtèrent à distance ; et ils élevèrent la voix, disant : Jésus, Maître, aie pitié de nous ! Et les ayant vus, il leur dit : Allez, montrez-vous aux sacrificateurs. Et il arriva que, comme ils s’en allaient, ils furent purifiés. Mais l’un d’entre eux, voyant qu’il était guéri, revint, glorifiant Dieu à haute voix ; et il se jeta sur sa face, aux pieds de Jésus, lui rendant grâces. Or c’était un Samaritain. Et Jésus, prenant la parole, dit : Les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Mais les neuf, où sont-ils ? Ne s’est-il trouvé que cet étranger qui soit revenu pour donner gloire à Dieu ? Et il lui dit : Lève-toi, va ; ta foi t’a sauvé.

(Luc 17.11-19)

Dix infortunés expulsés par la loi de toute société humaine, et contraints de repousser ceux qui les approchent par ce cri lugubre : « Le lépreux ! le lépreux ! » se sont réunis pour s’entr’aider dans leurs souffrances et leur solitude, et, tandis que tout homme en santé regarderait comme un supplice de vivre à côté d’un seul de ces êtres au corps pâle et couvert de taches, chacun de ces malades s’estime heureux de jouir de la société immonde de neuf autres lépreux ; si grand est notre besoin d’être secouru et si vif notre désir de vivre avec nos semblables. Au reste, aucun des biens ou des maux terrestres n’est sans compensation : la prospérité divise les hommes, l’infortune les unit. En santé, ces dix hommes se fussent, peut-être disputés, haïs les uns les autres ; couverts de lèpre, ils se recherchent, écoutent tour à tour avec sympathie le récit de leurs douleurs et se prêtent de mutuels secours.

Ces malheureux erraient donc sur la grande route sans oser approcher du bourg voisin, lorsque Jésus, qui se trouvait partout où il y avait du bien à faire, survint inattendu. Quelle heureuse rencontre ! Depuis des mois, des années, ces hommes cherchent ou plutôt ont cessé de chercher un remède impossible, lorsque tout à coup Celui dont la réputation de bonté et de puissance est déjà parvenue dans leur solitude se présente à leurs yeux. Ils n’osent l’approcher, mais de loin ils lui crient : « Jésus, maître, aie pitié de nous ! » Ce ne sont pas quelques-uns d’entre eux, mais tous qui répètent : « Aie pitié de nous ! » C’est que dans la maladie l’homme n’est pas loin de la prière ; alors le plus incrédule se laisse persuader. Comme il souffre, il désire, il espère, il croit, il prie enfin, et peut-être pour la première fois dans sa vie.

Jésus, qui ne fut jamais sourd à aucune demande, leur répond : « Allez vous montrer aux sacrificateurs. » Cette parole n’était pas la guérison ; toutefois les lépreux partirent, et il arriva qu’en s’en allant ils furent nettoyés. Quel changement ! Tout à l’heure malades incurables, maintenant bien portants ! Il n’y a qu’un instant, blancs de lèpre ; à cette heure brillants de santé. En une seconde s’est accompli ce qu’ils désiraient depuis des années ; ils sont guéris, guéris complètement, car ils le sont par Dieu. Oh ! quelle joie un passage si prompt de la douleur à la santé, de l’exil à la liberté, dut répandre dans le cœur de ces dix infortunés ! – Oui, sans doute, tous dix furent joyeux d’avoir été nettoyés, et cependant neuf se conduisirent comme s’ils ne l’avaient pas été par Jésus-Christ. Qui sait si un d’eux ne se dit pas que peut-être il se trouvait guéri par la joie même que lui avait donnée l’espérance de l’être ? Qui sait si un autre n’a pas supposé que ses anciens remèdes venaient d’agir à l’instant ? Peut-être un troisième a-t-il pensé que sa guéri-son était due à sa course rapide vers le grand-prêtre ! un quatrième, à quelque influence atmosphérique ! un dernier, à une révolution opérée dans son corps par la nature ! car ce mot magique de nature explique à certains hommes tout ce qui ne peut pas naturellement s’expliquer. Quoi qu’il en soit, toujours est-il que neuf sur dix oublièrent Jésus-Christ, et avec leur maladie perdirent la foi qui leur en avait valu la guérison.

