Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

39.
Être content de l’état où je me trouve

Or, je me suis grandement réjoui dans le Seigneur de ce qu’enfin vous avez fait revivre le soin que vous avez de moi ; à quoi vous pensiez aussi, mais l’occasion vous manquait. Je ne dis pas cela en raison de mon indigence ; car j’ai appris à être content de l’état où je me trouve. Je sais être humilié, je sais aussi être dans l’abondance ; partout et en toutes choses, j’ai appris à être rassasié et à avoir faim ; à être dans l’abondance et à être dans l’indigence ; je puis tout en Celui qui me fortifie.

(Philippiens 4.11-13)

« J’ai appris à être content de l’état où je me trouve, » disait saint Paul. Mais de nos jours qui est content de l’état où il se trouve ? presque personne, car presque tous s’efforcent d’en sortir.

On ne meurt plus où l’on est né ; la plupart abandonnent la profession de leurs pères ; bien peu gardent toujours la première choisie ; en tous cas, tous veulent, sinon changer, du moins grandir la leur, doubler leur fortune, arriver à un poste, acquérir une terre, vendre une maison, changer de place ; mais rester où il est et ce qu’il est, non, personne n’y consent ; tous, d’une manière ou d’une autre, montrent qu’ils sont mécontents de leur sort. Que faire pour les contenter ? Cherchons.

Prenons d’abord au hasard un certain nombre d’hommes, un dans chaque classe de la société ; et, puisque tous à peu près sont mécontents, engageons-les à échanger leurs positions. Mettez-vous de leur nombre et prenez la meilleure de toutes. Depuis ce changement êtes-vous plus heureux ? J’en doute, car vous êtes au poste qu’un mécontent a délaissé. Et celui qui maintenant occupe votre ancienne place est-il plus satisfait ? J’en doute encore, car vous l’avez volontiers abandonnée ; et des dix, vingt mécontents qui auront ainsi permuté, lequel cessera de se plaindre ? aucun, je pense, car chacun a pris la place d’un autre qui se plaignait. Le contentement que vous ne trouvez pas dans la position où vous êtes n’est donc pas mieux dans celle où vous désirez atteindre : seulement il faudrait que vous en fissiez l’expérience pour en être bien persuadés.

Non, le contentement n’est pas dans telle ou telle situation matérielle ; il se trouve dans telle ou telle âme : il y a des charbonniers satisfaits et des monarques mécontents. C’est là une de ces vérités si bien constatées que chacun les prêche aux autres, mais chacun se garde bien de les pratiquer. « Croyez-moi, dit-on, restez où vous êtes : on change souvent pour être plus mal ; on sait ce qu’on tient, on ignore ce qu’on prendra ; il faut savoir se contenter ; » et ce disant, le conseiller s’en va lui-même chercher fortune ailleurs. Si vous lui faites remarquer l’opposition qu’il met entre ses principes et sa conduite, il vous donnera mille bonnes raisons pour s’excuser. Pour lui c’est tout différent : il a de la famille, et il doit s’enrichir ; ou bien il n’en a pas, et alors il peut s’exposer. Il est jeune, donc il doit travailler à s’élever ; ou bien il est vieux, et il faut qu’il se hâte d’arriver. Supposez-le célibataire ou marié, riche ou pauvre, malade ou bien portant, il trouvera toujours un excellent motif dans les deux situations contraires pour arriver à cette conclusion : changer, car il est mal où il se trouve.

Peut-être pensez-vous que je parle uniquement des gens du monde ? Non, je parle aussi des chrétiens. Seulement ceux-ci donnent d’autres prétextes pour changer. L’un veut s’enrichir, dit-il, pour faire plus de bien ; l’autre, obtenir un poste pour exercer une influence religieuse ; un troisième poursuit une faveur qu’il prétend faire tourner à la gloire de Christ ; il n’y en a pas un qui veuille convenir qu’il désire changer pour lui-même, et tous mettent leur caprice, leur inconstance, leur ambition, leur manque de foi sur le compte de Dieu. Au moins l’homme du monde avouait sa vanité, son intérêt ; mais bon nombre de chrétiens n’empruntent à l’Évangile que le droit d’alléguer des motifs évangéliques qui manquent de sincérité. Dans quelle page de la Bible ont-ils trouvé qu’il fût plus facile d’entrer dans le royaume des cieux assis sur un trône que dans une chaumière, ou que les abondantes aumônes du riche fussent plus agréables à Dieu que l’obole du pauvre ? Non, l’Évangile a dit précisément le contraire ; n’importe, ces chrétiens veulent servir Dieu à leur fantaisie, et pour cela changer de position ; tant il est vrai qu’ils cherchent un mieux pour eux-mêmes, et que dans leur état actuel ils se trouvent mécontents.

