Contre Celse

LIVRE HUITIÈME

Voilà sept livres que nous avons achevés, et voici le huitième que nous commençons. Dieu et son Fils unique, son Verbe, veuillent tellement nous assister, que les mensonges de Celse auxquels il a donné sans raison le titre de Discours véritable, soient fortement repoussés, et que les vérités du christianisme soient mises dans une claire évidence, autant que le sujet de cette dispute le permettra. C’est le plus ardent de nos vœux, de pouvoir nous appliquer ces paroles : Nous sommes tes hérauts de Jésus-Christ (II Cor., V, 20) ; et de pouvoir dire dans une disposition pareille à celle de saint Paul : Nous exhortons les hommes comme si Dieu les exhortait lui-même par nous. Nous souhaitons, dis-je, d’être les hérauts de Jésus-Christ envers les hommes, comme le Verbe de Dieu de son côté exhorte les hommes à loi donner à lui-même des témoignages de leur amour. En quoi il ne se propose que d’inspirer l’amour de la justice, de la vérité et de toutes les vertus, à ceux qui, avant que d’avoir embrassé la doctrine de Jésus-Christ, vivaient dans d’épaisses ténèbres à regard de Dieu, et dans une profonde ignorance de celui qui les a créés : je le dirai encore une fois, Dieu veuille nous donner un discours solide, discours véritable en nous donnant le Seigneur lui-même qui fait voir sa force et sa puissance dans la guerre contre le péché (Ps. XXIV, 8) ! Reprenons maintenant la suite des objections de Celse et de nos réponses.

Il nous demandait avec surprise, dans ce qui précède immédiatement, pourquoi nous ne servons pas les démons ; mais à tout ce qu’il a dit des démons, nous avons opposé les lumières que nous avons puisées dans les saintes Écritures. Après cela, sur cette demande par laquelle il nous voulait porter à servir aussi les démons, il nous fait faire cette réponse : C’est qu’il n’est pas possible qu’un même homme serve plusieurs maîtres ; ce qui est, selon lui, une parole de sédition et qui sent les gens qui se cantonnent, comme il parle, pour rompre commerce avec les autres hommes. Il croit que ceux qui parlent ainsi, transportent autant qu’il dépend d’eux leurs propres faiblesses à Dieu. Il estime donc que quand il s’agit des hommes, il y a lieu de dire que l’on n’aurait pas raison de vouloir entreprendre d’en servir deux à la fois, parce que les services que l’on rendrait à l’un pourraient porter préjudice à l’autre, de sorte qu’un premier engagement doit empêcher que l’on n’en prenne un second ; qu’ainsi encore l’on ne peut servir ensemble des héros différents ou d’autres pareils démons sans faire tort à quelqu’un d’eux. Mais à l’égard de Dieu qui est au-dessus de ce tort et de ce préjudice, il ne croit pas qu’il soit raisonnable d’en juger, comme des hommes, des héros et de ces autres démons, ni de faire difficulté de servir plusieurs dieux. Il dit que quand on sert plusieurs dieux en cela même qu’on rend ses services à ce qui appartient au grand Dieu, on fait quelque chose qui lui est agréable ; et il ajoute qu’il n’y en a aucun qui soit en droit de prétendre qu’on l’honore, s’il n’en a reçu le privilège du Dieu souverain, mais qu’aussi lorsqu’on rend de l’honneur et du respect à ceux qu’il avoue, il n’a garde de s’en offenser, lui de qui ils dépendent tous. Avant que de passer outre, voyons si c’est à tort que nous approuvons cette maxime, que nul ne peut servir deux maîtres (Matth., VI, 24), avec la raison qui en est ajoutée, c’est, que ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre ; et ce qui suit encore, qu’on ne peut servir Dieu et Mammon. Pour mettre la vérité dans son jour, nous sommes obligés d’entrer dans une question fort abstruse et fort difficile, touchant ceux qui portent le nom de dieux et de maîtres ou de seigneurs ; car l’Écriture sainte reconnaît un souverain Seigneur au-dessus de tous les dieux (Ps. XCVII, 9). Mais par ces dieux dont elle parle, nous n’entendons pas les dieux adorés parmi les nations. Elle nous a appris elle-même que tous les dieux des Gentils sont des démons (Ps. XCVI, 5). Nous entendons ces dieux dont le prophète nous représente l’assemblée au milieu de laquelle le grand Dieu préside pour les juger et pour leur assignera chacun leur propre emploi. Dieu, dit-il, assiste dans l’assemblée des dieux ; il préside là au milieu d’eux et il les juge. Car Dieu est le Seigneur des Dieux (Ps. LXXXII, 1) ; c’est lui qui par le moyen de son Fils a appelé la terre depuis l’Orient jusqu’à l’Occident (Ps. L, 1). Aussi sommes-nous exhortés d’un côté à célébrer le Dieu des dieux (Ps., CXXXVI, 2) ; et nous savons de l’autre que Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants (Matth., XXII, 32). Ce sont là des choses qui nous sont enseignées non seulement dans les passages que nous venons de citer, mais dans une infinité d’autres. Les saints écrits nous montrent à n’avoir point d’autres sentiments et à ne former point d’autres idées du Seigneur des seigneurs. Tantôt ils nous disent : Célébrez le Dieu des dieux, parce que sa miséricorde dure à jamais ; célébrez le Seigneur des seigneurs, parce que sa miséricorde dure à jamais (Ps. CXXXVI, 2 et 3) : ailleurs ils nous apprennent que Dieu est le Roi des rois et qu’il est le Seigneur des seigneurs (I Tim., VI, 15). L’Écriture nous apprend encore que comme il y a des dieux qui n’en ont que le nom et d’autres qui le sont effectivement, soit qu’ils en aient le nom ou qu’ils ne l’aient pas, il en est de même des seigneurs dont les uns le sont en effet, et les autres n’en ont que l’apparence. C’est ce qui fait dire à Saint Paul : Bien qu’il y en ait qui soient appelés dieux, soit dans le ciel, soit dans la terre, et qu’ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs (I Cor., VIII, 5). Mais puisque le Dieu des dieux appelle de l’Orient et de l’Occident par Jésus à se ranger dans son héritage ceux qu’il lui plaît d’y appeler, et que le Christ de Dieu, qui est aussi le Seigneur, fait voir qu’il est le plus puissant de tous les seigneurs, en ce qu’il est entré dans les états de tous les autres, et que de là il a pris pour ses sujets ceux qu’il a voulu. Saint Paul, qui savait toutes ces choses, ajoute, après ce que nous venons de rapporter : Pour nous, nous n’avons qu’un seul Dieu, qui est le Père, duquel toutes choses tirent leur être, et qui nous a faits pour lui, et nous n’avons qu’un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par lequel toutes choses ont été faites, comme c’est aussi par lui que nous sommes tout ce que nous sommes (I Cor., VIII, 6). Ensuite, comme il remarquait qu’il y avait là-dedans quelque chose de fort admirable et de fort mystérieux, il ajoute encore, Mais tous n’ont pas cette connaissance. Au reste, quand il dit : Pour nous, nous n’avons qu’un seul Dieu, qui est le Père, duquel toutes choses tirent leur être, et nous n’avons qu’un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par lequel toutes choses ont été faites (I Cor., VIII). Ce Nous doit s’entendre tant de lui que de tous ceux qui s’élèvent jusqu’au Dieu souverain, le Dieu des dieux, et jusqu’au souverain Seigneur, le Seigneur des seigneurs (Deutér., X, 17). Et pour s’élever ainsi jusqu’au Dieu souverain, il faut l’adorer d’une manière qui nous unisse à lui constamment et indissolublement, par son Fils, Dieu le Verbe et la Sagesse, qui s’est manifestée en Jésus. C’est en effet ce Fils tout seul qui conduit à Dieu, au Créateur de l’univers, ceux qui font tous leurs efforts pour s’en approcher, par la régularité de leurs paroles, de leurs actions, de leurs raisonnements et de leurs idées. Je ne doute pas que ce ne soit sur le modèle de ces expressions et de quelques autres semblables, que le prince de ce siècle, qui se déguise quelquefois en ange de lumière, a voulu former celle-ci : A sa suite vient l’armée des Dieux et des démons divisés en douze bandes (II Cor., XI, 14). Après quoi, celui à qui il l’a dictée ajoute, parlant de soi et des autres philosophes ; Pour nous, nous sommes (ou étions) de la troupe de Jupiter ; et les autres de celle des autres démons (Platon dans son Phédon), Comme donc il y a plusieurs dieux, soit de nom, soit de fait, et pareillement plusieurs seigneurs, nous mettons tous nos soins à nous élever non seulement au-dessus de ce que les peuples de la terre adorent comme des dieux, mais au-dessus même de ce qui est ainsi nommé dans les Écritures (Ephés., II, 12) ; et qui est entièrement inconnu à eux qui n’ont aucune part aux alliances que Dieu a établies par Moïse et par Jésus, notre Sauveur, ni aux promesses qu’il a publiées par eux. L’on s’élève jusqu’à ne rendre aucun service aux démons, lorsqu’on ne fait rien qui puisse leur être agréable : et l’on s’élève même au-dessus de ce qui est échu en partage à ceux qui sont appelés dieux par saint Paul, lorsqu’on regarde soit comme eux, soit de quelqu’autre manière que ce puisse être, non les choses visibles, mais les invisibles (II Cor., IV, 18). C’est ce que l’on fait encore lorsque, voyant que les créatures attendent avec impatience la manifestation des enfants de Dieu, comme elles y sont obligées, non pas volontairement, mais à cause de celui qui les a assujetties à la vanité, avec espérance, on a de bons sentiments de ces créatures qui doivent être toutes délivrées de la corruption à laquelle elles sont asservies, et jouir de la glorieuse liberté des enfants de Dieu (Rom., VIII, 19 et 20) ; mais qu’on ne se laisse point aller à servir tout à la fois et Dieu et quelque autre, à servir deux maîtres en même temps. Ce n’est donc point là une parole de sédition dans la bouche de ceux qui, entendant bien ces matières, refusent de servir plusieurs maîtres et s’attachent uniquement au Seigneur Jésus-Christ qui prend soin d’instruire lui-même ceux qui le servent, afin qu’après les avoir instruits et en avoir fait un royaume digne de Dieu, il les donne à Dieu son Père. Ils se cantonnent de la sorte, rompant commerce avec ceux qui ne sont point du nombre des sujets de Dieu, et qui sont des étrangers à l’égard de ces alliances (Ephés., II, 12), Ils veulent vivre comme des citoyens du ciel qui ont l’avantage d’approcher du Dieu vivant, de la ville de Dieu, la Jérusalem céleste, de la troupe innombrable des anges, de l’assemblée et de l’église des premiers nés, dont les noms sont écrits dans le ciel (Philipp., III, 20). Ce n’est pas, au reste, dans la crainte de porter quelque préjudice à Dieu (Hébr., XII, 22 et 23), de la même manière qu’un homme croirait souffrir du préjudice, si celui qui le sert en servait un autre en même temps ; ce n’est pas dans cette crainte, dis-je, qu’en servant Dieu par son Verbe et par sa vérité, nous refusons d’en servir aucun autre avec lui. C’est de peur de nous porter préjudice à nous-mêmes, en nous détachant du partage du grand Dieu, où nous vivons d’une manière qui approche de sa béatitude, par le moyen de l’esprit d’adoption, cet esprit divin qui ne met pas de simples paroles dans la bouche des enfants du Père céleste, mais qui leur imprime dans le cœur quelque chose de bien plus réel, les faisant crier d’une voix forte, bien que ce soit en secret, Abba, c’est-à-dire Mon Père (Rom., VIII, 15). Les ambassadeurs des Lacédémoniens, craignant de violer la loi de Lycurgue, la seule dont ils reconnaissaient l’empire, refusèrent d’adorer le roi de Perse (Hérodote) quelques efforts que fissent ses gardes pour les y obliger. Ceux qui soutiennent, au nom de Jésus-Christ une ambassade bien plus noble et bien plus divine, n’adoreront jamais non plus ni le prince des Perses, ni celui des Grecs, ni celui des Égyptiens, ni celui de quelque autre nation que ce puisse être, quelques efforts que les gardes de ces princes, je veux dire les démons, les anges du diable, fassent pour les y contraindre et pour leur persuader de désobéir à une loi plus excellente que toutes les lois de la terre (II Cor., V, 20) ; car ce Jésus-Christ, dont ils sont les ambassadeurs et qui par là même est leur Seigneur, est ce Verbe, qui était au commencement, qui était avec Dieu, et qui était Dieu lui-même (Jean, I, 1).

