Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

33.
Honore ton père et ta mère

Honore ton père et ta mère afin que tes jours soient prolongés sur la terre que l’Eternel ton Dieu te donne.

(Exode 20.12)

Un fait digne de remarque, c’est que le Décalogue est bien moins une série d’ordres qu’une suite de défenses. Dieu ne nous y dit pas : « Tu feras ceci, tu observeras cela ; » mais : « Tu ne feras pas ceci, je t’interdis cela. » Le commandement est toujours sous la forme négative. Ainsi : « Tu n’auras point d’autres dieux ; – tu ne feras point d’images ; – tu ne prendras point le nom de l’Éternel ; – tu ne feras aucune œuvre en ce jour-là. » Toujours des interdictions et non des ordonnances. Dans la seconde table comme dans la première, vous lisez : « Tu ne tueras point ; – tu ne déroberas point ; » et constamment la même forme. – Pourquoi cela ? En général, quand fait-on une défense ? C’est lorsqu’on juge l’homme auquel on s’adresse enclin à la violer. Ainsi un père, instruit par les fautes commises hier par son enfant, lui dit aujourd’hui : « Prends garde ! ne fais pas cela ! »

Cette réflexion générale nous conduit à reconnaître que si Dieu nous a exprimé sa volonté sous cette forme, c’est qu’il nous savait naturellement portés à l’enfreindre. Si donc en particulier ce Dieu a dit : « Honore ton père et ta mère, » c’est qu’il supposait les enfants enclins à la désobéissance, à la révolte et à l’ingratitude. Et ce que ce Dieu suppose ici, pères et mères, vous ne le savez que trop bien vous-mêmes ; votre propre expérience vous l’apprend chaque jour. Pour trouver une époque dans la vie de vos enfants où vous ayez été véritablement obéis par eux et où vous ayez joui du bonheur de vous sentir père ou mère, il vous faut, hélas ! remonter jusqu’à leur plus tendre enfance. Alors, du moins, vous pouviez vous faire illusion ; si l’enfant souriait, s’il tendait ses petits bras, vous pouviez vous persuader que c’était affection… Mais dès que la force et la volonté se sont développées, comme aussitôt vous avez reconnu qu’il y avait là résistance, opiniâtreté, caprices, irritation, malice même, et quelquefois jusqu’au plaisir de mal faire ! Vous espériez que vos soins, votre tendresse, surmonteraient ces mauvaises dispositions du premier âge. Mais quel n’a pas été votre étonnement lorsque vous avez vu ces tristes penchants croître avec les années, vos efforts rester inutiles, et vos témoignages d’affection passer inaperçus, peut-être méprisés ! Vous pouviez encore vous dire : « Mon enfant, à l’âge de raison, comprendra mieux les droits d’un père ; il sentira que je ne lui parle que pour son bien, et, enfin, son cœur sera touché de tout ce que je fais pour lui. » Alors vous avez pris patience, vous vous êtes armés de courage, vous avez fermé les yeux sur les fautes qu’il vous était dur de reprendre ; vous avez persévéré dans cette voie de dévouement où l’on fait le bien sans songer à s’en vanter, parce que ce bien est fait pour un être chéri. Mais de tout cela, comment avez-vous été payés ? L’enfant aussi s’est développé, mais développé dans le mal. Si jusque-là il ne vous avait pas marqué de l’affection, du moins à un ordre positif il vous avait obéi ; devant une réprimande, il avait gardé le silence ; mais aujourd’hui qu’il semble avoir acquis la conscience de sa force, aujourd’hui qu’il aperçoit la liberté dans un prochain avenir, il rompt ce dernier lien de soumission passive, il se permet une observation, vous oppose un raisonnement, vous manifeste une répugnance. Prenez garde, pères et mères ! n’allez pas plus loin, n’insistez pas : vous auriez un refus ! Alors la plaie de votre cœur saignant s’est refermée sur elle-même ; vous avez compris le danger qu’il y aurait eu pour vous à donner un ordre, et vous avez gardé un prudent silence, dévorant en secret l’humiliation d’une presque désobéissance. Mais vous n’avez pas pu marcher longtemps dans cette voie de ménagement ; car plus vous étiez indulgents, plus on abusait de votre indulgence ; à la fin, il vous a fallu commander, et vous avez fait la triste découverte qu’on était décidé à la résistance. L’indignation s’en est suivie de votre part, et de la sienne la réplique, le reproche, l’insolence peut-être ; votre maison est devenue le théâtre d’une guerre ouverte entre deux partis ; on s’est endurci à vos ordres ; vous avez pleuré en secret, et finalement il vous a fallu céder et revenir le premier tendre une main de réconciliation à votre enfant, en tremblant de crainte encore que cette main de père ne fût repoussée. Plus tard votre enfant, parvenu à l’âge de raison (on entend par là l’époque où le respect humain enseigne à cacher ses vices), votre enfant a peut-être changé de conduite envers vous. En présence du monde il a compris que son intérêt exigeait qu’on le crût respectueux, obéissant ; dès lors il a pris les paroles de l’obéissance et la contenance du respect ; peut-être même, seul en face de vous, a-t-il quelquefois donné des signes extérieurs de déférence et d’affection ; mais quand une circonstance importante s’est présentée, lorsque vos volontés se sont trouvées directement opposées, n’avez-vous pas vu le serpent de la révolte soulever sa tête sous l’herbe, l’ancien ton d’aigreur, qui semblait oublié, revenir dans ses paroles, et l’ingratitude, rompant la glace des formes, se montrer sans déguisement à vos yeux étonnés ? A l’entendre, il semble que vous lui deviez tout ce que vous avez fait pour lui jusqu’à ce jour ; et si demain vous voulez faire moins, il viendra vous le reprocher, et mesurer jusqu’où vous devez vous dépouiller pour le vêtir ; il marchandera avec vous, comme chose méritée par lui, vos propres sacrifices, et quand vous les aurez accomplis, vous serez heureux que ses pensées ne se portent pas sur le dernier que vous aurez à faire !