Quand donc se laissera-t-on persuader que l’état où l’on se trouve vaut autant et mieux que celui qu’on poursuit ? Hélas ! je crains que pour un grand nombre ce ne soit que lorsqu’ils en auront fait et refait l’expérience. Heureux celui qui n’attendra pas d’avoir parcouru le cercle de toutes les situations possibles dans sa sphère pour borner son ambition ! Heureux surtout s’il n’aspire pas à un de ces buts inaccessibles dont la vaine contemplation pendant toute sa vie dévorera la meilleure partie de son temps, de ses forces, de sa fortune ! Mais plus heureux encore, si, profitant des expériences de ses pères, écoutant la voix de saint Paul, croyant à l’Évangile, il apprend par la foi chrétienne à se trouver dès cette heure, et pour toujours, content de l’état où il se trouve.

Vous l’avez dit cent fois vous-mêmes, le contentement ne saurait naître des circonstances extérieures, qui, favorables ou non, se transforment si bien en habitudes que nous n’en sentons bientôt plus ni la douceur ni l’amertume. Le contentement est une affaire morale qui se passe au dedans ; c’est une disposition d’âme qui peut appartenir au roi comme au mendiant. Mais où puiser ce contentement d’esprit ? Saint Paul vous répond : en Christ ; car « Je puis tout, dit-il, par Christ qui me fortifie. » Christ d’abord vous guérira de votre vanité, de votre luxe, de votre ambition, de vos craintes pour l’avenir, de vos appréhensions pour votre famille. En vous débarrassant de ces superfluités, Christ vous retranchera toutes les dépenses d’or, de temps, de fatigue qu’elles amènent ; la même fortune suffira à des besoins diminués, la même intelligence à des affaires restreintes, la même prévoyance à votre avenir, remis aux soins de la Providence ; et ainsi déchargés de tant de préoccupations, vous posséderez assez pour fournir au nécessaire ; vous serez paisibles, confiants, satisfaits.

Oh ! si nous avions tout l’argent qu’ont absorbé notre luxe, nos plaisirs charnels, nos fausses et ambitieuses spéculations ! Oh ! si nous avions toutes les heures qu’ont dévorées nos inquiétudes, toute la santé qu’ont détruite nos péchés, certes nous serions aujourd’hui plus riches, plus paisibles, plus joyeux ; peut-être nous semblerait-il alors que Dieu nous avait donné assez de provisions pour traverser la vie, et que c’est nous qui les avons gaspillées en chemin. Ouvrons donc les yeux, il en est temps encore ; retranchons de notre vie, par la force de Christ, ces passions qui nous ont tant coûté dans le passé, et nous nous préparerons un meilleur avenir.

Mais alors même que Dieu nous laisserait dans la position étroite où nous sommes, serait-ce un motif pour nous plaindre ? Si nous allons puiser nos forces en Christ, dans la lecture de sa Parole, dans la prière faite en son nom, n’apprendrons-nous pas qu’un passereau ne saurait tomber à terre sans la volonté de notre Père céleste, que tous nos cheveux sont comptés, et qu’ainsi notre état, quel qu’il soit, est permis de Dieu ? N’apprendrons-nous pas que si Dieu nous y retient, c’est qu’y rester nous est bon ? Dès lors n’apprendrons-nous pas à vouloir ce que Dieu veut, à marcher la main dans la sienne, même au bord d’un précipice, confiant en sa puissance et sa bonté, sachant que cette épreuve même nous fortifie pour mieux marcher ? Certainement ; et alors cherchant le sens de cette volonté divine, expliqué par notre position elle-même, nous le trouverons ; nous serons heureux de le comprendre et heureux d’obéir : car notre maître ne sera plus une aveugle destinée, mais un père tout bon, un Dieu tout-puissant.