Mais puisque, sur ce chapitre des héros et de certains démons, il semble que Celse touche une matière d’une spéculation plus profonde qu’il ne s’imagine, ajoutant, après ce qu’il nous a dit des services qui se rendent aux hommes, une comme l’intérêt de ceux-ci ne peut souffrir que celui qui sert déjà un maître veuille encore en servir un autre, il en est de même à l’égard des héros et d’autres pareils démons ; il faut lui demander ce qu’il entend par ces héros, et quels sont ces autres pareils démons dont il parle. Il faut lui faire expliquer comment celui qui sert un héros, ne doit pas en servir un autre, et comment celui qui sert un de ces démons ne doit pas en servir un autre non plus, de peur de porter au premier qu’il aurait servi le même préjudice que l’on porte aux hommes, quand à un premier maître on en ajoute un second. Il faut le prier de nous dire en quoi c’est que consiste le préjudice que l’on peut porter aux héros ou à ces autres démons. Il sera contraint de se jeter dans un abîme de répétitions et de contradictions, repassant sur tout ce qu’il a dit et renversant lui-même ce qu’il a posé, ou s’il veut éviter ce précipice, il faudra qu’il avoue qu’il ne sait ce que c’est que les héros, et que la nature des démons est une chose pour lui inconnue. Mais, pour revenir aux hommes dont on dit que ceux qu’on servait seuls d’abord, souffriront du préjudice, si l’on en sert ensuite quelque autre avec eux, il faut aussi demander à Celse quelle espèce de préjudice il prétend que souffriront les premiers, par les services que l’on voudra rendre en même temps à un autre. S’il entend avec les personnes du commun, qui ne raisonnent pas en philosophes, un préjudice qui consiste dans les choses extérieures, il fera voir qu’il n’est pas même capable de goûter ces belles paroles de Socrate : Anitus et Mélitus peuvent bien me faire mourir, mais ils ne peuvent me faire de préjudice : car il n’est pas possible que celui qui est élevé par la vertu souffre du préjudice de ceux qui sont au-dessous de lui (Platon, dans l’Apologie). Mais si, par ce préjudice, il entend quelque acte ou habitude vicieuse, il est constant que deux sages, qui seront en des lieux différents, pourront être servis par un même homme, sans que ni l’un ni l’autre en souffre aucun préjudice. Si donc le sens en est aussi peu raisonnable de cette manière que de l’autre, c’est en vain que Celse veut tâcher, par ce qu’il nous allègue, d’affaiblir et de détourner, ailleurs la vérité de cette maxime, que nul ne peut servir deux maîtres. Il faudra reconnaître plutôt qu’elle n’est véritable qu’à l’égard du service qu’on rend au Dieu souverain, par son Fils qui nous conduit à lui. Au reste, nous ne servons pas Dieu comme s’il avait besoin de nos services ou qu’il dût s’affliger si nous ne les lui rendions pas. Nous le servons, parce que nous y trouvons notre propre avantage, et qu’en servant ce grand Dieu par son Fils unique, son Verbe et sa Sagesse, nous nous mettons au-dessus de tout ce qui pourrait nous causer de la douleur ou du chagrin.

Voyez encore avec combien de légèreté Celse ajoute : Car quand vous rendriez aussi vos services à quelque autre être de ceux qui sont dans tout l’univers. Par où il insinue que le service que nous rendons à Dieu nous conduit directement, et sans que nous en devions rien craindre, à quelqu’un de ces êtres qui appartiennent à Dieu. Mais ensuite, comme s’il s’apercevait qu’il n’a pas eu raison de dire, car quand vous rendriez aussi vos services à quelque autre être de ceux qui sont dans tout l’univers, il se reprend aussitôt, et il continue son discours par cette espèce de correction, qu’il n’y en a aucun qui soit en droit de prétendre qu’on l’honore s’il n’en a reçu le privilège de Dieu. Sur quoi il nous permettra de lui faire cette question : Dites-nous de grâce, Celse, d’où pouvez-vous prouver que ceux qui sont honorés comme des dieux, comme des démons ou comme des héros, en aient reçu le privilège de Dieu, et non de l’ignorance et de la simplicité des hommes qui, étant tombés dans l’erreur, ont abandonné celui à qui il appartient proprement d’être honoré ? On honore Antinoüs, comme vous le disiez vous-même, il n’y a pas longtemps. Cependant vous ne voudriez pas soutenir que ce soit le grand Dieu qui ait donné à ce mignon d’Adrien le privilège d’être honoré comme un dieu. Nous en dirons autant des autres, et nous demanderons qu’on nous fasse voir comment c’est le Dieu souverain qui leur a donné ce privilège. Si pour réponse l’on nous fait la même demande sur le sujet de Jésus, nous prouverons que Dieu lui a donné le privilège d’être honoré, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père (Jean, V, 23). Car toutes les prédictions qui ont été faites de lui avant sa naissance étaient autant de motifs pour porter les hommes à l’honorer, et les miracles qu’il a faits, non par les charmes de la magie, comme Celse se le persuade, mais par une vertu divine, qui avait elle-même été prédite par les prophètes, ont aussi été autorisés par le témoignage de Dieu. De sorte qu’en honorant le Fils qui est le Verbe ou la raison (Jean. I, 1), on tire cet avantage de l’honneur qu’on lui rend, qu’on ne fait rien contre la raison ; en l’honorant encore, lui qui est la vérité (Jean, XIV, 6), on en profite par cela même qu’on honore la vérité, ce qui se doit dire tout de même de l’honneur qu’on lui rend, en tant qu’il est la sagesse et la justice (I Cor., I, 30), et qu’il porte tous ces autres noms que l’Écriture sainte donne au Fils de Dieu. Ainsi l’honneur que l’on rend au Fils de Dieu et celui que l’on rend à Dieu le Père consistent dans une vie pure. Voyez si ce n’est pas ce qui nous est enseigne dans ce passage : Vous qui vous glorifiez dans la loi, déshonorez-vous Dieu par la violation de la loi (Rom., II, 23) ? Et dans cet autre : Combien plus rude croyez-vous que sera le châtiment dont sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour une chose profane le sang de l’alliance par lequel il a été sanctifié, et qui aura outragé l’esprit de la grâce (Hébr., X, 29) ? En effet, puisque celui qui viole la loi déshonore Dieu par cette violation, et que celui qui foule aux pieds la parole de Dieu, foule aux pieds le Fils de Dieu même, il est clair que celui-là honore Dieu, qui garde sa loi, et que celui-là sert Dieu, qui fait gloire d’écouter sa parole et de vivre comme elle l’ordonne. Si Celse savait bien qui sont cent que Dieu avoue, savoir uniquement les personnes vertueuses, et qui sont ceux que Dieu ne reconnaît point, savoir tous les méchants qui n’ont aucun esprit de retour vers la vertu, il s’entendrait peut-être mieux qu’il ne fait quand il dit : Lors donc qu’on rend de l’honneur et du respect à ceux que Dieu avoue, comment pourrait-il s’en offenser, lui de qui ils dépendent tous ?

Il ajoute : Celui qui dit en parlant de Dieu, qu’il n’y en a qu’un seul qu’on doit appeler Seigneur, celui-là encore est un impie qui divise le royaume de Dieu et qui veut y introduire la sédition, comme s’il y avait divers partis, dont l’un eût un chef et l’autre un autre. Il serait bien fondé à parler ainsi, s’il pouvait faire voir par des démonstrations évidentes que ceux qui sont honorés comme des dieux, parmi les Gentils, sont effectivement des dieux, et qu’il pût nous convaincre que ceux qu’on prétend qui habitent auprès des simulacres, des temples et des autels, ne sont pas de mauvais démons. Pour ce qui est de nous, qui faisons du royaume de Dion le sujet le plus ordinaire de nos discours et de nos écrits, nous ne souhaitons rien tant que d’en bien connaître la nature, afin que nous soyons en état de n’avoir d’autre roi que Dieu et de posséder nous-mêmes son royaume. Mais pour Celse, qui veut nous porter à servir plusieurs dieux, s’il voulait parler conformément à ses principes, il devait plutôt dire le royaume des dieux que le royaume de Dieu. Il n’y a donc point divers partis qui divisent l’empire où Dieu règne, et il n’y a point d’autre Dieu qui se fasse chef de parti contre lui, bien qu’il y ait quelques hommes assez perdus pour vouloir combattre contre Dieu comme des Géants ou des Titans, et pour déclarer la guerre avec Celse, et à celui qui a rendu une infinité de témoignages en faveur de Jésus, et à Jésus qui s’est présenté lui-même à tout le monde avec des trésors de grâces, pour le salut du genre humain, se proportionnant à la portée de chacun, lui qui est le Verbe qui nous instruit.

Il pourrait sembler à quelqu’un que ce que Celse dit après cela contre nous a quelque vraisemblance. Si ces gens, dit-il, ne servaient rien qu’un seul Dieu, ils auraient peut-être contre les autres quelques raisons assez fortes. Mais ils rendent des honneurs excessifs à cet homme qui a paru au monde depuis trois jours, et cependant ils croient ne pécher en rien contre Dieu, en faisant part de leur culte à son ministre. A cela il faut répondre que si Celse savait ce que signifient ces paroles : Mon Père et moi nous ne sommes qu’un (Jean, X, 30), et ces autres prononcées par le Fils de Dieu dans sa prière : Comme toi et moine sommes qu’un (Jean, XVII, 22) il ne se persuaderait pas que nous servissions quelque autre que le grand Dieu. Car. dit encore ce même Fils, mon Père est en mot, et je suis en mon Père (Jean, XIV, 11 et XVII, 21). S’il y avait quelqu’un qui prit d’ici occasion de s’imaginer que nous entrons dans le sentiment de ceux qui nient que le Père et le Fils soient deux hypostases (ou subsistances ou personnes), qu’il pèse soigneusement ces paroles : Tous ceux qui avaient cru n’étaient qu’un cœur et qu’une âme (Act., IV, 32), et il comprendra ce que veulent dire celles-ci : Mon Père et moi nous ne sommes qu’un (Jean. X, 30). Nous servons donc un seul Dieu, le Père et le Fils, comme nous l’avons fait voir, et nos raisons demeurent dans toute leur force contre les autres. Si nous rendons des honneurs, qu’il appelle excessifs, à cet homme qui a paru au monde depuis trois jours, ce n’est pas comme à une personne qui ne fut point auparavant ; car nous lui ajoutons foi. lorsqu’il dit : Avant qu’Abraham fût, je suis ; et encore, Je suis la vérité (Jean, VIII, 58 et XIV, 6). Il n’y a aucun parmi nous d’un esprit assez grossier pour croire que la vérité ne fût pas un être qui subsistât avant la venue de Jésus-Christ. Ainsi nous adorons le Père de la vérité, et le Fils qui est la vérité, les considérant comme deux choses à l’égard de leur hypostase (ou subsistance), mais comme une seule et même chose à l’égard de leur accord, de la conformité de leurs sentiments et de la parfaite union de leur volonté. De sorte que qui a vu le Fils qui est le rejaillissement de la gloire et le caractère de l’hypostase (ou la subsistance) de Dieu, a vu Dieu en voyant celui qui est l’image de Dieu (II Cor., IV, 4). Celse veut encore que parce que nous rendons nos hommages et à Dieu et à son Fils, il suive de là que, selon nous, ce n’est pas Dieu seul qu’il faut servir, mais que l’on doit aussi servir ses ministres. S’il entendait parler de ceux qui sont les vrais ministres de Dieu, après son Fils unique, de Gabriel, de Michel et des autres anges ou archanges, et qu’il dit d’eux qu’il les faut servir, peut-être qu’après avoir purgé la signification du mot même de servir, et les actions qu’on doit faire dans ce service, nous dirions là-dessus ce que nous serions capables de penser, en traitant un sujet de cette importance ; mais puisque, par ses ministres, il entend les démons adorés parmi les gentils, nous ne nous croyons pas obligés d’entrer dans la question du service qu’il veut qu’on leur rende, à eux que les enseignements de l’Écriture nous font regarder comme les ministres du Malin, du prince de ce siècle, qui détourne du service de Dieu tous ceux qu’il peut. Nous refusons donc de servir et d’adorer tous ceux que les autres hommes adorent, parce que nous ne reconnaissons pas en eux cette qualité de ministres : car si nous avions été instruits à les considérer comme les ministres du grand Dieu, nous n’aurions garde de les traiter de démons. Nous rendons, autant qu’il nous est possible, l’hommage de nos supplications et de nos prières à un seul Dieu et à son seul Fils, oui est son Verbe et son image. Je veux dire que nous présentons nos vœux au Dieu de l’univers, par son Fils unique.

C’est à ce Fils que nous les offrons d’abord, le suppliant, comme la victime qui s’est faite la propitiation de nos péchés (I Jean, II, 2) et comme notre grand sacrificateur (Hébr., IV, 14), de présenter nos vœux, nos oblations et nos prières au Dieu souverain. De cette sorte, notre foi se porte à Dieu par son Fils, qui la confirme en nous : et Celse ne saurait faire voir que nous fassions de ce Fils de Dieu le sujet d’aucune sédition. En un mot, c’est rendre nos hommages au Père que de marquer notre respect à son Fils, qui est le Verbe, la sagesse, la vérité, la justice (Jean, I. 1 ; I Cor., I, 30 ; Jean, XIV, 6), et toutes ces choses dont nous savons que les noms sont attribués au Fils de Dieu comme à celui qui a été engendré par un tel Père. En voilà assez sur cet article.