Pauvres parents, représentants de Dieu dans la famille, voilà donc ce que sont vos enfants !… – Vos enfants ? Mais que dis-je ? voilà ce que vous êtes vous-mêmes, car vous aussi avez eu un père et une mère, vous aussi vous avez été les fils que nous venons de dépeindre ; en sorte que si, comme parents, vous avez senti tout l’odieux de cette conduite dans ceux à qui vous avez donné le jour, vos pères à leur tour, s’ils étaient là, s’élèveraient en témoignage contre vous et vous diraient : « Cet enfant, capricieux, insolent, ingrat, c’est toi ! toi ! toi-même ! » Oui, pères et mères, de tels enfants c’est vous, vous-mêmes ! J’ai déjoué la ruse de votre cœur. Pour vous amener à reconnaître vos torts, j’ai commencé par accuser vos enfants, parce que je savais que sur ce point vous applaudiriez à mes paroles ; mais maintenant je lève le voile et je vous dis : Ces enfants que j’ai dépeints, ce ne sont pas les vôtres : ce sont les enfants de vos pères. Quand je retraçais les torts de ceux qui vous doivent la vie, vous trouviez mes reproches fondés. Savez-vous pourquoi ? C’est que j’en accusais d’autres que vous, et que je les accusais à votre profit. Et maintenant que je vous dépouille du titre de père ou de mère pour ne vous laisser que vos obligations d’enfants, mes paroles ont-elles cessé d’être vraies ? Non ; elles sont restées les mêmes ; mais vous ne les écoutez plus avec les mêmes oreilles ; vous êtes descendus du siège du juge sur le banc des accusés, et vous ne voulez plus reconnaître la justice d’une condamnation qui est venue se placer sur vos têtes.

Mais vos pères aussi, à leur tour, se font vos juges, et ils vous crient, dans l’amertume de leurs souvenirs : « Oui, c’est là ce que tu as été à mon égard ; ton fils te rend aujourd’hui ce que tu m’as fait jadis ; je te l’avais prédit ; tu l’as bien mérité. Maintenant que tu as le cœur d’un père, tu comprendras ce que m’a fait souffrir le triste cœur de mon enfant. »

A cette heure, n’allez pas dire que les enfants de votre temps valaient mieux que les enfants de nos jours, et que ces accusations, vraies pour les uns, ne le sont pas pour les autres ; car c’est là ce que répètent tous les pères. A les en croire, ils ont tous été des enfants respectueux, et ils n’ont eu que des enfants rebelles. Toutes les générations de pères se plaignent de toutes les générations de fils ; c’est là ce qui vous condamne, à moins que vous ne prétendiez que, dans ce concert unanime de plaintes des parents contre les enfants, une seule voix soit fausse, celle qui s’élève contre vous-mêmes, et que vous soyez une exception à l’expérience de six mille ans ! Convenez donc, pères et mères, que les torts qu’on a eus envers vous, vous les avez eus envers d’autres ; que vous non plus vous n’avez pas honoré vos parents ; que vous avez été rebelles, désobéissants, ingrats ; enfin, que vous aussi vous avez fait couler les larmes d’une mère par votre abandon et contristé le cœur d’un père par votre ingratitude.

Et vous, jeunes enfants qui avez écouté ces dernières paroles, n’est-il pas vrai que vous avez éprouvé un secret plaisir à entendre adresser à vos parents des reproches qu’ils vous adressent si souvent à vous-mêmes ? N’est-il pas vrai que vous n’êtes pas fâchés d’avoir découvert qu’ils ont fait comme vous ? Ne vous semble-t-il pas que cela vous justifie ? N’est-il pas vrai que lorsque je parlais des défauts des enfants vous n’étiez pas contents de moi, et que lorsque j’ai retourné le glaive contre vos pères, vous avez été comme soulagés et satisfaits ? Vous voyez donc que votre cœur est désespérément malin, puisqu’il vous fait croire que le mal fait par un autre excuse le mal fait par vous-mêmes. Ne comprenez-vous pas que si vos parents ont été coupables en désobéissant à leurs pères, vous aussi vous avez été coupables en leur désobéissant à eux-mêmes ? Ne voyez-vous pas que c’est une joie satanique que celle que vous avez ressentie en entendant accuser les auteurs de vos jours ? Reconnaissez donc que ce qui a été dit pour eux était dit pour vous, et que si nous avons un moment détourné nos paroles contre vos parents, c’était afin de vous faire avouer ensuite la coupable satisfaction que vous aviez prise à nous entendre. Vous êtes donc encore plus condamnables qu’eux ; car ils pleurent sur vos fautes, et vous vous réjouissez secrètement des leurs !

Enfants encore jeunes ou enfants déjà pères, vous avez sans doute bien des réponses à nous faire, bien des excuses à nous présenter ; parlez donc, mais laissez vos parents vous répondre à leur tour.

Les parents, dit un enfant, sont d’une exigence sans égale ; nous ne pouvons avoir une volonté qu’ils ne la contrarient, former un désir qu’ils ne s’y refusent, et rien faire qu’ils ne le blâment ; il semble en vérité que nous soyons leurs esclaves !

Mon enfant, vous dirait l’auteur de vos jours, s’il pouvait à cette heure prendre la parole, mon enfant, ton inexpérience fausse ton jugement. Si parfois je m’oppose à quelques-uns de tes désirs, c’est qu’ils ne sont pas toujours sages. Tu sais bien qu’autant qu’il m’est possible je t’accorde ce que tu demandes, et que j’ai eu souvent à me repentir de t’avoir cédé. Non, mon ami, tu n’es pas mon esclave, c’est moi plutôt qui fus toujours le tien. J’ai travaillé pour toi pendant des années, je me prive encore de bien des choses pour te les conserver. Je me fais pauvre pour t’élever ; j’abrège ma vie pour t’aider à entrer dans le monde avec honneur. Ce n’est donc pas toi qui es le serviteur ; c’est moi, moi-même qui me fais ton esclave, moi qui suis ton père !

Les parents, ajoute un autre enfant, les parents n’ont-ils donc pas aussi leurs défauts de caractère, et parce qu’on est leur fils ou leur fille peut-on s’empêcher de les voir et de les sentir ? L’injustice, la dureté d’un père, sont-elles moins de l’injustice et de la dureté ? Des parents n’abusent-ils jamais de leur autorité, et ne veulent-ils pas souvent la retenir au-delà du terme raisonnable ? Nous ne sommes cependant pas toujours des enfants ; à notre âge on sait se conduire ; faudra-t-il donc faire des sottises par obéissance à nos parents ?