Allez plus loin. Admettez que votre position pénible se prolonge, même que votre mal soit incurable ; n’apprendrez-vous pas en Christ que le terme de tous les maux est proche, et qu’une santé inaltérable, une vie sans fin, un bonheur sans trouble, vous attendent à deux pas ? Ah ! quelle différence, à cet égard, entre vous, chrétiens, et l’incrédule ! La pensée qui vous calme le trouble. « Mes maux font finir, pouvez-vous dire, et mes joies commencer. » « Mes maux vont finir, doit-il penser, et mon néant leur succéder. » « Souffrir et mourir ! » dit-il ; et vous : « Souffrir et vivre ! » « De mon lit de souffrance je tombe dans la terre, » s’écrie l’incrédule ; et vous : « De mon lit de douleur je monte dans les cieux ! » Aussi, dès ici-bas, pour lui des terreurs, pour vous du calme ; pour lui le désespoir, pour vous l’espérance, la foi, le bonheur.

Mais, hélas ! je sens qu’ici la parole ne saurait me suffire ; je suis impuissant à retracer le contentement intérieur que donne Christ. C’est là ce qui se sent, mais ne peut se dire ; c’est là ce qui ne s’exprime que par ces soupirs inexprimables du Saint-Esprit. Je sais bien que par Christ je suis calme, même au milieu de la tempête ; que les événements imprévus ne peuvent me surprendre, ni les volontés humaines m’effrayer ; je sens bien qu’il est doux de se laisser voguer sur un bâtiment dont Dieu tient le gouvernail ; de pencher à droite, à gauche, en avant, en arrière, sous les flots agités, quand on sent Jésus sur la barque ; j’éprouve tout cela ; mais comment vous le dépeindre ? impossible ! Et c’est là ce qui me prouve encore mieux que ce contentement me vient de Christ ; car un homme n’aurait pu me le donner. Je trouve bien de la joie à m’humilier devant Dieu, à embrasser la main qui me frappe ; j’ai bien expérimenté que les épreuves étaient bonnes pour mon âme, et qu’il y avait de la saveur jusque dans la fatigue qu’un bon maître m’imposait ; j’éprouve bien qu’il y a plus de bonheur pour moi à vivre pauvre et ignoré près de Dieu qu’au milieu des hommes, riche et honoré. Mais comment voulez-vous que je vous décrive des joies spirituelles, indicibles, célestes ? Non, cela m’est impossible, et j’adore en silence l’Auteur de tant de félicité, trouvant dans mon impuissance même un indice de plus que c’est bien Christ et non la parole humaine qui me fortifie.

Aussi, lecteur, me suis-je dit souvent qu’au lieu de vous envoyer des exhortations, j’aurais dû prier mon Dieu pour vous faire plus de bien, et cette pensée m’est revenue plus vive quand j’ai voulu parler d’une de ces expériences du Saint-Esprit que le Saint-Esprit seul explique ; j’ai continué à vous adresser la parole, dans la persuasion que ce serait précisément dans ma faiblesse que Dieu se plairait à manifester sa force, et que je puis tout par Christ, qui me fortifie.

Venez donc à mon secours, non plus en lisant seulement ces lignes, mais en priant vous-même l’Esprit Saint de vous faire comprendre ce que j’ai voulu dire plus encore que ce que je vous ai dit. Que ma faiblesse vous profite à vous-même ; dites-vous qu’il y a quelque chose de divin dans cet Évangile, puisque l’homme ne saurait le communiquer, et allez demander directement à Dieu une pleine intelligence de ces paroles : « J’ai appris à être content de l’état où je me trouve. »

Là, paisiblement assis en face de ce livre, peut-être goûtez-vous, lecteur, les pensées que je viens de jeter dans votre esprit ; mais dans une heure, dès que vous serez sorti du calme de la méditation pour rentrer dans le bruit du monde, dès qu’une contrariété, petite ou grande, sera venue vous barrer le passage, votre âme ne risque-t-elle pas de se troubler ? Songez-y ! Ce n’est pas à certains moments, c’est toujours que saint Paul sait être content de l’état où il se trouve.

