Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

41.
Apprenez de moi qui suis doux et humble de cœur

Chargez-vous de mon joug, et apprenez de moi, parce que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez du repos pour vos âmes.

(Matthieu 11.29)

« Apprenez de moi, qui suis doux et humble de cœur. » – Qui parle ainsi ? – C’est le Fils de Dieu ! le Fils de Dieu humble ! Ces deux mots rapprochés étonnent et remuent l’âme. Qu’une créature s’humilie, on le conçoit ; mais que le Créateur soit humble, c’est ce qu’on n’eût pas attendu ; toutefois, c’est ce qui réjouit. En l’apprenant, on ose s’approcher de lui, écouter ses paroles et aspirer à devenir son disciple, quelque petit qu’on se sente.

« Je suis humble de cœur ! » Cette déclaration si touchante de Jésus se trouve bien justifiée par sa vie. Naître dans une crèche, mourir sur une croix, habiter chez un charpentier, vivre avec des péagers, instruire le peuple, évangéliser les pauvres, et, pour mettre le sceau à cette conduite, laver de ses mains les pieds de ses disciples, certes, il était difficile de mieux vérifier ces mots : « Je suis humble de cœur. »

Si le maître, Fils de Dieu, est humble, comment les disciples, fils des hommes, ne le seraient-ils pas ? Sur tout autre point, je comprendrais que les serviteurs puissent dire qu’ils ne sauraient égaler le Seigneur ; mais lorsqu’il, s’agit de s’humilier, ne devront-ils pas le surpasser ? Si Christ se fait petit, les chrétiens ne se coucheront-ils pas dans la poussière ? Aussi Paul, jadis orgueilleux pharisien, s’est-il dit, en devenant chrétien, le plus petit des Apôtres, le plus grand des pécheurs, un misérable avorton. Aussi Pierre, autrefois si bouillant, si téméraire, s’est-il déclaré indigne, après sa conversion, et des honneurs de Corneille et de l’admiration de la foule juive. Aussi Jacques, parent de Jésus selon la chair, s’est-il nommé, une fois converti, serviteur de celui qu’il aurait pu nommer son frère ; enfin tels les chrétiens se sont-ils montrés dans tous les siècles jusqu’à nous… Mais nous, nous-mêmes, sommes-nous humbles ? et, à ce titre, sommes-nous chrétiens ? c’est ce qui vaut la peine d’être examiné. Permettez-moi donc, dans vos intérêts, de vous adresser quelques questions à haute voix, qu’intérieurement je m’adresse à moi-même.

Avez-vous de l’humilité ? Et d’abord avez-vous jamais eu la pensée que peut-être vous n’en aviez pas ? Un chrétien avancé a dit : « La véritable humilité consiste à reconnaître que l’on n’est pas humble. » Êtes-vous ainsi disposé à vous accuser d’orgueil et à en gémir devant Dieu ? Vous êtes-vous jamais dit que peut-être vous n’étiez pas un vrai disciple de Jésus, et que, bien que reçu devant les hommes au baptême et à la Cène, peut-être vous n’étiez pas encore converti par le Seigneur ? Avez-vous jamais admis la possibilité que vous fussiez condamné au dernier jour, vous, vous-même ? Ou plutôt votre conduite ne vous rassure-t-elle pas contre une telle crainte, et ne pensez-vous pas que certainement vos bonnes qualités vous garantissent de l’éternelle condamnation ? Quand du haut de la chaire chrétienne tombent des censures sur l’auditoire dont vous faites partie, êtes-vous disposé à les accepter pour vous-même ? Vous dites-vous : Ce pécheur qu’on dépeint, c’est moi ; ce caractère qu’on décrit, c’est le mien ; c’est moi qui suis vaniteux, c’est moi qui suis égoïste, c’est moi qui oublie mon Dieu ? ou bien, au lieu de songer à tourner contre vous les paroles du prédicateur, ne les appliquez-vous pas à vos voisins, ne cherchez-vous pas et ne trouvez-vous pas dans votre mémoire tel homme qui ressemble au portrait qu’on a fait, et n’allez-vous pas jusqu’à regretter qu’il ne soit pas là pour se reconnaître, tandis que c’est peut-être sur vous que le modèle a été pris ? Vous défiez-vous de vous-même, de vos pensées, de votre intelligence, de votre capacité ? Écoutez-vous volontiers, et suivez-vous souvent les conseils de vos frères ? Ne les demandez-vous pas quelquefois seulement pour les réfuter et suivre ensuite vos propres idées ? Les jugements du monde à votre égard vous sont probablement quelquefois revenus ; les avez-vous trouvés trop sévères ou trop indulgents ? Vous croyez-vous meilleur ou pire que les hommes ne vous jugent ? et s’ils vous blâment, ne croyez-vous pas avoir raison envers et contre tous ? Quand vous parlez de vous, ne vous étudiez-vous pas dans vos paroles pour en donner l’opinion la plus avantageuse ? N’êtes-vous pas embarrassé parfois par le désir d’en dire du bien sans que cela paraisse ? Ne prenez-vous pas mille détours pour parler de vos biens, de vos talents, de vos vertus ? N’êtes-vous pas le centre de vos conversations ? Vos discours ne commencent-ils pas habituellement par vous, et ne finissent-ils pas encore par vous ? Pour vous grandir dans l’esprit de ceux qui vous écoutent, n’allez-vous pas jusqu’à employer le langage de l’humilité, jusqu’à repousser les éloges pour vous les faire répéter, jusqu’à vous abaisser en apparence pour vous faire rehausser ? Que sais-je encore ? Ne vous accusez-vous pas pour qu’on vous justifie ? Ne vous dépréciez-vous pas pour qu’on vous encense ? Si ceux qui vous écoutent étaient assez naïfs pour vous croire sur parole et vous blâmer de concert avec vous-même, ne seriez-vous pas irrité contre eux et ne finiriez-vous pas par prendre votre défense ? Pour tout dire, en un mot, votre humilité même n’est-elle pas encore de l’orgueil ? O abîme du cœur humain ! qui te sondera ? Cher lecteur, je m’arrête, et résume mes mille questions en une : Avez-vous l’humilité du chrétien ? Et si elle vous manque, reconnaissez donc que vous n’êtes pas disciple de Celui qui a dit : « Je suis humble de cœur. »

Mais peut-être, pour vous séduire, votre cœur vous dit-il : Si tu n’as pas ce trait de ressemblance avec ton Maître, tu en as d’autres qui te rendent son disciple et tu peux prendre encore le titre de chrétien. Cher lecteur, quelque rude que puisse vous paraître ma réponse, je dois la faire : non, sans l’humilité il n’y a pas de chrétien. L’humilité est la porte du Christianisme ; il faut passer par là pour arriver au Sauveur. Je dis plus : si vous n’êtes pas humble, vous ne devez pas désirer un Sauveur, et ce n’est que par un abus de mots que vous réclamez Jésus-Christ. Savez-vous ce qu’il faut pour réclamer un Sauveur ? Il faut se sentir perdu, condamné ; complètement perdu, complètement condamné ; il faut pouvoir dire de soi avec sincérité ce que saint Paul disait de lui-même : « Je suis charnel, il n’y a point de bien en moi ; je suis esclave du péché ; qui me délivrera de ce corps de mort ? Il faut que, comme l’Apôtre, vous soyez non seulement prêt à reconnaître cela dans le secret de votre cœur, mais que comme lui vous éprouviez le besoin de le dire à qui veut l’entendre, de l’écrire comme lui dans toutes vos correspondances. Il faut que vous acceptiez pour vous ce qu’il dit pour tous les hommes : « C’est qu’il n’y a pas un seul juste ; que vous êtes un enfant de colère ; que vous êtes entièrement privé de la gloire de Dieu. » Ces aveux vous coûtent-ils à faire ? avez-vous peine à laisser tomber sur vous de telles accusations ? soit ; mais alors avouez que vous croyez valoir quelque chose ; avouez que vous n’avez pas besoin de Sauveur et que vos vertus vous ouvrent le ciel. Soit, vous avez des mérites ; mais reconnaissez qu’ayant des mérites, vous n’avez pas besoin des mérites de Christ ; pour vous la croix est inutile, pour vous la bonne nouvelle du salut est superflue. Ne soyez donc pas étonné de vous entendre dire : Le Sauveur n’est pas pour vous ; vous n’êtes pas son racheté ; vous n’êtes pas de Christ ; vous n’êtes pas chrétien !

Mais non ; vous en êtes étonné, et même ces paroles vous blessent. Vous prétendez être chrétien, chrétien faible, mais enfin chrétien. J’y consens encore. Mais alors, si vous réclamez Christ pour votre Sauveur, avouez donc que vous étiez perdu et condamné ! Non, vous ne le voulez pas davantage, et toujours votre cœur se révolte contre cette nouvelle conclusion.

Voyez, cher lecteur, quelle lutte sans fin cet orgueil vous livre ! De quelque côté que vous vous retourniez, vous le trouvez le glaive à la main, vous défendant de faire un pas vers le salut. L’Évangile vous demande-t-il l’aveu de vos misères pour avoir part aux grâces d’un Sauveur : l’orgueil vous défend cet aveu ; vous vous redressez et vous dites : Je suis honnête homme. L’Évangile vous retire-t-il alors le Sauveur qui vous devient inutile, et vous refuse-t-il en conséquence le nom de chrétien : l’orgueil se révolte et réclame ce nom comme un titre de gloire ; en sorte que vous tournez et retournez en vain pour sortir d’un cercle de fer dont cet orgueil vous étreint de toutes parts. « Veux-tu le Sauveur ? avoue donc ta misère ; » et l’orgueil ne veut pas cet aveu ! « Repousses-tu ce salut de Christ ? abandonne donc le nom de chrétien ; » et l’orgueil ne veut pas cet abandon ! C’est l’enfant opiniâtre qui veut une chose impossible ; c’est l’avare absurde qui ne veut lâcher ni d’une main ni de l’autre ; c’est l’homme en délire qui court à la rencontre d’un précipice, et qui pour ne pas voir le danger se couvre les yeux des deux mains ! Ou plutôt cet orgueil est semblable à ces maladies de notre corps qui ne permettent à personne de nous toucher sans nous faire souffrir ; c’est encore cette susceptibilité nerveuse excessive qu’irritent le moindre bruit et le contact le plus léger ; c’est enfin cette lèpre hideuse qui couvre l’homme de la tête aux pieds et qu’aucun remède humain ne saurait guérir.

Lecteur, il faut enfin choisir, renoncer à votre propre estime et accepter Jésus pour Sauveur, ou bien garder votre estime et vous sauver vous-même. Il y a contradiction à prétendre se bien porter et appeler en même temps le docteur. Ce ne sont pas les quatre-vingt-dix-neuf justes, mais le pécheur que Jésus est venu sauver ; ce n’est pas le scrupuleux Simon, c’est Madeleine la pécheresse qui fut pardonnée ; ce n’est pas le pharisien rendant grâce de ses vertus, c’est le péager se frappant la poitrine qui s’en retourna justifié ; ce n’est pas aux intelligents, mais aux petits que Dieu se révèle ; ce ne sont pas les sages, mais les pauvres d’esprit que Jésus déclare bienheureux ; et tandis que Golgota tremble sous les pieds des sacrificateurs orgueilleux, un brigand humilié pénètre avec Jésus dans le paradis. Choisissez donc : ou de vous abaisser pour être élevé par la grâce, ou de rester monté sur le sable mouvant de vos vertus pour être englouti avec elles dans le gouffre de la condamnation. Jésus n’appelle à lui que ceux qui sont fatigués et chargés ; il ne peut soulager que ceux qui souffrent, ne venir qu’auprès de ceux qui l’appellent ; et pourquoi l’appelleriez-vous si vous ne succombez pas sous le poids de vos péchés ? Pourquoi mendieriez-vous le médecin si vous estimez être en bonne santé ?

Humiliez-vous donc sous la puissante main de Dieu, non pas en paroles, non pas en théorie, non pas seulement à la minute où je vous parle, ou quand vous lisez la Bible, ou quand vous serez à genoux en prière ; mais humiliez-vous réellement, en toutes choses, pour toujours, et que votre humilité pénètre si bien votre cœur que votre vie en soit toute baignée aux yeux mêmes de ceux que jadis irritait votre orgueil. Si votre humilité est telle que les hommes ne puissent s’en apercevoir, soyez bien sûr qu’elle est fausse ; car Pierre nous dit : « Parez-vous d’humilité, » et une parure frappe tous les yeux.

Chose remarquable, cette humilité, qui semblait n’avoir d’autre but que de nous ouvrir le ciel, se trouve faire notre bonheur sur la terre. « Apprenez de moi, dit Jésus, qui suis humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. » Oui, l’humilité de cœur nous donnera la paix de l’âme, et les raisons en sont faciles à saisir. Un de nos efforts les plus pénibles ce n’est peut-être pas de lutter contre le péché, mais de nous déguiser à nous-mêmes le mal que nous avons accompli, de le farder jusqu’à ce qu’il nous paraisse le bien, et comme notre conscience résiste, il s’ensuit une guerre intérieure, incessante et terrible. Mais du moment que l’humilité nous arrache enfin l’aveu de nos torts et que nous n’avons plus le désir de nous abuser sur notre compte, cette guerre prend fin, et la paix, pénètre et s’établit dans notre âme.

Ce premier résultat est encore bien petit comparé au second : L’humilité, en nous arrachant l’aveu de notre indignité, conduit au salut offert par Jésus aux cœurs brisés et repentants. Alors tous ces mots évangéliques de grâce, de pardon, toutes ces promesses chrétiennes de péchés effacés, de dons du Saint-Esprit, d’assurance de vie éternelle ; ces mots et ces promesses qui pendant le règne de notre orgueil n’avaient pas eu de sens pour nous, s’illuminent pour notre cœur humilié, et deviennent pleins de douceur et de force ; maintenant ils pénètrent jusqu’à la moelle de nos os, non comme une épée, mais comme un baume qui calme, réjouit et donne la paix de l’âme. A cette heure, l’aveu du mal nous fait croire au remède ; la foi vivifie sous nos yeux le Sauveur ; nous le voyons, l’entendons, le touchons dans le récit, pour nous devenu palpitant, de son admirable vie ; et ce qui n’était jadis pour notre esprit qu’une abstraction, est devenu à cette heure la plus douce des réalités pour notre cœur.

Ce n’est pas tout : cette humilité nous donne encore la paix de l’âme devant les hommes comme devant Dieu. Le maître le plus tyrannique, c’est bien l’opinion du monde, qui dès lors nous devient indifférente. Les traits de ses moqueries tombent à nos pieds sans nous atteindre, la fièvre du désir de lui plaire nous abandonne, et nous restons calmes. Ses mépris ne font plus trembler, ni ses éloges battre ce cœur, jadis son esclave. Maintenant nous nous appartenons, car nous nous sommes donnés au Seigneur, dont la volonté et la nôtre ne font qu’une. Pauvre monde, parle, crie, tempête contre moi ; l’écume de tes flots de colère n’atteindra pas mes pieds ! Je te plains, mais tu ne m’irrites pas, et je reste paisible et heureux, car Jésus m’a délivré de ton intolérable tyrannie. Je le sais, je suis pécheur ; en me le disant, tu ne m’apprendras rien, en me le répétant, tu ne m’aigriras pas ; je l’ai déjà reconnu, et Christ avec son pardon m’a donné la paix de l’âme.

Le chrétien est-il donc complètement affranchi du joug de l’orgueil ? Non, nous ne le prétendons pas ; du moins il ne l’est pas dès le premier jour de son humiliation. Mais ce que nous affirmons, c’est qu’il est impossible qu’un homme qui se reconnaît coupable devant Dieu, injuste envers ses frères, impur en lui-même, et qui confesse qu’il ne peut échapper à la condamnation que par l’effet d’une grâce ; il est impossible que cet homme s’enorgueillisse comme par le passé : car c’est un esclave affranchi, et son nom d’affranchi lui-même montre qu’il fut jadis esclave. Le chrétien qui s’enorgueillirait déchirerait son titre de chrétien. Sans doute le démon de l’orgueil pourra bien relever la tête de loin en loin dans les champs de sa vie ; mais ce chrétien le combattra, l’écrasera de son pied ; et s’il ne remporte pas sur lui une complète victoire, du moins il l’affaiblira dans chaque lutte, jusqu’à ce que son adversaire mourant n’ose plus se montrer.

Oh ! quel soulagement pour l’âme que de jeter à terre, entier, subitement, ce fardeau de prétentions orgueilleuses ! Quel repos de n’avoir plus à plaire aux hommes capricieux, méprisables ! Quelle paix dès qu’on s’est dit : Je n’ai plus qu’un maître, c’est Jésus, humble de cœur ; qu’une charge, son fardeau léger ; qu’une règle, son joug facile. Il ne me demandera jamais rien d’impossible ; au besoin mes bonnes intentions seront à ses yeux de bonnes œuvres ; et si je n’ai pas davantage, ma simple pite, mon verre d’eau froide, mon soupir inexprimable, lui suffiront. Je l’aimerai dans le silence et je lui obéirai humblement. Si j’échoue, je recommencerai sans honte ; je poursuivrai sans hâte et sans fatigue sa douce volonté ! Mon Dieu, mon Dieu, donne-moi, non pas de l’or, non pas de la gloire, mais beaucoup d’humilité ! de cette humilité, baume de la vie, paix de l’âme, joie secrète, vie cachée en Christ, maître doux et humble de cœur.

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