Élans de l’âme vers Dieu

98. Ruses du cœur

Mon Dieu, que je suis habile à me séduire moi-même, à colorer ma conduite, à excuser mes fautes ; habile à trouver des motifs pour me dispenser d’un devoir, pour justifier un retard, jusqu’à ce qu’enfin je puisse le supprimer. Habile, hélas ! jusque dans les aveux que je te fais, où je cherche peut-être une compensation au bien que je ne fais pas ! A l’heure de l’action, je trouve de bonnes raisons pour me dispenser d’agir ; à l’heure de la prière j’en trouve de bonnes pour m’accuser, et, de tout, je fais des armes pour me justifier ! Il me semble, à cette heure, que l’obéissance me sera facile ; vienne l’instant d’obéir, et mes mains redeviendront lâches comme par le passé ; ma langue redeviendra timide pour ta cause, hardie pour la mienne, et toujours, toujours je retomberai dans l’ornière du péché.

Mon Dieu, réveille donc ma conscience, non pas seulement dans le recueillement, mais au milieu du monde, et avant l’action. Délivre-moi de ces prétextes, de ces ruses, de cette lâcheté que je nomme modération, prudence, sagesse, et dont je m’applaudis quand je devrais m’en humilier. Donne-moi d’être fidèle dans les plus petites choses, dans cette multitude de détails qui remplissent la vie. Réprime mes paroles vaines où légères ; arrache-moi des paroles courageuses devant le pécheur et l’incrédule. Donne-moi, non-seulement le désir, mais la force d’agir ; donne-moi l’action elle-même, pousse-moi, contrains-moi d’entrer dans le champ de travail ouvert de tous côtés, et de tous côtés délaissé ! Oui ! Seigneur, rends-moi sincère avec moi-même, que je me juge, comme je juge si bien les autres ; que je ne me paye plus de mois, de projets, de désirs, toujours avortés ; que je ne mente plus à ma conscience, et que j’attende, pour me réjouir, d’avoir accompli ce que j’ai contemplé.

Seigneur, avant de te laisser aller, je voudrais te demander un secret pour réaliser ce que je désire ; mais n’est-ce pas encore une ruse de mon cœur ? N’est-ce pas encore de la paresse, que ce désir d’avancer sans fatigue, cette ambition de vaincre sans combat ? Oui, Seigneur, je le crains ; je m’humilie encore, et je veux me souvenir de cette parole de ton Fils : « Veillez ! »

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