Mon enfant, répond le père, il est vrai que tu as pris de l’âge depuis le jour où cette main, aujourd’hui tremblante, te berçait durant les heures de la nuit ; mais enfin tu es toujours mon enfant et je suis toujours ton père. Avant de repousser mes avis, tu pourrais au moins les écouter, tandis que tu te détournes de moi dès que je parle, et il semble que je ne puisse rien dire de bon. Ne sais-tu pas que je te conseille pour ton bien ? N’accorderais-tu, pas quelques minutes d’attention à un étranger te donnant des avis ? Accorde-moi donc la même déférence, écoute-moi un instant, ensuite fais ta volonté ; mais ne me boude pas, ne me regarde pas avec un sourire de pitié, ne te moque pas de mes paroles ; car, vois-tu, de tels procédés déchirent le cœur d’un homme ; combien plus le cœur d’un homme qui n’ose pas te répondre pour ne pas te faire de la peine. Enfin si j’ai tort, supporte-moi un peu, comme je t’ai supporté longtemps ; excuse ma vieillesse, et si je me trompe, pardonne-moi, moi ton père !

Continuerai-je ce dialogue et humilierai-je les parents en répétant ici les humiliations qu’ils dévorent en secret ? Non, non, je craindrais de faire couler leurs larmes avant d’arracher les vôtres ; et il me semble que j’entends leurs voix me dire : Arrêtez ! c’est assez ; ayez pitié de nos enfants. Que voulez-vous ? ils n’en savent pas davantage ! C’est nous qui avons eu le tort de ne pas mieux les corriger dans leur jeune âge. Vous en avez assez dit pour leur faire honte et les pousser au repentir ; une plus longue accusation pourrait les irriter contre nous-mêmes, et vous savez qu’un jour nous pouvons avoir besoin de leurs secours ! Craignez donc d’étouffer par vos reproches le peu de compassion qu’ils ont encore pour leurs vieux pères.

Eh bien, oui, je cesserai de parler au nom de ces parents, puisqu’eux-mêmes se sont lassés de se plaindre, et semblent avoir pris le parti de souffrir en silence. Je les laisserai repasser seuls dans leur mémoire les paroles dures, les airs de mépris et tous ces traits de feu lancés dans leurs cœurs par leurs enfants ; je les laisserai s’habituer à se voir délaisser dans leur vieillesse par ceux qu’ils ont soignés toute leur vie, et, s’ils n’y peuvent réussir, si le chagrin, l’abandon, la souffrance, hâtent leur marche vers la tombe, peut-être leur mort réveillera-t-elle ces consciences d’enfants… peut-être ceux-ci viendront-ils au jour suprême donner quelques signes d’affection, une larme de repentir, et le vieillard pourra-t-il retrouver une heure de joie dans sa dernière heure et donner sa bénédiction. Mais malheur à vous, enfants, je vous le prédis, malheur à vous si vous attendez, pour réparer vos torts, que vos torts soient irréparables, et que la mort vous sépare de ceux que vous n’avez pas honorés ! Le souvenir du passé deviendra votre bourreau, et vous paierez cher votre ingratitude de ce jour. Croyez-moi, ne fût-ce que pour vous épargner des remords à l’avenir, vous devriez dès aujourd’hui changer de conduite à l’égard de vos pères.

Mais peut-être me suis-je exagéré vos torts, et Dieu lui-même se montrera-t-il plus indulgent que je ne vous le suis apparu dans ce discours ? Écoutez donc ce Dieu lui-même, et contemplez les exemples fournis par sa sainte Parole.

Un fils de Noé, pour s’être moqué de son père, est maudit dans l’Écriture ! Lorsqu’au pied du mont Hébal les lévites dirent : Maudit est celui qui aura méprisé son père ou sa mère, tout le peuple, d’après l’ordre de Dieu, répondit : Amen ! amen !

Sous la loi de Moïse, le fils rebelle était conduit à la porte de la ville, jugé par les anciens, lapidé par le peuple, et mis à mort !

Effrayants exemples de la justice de notre Père céleste !

D’après une telle loi, qui de nous eût échappé ? Qui de nous n’eût pas été maudit au temps de Noé, maudit au pied du mont Hébal ? Qui de nous, enfants rebelles, conduit devant les juges, n’eût pas été condamné ? Et le Dieu qui jugeait alors les enfants d’Israël n’est-il pas Celui qui nous jugera un jour ? Oh ! que cette pensée est effrayante ! Qu’il est bon de pouvoir en détourner son esprit pour le fixer sur la croix de Jésus qui pardonne ! Comme il est doux d’apprendre que ce fils, vraiment unique, a obéi pour nous ! O Dieu, efface notre ingratitude, donne-nous un nouveau cœur, et que, par ta grâce, nous aimions au moins nos pères et nos mères, qui, comme toi, nous ont tant aimés, et aimés les premiers !

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