Élans de l’âme vers Dieu

106. Les deux faces de la religion

Mon Dieu, pourquoi donc ai-je tant de peine à m’élever vers toi ? pourquoi me faut-il des efforts pour méditer sur ton ciel ? et pourquoi, quand ton Saint-Esprit m’y transporte, ai-je tant de peine à m’y maintenir ? Ce n’est pas que je répugne à m’occuper des choses qui regardent le salut ; non, mon esprit se dirige volontiers vers ce point. Mais je retombe toujours sur moi-même et sur mes péchés ; toujours sur le monde et ses misères. Je puis contempler longtemps, avec humiliation, les plaies de mon cœur ; mais je puis à peine m’élever à la contemplation des joies célestes ! Je puis me frapper la poitrine ; mais non te rendre grâce ; la religion est pour moi comme ces vastes nuées qui séparent le ciel de la terre : je la regarde d’en bas, elle me semble triste, humaine ; elle réfléchit le monde ; je ne sais pas me transporter de l’autre côté de la nue, inondé de la lumière du soleil et regardant les cieux. C’est la même nuée, c’est la même religion ; mais vue sous sa face humaine ; ma foi est trop faible pour me porter plus haut ; mes misères sont trop grandes pour pouvoir les oublier ; et mes liens terrestres trop pesants pour n’en être pas accablé. Si j’essaye de parcourir les méditations où mes frères s’élèvent à une grande hauteur, j’ai peine à les suivre ; je me prends à douter de leur propre élévation, et j’aime mieux les accuser d’avoir dépassé la hauteur de leur sentiment par la hauteur de leurs expressions. Ma faiblesse me rend-elle injuste ? ou bien mes frères sont-ils aussi misérables que moi-même ? Je ne sais ; mais je sais bien que j’ai honte d’être aussi terrestre, de ne pas m’élever plus souvent jusqu’à la contemplation d’un avenir si radieux, et de ne pas planer plus habituellement, des hauteurs du ciel et des profondeurs de l’éternité, sur les misérables intérêts d’un monde qui va périr ! Oh ! Seigneur, transporte-moi d’avance dans cette habitation céleste ; que j’y respire l’air sanctifiant de ton Esprit ; que j’y goûte la douceur de ton amour, et qu’alors je redescende pour vivre sur la terre, tout imprégné de tes joies et de ta paix !

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