Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

38.
La plus malheureuse des créatures

Si c’est dans cette vie seulement que nous avons espéré en Christ, nous sommes les plus misérables de tous les hommes.

(1 Corinthiens 15.19)

« Si nous n’avons d’espérance en Christ que pour cette vie, dit saint Paul, nous sommes les plus malheureux des hommes. » En suivant cette pensée de l’Apôtre, on peut dire : « Si l’homme, supérieur à tous les êtres de ce monde par son intelligence et ses affections, sa parole et sa moralité, n’avait d’espérance que pour cette vie, ce roi de la création serait la plus misérable des créatures. »

D’abord, remarquez qu’il existe ici-bas des créatures dont la vie est plus longue que la nôtre, et si toutes nos espérances sont renfermées dans ce monde, le superbe éléphant parcourant les forêts, et l’aigle altier planant dans les airs avant notre naissance et après notre mort, ces êtres, nos serviteurs, sont mieux partagés que leurs maîtres. Leur développement rapide, leur décrépitude tardive, leur laissent entière une vie que notre longue enfance et notre hâtive vieillesse diminuent de moitié ; en sorte que nous ne jouissons guère de toutes nos facultés que durant le quart d’un siècle, que ces animaux savourent en entier.

Remarquez ensuite qu’en général les animaux sont bien moins sujets que nous aux maladies. S’ils souffrent, c’est pour un temps court, et cette première souffrance, une fois passée, revient rarement dans le cours de leur existence ; elle cesse d’elle-même, sans secours, presque toujours par le simple repos ; tandis que nous, du berceau à la tombe, nous avons pour compagne inséparable la douleur. Sans doute nous ne sommes pas constamment étendus sur un lit, mais presque constamment tourmentés par quelque indisposition secrète, qui, pour ne pas se produire au dehors, n’en reste pas moins comme une épine dans notre vie. Il faut que nous passions la moitié de notre temps à nous précautionner contre le chaud et le froid ; la nourriture elle-même ne peut être prise qu’avec mille précautions : trop rare, elle laisse dépérir notre corps ; trop abondante, ou même trop recherchée, elle nous ramène la maladie par une autre porte ; et après toutes ces mesures, nous passons encore à souffrir de longs jours que nos esclaves traversent florissants de santé. Et remarquez bien que ces maladies ne sont pas plus particulièrement le lot des peuples sauvages, privés des soulagements de la science. Non, elles sont d’autant plus nombreuses que les hommes sont plus civilisés ; nos douleurs croissent avec nos connaissances, et nous ne pouvons augmenter notre somme de savoir sans accroître notre somme de douleurs ; nous apprenons à nous guérir, mais en même temps nous devenons sujets à plus d’infirmités. Est-ce à dire qu’il nous faille retournera la barbarie ? Non certes ; mais cela démontre encore mieux que, dans notre état normal, le développement continuel de nos facultés, nous sommes toujours plus exposés à des maladies dont les autres créatures, faites pour nous servir, sont comparativement exemptes. Mais poursuivons ce parallèle.

Que donnerait la terre à l’homme qui ne prendrait pas la peine de la cultiver ? des épines et des chardons. Si le roi du monde veut manger, il faut qu’il gagne son pain à la sueur de son visage. Il ne se fatiguera pas pendant une moitié de sa vie pour se reposer durant l’autre moitié. Non, il labourera, sa vie entière ; il travaillera chaque jour, s’il veut vivre le lendemain. S’il se permet quelque relâche, malheur à lui : il le paiera au prix de la faim. Si du moins ces occupations impérieuses et pénibles ne lui manquaient jamais ! Mais il ne peut pas se les promettre en tous temps : jeune, il n’est pas encore capable de les accomplir ; vieux, il ne l’est plus, et dans la force de l’âge il ne trouve pas toujours de l’ouvrage. Plus il y a de luxe autour de lui, plus il lui devient difficile de soutenir son existence ; ce qui semblerait devoir augmenter son bien-être tend à le diminuer. Est-ce à dire encore qu’il faille retourner à l’état sauvage ? Non sans doute ; mais cela démontre que dans la meilleure des conditions, la civilisation, notre sort est plus à plaindre que celui des êtres dispensés de ces pénibles travaux, si nous n’avons d’espérance que pour cette vie. Du moins, l’oiseau des airs ne travaille ni ne file ; il n’amasse rien dans les greniers, et toutefois il ne tombe pas à terre exténué de faim. Il se nourrit en jouant ; son pain est dans nos champs, son gîte sur nos arbres, son domaine dans l’espace sans fin ; la plus grande partie de sa vie, il se repose ou voltige, joue avec insouciance ou dort paisiblement ; et lorsque l’homme laboure avec peine, sème avec tristesse et moissonne avec sueur, l’oiseau chante dans les airs et vient prendre à loisir sa part du grain qu’il nous a laissé le soin de cultiver. Il est vrai que certaines classes d’animaux sont soumises à des travaux pénibles ; mais c’est encore par l’homme, qui ne peut pas même se suffire à lui-même, et cette exception ne fait que corroborer notre dire : qu’en général nous sommes obligés par la nature au travail dont la même nature dispense les êtres que nous nommons nos serviteurs.