O mon Dieu ! quelle n’est pas notre misère spirituelle que nous ne puissions pas supporter sans danger pour notre âme une heure de prospérité ! Comment oser solliciter de toi les biens de ce monde qui nous raviraient peut-être ceux de l’éternité ? Non, Seigneur, si nous ne te demandons pas la pauvreté, du moins nous ne réclamerons pas non plus la richesse ; mais nous te supplierons de nous maintenir dans une juste médiocrité qui nous préserve de l’orgueil de la fortune et du murmure de l’indigence. Donne-nous, Père, notre pain quotidien ; mais dépouille-nous plutôt que de nous laisser tomber dans l’ingratitude et l’incrédulité. Sauve-nous de nous-mêmes, de nos désirs, et ne nous accorde pas les bienfaits qui pourraient nous conduire, comme les lépreux, Seigneur, à t’oublier.

Mais, grâce à Dieu ! il n’en fut pas ainsi pour tous. Si neuf continuèrent leur route, le dixième revint sur ses pas. Dès qu’il se voit guéri, il s’élance à la rencontre de son bienfaiteur. Il arrive, se jette à ses pieds, cache sa figure dans la poussière du chemin, et de la plénitude de son cœur il rend grâce. Quelle touchante expression de sa reconnaissance ! Si vous voulez, ce n’est rien, et cependant que pouvait-il faire de plus ? Si Jésus n’eût pas été Dieu, le Samaritain aurait pu lui offrir de l’or, se faire son esclave et le servir durant son existence ; mais qu’a besoin d’or et d’esclave le Créateur des cieux et de la terre ? Lui offrir quoi que ce fût eût été lui dire que ce bien ne lui appartenait pas déjà ; c’eût été supposer qu’il avait besoin de quelqu’un ou de quelque chose. Aussi aucune pensée de ce genre ne monte-t-elle à l’esprit du Samaritain ; il n’a qu’un désir, celui d’exprimer son amour ; il se prosterne, il baise la poussière, il rend grâce ; il raconte qu’il a été guéri à ce Jésus qui le sait mieux que lui. Qu’importe ? il ne prétend pas l’instruire, mais soulager son propre cœur par un cri de reconnaissance : « Seigneur, j’étais lépreux, et tu m’as nettoyé ; je n’avais rien mérité, et tu m’as tout donné. C’est ta grâce, Seigneur, ta grâce qui atout fait. Oh ! béni sois-tu ! Donne-moi maintenant des années pour célébrer tes louanges ; envoie-moi vers mes frères pour raconter tes bienfaits ; que je dise et redise combien tu es bon et puissant ! Jésus, Jésus, que ton nom soit béni ! »

Mais est-ce d’une simple guérison temporelle que cet homme se réjouit si vivement ? Non ; car Jésus ne lui dit pas : « Ta foi t’a guéri, » mais : « Ta foi t’a sauvé. » Voilà donc son grand sujet de joie : il est sauvé ! et sans doute déjà le témoignage de l’Esprit confirmait en son cœur cette enivrante parole du Seigneur. Sauvé non de la lèpre, mais du péché ; guéri non pour cette vie, mais pour l’éternité ; et ce qui l’attend, ce n’est pas la société de quelques hommes dans la ville voisine, mais la société des anges dans le ciel, l’amour de Dieu aux siècles des siècles, la vie à toujours et le bonheur sans fin. Pauvre lépreux, voilà ton partage : les hommes te fuient, mais Dieu te cherche, t’aime, te sauve. Que pourrais-tu craindre encore et que pourrais-tu désirer de plus ?

Après avoir écouté ce récit, on se fait plusieurs questions. Pourquoi d’abord Jésus dit-il aux lépreux qui lui demandent leur guérison : « Allez vous montrer aux sacrificateurs, » et non pas : « Soyez guéris ? » C’est que, selon la coutume, Jésus voulait éprouver leur foi avant de les exaucer. Lorsqu’un aveugle lui demande la vue, il pose de la boue sur ses yeux et l’envoie se laver au réservoir de Siloé. Si l’aveugle se rend à cette invitation, c’est qu’il croit, et en se lavant il sera guéri. De même-ici le sacrificateur, d’après la loi de Moïse, devant constater la guérison de tout lépreux avant de le laisser rentrer dans la société, Jésus, en disant à ceux-ci d’aller aux sacrificateurs comme s’ils étaient déjà guéris, veut mettre au jour leur foi ou leur incrédulité. S’ils n’ont pas confiance en lui, ils resteront là, et dès lors ne seront pas guéris. S’ils croient, ils iront où Jésus les envoie, et ils seront nettoyés en chemin. Les faits ici confirment donc le grand principe de l’Évangile : « Sans la foi nul ne peut être agréable à Dieu. »

Admirable harmonie d’un livre où tout se correspond, où l’histoire vient à l’appui des dogmes, où ce qui se trouve exprimé en toutes lettres dans une page est en parfait accord avec ce qu’on peut déduire d’une autre. Mais cette harmonie va se compléter par une seconde question que ce récit fait naître.

