Élans de l’âme vers Dieu

30. Alexandre Vinet

19e siècle

Roi de gloire et homme de douleur ! quiconque t’a aimé a souffert, qui t’aime consent à souffrir. Il est promis tout ensemble à la gloire et à la douleur.

On souffre à ton sujet jusque dans les songes ; ainsi souffrait, sans te connaître, la femme du juge qui te livra. Qui t’aime un peu, ou qui te pleure, n’a qu’à se trouver sur ton chemin : on lui fait partager, comme à Simon de Cyrène, le dur fardeau de ta croix.

On maudit ceux qui te bénissent ; l’humanité les exclut de l’universelle communion ; et dans ce lieu d’exil de la famille humaine, ils sont, eux, deux fois en exil.

Tous ceux qui t’ont aimé ont souffert ; mais tous ceux qui ont souffert pour toi t’en ont aimé davantage. La douleur unit à toi, comme la joie unit au monde.

La douleur enivre, comme un vin généreux, ceux que tu convies à ton mystérieux banquet, et elle arrache à leur cœur déchiré des hymnes d’adoration et d’amour.

Heureux qui, comme le Cyrénéen, se sera baissé pour prendre sa part de la croix que tu traînes ! Heureux qui voudra endurer en son corps ce qui reste, ce qui restera jusqu’à la fin du monde, à souffrir de tes souffrances, pour l’Eglise qui est ton corps !

Heureux le pasteur fidèle, qui continue en sa chair ton sacrifice et ton combat ! Tandis qu’il lutte et qu’il gémit, je le vois, dans mes visions, couché vers ton sein, comme au jour du banquet funèbre, celui que tu aimais.

Lui-même, tandis que la charité le porte, poudreux et sanglant, de lieu en lieu et de souffrance en souffrance, lui-même, à l’insu du monde, repose sur ton sein, dans une retraite auguste, et savoure en silence la suavité de tes paroles.

Heureux le pasteur fidèle ! Sa charité multiplie ses sacrifices, et ses sacrifices multiplient sa charité ; l’amour, qui est l’âme de ses travaux, en est aussi la très grande récompense.

Heureux le pasteur fidèle ! Ce que voudrait être chaque chrétien, il l’a été. Cette croix, que chacun essaye à son tour, il la porte sans cesse. Ce Jésus, à qui le monde dispute incessamment nos regards, ce Jésus est lui-même son monde et l’objet de sa contemplation assidue.

Heureux, trois fois heureux, si tout son désir est d’ajouter quelques voix au concert des bienheureux, et de rester caché dans la joie universelle, gardant seulement dans son cœur l’invisible regard et l’éternel Cela va bien ! du Maître et du Père !

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