Si du moins les avantages de ces êtres sur nous se bornaient à une vie longue, florissante et joyeuse, comparée à une vie courte, maladive et fatiguée ! Mais non ; notre infériorité la plus notable se trouve précisément dans la plus noble de nos facultés, celle que nous possédons seuls : la conscience.

Qu’on nous comprenne bien. Sans doute, en admettant une autre vie, la conscience est facile à expliquer ; mais rappelez-vous que nous sommes parti de la supposition contraire ; alors vous comprendrez que pour l’homme dont le tout est ici-bas, la conscience soit un fardeau insupportable, et qu’au lieu de nous donner une prérogative sur les êtres qui en sont privés, elle nous rende cent fois plus malheureux. Que me sert cette notion du bien et du mal ? Quels profits me reviennent des remords que j’endure dès que je veux suivre mes inclinations ? Qu’ai-je besoin de cette moralité, que j’admire sans l’atteindre ? Quel but ont toutes ces aspirations vers le beau et le saint qui s’élèvent dans mon cœur, si elles ne doivent pas aboutir à une autre vie ? Aucun ; et, limitées à ce monde, ce ne sont plus que des épines sans fruits pour mon bonheur. Le travail, du moins, me donne du pain ; la maladie elle-même me prépare les joies du retour à la santé ; mais la conscience, qui exige toujours sans jamais donner ; la conscience, qui me reproche le mal accompli dans les ténèbres comme celui fait en plein jour ; la conscience, qui me resserre entre ces deux haies d’épines : l’approbation des hommes et ma propre approbation, et qui ne me laisse pas sortir de cette voie étroite sans me faire sentir ses aiguillons, qu’est-ce que cette conscience sans un juge qui applique ses arrêts ? Qu’est-ce que la conscience renfermée dans cette vie ? un bourreau cruel, injuste, absurde, qui me torture sans profit, sans nécessité. Si du moins je pouvais m’en défaire en me plongeant dans l’incrédulité ! Mais non ; j’ai beau me persuader qu’il n’existe rien au-delà de la tombe, cette conscience reste attachée à sa victime. En vain je me dis qu’elle n’est qu’un préjugé, je ne puis m’en affranchir. Que je tombe et retombe dans le péché, je ne pèche jamais sans remords. L’incrédule avoué lui-même ne peut se débarrasser de l’importune. Cependant, si nous ne devons avoir d’espérance que pour ce monde, l’incrédule est dans la vérité ; en sorte que cet homme qui est dans le vrai souffre d’un mensonge qu’il ne croit pas ; et, chose étrange, il se fait gloire de suivre sa conscience, de lui sacrifier ses intérêts, c’est-à-dire qu’il s’incline devant un piédestal sans statue, qu’il respecte une loi sans tribunal, et conserve volontiers dans son sein le serpent qui empoisonne sa vie !

Ces tortures de la conscience sont-elles aussi le partage des animaux ? Non. Quand il ne s’agissait que des souffrances physiques, on pouvait dire que ces êtres y participaient avec nous ; mais les souffrances morales leur sont complètement inconnues. Qu’ils suivent leurs goûts, leurs passions les plus effrénées ; qu’ils dérobent, qu’ils tuent, ils n’en dormiront pas moins tranquilles. Jouir, jouir le plus possible, voilà leur seule pensée, pensée simple qu’aucun devoir ne vient comprimer. Pour eux, plus de tiraillements avant le péché, plus de remords après. Que dis-je, le péché ? il n’y a ni bien ni mal pour ces êtres ; il n’y a que des jouissances plus ou moins abondantes, mais toujours légitimes.