Pourquoi Jésus accorde-t-il au Samaritain le salut de son âme : « Ta foi t’a sauvé, » tandis qu’il n’a donné aux neuf autres que la guérison de leurs corps : « Allez vous montrer aux sacrificateurs ? » C’est que non seulement les bienfaits divins ne sont accordés qu’à la foi, mais encore dans sa juste mesure. Les neuf lépreux croient assez pour crier : « Aie pitié de nous ! » et ils obtiennent la guérison de leur lèpre ; mais ils n’ont pas assez de confiance pour retourner à Jésus, se prosterner à ses pieds, lui rendre grâce, comme le fit le Samaritain. Les neuf ont donc cru un peu, et Jésus leur accorde la santé dans une vie passagère ; le dixième a cru sans réserve, et Jésus lui donne l’éternel salut. A chacun selon sa foi : aux uns la guérison du corps, à l’autre la guérison de l’âme ; toujours une juste proportion entre le degré de confiance et le bienfait accordé. Quand il le demande, Pierre marche sur les eaux ; dès qu’il doute, il s’enfonce, et ce n’est que lorsqu’il crie : « Seigneur, sauve-moi ! » que Jésus lui tend la main et le ramène sur les flots.

Mais pensez-vous que si l’on eût demandé aux neuf lépreux guéris s’ils avaient la foi en Jésus, qu’ils eussent hésité à l’affirmer ? Non, sans doute, et pour preuve ils en eussent donné leur guérison. Il est à craindre que plusieurs d’entre nous ne tombent dans la même erreur : parce qu’ils ont quelquefois prié dans une maladie, une épreuve, une difficulté, et qu’ils ont été exaucés, ceux-ci ne doutent pas qu’ils n’aient la foi qui sauve, ne sachant pas mesurer la distance d’une guérison temporelle à l’éternel pardon, pas plus que la distance d’une confiance faible et passagère à une foi entière et profonde. Prenez donc garde ! il ne s’agit pas de savoir si vous avez de la foi, mais la foi ; non si vous croyez par moments, mais toujours ; et vous le reconnaîtrez à ce signe si vous priez pour la terre ou pour le ciel, pour le temps ou pour l’éternité.

Une troisième question s’est peut-être posée dans vos esprits : comment se peut-il que les neuf Juifs ne soient pas revenus vers Jésus ? Votre étonnement est légitime, car c’est aussi celui du Sauveur ; mais, à vrai dire, son étonnement est plutôt une exclamation, car lui-même répond à sa propre question : « Il ne s’est trouvé que cet étranger, dit-il, pour rendre gloire à Dieu ; » comme ailleurs il avait prédit qu’il en viendrait d’Orient et d’Occident pour prendre place au royaume des cieux, tandis que les enfants du royaume seraient jetés dans les ténèbres de dehors. Ces Juifs lépreux étaient bien les dignes fils de ces Juifs toujours prêts à crier : « Nous avons Abraham pour père ; comment donc dis-tu que tu nous rendras libres, nous qui ne fûmes jamais esclaves ? » Parce qu’ils étaient circoncis, parce qu’ils montaient à Jérusalem, parce qu’ils lisaient Moïse et les Prophètes, les insensés orgueilleux s’estimaient enfants de Dieu et sauvés, ne comprenant pas que tous ceux qui sont de la postérité d’Abraham ne sont pas pour cela fils du père des croyants.

Mais, hélas ! leur présomptueuse erreur n’a-t-elle pas cours de nos jours et au milieu de nous ? Combien qui ne croient pas avoir à se rendre auprès de Jésus pour être sauvés parce qu’ils pensent l’être déjà ! Demandez-leur s’ils sont chrétiens, et avec un sourire de satisfaction ils vous apprendront que leur père était un homme pieux, leur pasteur un savant, qu’ils ont été baptisés, qu’ils ont fait leur première communion, qu’ils ont toute leur vie fréquenté le temple autant qu’ils l’ont pu, qu’ils ont lu tel ouvrage de piété, qu’ils sont abonnés à tel journal religieux, et qu’ils sont souscripteurs de toutes nos sociétés de bienfaisance et d’évangélisation. Leur famille est chrétienne de père en fils depuis des siècles ; comment donc eux ne seraient-ils pas chrétiens ?

