Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

35.
La bonté et la vérité se sont rencontrées

La bonté et la vérité se sont rencontrées ;
La justice et la paix se sont embrassées.

(Psaumes 85.10)

Il est infiniment plus facile d’attaquer que de se défendre ; cela est vrai dans tous les genres de combats, mais peut-être plus particulièrement dans la lutte de paroles. Il suffit d’un mot pour faire une objection ; des pages sont nécessaires pour y répondre. Aussi les incrédules ont-ils habilement choisi la méthode la plus commode : au lieu de se défendre, ils attaquent les croyants. Pourquoi les croyants n’attaqueraient-ils pas les incrédules ? Pourquoi, par exemple, au lieu de prouver qu’il existe un Dieu et que la Bible est sa Parole, n’obligeraient-ils pas leurs adversaires à prouver que ce Dieu n’existe pas et que la Bible est une parole humaine ? Répondre, c’est donc se mettre dans la position la plus désavantageuse, et il faut se sentir fort de la vérité de sa cause pour accepter cette position. Pour être incrédule, il n’est besoin d’être ni savant ni moral : il suffit d’ouvrir la bouche et de dire : « Pourquoi ? Pourquoi Christ a-t-il dû souffrir en expiation de nos péchés ? Pourquoi Christ est-il venu quarante siècles après Adam ? Pourquoi ne voit-on plus de miracles de nos jours ? » Et remarquez que ces objections paraîtront d’autant plus solides que celui qui les écoute aura moins d’intelligence et de cœur pour comprendre les réponses.

N’importe ; nous, chrétiens, qui parlons non pour nous, mais pour eux, incrédules, acceptons la seule position qu’ils nous laissent, et comme nous ne voulons les vaincre que pour les sauver, ne nous plaignons pas d’un désavantage qui finalement ne nuit qu’à nos adversaires. Ne voulez-vous pas faire à la vérité un chemin plus facile pour arriver à votre cœur ? c’est un malheur pour vous. Mais nous vous aimons trop pour ne pas profiter encore de la voie longue et pénible où vous nous poussez. Nous vous apportons un trésor : le salut. Si vous retardez notre marche, ce ne sera pas nous, mais vous que vous punirez. Nous allons donc répondre successivement à quelques-uns de vos pourquoi.

Et d’abord, « Pourquoi Christ a-t-il dû souffrir en expiation de nos péchés ? ou comment les souffrances d’un être autre que le coupable peuvent-elles effacer les torts de celui-ci ? » Pour répondre plus clairement, je dirai d’abord que je n’en sais rien ; mais je ferai remarquer que là n’est pas la question. Ainsi, je ne puis pas dire comment la lumière du soleil éclaire mes yeux, ni comment mes yeux éclairés transmettent une idée à mon esprit. S’ensuit-il que le soleil n’éclaire pas, ou que mon esprit ne reçoive pas l’impression qui traverse mes yeux ? Non. Ce qu’il faut montrer, ce n’est pas comment le fait s’accomplit, ni pourquoi il est nécessaire ; mais c’est que le fait est réel, vrai, efficace ; ce qu’il faut montrer, c’est que la Rédemption, comme le soleil, vient de Dieu, comme le soleil réchauffe, comme le soleil fait naître, croître et mûrir d’excellents fruits. Voilà tout ce qu’on peut raisonnablement demander.

Pour savoir si la rédemption de nos âmes pécheresses par le sang innocent de Jésus-Christ vient de Dieu, il suffit de savoir si la Bible, qui proclame cette doctrine, en vient elle-même ; et ici se présentent en preuve les prophéties antiques accomplies de nos jours, les beautés morales de la Parole sainte, la sublimité du caractère de Jésus, les changements merveilleux amenés dans le monde par l’Évangile, et tout ce qui concourt à établir la divinité du Christianisme. Nous ne pouvons pas ici développer tous ces arguments ; mais nous avons voulu seulement faire remarquer que là devait se poser la question, et que dès qu’il était reconnu que la Bible était d’origine divine, il n’y avait plus à contester sur le comment et le pourquoi de la Rédemption. Or, est-ce ainsi que les incrédules en agissent ? S’occupent-ils beaucoup d’examiner cette Bible, d’apprécier ses titres, de méditer ses apologies ? Non ; une objection leur monte à l’esprit, ou leur arrive même toute formulée par d’autres, et, parce qu’ils n’y trouvent pas une réponse, ils affirment avec assurance que la difficulté n’a pas de solution. Suivez cet incrédule de conversation en conversation, de jour en jour, de maison en maison, et vous lui entendrez répéter la question stéréotypée dans sa tête, sans qu’il s’avise jamais d’aller demander la réponse au livre ou à l’homme capable de la lui donner. Il pose ses pourquoi, non pour s’éclairer, mais pour embarrasser autrui, et ses questions veulent dire : « Je vous défie de me répondre. » Certes, il n’est pas étonnant qu’on ne convainque pas un homme qui commence par se boucher les oreilles avec sa propre vanité. Quelle que soit la science qu’un homme étudie, il est certain qu’il n’y progressera pas malgré lui-même ; ses progrès seront en raison de ses efforts : s’il ne se donne aucune peine, il ne comprendra rien. Que sera-ce donc si, non seulement il n’écoute pas le professeur qui l’instruit, mais s’il cherche à chaque mot à le mettre en défaut ? Prenez des sciences la plus certaine, celle des mathématiques ; pensez-vous qu’un élève y comprenne rien s’il se dit, avant, pendant et après chaque démonstration, que tout cela est faux ? Non ; les mots ne sont pas des dards aigus qui viendront se fixer malgré lui dans son esprit, ou des êtres vivants, qui puissent lutter et renverser leur adversaire. S’il faut de la bonne volonté pour pénétrer dans toute science, pourquoi n’en serait-il pas ainsi, à plus forte raison, pour l’Évangile ? Admettez un moment que le livre soit divin, et voyez s’il doit céder à votre exigence de vous convaincre malgré vous, malgré vos défiances, malgré l’insulte que vous lui faites de le supposer d’avance l’œuvre d’un imposteur. Quoi ! vous seriez en face de Dieu, vous lutteriez contre chacune de ses paroles, vous repousseriez ses efforts sur votre esprit, et ce Dieu devrait, selon vous, vous contraindre à l’écouter, le croire, l’aimer et lui obéir ? C’est parce que vous l’insulteriez de vos défis, de vos moqueries, qu’il vous ouvrirait les yeux ? Ah ! reconnaissez que c’est une prétention par trop orgueilleuse, par trop absurde ! Laissez du moins tomber vos préventions, écartez votre orgueil, accordez une oreille attentive, consentez à être éclairés, et certainement vous le serez par l’Évangile. Je ne vous dis pas de le croire avant de l’avoir ouvert, mais de ne pas le contredire non plus avant de l’avoir lu. Lisez, sondez sans faveur, mais aussi sans prévention ; demandez la lumière pour voir, et non pour souffler dessus et l’éteindre ; ou si vous en agissez ainsi, ne soyez plus étonnés de vous trouver encore dans l’obscurité.

Je suppose donc qu’on veuille écouter pour un moment, sans amour et sans haine, une voix qui s’élève en faveur de Jésus-Christ ; et après avoir fait remarquer que nous ne sommes pas obligés d’expliquer le comment de la Rédemption, j’ajoute cependant que la Rédemption elle-même est la meilleure explication possible d’une difficulté réelle, puissante, que rencontrent sur leur route les incrédules aussi bien que les croyants. Cette difficulté, la voici : Notre conscience nous dit que Dieu est juste ; notre cœur ajoute que ce Dieu est bon. Mais comment ce Dieu juste et bon pourra-t-il se tirer de la position où nous-mêmes l’avons mis ? Nous avons fait le mal, donc ce Dieu juste doit nous punir. En même temps, nous soupirons après le bonheur, donc ce Dieu bon doit nous le donner. Or, comment ce Dieu, bon et juste à la fois, peut-il à la fois nous punir et nous rendre heureux ? Voilà une question ; nous aussi nous demandons pourquoi et comment. Que l’incrédule nous réponde !

Il nous dira : « Dieu est trop bon pour punir. » Et nous répondrons : « Alors il n’est pas juste, puisque la conscience nous déclare que le péché mérite punition, puisqu’elle nous dit clairement que le vice et la vertu ne sont pas tout un, puisqu’il est impossible que Dieu rétribue le bien ou le mal de la même manière sans être lui-même l’auteur du mal qu’il encourage, sans être menteur, en menaçant de punition ici-bas celui qu’il récompensera là-haut. Alors la conscience n’a plus de sens ; il ne faut pas la croire ; et pourquoi nous fierions-nous mieux à notre cœur, qui nous fait espérer le bonheur ? »

Aimez-vous mieux supposer que Dieu punira tout transgresseur de la justice ? Alors convenez que tous les hommes seront punis, et que ces générations sans nombre qui se succèdent sur la terre ne traversent le temps que pour aller s’engloutir dans une éternité de souffrances, et cette conséquence ne vous répugnera pas moins que la première.

Mais non ; vous n’accepterez ni l’une ni l’autre de ces deux opinions extrêmes ; vous admettrez que Dieu prendra un milieu entre sa justice et sa bonté, pour les concilier. Soit ; mais comment ? C’est ici qu’est le nœud de la question. Comment concilier deux choses contraires, le feu et l’eau, la justice divine, que nos péchés contraignent à nous punir, et la divine bonté, que notre cœur sollicite à nous rendre heureux ? Et remarquez que la difficulté n’a pas été créée par Dieu, mais par l’homme. En Dieu, la justice et la bonté s’allient fort bien ; mais c’est notre péché qui trouble cette union. Il est vrai que Dieu pourrait nous anéantir sans que nous eussions le droit de nous plaindre ; mais toute notre nature se soulève à cette pensée, et notre cœur repousse avec terreur cette conclusion de notre péché. Un instinct puissant, irrésistible, nous dit que Dieu doit avoir ménagé un moyen pour nous mettre hors de peine. Il faut qu’il nous ait tendu un câble pour nous tirer du précipice où nous sommes tombés ; mais quel est ce cordage, tissu d’amour et de justice ? Comment le saisir ? Si l’incrédule le sait, qu’il le dise !

Qu’on le reconnaisse : l’homme fait, en général, bon marché de la justice ; et, soit en abaissant le niveau de la moralité exigée par la loi, soit en ébranlant la digue de la justice divine, il parvient facilement à se persuader qu’il passera sans en trop souffrir, chargé du bagage de ses fautes, par la brèche qu’il a faite aux attributs immuables de son Créateur. Il dit que Dieu est indulgent, qu’il pardonnera ; mais il ne remarque pas que l’indulgence envers le transgresseur, c’est de la faiblesse, et que le mot pardon est emprunté à l’Évangile. Oui, Dieu pardonnera, je l’admets comme vous ; mais pardonnera-t-il sans raison ? Et quand vous m.’aurez indiqué sa raison pour pardonner, me direz-vous ensuite si ce pardon profitera à tous les hommes indistinctement ; à ceux qui le connaissent comme à ceux qui ne le connaissent pas ; à ceux qui l’acceptent comme à ceux qui le repoussent ? Oui, je le veux supposer, Dieu pardonne ; mais pourquoi et comment ? Puisque l’incrédule aime les questions, en voilà une ; qu’il y réponde !

Etrange contradiction ! Ces mêmes hommes qui veulent que l’Évangile leur rende raison de tout, sont ici d’un accommodement incroyable ! Quand ils ont prononcé ces mots, : « Dieu nous pardonnera, » ils pensent avoir tout dit. Ce pardon de Dieu blesse sa justice et sa véracité ; n’importe : il pardonnera. Ce pardon sans motif est un effet sans cause ; n’importe : Dieu pardonnera. Ce pardon n’impose aucune obligation, et ainsi encourage au péché ; n’importe : Dieu pardonnera.

Ici l’incrédule nous arrête et dit : « Non ; nous croyons que Dieu ne pardonne qu’à la condition que nous nous conduisions mieux à l’avenir. » Mais je vous réponds qu’un pardon qu’il faut acheter par sa conduite n’est plus un pardon : c’est le paiement d’un marché. Et, d’ailleurs, dites-moi : depuis que vous répétez que Dieu vous pardonnera, pourvu que vous vous conduisiez mieux à l’avenir, vous êtes-vous mieux conduits que par le passé ? avez-vous rempli la condition imposée ? Eh ! non, vous le savez bien ; vous êtes toujours les mêmes ! Donc, d’après votre système, vous n’êtes pas encore pardonnés.