Peut-être demain, mécontent de votre sort, direz-vous qu’il est décidément trop rude pour se faire accepter ; peut-être direz-vous que vous eussiez soutenu l’épreuve jusqu’à tel point ; mais qu’au degré de violence où elle est parvenue, elle dépasse vos forces. Prenez garde ! C’est dans la faim, la nudité, la misère, que saint Paul sait encore se contenter. Si vos épreuves dépassent vos forces, elles ne dépassent pas les forces de Christ, où vous devez puiser. Paul n’a pas dit : « Je puis tout par moi-même, » mais : « tout par Christ, qui me fortifie. »

Enfin, remarquez qu’il ne s’agit pas de vous résigner, mais d’être content ; non d’accepter votre sort, mais de vous en réjouir. L’incrédule lui-même courbe la tête sous la fatalité ; mais le chrétien seul peut lever des yeux mouillés de larmes vers Dieu pour le bénir ! « Soyez toujours joyeux, » dit ailleurs le même Apôtre ; car toujours, partout et en toutes choses, il y a du bien pour nous, si nous savons l’y chercher. Chrétiens pardonnés, enfants de Dieu, frères de Christ, nous ne sommes plus des coupables devant un juge, des patients en face d’un échafaud, mais des amis d’un Dieu, des héritiers de son royaume, des rois ses parents, qui devons régner éternellement à ses côtés. Les souffrances qu’il nous envoie dans ce monde ne sont donc pas pour nous des punitions, mais une heureuse discipline nous préparant à plus de félicité. Courage donc, joie, prière et actions de grâces au Dieu qui change ainsi pour nous la faiblesse en force, l’épreuve en jouissance, et qui brise le flot de nos tribulations terrestres contre l’inébranlable rocher de notre confiance en lui pour cette vie et pour l’éternité. Regardez à Paul, malade à Milet, persécuté à Ephèse, emprisonné à Jérusalem ; à Paul, si pauvre qu’il travaille la nuit, si méprisé qu’il est repoussé de la synagogue comme de l’aréopage ; à Paul, battu de verges, meurtri de pierres, mis en jugement, naufragé, traînant des fers pendant deux ans dans les rues de Rome, et toujours content de l’état où il se trouve ! Regardez à Jésus, conspué par des valets, abandonné du peuple, suivi par Judas ; à Jésus, sans un lieu pour reposer sa tête, entouré de pièges, vivant, lui saint, au milieu d’une race perverse, et cependant possédant toujours son âme par la patience ! Regardez à Job, privé de sa fortune, de sa famille, de sa santé, et disant encore : « L’Éternel l’avait donné, l’Éternel l’a ôté ; que son nom soit béni ! » Mais aimez-vous mieux regarder un peu plus tard à la vie du même patriarche et à ses blasphèmes ? Eh bien, écoutez la réponse de Dieu par la bouche d’Elihu : « Me condamneras-tu pour te justifier ? » Regardez les Israélites, nourris de la manne du désert, abreuvés de l’eau du rocher et murmurant contre Dieu jusqu’à l’heure où des serpents font taire les plaintes de l’ingratitude pour arracher les cris d’une véritable douleur.

Ces exemples d’épreuves acceptées avec joie et de mécontentements punis avec sévérité dans la Bible restent-ils sans effet sur vous ? Regardez donc à vos côtés, et vous verrez des misères cent fois plus profondes que les vôtres, et que vos plaintes vous ont cent fois plus méritées qu’à ceux qui les endurent ! Ah ! ce qui vous manque pour être contents, ce n’est pas un plus grand bien-être, mais à vous une maladie sévère, qui vous fasse apprécier la santé dont vous jouissez ; à vous la perte d’un second être bien-aimé, pour vous faire sentir le prix de ce qui vous reste aujourd’hui de douces affections. Prenez garde que vos murmures continuels ne réveillent pas l’indignation du Dieu qui vous laisse encore tant de bienfaits dédaignés.

Oh ! non, Seigneur, qu’il n’en soit pas ainsi ; ouvre nos yeux sur les biens dont tu nous entoures ; fais-nous sentir le danger de ceux dont tu nous prives, et que nous apprenions enfin à te dire : « Nous sommes contents de l’état où tu nous laisses ; disette ou abondance, que ton nom soit béni ! »

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