Celse ajoute : Si vous vous mettez en devoir de leur apprendre que celui au ils appellent le Fils de Dieu n’est point son Fils en particulier, mais que Dieu est le Père de tous les hommes, et que c’est Dieu seul proprement ou il faut adorer, ils ne seront plus d’humeur à l’adorer lui-même, à moins qu’ils n’adorent en même temps ce chef de leur cabale séditieuse, auquel ils donnent le titre de Fils de Dieu, non pour témoigner à Dieu un plus grand respect, mais pour élever cet homme le plus qu’ils peuvent. Comme en apprenant qui est le Fils de Dieu, nous avons appris qu’il est le rejaillissement de sa gloire et le caractère de (Gr, son hypostase) sa subsistance (Hébr., I, 3) ; qu’il est encore une exhalaison de la vertu de Dieu, une effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant, une réflexion de sa lumière éternelle, un miroir très net de sa puissance et une vive image de sa bonté (Sag., VII, 25 et 26), nous savons aussi que, comme il porte le nom de Fils à l’égard de Dieu, Dieu porte le nom de Père à son égard. Il n’y a rien là d’indécent, et ce n’est point une chose indigne de Dieu, de reconnaître un tel Fils pour son Fils unique (Matth., III, 17). Personne ne nous saurait jamais ôter cette persuasion, qu’un tel Fils ne peut avoir qu’un Père éternel, comme est Dieu. Si Celse a ouï parler de quelques-uns oui nient que le Fils de Dieu « soit le Fils du Créateur de cet univers, c’est à lui à s’en expliquer avec ceux qui peuvent être dans ce sentiment. Jésus n’est donc point le chef d’une cabale séditieuse ; il est le prince et Tunique auteur de la paix, comme il le disait à ses disciples : Je vous laisse la paix, et je vous donne ma paix (Jean, XIV, 27) ; après quoi il ajoute, sachant bien que les sommes du monde, qui ne sont pas du parti de Dieu, nous feraient la guerre : ce n’est pas de manière que le monde donne la paix, que je vous donne la mienne. Ainsi, à quelques afflictions que nous soyons sujets dans le monde, nous les soutenons avec courage, assurés sur ce qu’il nous a dit : Vous aurez des afflictions dans le monde ; mais ayez confiance, j’ai vaincu le monde (Jean, XVI, 33). C’est celui-là que nous tenons pour le Fils de Dieu, de Dieu, dis-je, pour qui nous avons un si grand respect, s’il faut se servir paroles de Celse, et c’est un Fils duquel nous savons qu’il a été élevé à une suprême grandeur par ce Dieu qui est son Père (Philipp., II, 9). Je veux qu’il y en ail quelques-uns, comme il n’est pas possible que dans la grande multitude de ceux qui croient, tous soient d’un sentiment uniforme, qui supposent trop légèrement que notre Sauveur soit le Dieu souverain, nous n’aurons pas la même pensée, nous qui croyons ce qu’il nous a dit : Mon Père, qui m’a envoyé, est plus grand que moi (Jean, XIV, 28) ; et nous n’aurons garde de soumettre au Fils de Dieu, comme Celse nous l’impute faussement, celui à qui nous donnons maintenant le nom de Père. Voici de quelle sorte il en parle dans la suite. Pour faire voir que je ne m’écarte point du but en proposant leur créance, je me servirai de leurs propres paroles, telles que je les ai tirées d’un certain dialogue qu’ils appellent le Dialogue céleste, où ils s’expriment en ces termes : « Si le Fils de Dieu est plus puissant que son Père, et que cependant il soit lui-même soumis au Fils de l’homme, quel autre que celui-ci pourra être le maître au Dieu qui gouverne le monde ? D’où vient qu’il y a tant de gens sur le bord du puits et que personne n’y descend ? Pourquoi, après avoir tant fait de chemin, manquez-vous ici de courage ? Vous vous trompez. répond l’autre, car j’ai du courage et une épée.” Ne parait-il pas de là que leur dessein est tel que je l’ai représenté ? Ils supposent qu’il y a un autre Dieu au-dessus des deux, qui est le Pire de celui qu’ils adorent d’un commun accord ; et de la sorte, sous prétexte de servir le grand Dieu, ils servent uniquement ce Fils de l’homme qu’ils ont pris pour leur patron, et qui est, disent-ils, le maître du Dieu qui gouverne le monde, étant plus puissant que lui. C’est pour cela qu’ils recommandent si soigneusement de ne point servir deux maîtres, afin que leur esprit de cabale n’ait d’autre objet que celui-là seul. Je ne sais où peut être cachée cette hérésie qu’il est allé chercher, pour en emprunter ces choses dont il veut rendre encore tous les chrétiens responsables. Je dis qu’elle est cachée, puisque nous, qui avons eu tant de disputes avec es hérétiques, n’avons jamais ouï parler de ces sentiments où Celse a pris ce qu’il pose ici ; s’il l’a pris au moins quelque part et qu’il ne l’ait pas plutôt inventé lui-même, ou que ce ne soit pas une simple conséquence qu’il tire. Car pour nous, qui disons que le créateur de l’univers est le maître de tout ce monde visible, nous faisons profession de croire que le Fils n’est pas plus puissant que son Père, mais qu’il lui est inférieur. C’est ce qu’il nous a appris lui-même lorsqu’il nous a déclaré que son Père, qui l’a envoyé, est plus grand que lui (Jean, XIV, 28). Il n’y a qui que ce soit parmi nous oui ait perdu le sens jusqu’à dire que le Fils de l’homme soit le maître de Dieu. Quand nous considérons notre Sauveur comme Dieu le Verbe, la Sagesse, la Justice, la Vérité, c’est alors surtout que nous disons qu’il est le maître de tous ceux qui se soumettent à lui, à cet égard ; mais nous ne disons point qu’il soit le maître de son Père, le maître du Dieu qui gouverne le monde. Au reste, comme le Verbe, qui n’est autre chose que la raison pour ceux dont il se rend le maître, ne s’en rend jamais le maître malgré eux ; que cependant il y a non seulement de méchants hommes, mais aussi de mauvais anges, et qu’il n’y a point de bons démons, nous disons qu’il n’est pas encore le maître de tous ceux-là, puisqu’ils ne se soumettent pas à lui volontairement. Il est pourtant leur maître en un autre sens, comme on dit que l’homme est le maître des animaux sans raison, bien qu’il ne le soit pas par la voie de la persuasion, mais en les domptant ou en les apprivoisant, ainsi qu’on le voit en des lions et dans les bêtes de charge. Avec tout cela, ce divin Verbe n’épargne rien pour persuader ceux-là mêmes qui ne lui sont pas soumis maintenant, et pour s’en rendre le maître par cet endroit. Il n’y a donc rien de plus faux, selon nous, que ce que Celse rapporte comme si c’était un de nos dogmes : Quel autre pourra être le maître du Dieu qui gouverne le monde ? Ce qu’il ajoute est pris, si je ne me trompe, de quelque autre hérésie qu’il mêle et qu’il confond avec la première, ce qui ne lui est pas nouveau. D’où vient qu’il y a tant de gens sur le bord du puits, et qui personne n’y descend ? Et encore : Pourquoi, après avoir tant fait de chemin, manquez-vous ici de courage ?. Vous vous trompez. Et enfin : Car j’ai du courage et une épée. En quoi nous ne reconnaissons rien de vrai, nous qui sommes dans l’Église, qui ne veut pas porter d’autre nom que celui qu’elle tire de Jésus-Christ. Celse, ayant posé ce fondement, s’imagine que ce qu’il bâtit dessus est bien établi, quoique ce soient des choses qui ne nous regardent pas ; car nous ne voulons point servir un Dieu dont nous nous soyons formé l’idée sur des suppositions : notre dessein est de rendre nos hommages au Créateur de cet univers et de toutes les autres choses quelles qu’elles soient, qui, ne tombant pas sous les sens, ne sont pas des parties du monde visible. C’est à ceux qui ont d’autres principes et qui prennent d’autres routes, abandonnant le Créateur pour suivre un nouveau Dieu qu’ils croient au-dessus de lui, mais un Dieu qui n’en a que le nom et qui n’est qu’un vain songe de leur esprit ; c’est à eux à se défendre, et à ceux aussi, s’il y en a, qui soutiennent que le Fils a plus de puissance que son Père, et qu’il est le maître du Dieu qui gouverne le monde. Nous avons déjà dit ce que nous avions à dire sur cette maxime, qu’il ne faut pas servir deux maîtres ; nous avons fait voir encore que l’on ne peut faire aucun juste reproche de cabale sur sujet de Jésus, notre Seigneur et notre maître, à ceux qui, passant par-dessus tout ce qui porte le nom de Seigneur, font profusion de ne reconnaître d’autre Seigneur et de ne servir d’autre maître que le Fils de Dieu.

Celse dit après cela que nous nous défendons de bâtir des temples, d’élever des autels et de dresser des simulacres, parce que c’est là, à son avis, la marque dont nous sommes convenus pour gage de l’union secrète et cachée que nous entretenons ensemble. Mais il ne voit pas que nos autels sont le cœur de chaque homme juste, d’où s’élèvent des parfums dont l’odeur toute spirituelle est véritablement une douce odeur. Ces parfums sont les prières formées dans une conscience pure, Selon ce qui est dit dans l’Apocalypse de Saint Jean : Les parfums sont les prières des saints (Apoc, V, 8) ; et selon cette parole du psalmiste : Que ma prière soit devant loi comme le parfum (Ps. CLXI, 2). Pour les simulacres, ceux que nous estimons qu’il faut consacrer à Dieu, ce ne sont pas ceux qui sont l’ouvrage de quelque vil artisan, mais ceux qui sont formés et façonnés au-dedans de nous par la parole de Dieu, savoir, les vertus par lesquelles nous imitons le premier né de toutes les créatures (Col., I, 15), qui nous est un modèle de justice, de tempérance, de fermeté, de sagesse, de piété et de toutes les autres saintes habitudes. Tous ceux-là donc ont des simulacres en eux-mêmes, qui y reçoivent l’empreinte de la tempérance, de la justice, de la fermeté, de la sagesse, de la piété et de toutes les autres vertus, suivant les règles de cette divine parole. C’est par des simulacres de cette nature que nous sommes persuadés qu’on doit honorer le premier et le plus parfait de tous les simulacres, l’image du Dieu invisible (Ibid.), celui qui, étant Dieu lui-même, est en même temps le Fils unique de Dieu (Jean, III, 8). Ceux aussi qui se sont dépouillés du vieil homme et de ses œuvres, et qui se sont revêtus de l’homme nouveau, lequel se renouvelle en connaissance selon l’image de celui qui l’a créé (Col, III, 9 et 10), ceux-là, logeant en eux cette image du Créateur, y font voir des simulacres tels que ce grand Dieu les demande. Mais comme, parmi les sculpteurs et parmi les peintres, il y en a qui réussissent admirablement dans leurs ouvrages, par exemple, Phidias ou Polyclète parmi les premiers, et Zeuxis ou Apelle parmi les autres ; qu’il y en a qui ne tiennent que le second rang, et qu’il y en a d’autres enfin qui sont encore beaucoup au-dessous ; qu’en un mot il y a une extrême différence de la beauté d’un tableau ou d’une statue à celle d’un autre, il s’en trouve cependant qui représentent le Dieu souverain d’une manière bien plus exacte et bien plus parfaite que les autres ; d’une manière si finie, qu’il n’y a aucune comparaison entre le Jupiter Olympien de Phidias et l’empreinte formée dans une âme selon l’image du Créateur, qui est Dieu. La plus achevée et la plus excellente de toutes ces images, à laquelle il n’y en a point de pareille dans toutes les créatures, est en notre Sauveur, qui disait, Mon Père est en moi (Jean, XIV, 10) ; mais chacun de ceux qui fâchent de tout leur pouvoir de l’imiter en cela, a aussi en soi un de ces simulacres formé selon l’image du Créateur, et pour le former ainsi en eux, ce qu’ils font, c’est de contempler Dieu d’un cœur pur (Matth., V, 8), et de se rendre ses imitateurs (Ephés., V, 1). En général, on voit que tous les chrétiens s’efforcent de dresser des autels et des simulacres de la nature de ceux dont je viens de parler ; des autels et des simulacres non morts et inanimés, propres à loger ces démons sensuels qui s’attachent à des sujets sans vie, mais propres à être le séjour de l’Esprit de Dieu (I Rom., VIII, 9), qui n’en a point où il se plaise si fort que dans ces sortes de simulacres formés selon l’image du Créateur, pour être des portraits de la vertu. L’esprit de Jésus-Christ cependant prend plaisir dans une demeure avec laquelle il a, s’il faut ainsi dire tant de conformité. C’est ce qui nous est marqué dans l’Écriture, quand Dieu fait cette promesse aux justes : J’habiterai au milieu d’eux, je marcherai parmi eux, je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (II Cor., VI, 16) : et quand notre Sauveur dit : Si quelqu’un écoute ma parole et lui obéit, mon Père et moi viendrons vers lui, et nous ferons notre demeure chez lui (Jean, XIV, 23). Que l’on se donne donc la peine de comparer nos autels avec ceux de Celse, et les simulacres dont une âme est ornée par sa piété pour le Dieu de cet univers, avec les simulacres faits par Phidias, par Polyclète et par leurs semblables, l’on connaîtra clairement que ceux-ci sont inanimés et que le temps les détruit, au lieu que les autres, qui sont dans une âme immortelle, y demeurent tant que cette même âme raisonnable les veut conserver. S'il faut encore comparer temples avec temples, nous ferons aisément voir aux partisans de Celse que nous ne nous défendons point de bâtir des temples convenables aux simulacres et aux autels que nous admettons ; mais que nous refusons d’en bâtir de morts et d’inanimés à celui qui est le seul auteur de la vie. Chacun peut savoir là-dessus, comme il nous est enseigné, que nos corps sont les temples de Dieu ; et que si quelqu’un détruit ce temple de Dieu par ses vices et par ses péchés, celui-là sera détruit (I Cor., III, 16, 17, et VI, 19) lui-même, comme un vrai impie qui manque de respect pour un vrai temple. De tous les temples qu’on appelle ainsi, en ce sens, le plus parfait et le plus auguste, c’est le corps pur et saint de notre Sauveur Jésus qui, sachant que l’impiété des hommes pouvait bien former des entreprises contre le temple du Dieu, qui était en lui, mais non pas jusqu’à rendre leurs mauvaises intentions plus puissantes, que la Divinité qui avait bâti ce temple, disait à ces méchants, Abattez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours ; ce qu’il entendait du temple de son corps (Jean, II, 19, 21). D’ailleurs l’Écriture sainte, exprimant en des termes mystiques le dogme de la résurrection à ceux qui sont capables d’entendre, avec un discernement divin, ce qui leur est enseigné de la part de Dieu » dit que le bâtiment, qui aura été détruit, sera refait de pierres vivantes, et précieuses. Par où elle nous marque que chacun de ceux à qui la même doctrine céleste apprend à pratiquer de concert les » mêmes devoirs de piété, est une pierre précieuse engagée dans le grand édifice du temple de Dieu. C’est ce qui a fait dire à Saint Pierre, Vous êtes des pierres vivantes mises en œuvre pour être une maison spirituelle ; vous êtes un ordre de Saints sacrificateurs, pour offrir à Dieu des victimes spirituelles qui lui soient agréables, par Jésus-Christ (I Pierre, II, 5) : et à saint Paul, Vous êtes un édifice posé sur le fondement des apôtres et des prophètes, dont Jésus-Christ lui-même Notre -Seigneur est la pierre angulaire (Ephés., II, 20). C’est aussi dans un sens mystique à peu près semblable qu’il faut prendre ces paroles d’Isaïe, lorsqu’il dit, comme parlant à Jérusalem : Dans peu, je vais faire que tes pierres seront des escarboucles et tes fondements des saphirs ; je te ferai des remparts de jaspe, et des portes de roches de cristal ; je ferai que ton enceinte sera de pierres précieuses, et que tes enfants seront tous instruits par Dieu : ils vivront dans une profonde paix, et tu seras fondée sur la justice (Is., LIV, 11, 12, 13 et 14). Entre les justes donc, les uns sont des escarboucles, les autres des saphirs ; les uns répondent au jaspe, les autres au cristal. Et tous ensemble, ils sont un amas de toutes sortes de pierres rares et précieuses. Mais d’examiner en détail la nature et les rapports de ces pierres, pour déterminer à quelles âmes le nom de chaque pierre précieuse peut convenir, ce n’est pas de quoi il s’agit maintenant. Il suffit d’avoir remarqué en peu de mots ce que l’on entend parmi nous par nos temples et par ce grand et unique temple de Dieu tout bâti de pierres précieuses. Car comme si les hommes entraient en contestation les uns avec les autres, au sujet de ce qu’on appelle communément des temples, et que chacun voulût donner l’avantage à sa patrie, ceux qui se vanteraient d’avoir chez eux les plus magnifiques, s’efforceraient d’en étaler toutes les beautés, pour montrer que celles des autres sont beaucoup au-dessous : nous en usons à peu près de même. Lorsqu’on nous querelle sur ce que nous ne croyons pas que la Divinité doive être servie dans des temples inanimés, nous opposons à cela la considération de nos propres temples, et nous faisons voir à ceux qui ne sont pas aussi aveugles que les dieux qu’ils adorent, qu’il n’y a nulle comparaison de nos simulacres aux simulacres des gentils, ni de nos autels aux leurs, ni de nos parfums, s’il faut parler de la sorte, au sang et à la fumée de leurs victimes. Je dis donc aussi de nos temples, tels que je les ai représentés, qu’ils l’emportent infiniment sur ces temples bâtis pour des choses insensibles et admirés par des hommes insensibles comme elles ; des hommes qui, ne pouvant seulement concevoir qu’il y ait des sens d’un ordre tout divin, n’ont jamais eu aucun sentiment de Dieu ni des simulacres, des temples et des autels dignes de sa majesté. Ainsi, lorsque nous nous défendons de bâtir des temples, d’élever des autels et de dresser des simulacres, ce n’est pas parce que c’est la marque dont nous sommes convenus pour gage de l’union secrète et cachée que nous entretenons ensemble (Prov., II, 5) : c’est parce qu’ayant appris dans l’école de Jésus-Christ la vraie manière de servir Dieu avec piété, nous voulons éviter tout ce qui, sous une vaine apparence de piété, fait des impies de tous ceux qui s’éloignent des règles de la piété, prescrites par Jésus ; car c’est lui seul qui est la voie de la piété, comme il disait très véritablement, Je suis la voie, la vérité et la vie (Jean, XIV, 6).

Voyons encore ce que Celse ajoute ensuite en parlant de Dieu, et comme quoi il nous exhorte à recevoir l’usage des choses qui, dans la vérité, sont immolées aux idoles, ou, si vous le voulez ainsi, aux démons ; bien que lui, qui proprement ne sait ce que c’est que la Divinité, ni de quelle nature sont les victimes qu’on doit lui immoler, n’ait garde de les nommer autrement que des choses immolées à la Divinité. Dieu, dit-il, pour nous y disposer, est le Dieu commun de tous les hommes ; il est bon ; il n’a besoin de rien ; il n’est pas capable d’envie : qu’est-ce donc qui empêche que ceux qui lui sont te plus particulièrement dévoués, ne prennent part aux fêtes publiques ? Je ne sais par quelle imagination il prétend qu’à cause que Dieu est bon, qu’il n’a besoin de rien, qu’il n’est pas capable d’envie, il faille que ceux qui lui sont dévoués prennent part aux fêtes publiques. J’avoue que la conséquence serait bonne, si l’on nous avait fait voir que les fêtes publiques n’ont rien de mauvais, et qu’elles ont été établies sur la vraie connaissance de Dieu, comme une suite du service religieux que nous lui devons. Mais si, dans ces fêtes publiques, qui ne sont des fêtes que de nom, il n’y a rien qui puisse nous persuader qu’elles s’accordent avec les devoirs de notre piété envers Dieu ; si l’on justifie, au contraire, que ceux qui les ont instituées l’ont fait selon les rencontres qui leur ont donné lieu de les inventer, soit à l’occasion des aventures de quelques particuliers, soit en vue de quelques propriétés naturelles de l’eau, de la terre ou des fruits de nos campagnes, comme il y en a qui l’expliquent, il est évident que ceux qui veulent servir la Divinité d’une manière bien réglée, feraient quelque chose de contraire à la raison, s’ils prenaient part aux fêtes publiques. En effet comme l’a fort bien dit l’un des plus sages auteurs qu’ait produits la Grèce, la fête ne consiste qu’a faire ce que l’on doit (Thucyd. liv. 1) : et c’est la célébrer véritablement que de s’acquitter de son devoir, de prier sans cesse et d’offrir continuellement à Dieu, en l’invoquant, des victimes non sanglantes. C’est ce qui fait que je trouve quelque chose de grand et de noble au dernier point, dans ces paroles de Saint Paul : Vous observerez les jours, les mois, les saisons et les années : je crains bien pour vous que je n’aie travaillé en vain à votre égard (Gal., IV, 10 et 11) Si l’on nous objecte là-dessus nos jours de dimanche, nos jours de préparation, notre Pâque et notre Pentecôte, qui nous engagent à de certaines pratiques de dévotion, par leur retour réglé, il faut répondre à cela que le chrétien parfait qui, par ses paroles, ses actions et ses pensées, est toujours son légitime Seigneur, Dieu le Verbe, est toujours aussi dans le jour du Seigneur ; que tous les jours sont pour lui des jours de dimanche. Tout de même, celui qui se prépare sans cesse à vivre comme il faut, pour vivre véritablement, qui renonce aux douceurs de la vie par lesquelles tant d’âmes sont séduites, qui ne flatte point les inclinations de la chair, mais qui dompte son corps et qui le réduit en servitude (Rom., VIII, 6), celui-là est sans cesse dans des jours de préparation (I Cor., IX, 27). Celui encore qui a bien compris que Jésus-Christ, notre pâque, a été sacrifié pour nous (I Cor., V, 7), et qu’il faut célébrer cette fête en mangeant la chair du Verbe, celui-là n’est jamais sans faire la pâque ; et, comme le mot de pâque signifie passage, il s’étudie continuellement, par tout ce qu’il pense, tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait, à passer des choses du monde à Dieu, s’avançant à grands pas vers sa cité sainte. Enfin celui qui peut dire dans la vérité : Nous sommes ressuscites avec Jésus-Christ (Col., II, 12) ; et encore : Dieu en ressuscitant Jésus-Christ nous a ressuscites avec lui, et en le faisant asseoir dans les lieux célestes nous y a fait asseoir avec lui (Ephés., II, 6), celui-là est toujours dans des jours de Pentecôte, surtout lorsque montant dans la chambre haute avec les apôtres de Jésus, il s’applique à l’oraison et à la prière (Act., I, 13, 14) pour se rendre digne de ce souffle impétueux qui vient du ciel (Ibid., II, 2, 3) et qui détruit par sa force toute la corruption humaine avec ses effets, pour se rendre digne même d’avoir quelque part à ces langues de feu dont Dieu fait la distribution. Mais comme le plus grand nombre de ceux qui semblent croire ne sont pas tels qu’il serait à souhaiter, et qu’il leur manque, ou la volonté, ou le pouvoir dépasser tous les jours de la manière qui vient d’être dite, ils ont besoin de quelques objets sensibles qui rafraîchissent leurs idées, de peur qu’elles ne s’effacent entièrement. C’est a mon avis la pensée de saint Paul, lorsqu’il nomme portion de fête (Col., II, 16) les fêtes qui sont fixées à de certains jours distingués des autres. Car il veut insinuer par-là que la vie, conforme à la parole de Dieu n’est pas une vie où il y ait quelque portion de fête, mais qu’elle se passe tout entière dans une fête perpétuelle et non interrompue. Voyez donc encore par ce que je viens de dire de nos fêtes si, en les comparant avec les fêtes publiques de Celse, je veux dire celles des Gentils, les nôtres ne se trouveront pas d’un ordre bien plus excellent que celles-là, puisque dans les emportements, dont la célébration de ces dernières est accompagnée, on ne consulte que les inclinations de la chair (Rom., VIII, 6) pour s’abandonner à l’ivrognerie et à la dissolution. Il faudrait faire un trop long discours pour expliquer ici pourquoi dans les fêtes induites par la loi de Dieu, il est enjoint de manger du pain d’affliction ou des azymes (c’est-à-dire des pains sans levain) avec des herbes amères (Deutér., XVI, 3) ; pourquoi il est dit : Humiliez vos âmes (Exode, XII, 8), et d’autres choses semblables. L’homme étant un être composé, dans lequel les mouvements de la chair s’élèvent contre ceux de l’esprit, et les mouvements de l’esprit contre ceux de la chair, il n’est pas possible que les fêtes qu’il célèbre regardent tout ce qui est en lui ; car s’il les célèbre selon l’esprit, il fait souffrir son corps qui, à cause des inclinations de la chair (Gal., V, 17), n’est pas capable d’être d’une même fête que l’esprit : et s’il les célèbre selon la chair, l’esprit de son côté ne peut être de la fête. Mais en voilà assez sur les fêtes pour cette heure.

Voyons maintenant quelles raisons Celse emploie pour nous obliger à recevoir l’usage des choses immolées aux idoles, et à prendre part aux sacrifices publics qui se font dans les fêtes publiques. Si ces idoles, dit-il, ne sont rien, quel inconvénient y a-t-il à se trouver aux festins publics ? Mais s’il y a des démons, il ne faut pas douter qu’ils ne soient aussi à Dieu, et qu’il ne faille croire en eux, leur faire des offrandes, selon les lois, et les invoquer, afin qu’ils nous soient favorables. Il serait fort utile, en cette rencontre, de prendre en main et d’éclaircir tout ce que saint Paul dit dans sa première Épître aux Corinthiens, sur le sujet des choses immolées aux idoles. Il y prouve qu’il y a du mal à user de ces choses-là ; il va même au-devant de ce qu’on allègue, que l’idole n’est rien dans le monde (I Cor., VIII, 4 et 11), et il montre à ceux qui ont des yeux pour de tels objets, que celui qui, en participant à des choses immolées aux idoles, fait périr ses frères pour qui Jésus-Christ est mort, est assurément plus coupable qu’un homicide. Après quoi, posant que les choses qui sont immolées sont immolées aux démons (I Cor., X, 20 et 21), il faut voir que celui qui participe à la table des démons a communion avec les démons eux-mêmes, et il conclut qu’il n’est pas possible qu’un même homme soit participant de la table du Seigneur et de la table des démons. Mais comme il faudrait faire un traité exprès et même assez étendu pour expliquer tout ce qui est dit sur ces matières, dans l’Épître aux Corinthiens, nous nous contenterons de ce qui vient d’être rapporté en peu de mots. Si l’on y fait réflexion, il sera aisé de reconnaître qu’encore que l’idole ne soit rien, il ne laisse pas d’y avoir de l’inconvénient à se trouver aux festins publics qui se font à l’honneur des idoles. Le peu que nous avons dit peut suffire aussi pour montrer que, bien qu’il y ait des démons à qui sont immolées les choses que l’on immole, nous ne devons prendre aucune part à ces choses, nous qui savons combien il y a de différence entre la table du Seigneur et la table des démons, et qui, par cela même que nous le savons, faisons tous nos efforts pour être toujours participants de la table du Seigneur, comme nous ne négligeons rien pour éviter de l’être jamais de celle des démons. Mais puisque Celse ajoute que ces démons sont à Dieu, ce qui fait qu’il faut croire en eux, leur faire des offrandes selon les lois, et les invoquer afin qu’ils nous soient favorables, il est à propos de faire remarquer à ceux qui sont bien aises d’apprendre, que jamais l’Écriture sainte ne dit des choses mauvaises qu’elles appartiennent à Dieu. Elle ne veut pas leur donner un tel maître, parce qu’elle les en juge indignes. Aussi le nom d’hommes de Dieu (Deutér., XXXIII, 1 ; IV ;Rois, I, 10 ; II Pierr., I, 21) n’est-il pas donné à tous les hommes. Il est donné seulement à ceux qui sont dignes de Dieu, tels qu’étaient Moïse et Élie, et s’il y en a encore quelque autre qui porte ce nom dans l’Écriture ; comme on le peut encore donner à ceux qui ont des qualités approchant des premiers qui l’ont porté. Tout de même ce ne sont pas tous les anges qui sont nommés les anges de Dieu : il n’y a que les anges bienheureux. Pour ceux qui se sont tournés au mal, ils sont nommés les anges du diable : comme les hommes méchants sont nommés des hommes dépêché, des enfants de pestilence, des fils d’iniquité (Matth., XXII, 30 et XXV, 41 ; Os., X, 9 ; I Rois, II, 12). Ainsi donc parmi les hommes il y en a de bons, et il y en a de méchants ; d’où vient qu’il est dit des uns qu’ils sont à Dieu, et des autres qu’ils sont au diable : et par la même raison, entre les anges, les uns sont les anges de Dieu, les autres les anges du Malin. Mais à l’égard des démons, il n’y a point de distinction à faire, car c’est une chose constante qu’ils sont tous méchants. De sorte que nous ne craindrons point de dire que Celse avance une fausseté lorsqu’il dit que s’il y a des démons, il ne faut pas douter qu’ils ne soient aussi à Dieu. Si quelqu’un veut prendre son parti, qu’il nous montre, ou que la différence que nous mettons, tant entre les hommes qu’entre les anges est sans fondement, ou qu’on en peut faire une pareille entre les démons. Mais si l’un et l’autre est impossible, il faut demeurer d’accord que les démons ne sont point à Dieu. En effet, ce n’est pas Dieu qui est leur prince ; c’est Belzébuth (Luc, XI, 15), comme nous l’apprenons des livres sacrés. Il ne faut donc point croire aux démons, quelques sollicitations que Celse emploie pour nous y porter. Il vaudrait mieux mourir que d’en venir là ; et il n’y a rien que l’on ne doive souffrir pour demeurer fidèles à Dieu. Il ne faut pas non plus faire des offrandes aux démons. Ils sont si méchants et si enclins à faire du mal aux hommes, que ce seraient des offrandes inutiles. Mais encore selon quelles lois est-ce que Celse y eut que nous fassions des offrandes aux démons ? S’il entend parler des lois reçues dans les sociétés politiques, qu’il nous fasse voir que ces lois sont conformes à celles de Dieu, et s’il ne le peut faire, comme en effet la plupart de ces lois civiles ne sont pas même conformes entre elles, il demeurera constant que ce sont des lois qui ne méritent pas ce nom, des lois établies par des méchants auxquelles il ne faut point déférer : car il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes (Act., V, 29). Loin de nous encore cet autre conseil de Celse, d’invoquer les démons. Nous ne voulons y prêter l’oreille, en façon du monde. Il ne faut invoquer que le seul Dieu souverain, et il faut invoquer avec lui son Fils unique, le premier né de toutes les créatures, le Verbe de Dieu (Jean, I, 1 et 14), à qui il faut demander que quand nos prières sont parvenues à lui, il les présente, en qualité de notre grand sacrificateur, à son Dieu, qui est aussi notre Dieu, et à son Père, qui est aussi le Père (Col., I, 15 ; Hébr., III, 1) de ceux qui vivent suivant ce que Dieu prescrit, dans sa parole (Jean, XX, 17). Enfin comme on doit croire que s’il y avait des hommes qui prétendissent que nous imitassions leur mauvaise vie, et qui ne voulussent en aucune manière être favorables à ceux qui auraient des sentiments opposés aux leurs, nous ne voudrions point de leur faveur, parce qu’elle ne pour mit que nous rendre ennemis de Dieu, qui apparemment ne serait pas favorable à des personnes qui voudraient que de tels hommes le leur fussent : ainsi ceux qui connaissent la nature, les inclinations et la malice des démons, ne souhaiteront jamais que les démons leur soient favorables ; car encore qu’ils n’aient pas la faveur des démons, ils n’ont pourtant rien à craindre de leur part, étant sous la protection du grand Dieu, qui leur est favorable à cause de leur piété, et qui donne en garde à ses saints anges ceux qui en sont dignes, pour empêcher que les démons ne leur fassent aucun mal (Ps. XXXIV, 8 et XCI, 11). En effet celui à qui sa piété rend le grand Dieu favorable, et qui s’étant uni au Seigneur Jésus, cet ange du grand conseil (Is., IX, 5 ou 6) de Dieu, se contente de la faveur de Dieu en Jésus-Christ, celui-là peut dire hardiment comme étant à couvert des insultes de toute l’armée des démons : Le Seigneur est ma lumière et mon Sauveur ; qui dois-je craindre ? Le Seigneur est le protecteur de ma vie ; de qui dois-je avoir peur (Ps. XXVII, et 3) ? Il peut dire encore : Quand un camp d’ennemis serait rangé contre moi mon cœur ne s’en effraierait point (Ibid., 3). Voilà pour ce qui regarde ces paroles : Mais s’il y a des démons, il ne faut pas douter qu’ils ne soient aussi à Dieu, et qu’il ne faille croire en eux, leur faire des offrandes, selon les lois, et les invoquer afin qu’ils nous soient favorables. Passons a celles qui suivent, et examinons-les avec soin. Les voici : Si c’est par quelque tradition de leurs pères, qu’ils s’abstiennent de certaines victimes, telles que sont celles-ci, ils devraient aussi s’abstenir de la chair de tous les autres animaux, comme faisait Pythagore, qui croyait qu’on devait ce respect à l’âme et à ses organes. Mais si c’est, comme ils disent, pour ne point manger des choses auxquelles les démons ont part, j’admire leurs lumières, d’avoir enfin compris qu’ils ne mangent rien où les démons n’aient part ; mais de ne vouloir s’en garder que quand on leur présente la chair de quelque victime, pendant qu’ils ne se font aucune peine de ce que, et le pain, et le vin, et les fruits dont ils se nourrissent, que l’eau même qu’ils boivent, et l’air qu’ils respirent, sont autant de présents qu’ils reçoivent de certains démons qui président sur ces choses dont le soin a été partagé entre eux. Je ne sais pas sur quoi il peut fonder cette conséquence que ceux qui par quelque tradition de leurs pères, comme il parle, s’abstiennent de certaines victimes devraient aussi s’abstenir de la choir de tous les autres animaux. Ce n’est pas que la parole de Dieu ne nous insinue quelque chose de semblable, lorsque pour nous enseigner à nous conduire plus sûrement et à vivre avec plus de pureté, un saint homme nous dit : il est bon de ne point manger de chair, et de ne point boire de vin, et de ne faire aucune autre chose qui puisse blesser votre frère (Rom., XIV, 21). Et encore : ne faites point périr par les choses que vous mangez celui pour qui Jésus-Christ est mort (Ibid., v. 15). Et ailleurs ; Si ce que je mange scandalise mon frère je ne mangerai jamais de chair pour ne lui point causer de scandale (I Cor., VIII, 13). Mais il faut savoir que les Juifs qui croient entendre la loi de Moïse, observent de ne manger que des choses qui sont pures selon cette loi, et s’abstiennent avec soin de celles qu’elle déclare impures. Ils ne reçoivent non plus dans leurs repas,, ni le sang d’aucun animal, ni rien qui ait été déchiré par les bêtes sauvages, ni diverses autres choses, qui seraient la matière d’un long discours auquel il n’y a pas d’apparence de s’engager présentement (Levit., I, 1,2, etc. ; XVII, 14 et 15). Au lieu que la doctrine de Jésus, voulant amener tous les hommes au pur service de Dieu, il eût été à craindre qu’une discipline si rude sur le sujet des viandes, ne rebutât plusieurs personnes qui pouvaient profiter du christianisme pour la correction de leurs mœurs. C’est par cette raison qu’elle déclare, que ce qui souille l’homme ce n’est pas ce qui entre dans la bouche mais ce qui en sort. Car ce qui entre dans la bouche, dit-elle, descend dans le ventre et est rejeté hors du corps. Mais ce qui sort de la bouche ce sont les mauvaises pensées du cœur, les meurtres, les adultères, les fornications, les larcins, les faux témoignages, les médisances (Matth., XV, 11, 17, 18 et 19). Saint Paul dit aussi, que les viandes ne nous rendent point plus agréables à Dieu : car si nous mangeons nous n’en tirons aucun avantage ; et si nous ne mangeons pas nous n’en souffrons aucun préjudice (I Cor., VIII, 8). Cependant comme il y avait en tout cela quelque obscurité qui avait besoin d’être éclaircie, les apôtres de Jésus et les prêtres, assemblés conjointement à Antioche, et le Saint-Esprit avec eux (Act., XV, 28 et 29), comme ils en parlent eux-mêmes, jugèrent à propos d’écrire une lettre aux fidèles d’entre les Gentils, pour leur défendre seulement de manger, des choses dont il était, disaient-ils, nécessaire de s’abstenir ; qui sont, les choses immolées aux idoles, les choses étouffées et le sang. Car pour les choses immolées aux idoles, elles sont immolées aux démons ; et il ne faut pas qu’un homme qui est à Dieu, participe à la table des démons (I Cor., X, 20, 21). A l’égard des choses étouffées, comme le sang n’en est pas épreint, et qu’on lient que le sang est l’aliment des démons qui se nourrissent de ce qu’il exhale, notre religion nous les défend, de peur que nous n’ayons le même aliment que les démons : car il pourrait arriver dans le temps que nous mangerions des choses étouffées, que quelques-uns de ces esprits s’en nourriraient aussi avec nous. Ce que nous venons de dire des choses étouffées, se peut facilement appliquer au sang dont nous nous abstenons par même raison. Et puisque nous sommes sur ce sujet il ne sera pas hors de propos de rapporter ici ce beau mot de Sexte, qui se lit parmi ses sentences et qui est assez connu entre les chrétiens : Qu’il est indifférent de soi-même démanger de la chair des animaux ; mais qu’il est plus raisonnable de s’en abstenir. Ce n’est donc pas simplement par quelque tradition de nos pères, que nous nous abstenons de la chair de ces victimes, qu’on prétend immoler à l’honneur des dieux, des héros, ou des démons, c’est par quantité d’autres raisons dont nous venons de loucher une partie. Nous ne croyons pas non plus qu’il faille s’abstenir de la chair de tous les animaux, de là même manière qu’il faut s’abstenir de tous les vices et de tout ce qui en dépend. Il faudrait s’abstenir non seulement de la chair de tous les animaux, mais même de toute autre sorte de viandes, si nous ne pouvions en user sans faire quelque action qui de soi-même, ou par conséquence dût passer pour vicieuse. En effet, il ne faut jamais manger pour remplir son ventre ou pour flatter son goût : il faut se proposer de conserver pu de rétablir la santé de son corps. Mais comme nous ne croyons pas la métempsycose, ni que l’âme soit rabaissée jusqu’à entrer dans le corps des bêtes brutes, il ne se trouvera point que si nous nous abstenons quelquefois de la chair des animaux, nous le fassions jamais par le même principe que Pythagore. Nous ne savons respecter d’autre âme que l’âme raisonnable : et pour ses organes, nous leur rendons l’honneur de la sépulture, selon l’ordre établi parmi nous ; car il ne serait pas juste que le domicile de cette âme fût jeté ignominieusement, et à l’aventure. comme le corps des animaux sans raison ; surtout quand on est persuadé que l’honneur qu’on rend à un corps où une âme raisonnable a fait sa demeure, rejaillit sur toute la personne de celui qui avait reçu du ciel l’âme qui s’est servie de cet organe, comme elle devait. Quant à cette question ; comment les morts ressusciteront, et en quel corps ils doivent revivre (I Cor., XV, 35), nous en avons dit quelque chose ci-dessus, autant que notre sujet le demandait. Ce que Celse dit ensuite, est effectivement ce qu’allèguent et les chrétiens et les Juifs, pour rendre raison de ce qu’ils ne veulent pas manger des choses immolées aux idoles ; savoir, qu’il ne faut pas que des personnes consacrées au grand Dieu, mangent, rien où les démons aient part. Il y fait la réponse que nous avons vue. Pour nous, nous avouons qu’à l’égard du manger et du boire, nous ne savons point d’autre manière d’user de choses où les démons aient part, que quand on mange de la chair des sacrifices, comme on les appelle communément, ou qu’on boit du vin qui a servi à faire des libations aux démons. Mais pour Celse, il croit qu’on ne saurait manger de pain, ni boire de vin, en quelque occasion que ce puisse être, ni goûter d’aucun fruit, qu’on ne se nourrisse, de choses où les démons ont part. Il ne veut pas même qu’on paisse boire d’eau, sans être dans les mêmes termes : et il étend cela jusqu’à l’air que nous respirons, qui nous est, dit-il, fourni par de certains démons ; puisque tous les animaux ne respirent que par la faveur des démons qui président sur l’air. Si quelqu’un veut entreprendre de soutenir ce raisonnement de Celse, qu’il nous fasse voir comme quoi ce ne sont pas de saints anges de Dieu, qui sont établis pour avoir inspection sur toutes ces choses ; plutôt que des démons impurs, n’y en ayant point d’une autre espèce. Nous sommes bien nous-mêmes persuadés qu’il y a des êtres invisibles, qui non seulement donnent la fertilité à la terre, par une culture invisible comme eux, s’il faut parler de la sorte, mais qui règlent aussi tout ce qui concerne et l’eau et l’air ; sans le soin et la conduite desquels la terre ne produirait point ce qu’on dit que la nature lui fait produire, les fontaines ne couleraient point de leurs sources, les fleuves ne traverseraient point les campagnes pour les arroser, l’air ne se conserverait point dans sa pureté, et il n’aurait point la vertu d’entretenir notre vie par la respiration. Mais nous ne croyons pas que ces êtres invisibles soient des démons. Pour dire librement ma pensée, s’il y a en tout cela quelque opération qui doive être attribuée aux démons, les effets n’en sont autres que la famine, la stérilité des vignes et des arbres, la sécheresse, la corruption même de l’air, tantôt pour faire périr les fruits, tantôt pour envoyer la mortalité sur les animaux, ou la peste parmi les hommes (Prov., XVII, 11). C’est à des exécutions de cette nature, que les démons sont employés comme des bourreaux : la justice de Dieu leur donnant en de certaines rencontres le pouvoir d’agir de la sorte (Matth., VIII, 32) ; soit pour la correction des hommes qui se sont abandonnés aux vices sans aucune retenue, soit pour l’épreuve de ce que chacun est dans l’intérieur (Job, I, 12, et II, 6). Car ceux qui conservent leur piété au milieu de tous ces maux et qui n’en prennent point occasion de se relâcher, ceux-là donnent des preuves manifestes de ce qu’ils sont ; et bien que l’on ne puisse lire dans leur cœur, ils font assez voir ce qui s’y passe, aux spectateurs tant visibles qu’invisibles qui les observent. Mais pour ceux qui sont dans une disposition contraire, les accidents qui leur arrivent, mettent si bien au jour les mauvaises inclinations qu’ils tenaient cachées, qu’ils apprennent à se connaître eux-mêmes, et qu’ils se découvrent clairement aux spectateurs, pour continuer à m’exprimer ainsi. Le psalmiste témoigne qu’il y a de mauvais anges, dont Dieu se sert pour mire sentir aux hommes les plus terribles coups de son juste jugement. Il fit tomber sur eux dit-il, les flammes de sa colère, sa fureur, sa vengeance, et ses châtiments, par le ministère des mauvais anges (Ps. LXXVIII, 49). Si les choses se poussent encore plus loin lorsqu’elles sont à la discrétion des démons, qui ont bien toujours la volonté, mais qui n’ont pas toujours le pouvoir de faire du mal, parce que Dieu les en empêche ; c’est ce que nous laisserons examiner à ceux qui pourront pénétrer assez avant dans les jugements de Dieu, malgré la faiblesse de la nature humaine, pour concevoir comment il arrive que tant d’âmes soient portées à quitter leur corps et à courir en foule à la mort, par les voies oui y mènent le plus droit. Car les jugements de Dieu sont si sublimes, qu’à cause de leur élévation, une âme encore attachée à un corps mortel ne peut atteindre. Il est très difficile de les pénétrer ; et un esprit mal instruit n’y saurait du tout rien comprendre (Ps. XXXVI 6, 7 ; Sag., XVII, 1). C’est ce qui fait qu’il y a des téméraires, qui comme ils ignorent ces choses, en prennent occasion de s’élever insolemment contre la Divinité, et de joindre ce nouveau renfort aux sentiments impies qui combattent la Providence. Ce n’est donc pas des démons que nous recevons tout ce dont nous avons besoin, pour soutenir notre vie ; surtout si nous avons appris à en user comme nous devons. Dans l’usage que l’on fait du pain, du vin, des fruits, de l’eau, et de l’air, les démons ne sont point de la partie. Ce sont plutôt les saints anges, établis sur toutes ces choses. Ils sont pour ainsi dire invités à tous les repas du fidèle qui s’applique à pratiquer cette leçon : Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, ou que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu (I Cor., X, 31) : et cette autre : Faites toutes choses au nom de Dieu (Col., III, 17). Ainsi, lorsque nous mangeons, que nous buvons, que nous respirons pour la gloire de Dieu ; en un mot, que nous faisons toutes chose ? comme il nous l’ordonne, nous n’entrons point en société avec les démons, mais avec ses saints anges. En effet, toutes les créatures de Dieu sont bonnes, et il n’y en a aucune à rejeter, pourvu qu’on en use avec action de grâces : car elles sont sanctifiées par la parole de Dieu, et par la prière (I Tim., IV, 4 et 5). Mais elles ne seraient pas bonnes, ni capables d’être sanctifiées, si comme Celse le prétend, c’étaient des choses que les démons eussent sous leur charge.

Il est clair que ce qu’il ajoute est déjà réfuté par ce que nous venons d’établir. Il faut donc, dit-il, cesser absolument de vivre, il faudrait même n’être point venu au monde, ou, puisque nous y avons été mis à ces conditions, il faut bien que nous rendions aux démons qui président sur les choses de la terre, les actions de grâces qui leur sont dues, que nous leur adressions des prémices, et que nous leur adressions des vœux tant que nous vivrons, afin que nous ressentions toujours les effets de leur bienveillance. Il ne faut point cesser de vivre, mais il faut conformer notre vie à la parole de Dieu autant que cela nous est possible : et c’est ce que nous pouvons faire, si lorsque nous mangeons ou que nous buvons, nous faisons tout pour la gloire de Dieu. Nous ne devons point faire de difficulté non plus d’user des ouvrages du Créateur en lui rendant grâces de ce qu’il les a créés pour nous, et c’est à ces conditions plutôt qu’à celles que Celse a marquées, que Dieu nous a mis au monde. Nous ne dépendons point des démons ; nous dépendons du grand Dieu, par Jésus-Christ, qui nous donne à lui. Il n’y a point de démons qui président par l’ordre de Dieu sur les choses de la terre ; mais peut-être que par une suite de leur propre méchanceté, ils ont fait entre eux le partage des lieux d’où la connaissance de Dieu et la vie conforme à ses lois sont entièrement bannies, ou qui sont peuplés d’ennemis de la Divinité. Peut-être aussi que comme ils sont digues de régner sur des méchants et d’être employés à les punir, le Verbe, par qui toutes choses sont gouvernées, leur a donné de l’autorité sur ceux qui aiment mieux reconnaître l’empire du péché que celui de Dieu. Que Celse après cela aille rendre ses actions de grâces aux démons, lui qui ne connaît point Dieu. Pour nous dont le dessein est de plaire au Créateur de l’univers, nous observons, lorsque nous mangeons le pain qu’on met devant nous, d’adresser nos vœux et de rendre nos actions de grâces à celui qui nous le donne, et ce pain devient, par le moyen de la prière, un corps qui non seulement est saint, mais qui a même la vertu de sanctifier ceux qui en usent avec un esprit bien disposé. Celse nous parle encore d’offrir des prémices aux démons ; mais pour nous, nous ne voulons en offrir qu’à celui qui a dit : Que la terre pousse des herbes de toute sorte qui portent leur graine conforme à leur espèce ; qu’elle pousse aussi toute sorte d’arbres fruitiers qui portent du fruit chacun selon son espèce, et qui aient leur semence en eux-mêmes, pour se reproduire sur la terre (Gen., I, 11). C’est à celui-là que nous offrons des prémices, et c’est au même que nous adressons nos vœux, ayant un grand sacrificateur qui est entré jusque dans les deux, savoir Jésus, le Fils de Dieu (Hébr., IV, 14). Nous voulons faire tant que nous vivrons une constante profession de cette doctrine pour ressentir toujours les effets de la bienveillance de Dieu et de Jésus son Fils unique, qui s’est fait connaître à nous. Si nous souhaitons, outre cela, que ceux dont nous recherchons ta bienveillance soient en grand nombre, nous apprenons qu’il y a des mille milliers et des dix mille millions de ministres des volontés de Dieu qui se tiennent devant lui attendant ses ordres (Dan., VII, 10). Et puisqu’ils ne peuvent regarder que comme leurs compagnons et leurs amis, ceux qui sont les imitateurs de leur piété pour ce grand Dieu, qui le prient et qui invoquent légitimement, ils travaillent avec eux à l’avancement de leur salut ; ils se présentent même à eux, se croyant obligés de seconder leurs désirs et de venir procurer, comme de concert, le bien et les avantages spirituels de ceux qui rendent leurs hommages au même Dieu a qui ils rendent les leurs ; car ce sont autant d’esprits dont l’emploi est d’être envoyés pour servir ceux qui doivent être les héritiers du salut (Hébr., I, 14). Laissons donc dire aux sages d’entre les Grecs, que les âmes humaines dès qu’elles entrent dans le monde, sont commises aux soins de certains démons, et tenons-nous-en à la leçon que Jésus nous fait, de n’avoir point de mépris pour les moindres de ceux qui sont dans l’Église ; parce, dit-il, que leurs anges voient sans cesse la face de mon Père qui est dans le ciel (Matth., XVIII, 10). Le prophète dit encore, Que les anges du Seigneur campent autour de ceux qui le craignent, et qu’ils les délivreront (Ps. XXXIV, 8). Ainsi nous ne voulons point nier qu’il n’y ait grand nombre de démons sur la terre ; nous le reconnaissons et nous disons même qu’ils ont beaucoup de pouvoir sur les méchants qui se livrent à eux par leur propre faute. Mais nous disons aussi qu’ils ne peuvent rien sur ceux qui, s’étant munis de toutes les armes de Dieu, ont acquis la force de se défendre des embûches du diable, et qui se tiennent toujours sur leurs gardes contre de tels assauts, sachant que nous n’avons pas à combattre contre la chair et contre le sang, mais contre les seigneuries et contre les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux et contre les esprits malins qui sont dans les lieux célestes (Ephés., VI, 11 et 12).

Passons à un autre raisonnement de Celse. Y a-t-il de l’apparence, dit-il, qu’un satrape, un lieutenant, un général ou un intendant du roi de Perse ou de l’empereur romain, que des officiers mêmes d’un rang inférieur qui aient la moindre charge ou le moindre emploi dans l’État, soient capables défaire beaucoup de mal à ceux qui manquent de respect pour eux, et que ces satrapes et ces ministres qui ont la direction des affaires de l’air et de la terre, soient si peu à craindre pour ceux qui les offensent ? Voyez, je vous prie, comme il nous représente ces satrapes, qu’il forme sur le modèle de ce qui se voit parmi les hommes pour les donner au grand Dieu, ces lieutenants, ces généraux, ces intendants et ces autres officiers qui ont des charges et des emplois moins considérables ; comme il nous les représente, dis-je, en disposition de faire beaucoup de mal a ceux qui les offensent. Il devrait considérer qu’il n’y pas même d’homme sage qui voulût faire du mal à qui que ce soit, et qui ne fût bien aise au contraire de convertir et de corriger, s’il le pouvait, ceux qui l’auraient offensé. Mais peut-être que ces satrapes, ces lieutenants et ces généraux que Celse attribue au grand Dieu, ont moins de sagesse que Lycurgue, le législateur des Lacédémoniens, ou que Zénon, Citien ; car Lycurgue ayant en son pouvoir celui qui lui avait crevé un ? il, non seulement ne s’en vengea point, mais il n’eut pas même de repos, que par ses douces sollicitations, il ne l’eût porté a se faire philosophe. Et Zénon, sur ce que quelqu’un lui dit : Que je meure, si je ne me venge de toi, ne répondit autre chose sinon : Que je meure, si je ne te fais mon ami (Plutarque). Je ne parle pas encore de ceux qui sont instruits dans l’école de Jésus et qui sont formés à ce précepte : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous maltraitent, afin que vous soyez les enfants de votre père qui est dans les deux, lequel fait lever son soleil aussi bien sur tes méchants que sur les bons, et fait pleuvoir sur les justes, et sur les injustes (Matth., V, 44, 45). C’est là l’esprit du juste, lorsqu’il parle ainsi dans les écrits des prophètes : Seigneur, mon Dieu, si j’ai fait ce qu’on m’impute, s’il se trouve de l’iniquité dans mes mains, si foi rendu la pareille à ceux qui m’avaient fait du mal, que je succombe sans ressources sous mes ennemis ; que mon ennemi poursuive mon âme et qu’elle tombe en sa puissance ; qu’il foule ma vie aux pieds sur la terre (Ps. VII, 4, 5 et 6). Mais il n’en est pas comme Celse se le persuade ; les vrais satrapes de Dieu, ses lieutenants, ses généraux et ses intendants, je veux dire ses anges, ne font point de mal a ceux qui les offensent. S’il y a des démons qui fassent du mal, qui sont ceux que Celse a en vue, ils le font parce, qu’ils sont méchants, mais ils n’ont aucune commission de Dieu pour être ses satrapes, ses intendants ou ses généraux. Aussi ne font-ils de mal qu’à ceux qui leur sont assujettis et qui ont bien voulu se soumettre à eux comme à leurs maîtres. De là vient sans doute que quand on mange de certaines viandes que les lois du pays où l’on se trouve défendent de manger, si l’on est de ceux qui reconnaissent l’autorité des démons, on porte la peine d’avoir violé ces lois ; mais si l’on n’est pas de ce nombre et qu’on ne se soit point assujetti au démon du lieu, on peut se rire de lui et de ses compagnons, sans craindre de se voir exposé à rien souffrir de leur part. Cependant, si ces mêmes personnes, par un effet de leur ignorance à l’égard de certaines autres choses, se sont soumises à d’autres démons, elles ne laisseront pas d’être sujettes à leurs insultes ; au lieu qu’un chrétien qui est véritablement tel, et qui ne se soumet qu’à Dieu seul et à son Verbe, ne doit absolument rien appréhender des démons qui sont beaucoup plus faibles que lui ; et ils n’ont garde de lui faire aucun mal, puisque les anges du Seigneur campent autour de ceux qui le craignent, et où ils les délivreront (Ps. XXXIV, 8) ; puisque l’ange de chacun d’eux encore, voyant sans cesse la face de notre Père qui est dans le ciel (Matth., XVIII, 10), présente continuellement leurs prières au Dieu de l’univers, par notre grand et unique sacrificateur, et qu’il joint lui-même ses prières aux prières de celui qui a été commis à ses soins. Que Celse ne prétende donc pas nous faire peur, en nous menaçant du mal que les démons nous pourront faire, si nous manquons de respect pour eux ; car quoique nous en manquions, ils ne peuvent rien contre nous, puisque nous sommes sous la protection de celui qui, tout suffisant qu’il est pour défendre seul tous ceux qui en sont dignes, ne laisse pas d’envoyer encore ses anges au secours de ses fidèles, pour les garantir, eux qui se sont consacrés à Dieu, des efforts des auges ennemis et de leur chef, appelé le prince de ce siècle (Jean, XIV, 30).

Après cela comme s’il avait oublié qu’il parle a des chrétiens qui n’invoquent que Dieu seul par Jésus-Christ, il leur attribue sans raison et en confondant tout, des choses qui ne conviennent qu’à d’autres. Ceux à qui ils s’adressent, dit-il, si on les nomme en langue barbare, auront de la vertu ; mais si on les nomme en grec ou en latin ils n’en auront plus. Qu’on nous montre qui c’est que nous nommons en langue barbare, comme si nous l’appelions à notre secours au qu’on reconnaisse que c’est à tort que Celse avance cela contre nous. On le reconnaîtra sans doute, si l’on considère que tout le gros des chrétiens dans les prières mêmes qu’ils font à Dieu, n’emploient pas les propres termes dont la sainte Écriture se sert pour le désigner par son nom : mais que les Grecs le prient en grec ; ceux qui parlent latin en latin, et ainsi chacun dans sa langue, le louant tous selon qu’ils le peuvent. Pour lui, qui est le maître de toutes les langues il entend ceux qui le prient en quelque langue que ce soit, comme s’ils ne formaient pour ainsi dire qu’une seule voix, de même qu’on ne se forme l’idée que d’un seul sens, bien qu’il soit exprimé en des langues différentes Car le grand Dieu n’est pas du nombre de ceux que leur sort attache à une langue particulière, soit grecque ou barbare, et qui, comme ils n’entendent que celle-là, ne se mettent point en peine de ce qu’on leur peut dire en quelque autre.

Ce que Celse ajoute, il ne l’a jamais entendu dire à aucun chrétien, ou il faut que ce soit à quelque chrétien du dernier ordre, qui ne suive et qui ne sache pas nos maximes. Quoi qu’il en soit, il fait parler les chrétiens de cette sorte : Voyez-moi devant la statue de Jupiter, d’Apollon ou de quelque autre de ces dieux lui dire des injures et lui faire des outrages : cependant il ne s’en venge point. Mais comme je l’ai dit, c’est ne pas savoir la défense que la loi de Dieu nous fait : de dire rien d’offensant contre les dieux (Exode, XXII, 28), même de peur que notre bouche ne s’accoutume à dire du mal de qui que ce puisse être. En effet nous sommes exhortés à bénir et non à maudire (Rom., XII, 14) ; et nous savons, que ceux qui disent du mal de quelqu’un n’hériteront point le royaume de Dieu (I Cor., VI. 10). Après tout, qui de nous peut être assez simple pour parler ainsi et ne pas voir que cela ne conclut rien contre les dieux qui passent pour tels ni contre l’opinion qu’en ont les hommes ? Des athées de profession qui niaient absolument la Providence et qui par leurs dogmes pernicieux et impies, ont donné la naissance à des sectes de prétendus philosophes, n’ont-ils pas vécu exempts eux et leurs sectateurs de ce que l’on prend communément pour des maux ? N’en voit-on pas même encore qui ont et des richesses et de la santé ? Il est vrai que si l’on considère bien ce que c’est que le mal, on trouvera qu’ils sont effectivement malheureux ; car quel plus grand malheur y a-t-il que de ne se pas servir de l’ordre admirable du monde pour connaître celui qui l’a fait ? Quelle plus grande misère que d’avoir l’esprit assez aveugle pour ne pas voir le créateur et le père de tous les esprits ? Nous ayant prêté des paroles qu’on ne peut attribuer aux chrétiens que par une pure calomnie, Celse y répond d’une manière qui a plus l’air d’une insulte que d’une réponse, et il croit que pour se défendre il lui suffit de nous dire : Mais ne croyez-vous pas, pauvre homme, qu’il y en a qui disent aussi des injures en face à votre démon et qui, non contents de cela, le bannissent encore publiquement de toute l’étendue de la terre et de la mer ; qui vous prennent vous-même, que nous devons regarder comme une statue consacrée à son honneur, qui vous lient, qui vous traînent au supplice et oui vous font souffrir une mort infâme ? Cependant ce démon ou ce Fils de Dieu, comme vous l’appelez, ne l’en venge point non plus. Cette défense de Celse pourrait avoir lieu s’il était vrai que nous parlassions comme il nous fait parler. Il aurait pourtant toujours tort de faire du Fils de Dieu, un démon ; car selon nous qui sommes persuadés qu’il n’y a que de mauvais démons, celui qui a converti un si grand nombre d’hommes à Dieu n’est pas un démon, mais Dieu le Verbe et le Fils de Dieu. Pour Celse, qui n’a point fait paraître qu’il reconnaisse de mauvais démons, je ne sais comment il lui est échappé de dire que Jésus est un démon. Au reste, les peines dénoncées aux impies tomberont à la fin sur ceux qui ayant refusé tous les remèdes qui leur auront été présentés, se trouveront avoir eu une méchanceté incurable, s’il faut parler de la sorte, et cette doctrine de la punition des méchants, lorsque nous la mettons dans son jour, nous sert souvent à en retirer plusieurs de leurs péchés. Mais voyons un peu aussi ce que Celse apprend là-dessus de ses prêtres d’Apollon ou de Jupiter. Voici un de leurs oracles :

Les dieux font tourner lentement
Les meules de leur châtiment ;
Mais enfin ces meules écrasent :
Les flammes de leur jugement
S’allument difficilement ;
Mais enfin ces flammes embrasent.
Et en voici un autre :
Des dieux trop offensés la justice sévère
Fait passer leur colère,
Des pères aux enfants et des enfants à ceux
Qui viennent après eux.

Combien y a-t-il plus de sagesse dans ces paroles : Les pères ne mourront point pour leurs enfants, ni les enfants pour leurs pères ; mais chacun mourra pour son propre péché (Deut., XXIV, 16) ? Et dans ces autres : Celui qui aura mangé te raisin vert c’est celui qui en aura les dents agacées (Jérém., XXXI, 30) ? Et dans celles-ci encore : Le Fils ne sera point chargé de l’iniquité du père ni le père de celle du Fils : la justice du juste sera sur lui comme sur le méchant sa méchanceté (Ezéch., XVIII, 20) ? Si quelqu’un dit que ces vers :

Des pères aux enfants et des enfants ceux
Qui viennent après eux.

Sont la même chose que ceci : Je punis les péchés des pères sur les enfants jusque la troisième et jusqu’à la quatrième génération de ceux qui me haissent (Exode, XX, 5) : qu’il apprenne d’Ézéchiel que cette dernière expression est figurée. Car après avoir censuré ceux qui disaient : Les pères ont mangé le raisin vert, et les dents des enfants en sont agacées. Le prophète ajoute : Vrai comme je suis vivant, dit le Seigneur, chacun mourra seulement pour son propre péché (Ezéch., XVIII, 2, 3, 4). Mais ce n’est pas ici le lieu d’expliquer cette façon de parler figurée de la punition des péchés jusqu’à la troisième et jusqu’à la quatrième génération.

Celse en vient ensuite aux injures, comme une vieille en colère. Vous parlez mal, dit-il, et vous vous moquez des statues de nos divinités ; mais si vous aviez fait ces outrages à Bacchus ou à Hercule, en leur présence, vous n’en seriez pas sortis peut-être de si bonne humeur : au lieu que ceux qui ont traité si mal votre Dieu et qui lui ont fait souffrir le dernier supplice, n’ont en aucune sorte porté la peine des insultes qu’ils lui ont faites en sa propre personne, quelque temps qui se soit écoulé depuis. Qu’est-il arrivé de nouveau dans la suite pour faire croire qu’il n’était pas un imposteur, mais le Fils de Dieu ? Est-il possible que celui qui a envoyé ainsi son Fils au monde, et qui a exposé a de si cruels tourments pour l’amour de je ne sais quelles statues, dont ta destruction n’en est que plus assurée, témoigne se soucier si peu de lui, et ne se réveille point enfin après le cours de tant d’années ? A-t-on jamais vu de père si dénaturé ? Mais s’il a tant souffert, c’est peut-être, comme vous le dites, parce qu’il l’a bien voulu. On peut dire tout de même de ceux contre qui vous blasphémez, qu’ils le veulent bien, et que c’est par cette raison qu’ils souffrent vos blasphèmes ; car il est bon de faire voir qu’en cela les choses sont égales, avec cette différence pourtant que ceux-ci savent bien faire sentir leur vengeance à leurs blasphémateurs qui sont contraints de s’enfuir et de se cacher, ou qui, s’ils se laissent prendre, reçoivent le châtiment qu’ils méritent. J’ai à répondre que nous ne parlons mal (I Cor., VI, 10) de qui que ce soit, étant persuadés que ceux qui disent du mal de quelqu’un n’hériteront point le royaume de Dieu (Matth., V, 44) ; et ayant devant les yeux cette leçon : Bénissez ceux qui vous maudissent, bénissez-les et ne les maudissez point (Rom., XII, 14), ayant encore appris celle-ci, On nous maudit, et nous bénissons (I Cor., IV, 12). Si donc la parole de Dieu ne nous permet pas même de dire du mal, lorsque c’est, en quelque sorte, repousser l’injure qu’il semble qu’on nous fait, combien moins faut-il en dire, quand on ne le peut faire sans une extrême folie ? Car c’en est une aussi grande qu’il se puisse, de dire du mal d’une pierre et d’une masse d’or ou d’argent qui aura été façonnée pour représenter les dieux, selon la fausse idée de ceux qui ne connaissent point la Divinité. Nous ne nous moquons point non plus de ces simulacres inanimés, mais plutôt, comme il peut nous arriver quelquefois, de ceux qui les adorent. Et posé qu’il y ait de certains démons attachés à de certaines statues, dont l’un porte le nom de Bacchus et l’autre d’Hercule, nous nous abstiendrons aussi d’en dire du mal ; car cela ne servirait de rien, et serait même indigne de la douceur, de la modération et de la tranquillité d’une âme qui est instruite qu’il ne faut dire de mal de qui que ce soit, homme ou démon, quelque méchant qu’il puisse être, le ne sais pas, au reste, comme quoi Celse après avoir loué autant qu’il a fait ses démons ou ses dieux, s’oublie si fort tout d’un coup, que de les dépeindre présentement dans leur manière d’agir, comme remplis de méchanceté, et bien plus portés à punir par un esprit de vengeance ceux qui les outragent, qu’à les châtier pour leur correction. En effet, voici comme il en parle : Si vous aviez outragé Bacchus ou Hercule en leur présence vous n’en seriez pas sorti peut-être de si belle humeur. Je laisse à qui voudra le soin d’expliquer comment ils peuvent entendre les choses qu’on leur dit dans le temps qu’ils n’y sont pas ; pourquoi ils sont tantôt présents et tantôt absents, d’où vient enfin cet empêchement qui oblige les démons à passer d’un lieu en un autre. Dans les paroles qui suivent, Celse suppose que quand nous donnons à Jésus le nom de Dieu, nous le donnons à son corps maltraité et conduit au supplice et non à sa nature divine ; que nous le considérons comme Dieu à regard même de ces mauvais traitements et de ce supplice. Ceux, dit-il, qui ont traité si mal votre Dieu, et qui lui ont fait souffrir le dernier supplice, n’ont en aucune sorte porté la peine des insultes qu’ils lui ont faites en sa propre personne. Mais comme nous avons ci-devant assez parlé de ce que Jésus a souffert en tant qu’homme, nous voulons bien n’en rien dire maintenant de peur de tomber en de vaines redites. Quant à ce que Celse ajoute, Que ceux qui ont fait ces insultes à Jésus n’en ont porté la peine en aucune sorte, quelque temps qui se soit écoulé depuis, nous pouvons faire voir et à lui et à quiconque voudra s’en instruire, que la ville dans laquelle le peuple juif, préférant à Jésus un voleur qui avait été emprisonné pour crime de sédition et de meurtre, voulut qu’on délivrât celui-ci, et demanda par ses cris de Crucifiez-le, crucifiez-le (Luc, XXIII, 21 et 25), que Jésus, qui avait été livré par envie, fût mis en croix ; nous pouvons, dis-je, faire voir que cette ville fut attaquée peu de temps après, et qu’ayant soutenu un long siège, elle fut enfin prise, saccagée et détruite de fond en comble. Dieu jugea que les habitants de ce lieu étaient même indignes de la vie civile ; ou plutôt, si je ne dois point craindre d’avancer un paradoxe, ce fut encore pour les épargner que, les voyant si incorrigibles qu’au lieu de se tourner vers le bien, ils s’enfonçaient tous les jours de plus en plus dans leur corruption, il les livra entre les mains de leurs ennemis. Ce furent les suites qu’eut leur empressement à faire répandre le sang de Jésus sur leur terre, laquelle après cela ne put plus porter des gens qui s’étaient rendus coupables d’un si grand crime. On peut donc voir ce qui est arrivé de nouveau depuis le temps de la passion de Jésus : je dis tant à l’égard de la ville et de toute la nation des Juifs, qu’à l’égard de ce grand peuple de chrétiens, qui est né si soudainement et comme tout à la fois ; car c’est aussi une chose fort nouvelle, que des personnes, qui étaient des étrangers pour les alliances de Dieu (Ephés., II, 12), qui étaient exclus de ses promesses et éloignés de la vérité, aient embrassé cette vérité par l’effet d’une vertu divine. Ce sont là, non les œuvres d’un imposteur, mais les œuvres de Dieu, qui, pour l’amour des statues ou des images qui le représentent, a bien voulu envoyer son Verbe au monde en la personne de Jésus. Les tourments qu’il y a soufferts avec une fermeté et une patience admirable sont bien des preuves de la cruauté et de l’injustice de ceux qui les lui ont fait souffrir, mais ces tourments n’ont point causé la destruction des statues et des images de Dieu ; au contraire, ils ont fait, s’il faut ainsi dire, qu’elles sont devenues capables de connaissance. C’était ce que Jésus enseignait lui-même lorsqu’il disait : Si le grain de blé tombant en terre ne meurt point, il demeure seul ; mais s’il meurt ; il porte beaucoup de fruit (Jean, XII, 24). Jésus donc qui est ce grain de blé étant mort, il a porté beaucoup de fruits et son Père prendra toujours soin des fruits qui sont nés, qui naissent et qui naîtront encore de la mort de ce grain de blé. Ainsi, il n’y a rien moins que de dénaturé dans le Père de Jésus, ce Père qui n’a point épargné son propre Fils, mais qui l’a livré à la mort pour nous tous (Rom., VIII, 31 ou 32), comme un agneau qui était à lui ; afin que cet Agneau de Dieu, mourant pour tout le monde, ôtât le péché du monde (Jean, I, 29). Et pour lui ç’a été volontairement, et non par contrainte, qu’il a souffert les outrages qu’on lui a faits. Celse après cela reprend ainsi son discours, contre ceux qui parlent mal des statues. On peut dire tout de même de ceux contre qui vous blasphémez, qu’ils le veulent bien, et que c’est par cette raison qu’ils souffrent vos blasphèmes ; car il est bon de faire voir qu’en cela les choses sont égales, avec cette différence pourtant que ceux-ci savent bien faire sentir leurs vengeances à leurs blasphémateurs, qui sont contraints de s’enfuir et de se cacher ; ou qui, s’ils se laissent surprendre, reçoivent le châtiment qu’ils méritent. Si c’est là ce qu’on appelle la vengeance des démons, elle tombe sur les chrétiens non comme sur des personnes qui blasphèment contre eux, mais qui leur font abandonner leurs simulacres et qui les chassent du corps et de l’âme des hommes. Car Celse, sans bien entendre la chose, n’a pas laissé de dire en ceci la vérité. Il est certain que ceux qui s’attaquent aux chrétiens, qui les défèrent, qui les condamnent ou qui y donnent leur approbation, ne le font que parce que leur âme est possédée par de mauvais démons. Mais comme les âmes de ceux qui meurent pour la religion chrétienne et pour les intérêts de la piété ne peuvent quitter leurs corps pour une occasion si glorieuse sans ébranler la puissance des démons, et sans affaiblir les embûches qu’ils dressent aux hommes ; de là vient » à mon avis, que les démons ayant appris par expérience qu’ils étaient vaincus et défaits par les martyrs (ou témoins) de la vérité ! ont craint qu’il n’y eût du danger à continuer de se servir de cette voie de vengeance. Jusqu’à ce donc qu’ils aient oublié les pertes qui leur en sont arrivées, il y a apparence que le monde laissera les chrétiens en paix. Mais quand les démons auront repris de nouvelles forces, et qu’aveuglés par leur malice ils voudront encore en venir à la vengeance, en persécutant les chrétiens, ils seront abattus tout de nouveau. Alors les âmes fidèles qui aiment mieux abandonner leur corps que d’abandonner leur piété, remporteront une nouvelle victoire sur l’armée du malin esprit. Car comme les démons savent bien que leur empire est détruit par ceux qui, mourant pour la véritable religion, demeurent ainsi victorieux ; et qu’au contraire, ils se font autant d’esclaves de ceux qui succombant aux souffrances, renoncent au culte du vrai Dieu, je me persuade qu’ils en viennent souvent aux mains avec les chrétiens, qui sont tirés en cause. Si la confession des premiers les navre de douleur, le renoncement des autres les comble de joie. C’est ce dont on voit des vestiges dans les juges mêmes, qui sont au désespoir quand un chrétien souffre avec constance les tourments et les supplices ; et qui triomphent quand il ne peut résister. Car ils n’en usent pas ainsi, par un sentiment de ce qui passe parmi eux pour humanité : ils voient assez que la langue de ceux qui se rendent aux mauvais traitements qu’on leur fait, abjure bien ; mais que