Voici donc le point précis où le Christianisme se sépare de toutes les religions sorties du cerveau humain ; et, remarquez-le bien, ici l’Évangile fait précisément ce qu’on le défie de faire : il donne le pourquoi et le comment. L’Évangile donc, aussi bien que l’homme naturel, proclame le pardon ; mais tandis que l’homme naturel le réclame sans pouvoir alléguer un motif en vertu duquel Dieu l’accorde, l’Évangile, au contraire, dit que Dieu pardonne en vertu de la satisfaction fournie par Jésus-Christ. Une dette avait été contractée ; le débiteur insolvable présenté l’or d’un ami qui paie à sa place ; et dès lors le créancier est satisfait. De cette transaction résulte que la justice et la bonté divines sont conciliées, que le Sauveur donne l’exemple d’un dévouement admirable, et que le chrétien racheté se sent porté à l’obéissance par l’amour ; en sorte que du seul fait de la Rédemption jaillissent la justice de Dieu, l’exemple de Christ et la sanctification de l’homme ! Me contesterez-vous le premier de ces résultats ? Du moins vous ne nierez pas les seconds. Vous reconnaîtrez que le Fils d’un Dieu, donnant sa vie pour les sujets coupables de son Père, est un trait admirable, un dévouement sans égal, un exemple entraînant ! Vous reconnaîtrez que ce sacrifice a produit, sur les cœurs de ceux qui le croient, l’effet que produit toujours une véritable reconnaissance : l’amour et la soumission ; vous reconnaîtrez qu’il n’est pas d’êtres plus moraux, plus saints dans le monde que les vrais chrétiens, et qu’un arbre qui a pour fruit la sainteté, pour racine le dévouement, doit avoir pour sève la vérité. Ou trouvez-moi dans l’univers une grande erreur produisant un grand bien, ou convenez que la Rédemption, régénérant les peuples, est un principe vrai, fondé en Dieu, inexplicable, comme la sève, dans sa nature intime, mais justifié par la beauté de son feuillage et la saveur de ses fruits.

Voilà comment la bonté et la vérité se sont rencontrées, comment la justice et la paix se sont embrassées. Il n’y avait pas seulement difficulté à concilier la bonté de Dieu, qui voulait notre salut, et sa véracité, qui exigeait notre punition ; mais il y avait aussi à mettre d’accord la justice et la paix chez l’homme ; il fallait faire tomber la justice sur une victime, et rendre en même temps la paix à notre conscience, nous punir en Christ et nous rendre heureux en nous-mêmes. Paisibles et heureux, comment ne deviendrions-nous pas saints ? Aussi, dans notre texte, David, après avoir annoncé le pardon des pécheurs, ajoute-t-il : « Mais que jamais ils ne retournent à leur folie ! »

Et l’histoire montre qu’en effet les vrais croyants n’y sont pas retournés. C’est ici une preuve de fait qui répond à tout. Élevez contre la doctrine chrétienne toutes les objections que vous voudrez, je répondrai toujours : Cette doctrine a changé la face du monde, sanctifié les enfants et les vieillards, les riches et les pauvres, les ignorants et les savants ; elle a ruiné l’esclavage, relevé la femme, affranchi les peuples, abrité les malades et fait couler la charité plus ou moins abondante dans tous les cœurs, même dans les cœurs de ses adversaires, qui auraient honte aujourd’hui de trop résister au courant de bienfaisance établi par l’Évangile sur la terre. Et si vous pouviez douter que cet adoucissement général des mœurs dans nos siècles modernes fût un fruit du christianisme ; si vous ne vouliez y voir qu’un résultat d’une civilisation purement humaine, je vous dirais : Voyez si tel peuple, par exemple celui de la Chine, notre contemporain, tout aussi avancé que nous dans les arts et les sciences, voyez si ce peuple présente la même moralité, lui qui emprisonne ses femmes, étouffe ses enfants et noie ses vieillards ! Non, la Rédemption seule, l’union de la justice et de la miséricorde en Christ seul a pu, comme le dit le Psalmiste, engager les pécheurs à ne plus retourner à leur folie.

Non, Seigneur, nous ne voulons plus retourner à notre folie ; nous avons été trop misérables loin de toi, pour être tentés de t’abandonner ! Près de toi nous sommes si bien, si heureux, si paisibles ! Il y a tant de douceur à se savoir sauvé ! La joie est un ressort si puissant pour nous porter au bien, et ce bien lui-même nous devient dès lors si doux et si facile ! Mais, Seigneur, notre confiance faiblit par intervalles ; malheureusement, nous ne savons pas nous tenir unis à toi ; prends-nous donc la main, tendre Père ; serre-la fortement dans la tienne, et que cette étreinte nous fasse encore mieux sentir que nous sommes en sûreté, que nous ne risquons plus de tomber dans l’abîme, nous qu’un Père conduit, nous qu’un Dieu reconnaît pour ses enfants !

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