Enfin, la vie de ces êtres qui s’écoule sans remords, sans inquiétude, sans travail, est encore exempte des craintes du néant. Sans doute l’animal ressent la maladie, mesure le danger, mais rien ne réveille en lui les terreurs qu’inspire la perspective d’une fin dont chaque instant rapproche l’être le mieux portant. A sa dernière heure, pas plus qu’à son premier jour, la brute ne pressent sa mort ; elle jouit sans prévoir un terme à ses jouissances ; le présent lui semble garant de l’avenir, et si elle pouvait la concevoir, elle compterait dès ici-bas sur l’immortalité.

Est-ce là le sort de l’homme ? Hélas ! nous n’eussions pas songé sans doute à priser ce privilège de la brute si nous-mêmes n’en eussions pas été privés. Et remarquez bien que si les terreurs de la mort ne sont pas plus grandes chez vous qui parcourez ces lignes, c’est que sans doute vous avez une espérance plus ou moins vive dans un avenir. Mais représentez-vous l’homme tel qu’il devrait être si vraiment cette existence était son tout ; représentez-vous seulement un incrédule tel qu’on en trouve d’incomplets dans ce monde, et tâchez de vous figurer ce que doit jeter de tristesse sur sa vie cette longue perspective de la mort ! Quand il était jeune, bien portant, il pouvait l’oublier ; mais dès qu’il atteint un certain âge, lorsqu’il se trouve malade ou faible, voyez la pensée de sa fin venir comme un fiel amer empoisonner toutes ses jouissances. Il ne peut pas voir un vieillard, un moribond, un cadavre, sans se dire involontairement : Voilà ce que je serai un jour ; il ne peut échapper à un danger, traverser une maladie, sans songer qu’il aurait pu en mourir ; et quand il a pris toutes ses mesures et que toutes lui ont réussi, quand il est riche d’or et de santé, il faut encore qu’il se sente vieillir. Ces facultés qui baissent, ces mains qui tremblent, cette vue qui faiblit, tout lui crie : Tu peux mourir ! Ces douleurs plus fréquentes, ces cheveux blanchissants, ces joues amaigries, lui répètent : Tu dois mourir ! Il n’est pas jusqu’aux ombres de la nuit, aux feuilles de l’automne, aux ruines des édifices, qui ne disent et redisent à son imagination, toujours plus facile à troubler : Tu dois mourir ! Et je ne parle pas ici des terreurs du jugement qui, malgré lui, frappent plus ou moins tout homme ; non, je ne parle que de cette horreur croissante d’une mort certaine, chaque jour plus rapprochée, qui, d’après son aveu même, jette cet incrédule de la vie au néant ! Je parle de ces tressaillements involontaires qui le saisissent à la pensée que lui-même sera déposé dans cette terre froide pour y pourrir avec les planches de son cercueil ; pensée folle sans doute, mais pensée dont l’incrédule moins qu’un autre ne peut se défaire et qui le fait frémir.

Maintenant contemplez d’un seul regard cette existence de l’homme, courte, maladive, fatiguée parle travail, tourmentée par la conscience, assombrie par la perspective de la mort, et dites-nous si cette vie est plus heureuse que la vie longue, florissante, libre, insouciante, sans regret, sans remords, sans prévision, de la brute notre inférieure. Dites-nous si le Dieu puissant et bon, qui voulut évidemment vous faire le roi de ce monde, a pu vouloir en même temps vous donner cette infériorité sur les êtres, vos serviteurs. Dites-nous s’il est possible d’admettre une telle contradiction : d’un côté tant de grandeur, de l’autre tant de faiblesse ! de si hautes facultés intellectuelles et morales dans une vie si courte et si misérable ! Une telle royauté ne serait-elle pas une dérision ? Et pouvons-nous croire que le Créateur, qui par ses bienfaits terrestres montre qu’il s’occupe de nous par-dessus tout, veuille notre bonheur ? Pouvons-nous penser que ce Dieu soit resté si loin de son but envers sa créature privilégiée, tandis qu’il aurait comparativement dépassé ce but envers les autres êtres nos serviteurs ? Quoi ! la chair que je mange serait plus heureuse que l’être qu’elle est destinée à nourrir ? Non, non, il faut qu’il y ait quelque part une explication à cette énigme, et cette explication se trouve simple, belle, complète, dans la reconnaissance d’une vie à venir. Oui, une vie à venir ; dès lors tout est expliqué dans ce problème, tout reprend sa place dans ce chaos. La pensée d’une vie à venir jetée dans le monde moral l’éclaire, comme le soleil jeté dans l’espace éclaire le monde matériel ; et de même que Dieu a dit jadis : « Que la lumière soit ! » qu’il dise aujourd’hui : « Que l’éternité luise ! » et aussitôt les ténèbres spirituelles se dissipent, nos craintes cessent, nos douleurs sont des épreuves ; notre conscience nous éloigne du mal, nous pousse à la sainteté ; les terreurs de la mort nous conduisent à la foi, la maladie inspire la prière, le travail chasse l’oisiveté, mère du vice, lui-même père de la condamnation. La vie est courte ; mais qu’importe qu’un voyage soit court quand il se termine aux cieux ? Oui, notre destinée, misérable quand elle est enclose sur cette terre, devient belle, noble, quand elle a une perspective sur l’éternité. Même dès ici-bas, elle se grandit, se transforme et dépasse dès lors celle de tous les autres êtres. Avec une vie avenir je suis dès ce jour le contemporain de Dieu ; je le connais, je l’aime, je vis à ses côtés aux siècles des siècles, tandis que ceux dont tout à l’heure j’enviais presque le sort sont rentrés dans le néant. Je suis faible ici-bas ; mais je le sais, et la brute s’ignore ; je suis faible, mais comme l’arbrisseau destiné à devenir chêne ; je rampe, mais comme l’insecte qui se tisse une tombe pour renaître ailé et parcourir les airs ; ma petitesse est d’un jour, ma grandeur éternelle ; ma faiblesse est matérielle, ma force est morale ; la brute a des instincts, j’ai de l’intelligence ; elle a des penchants irrésistibles, j’ai des affections libres, et mes affections montent jusqu’à mon Créateur ! Oui, la vie à venir, voilà la clef d’or qui ouvre toutes les portes secrètes de la destinée humaine, et voilà pourquoi j’ai voulu, chers amis, mettre cette clef dans vos mains.

Une vie à venir… Mais que sera-t-elle cette vie ? La conscience, comme la Bible, nous déclarent également qu’elle ne peut être la même pour tous : pour ceux qui obéissent à cette conscience et à cette Bible, et pour ceux qui les méprisent. Dieu nous dit, dans sa Parole et dans notre cœur : « qu’il rendra à chacun selon ses œuvres ; la vie éternelle à ceux qui, persévérant à bien faire, cherchent la gloire, l’honneur et l’immortalité ; mais qu’il y aura en même temps de l’indignation et de la colère contre ceux qui sont contentieux, qui se rebellent contre la vérité et obéissent à l’injustice. » Or, vous qui me lisez et moi qui vous parle, avons-nous toujours persévéré à bien faire ? Ne nous sommes-nous jamais rebellés contre la vérité pour obéir à l’injustice ? Hélas ! la question n’a pas besoin d’être développée pour être éclaircie ; vous et moi nous avons fait le mal, et c’est sur vous et sur moi que tombe dès lors la condamnation. Triste découverte ! aussi triste que la révélation d’une vie avenir était joyeuse ! Mais, grâce à Dieu, nous avons encore un mot à ajouter, et si le simple raisonnement n’a pas pu nous conduire au-delà de la connaissance d’un avenir, heureux pour l’innocent, misérable pour le coupable, l’Évangile vient nous prendre à ce point, et nous enseigner qu’il y a pardon pour le pécheur repentant qui se jette humilié et confiant dans les bras de Jésus-Christ. Relevez-vous donc, mes frères un moment abattus ; relevez-vous et prenez courage, c’est le Fils de Dieu qui maintenant veut vous soutenir, vous porter ; pour tout dire, vous sauver de vos fautes, et qui, de ces deux perspectives ouvertes devant vous, désire fermer l’une, gouffre béant de souffrances sans fin, pour vous ouvrir l’autre, séjour radieux de gloire, de vie, de bonheur. Ne vous contentez donc pas d’espérer un avenir ; ce serait vous mettre en face d’un glaive à deux tranchants, l’un tourné vers votre ennemi, la mort, et l’autre tourné vers vous-mêmes ; mais avancez jusqu’à la foi, jusqu’à l’assurance du salut offert par Jésus-Christ, et là, là seulement, vous trouverez joie et sécurité.

Oui, joie et sécurité ; mais rappelez-vous que cette joie et cette sécurité, si elles sont réelles, si elles viennent de Dieu, doivent être fécondes et faire jaillir du sol de votre vie des fruits abondants de sanctification.

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