Hélas ! c’est qu’on peut être chrétien de nom comme Juif de naissance sans l’être par la foi ; c’est qu’on peut lire l’Évangile comme Moïse avec un voile sur le cœur ; c’est qu’on peut communier, comme jeûner, sans être converti, et que plus au contraire on donne d’importance à des titres de famille chrétienne, à des pratiques extérieures, moins il est à croire qu’on soit venu vers Christ pour être sauvé. L’acte sans la foi n’est rien : « c’est la cymbale qui retentit ; » la naissance sans la conversion ne sert pas davantage, car « des pierres mêmes Dieu peut susciter des enfants à Abraham. »

Ces vérités sont tellement élémentaires que tout le monde ici les sait par cœur, et que personne ne pense avoir besoin de les entendre ; c’est précisément pourquoi nous allons insister.

Si vous êtes chrétiens autrement que par votre baptême d’eau, dites-nous quand avez-vous été baptisés du Saint-Esprit ? Si vous êtes chrétiens autrement que de naissance, quand êtes-vous nés de nouveau ? Car enfin, si vous êtes régénérés dans votre cœur par le Saint-Esprit, cette régénération ne s’est pas opérée à votre insu, vous avez dû vous en apercevoir. Vos idées sont-elles aujourd’hui tout autres que jadis ? vos goûts tellement changés que vous aimiez ce que vous haïssiez, et que vous haïssiez ce que vous aimiez ?

Je ne me lasserai pas de peser sur ces questions, qui passent sur votre esprit, comme l’eau sur la pierre, sans y laisser de trace ; et, pour vous forcer à les écouter, je vous répète : Quand avez-vous été convertis ? Quand êtes-vous nés de nouveau ? Quelle différence y a-t-il entre vous d’aujourd’hui et vous d’autrefois ? Avez-vous senti le baptême du Saint-Esprit descendre dans votre cœur aussi réellement que l’enfant sent le baptême d’eau tomber sur son front ? Encore une fois, êtes-vous régénérés, convertis ? Êtes-vous de nouvelles créatures ? Toutes les choses vieilles sont-elles passées en vous, et, en vous, toutes choses sont-elles devenues nouvelles ?

Je vais vous aider à résoudre ces difficultés. Si les questions que je vous adresse vous plaisent, c’est que vous avez une réponse satisfaisante à y faire, et alors, probablement, vous êtes nés de nouveau. Que le Seigneur en soit loué ! Mais, au contraire, ces questions vous sont-elles importunes ; les mots de nouvelle naissance, de régénération par le Saint-Esprit, vous semblent-ils des expressions bibliques qui ne se traduisent par aucune réalité dans la vie ; répétez-vous après d’autres : « Ce sont là des manières de parler, c’est un style oriental ; comment un homme pourrait-il naître de nouveau ? » dans ce cas, je vous dis encore : Vous n’êtes pas chrétiens ; car le chrétien est une nouvelle créature.

En vain vous me poursuivrez de vos objections, qu’à ce compte il n’y a point de chrétiens, que ceux qui se prétendent convertis ne sont pas meilleurs que les autres ; je vous répondrai toujours, la Parole de Dieu à la main, que « le chrétien est une nouvelle créature, » et que, d’après vos aveux, vous êtes toujours le même être. Je vous répondrai que ce n’est pas à vous, mais à Dieu, qu’il appartient de juger ce que sont les autres, et que ce n’est pas en vous comparant au péager, qui est à la porte du temple, mais à la loi qui est dans le tabernacle, que vous saurez ce que vous êtes.

Ah ! ne disputez pas plus longtemps avec le Dieu qui veut vous sauver. Puisque vous ne connaissez pas encore le Saint-Esprit par expérience, au lieu de le nier, dites-vous que vous ne l’avez pas reçu. Demandez-le, et vous l’obtiendrez. Courbez la tête devant le témoignage de votre conscience qui vous déclare pécheurs devant la Parole de Dieu qui vous offre le pardon, et vous entendrez enfin Christ vous dire dans votre cœur humilié, comme au Samaritain prosterné : « Relève-toi ; va, ta foi t’a sauvé ! »

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant