Élans de l’âme vers Dieu

5. La prospérité

Que tu es bon pour moi, Seigneur, et moi combien je suis ingrat envers toi ! Je jouis de la santé, et tant d’autres souffrent ! J’ai du pain, et tant d’autres ont faim ! Des parents, des amis m’affectionnent, et tant d’autres sont orphelins, veufs, délaissés ! Cependant, qu’ai-je fait pour mériter tous ces biens ? comment ai-je acquis tes bienfaits ? qu’ai-je accompli de mieux que ces malades, ces pauvres, ces orphelins ? pourquoi ne sont-ils pas à ma place et moi à la leur ? Toutefois, je reçois tes faveurs signalées comme chose toute ordinaire ; comme si tu me les devais. Si le moindre nuage s’élève sur le soleil brillant de tes grâces, je me récrie ; il semble qu’on me dérobe ce qui m’appartient ; heureux encore quand mes murmures ne s’élèvent pas jusqu’à toi. Si tu ramènes la sérénité dans le ciel de ma vie, mes plaintes se calment ; mais, hélas ! mon cœur ingrat ne pense pas qu’il te doive de la reconnaissance. Ta protection lui semble une juste récompense. Oui, c’est moi que j’applaudis du bien que tu me fais ; Seigneur, es-tu donc partial : prodigue envers moi ? dur envers les malades, les pauvres et les orphelins ? Non, Seigneur, mais tu bénis et éprouves aussi bien par la souffrance que par la prospérité ! et ces douleurs, cette misère, cet abandon, que je redoute, seront peut-être nécessaires demain pour amollir mon cœur, ouvrir mes lèvres en prière, et m’obtenir des biens meilleurs encore que ceux dont je jouis : si tu me retires la matière, c’est pour me donner l’Esprit ; si tu m’ôtes la terre, c’est pour me donner le ciel. Et peut-être, Seigneur, cette prospérité temporelle où tu me plonges à cette heure, loin d’être un témoignage de ton approbation, n’est-elle qu’une épreuve de ta part ; peut-être veux-tu savoir jusqu’où je pousserai l’ingratitude, la paresse, la désobéissance ! Oh ! Seigneur, cette pensée m’épouvante ! elle est juste, sans doute, et c’est toi qui me la donnes ; c’est ton premier avertissement ; fais que j’en profite, et ne permets pas que je m’endurcisse, précisément par l’abondance des dons destinés à te gagner mon cœur.

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