Le cœur ne consent point aux serments de la langue.
(EURIPIDE.)

Voilà ce que nous avions à dire sur ces paroles : Avec cette différence pourtant que ceux-ci savent bien faire sentir leur vengeance à leurs blasphémateurs qui sont contraints de s’enfuir et de se cacher, ou qui, s’ils se laissent prendre, reçoivent le châtiment qu’ils méritent. Si quelque chrétien s’enfuit, ce n’est pas par timidité, c’est pour obéir aux ordres de son maître, et pour se conserver pur, afin de travailler au salut des autres à qui il pourra être utile.

Voyons présentement ce que Celse ajoute on ces termes : Qu’est-il nécessaire de ramasser ici toutes les prédictions faites en forme d’oracles, tant par les prophètes et par les prophétesses que par plusieurs autres personnes divinement inspirées, les voix miraculeuses sorties de l’endroit le plus secret et le plus sacré de nos temples, tes diverses choses qu’on a apprises par l’immolation des victimes et par l’inspection de leurs entrailles, celles qu’on a découvertes par quantité d’autres signes merveilleux, les claires apparitions que quelques-uns ont eues ? Le monde est plein de pareils exemples. On sait combien de villes ont été bâties ou délivrées de diverses maladies et de la famine par les avertissements des oracles ; combien d’autres, ayant négligé ces avertissements, ou les ayant oubliés, ont péri misérablement ; combien de colonies ont été fondées qui, pratiquant ce qui leur avait été recommandé, sont devenues florissantes ; combien de princes, combien de particuliers ont eu de bonnes ou de mauvaises fortunes par la même voie ; combien de personnes affligées de n’avoir point d’enfants ont vu remplir par-là leurs désirs ; combien d’autres ont évité les effets de la colère des démons, ou, étant estropiés, ont été rétablis dans la première disposition de leur corps ; combien de gens, enfin, coupables d’avoir violé le respect dû aux lieux saints, en ont été punis sur l’heure, les uns perdant l’esprit à l’instant, les autres découvrant leurs crimes cachés, les uns se tuant eux-mêmes, les autres tombant en des maladies incurables, jusque-là que l’on en a vu expirer à route d’une voix terrible qui sortait du fond du temple. Je ne sais comme quoi Celse peut nous donner toutes ces choses pour des vérités constantes, et traiter de fables les merveilles étonnantes que nous lisons dans nos Écritures, tant sur le sujet des anciens Juifs que sur le sujet de Jésus et de ses disciples. Car pourquoi ne seront-ce pas nos histoires qui seront des vérités, et celles de Celse des fables ? Surtout, puisque parmi les Grecs mêmes il y a des philosophes, comme les sectateurs de Démocrite, d’Épicure et d’Aristote, qui refusent de croire les siennes, et qui peut-être ajouteraient foi aux nôtres, à cause de leur évidence, s’ils s’en étaient instruits par Moïse ou par quelqu’un des prophètes qui ont fait les miracles dont il s’agit, et si Jésus leur était moins inconnu. On lit dans les histoires que quelquefois la Pythie s’est laissée corrompre pour rendre de faux oracles ; mais nos prophètes ont toujours rendu des réponses si claires et si précises, qu’ils ont été l’admiration et de ceux de leur temps, et de ceux qui sont venus depuis. Leurs oracles ont fait bâtir des villes, cesser des maladies, finir des famines. Il est certain que ce fut encore sur des oracles que toute la nation des Juifs quitta l’Égypte pour aller fonder une grande colonie dans la Palestine : et cette nation a toujours été florissante tant qu’elle a pratiqué ce que Dieu lui avait commandé ; mais lorsqu’elle s’en est éloignée, elle a eu lieu de s’en repentir (Exode, III, 8). Qu’est-il besoin de rapporter combien de princes et combien de particuliers, dont nous avons les histoires dans nos Écritures, ont eu de bonnes et de mauvaises fortunes, selon qu’ils ont observé ou négligé les avertissements des prophéties ? S’il faut encore parler, comme lui, des personnes affligées de n’avoir point d’enfants, il y en a eu qui ont reçu la grâce de se voir pères ou mères, après l’avoir demandée par leurs prières au Créateur de l’univers. On n’a qu’a lire l’histoire d’Abraham et de Sara de qui naquit Isaac, et celles de quelques autres (Gen., XVII, 19, et XXX, 17, 22). On n’a qu’à lire ce qui nous est raconté d’Ezéchias, qui non seulement fut guéri de sa maladie, Comme Isaïe le lui avait prédit, mais qui ne fit point même difficulté de dire avec confiance : J’aurai encore, à l’avenir, des enfants qui publieront ta justice (Is., XXXVIII, 5, 19). On peut voir aussi au quatrième livre des Rois, comment cette femme, qui avait logé Élisée et à qui il avait promis un enfant par la bénédiction de Dieu qui l’inspirait, se vit effectivement mère, selon les vœux du prophète (IV Rois, IV, 16, 17). Jésus a pareillement rétabli un nombre infini d’estropiés (Matth., XV, 30, etc.). Et d’autres, qui avaient eu la hardiesse de violer le respect dû au culte que les Juifs rendaient à Dieu ans le temple de Jérusalem, eu ont été punis de la manière qui nous est rapportée dans les livres des Machabées (I Mac, IX, 55 ; II Mac, III, 24 et IX). Les Grecs diront sans doute que ce ne sont là que des fables, quoique ce soient des faits dont la vérité est attestée par deux grands peuples. Et nous, pourquoi ne dirons-nous, pas que ce sont plutôt les histoires des Grecs qui sont des fables ? Mais si quelqu’un, qui craindra qu’on ne l’accuse d’admettre ses propres histoires et de rejeter celles des autres par un pur caprice, veut entrer dans une discussion particulière, et qu’il dise que les prodiges des Grecs ont été faits par quelques démons, que ceux des Juifs sont des ouvrages de Dieu agissant par les prophètes ou des productions, soit des anges seuls, soit de Dieu, par leur ministère, et que ceux des chrétiens sont des effets de la puissance de Jésus, et de celle que ses apôtres avaient reçue de lui : à la bonne heure, comparons-les tous les uns aux autres. Voyons quel a été le but de ceux qui ont fait ces choses surprenantes, et si ceux à l’occasion de qui, ou, si l’on veut, en faveur de qui elles ont été faites, en ont reçu du profit ou du dommage, ou s’il ne leur est arrivé ni bien ni mal. Voyons, dis-je, si toute la nation des anciens Juifs ne paraîtra pas, une nation de philosophes, avant qu’ils eussent péché contre Dieu, qui les a abandonnés, à cause de l’énormité de leurs crimes, et si les chrétiens, dont la société s’est formée d’une manière si étonnante, n’ont pas été d’abord engagés par les miracles plus que par les exhortations, à renoncer aux cérémonies de leur pays, pour embrasser une religion toute différente de celle qu’ils avaient apprise de leurs pères. En effet, s’il faut raisonner suivant la vraisemblance sur le premier établissement de l’Église chrétienne, on verra qu’il y a peu d’apparence que les apôtres de Jésus, qui étaient des hommes sans lettres et du commun peuple (Act., IV, 13), aient osé entreprendre de prêcher le christianisme dans le monde, sur un autre fondement que sur celui de la puissance dont ils avaient été revêtus, et de la grâce qui accompagnait leur prédication, pour faire recevoir la doctrine qu’ils annonçaient, et qu’il n’est pas croyable non plus que leurs auditeurs aient abandonné des coutumes établies parmi eux depuis si longtemps, sans qu’ils aient été poirés par une vertu efficace, et par des actions miraculeuses, à croire des dogmes si nouveaux et si éloignés de ceux qu’ils avaient sucés avec le lait.

Celse passe après cela, je ne sais comment, à représenter la fermeté de ceux qui soutiennent leur créance jusqu’à la mort, comme s’il voulait mettre en balance la foi des chrétiens, avec la persuasion de ceux qui président aux cérémonies et qui initient aux mystères du paganisme. Après tout, dit-il, pauvre homme que vous êtes comme vous croyez des peines éternelles, les ministres sacrés dont je vous parle, qui président aux cérémonies de la religion, et qui initient à ses mystères en croient aussi. Si vous les leurs dénoncez, ils ne vous les dénoncent pas moins. Il ne s’agit que de voir de quel côté il parait le plus de vérité et de raison ; car pour les paroles, chacun assure avec une égale force que ce qu’il dit est incontestable. Mais s’il faut en venir aux preuves, ceux-ci en allèguent un grand nombre d’évidentes, qu’ils tirent et des opérations de quelques puissances surnaturelles, et réponses de divers oracles. Il prétend donc par-là que nous parlions également, ses prêtres et nous des peines éternelles, et qu’il raille examiner qui nous dit le plus vrai. Je soutiens que ceux-là disent vrai qui, par la doctrine qu’ils enseignent, peuvent disposer leurs auditeurs à vivre comme étant persuadés qu’elle est véritable. Les Juifs et les chrétiens paraissent ainsi disposer, par la créance de ce qu’il nomment le siècle à venir, des récompenses qui y sont destinées aux Juifs et des peines qui y attendent les pécheurs. Mais que Celse ou quelque autre nous fasse voir en qui ceux qui ont le soin de ses cérémonies et de ses mystères, ont produit un pareil effet, par leurs enseignements sur les peines de l’autre vie ; car il est évident que le dessein de celui qui a fait publier de dogmes des peines éternelles, n’a pas été seulement d’apprendre aux hommes a en discourir, et de les leur faire regarder avec horreur ; mais de les porter aussi à faire leurs efforts, pour se garder de commettre des actions qui les en rendent dignes. J’ajoute que, pour peu qu’on apporte d’application à lire les écrits des Prophètes et à considérer leurs prédictions il n’en faut pas davantage, à mon avis, pour persuader toute personne qui aura de l’intelligence et de l’équité, que c’est l’Esprit de Dieu qui a parlé par ces hommes. Il n’y a rien, ni dans les opérations surnaturelles qu’on voudrait alléguer, ni dans les puissances auxquelles on les attribue, ni dans les réponses de leurs oracles, qui puisse y être comparé le moins du monde.

Voyons ce qui suit, où Celse continue à nous parler en ces termes : Qu’y a-t-il encore de plus absurde que de faire, avec vous de son corps l’objet de ses désirs, jusqu’à espérer que ce corps même ressuscitera, comme si nous n’avions rien de plus cher, ni de plus précieux et l’exposer cependant aux supplices, comme une chose digne de mépris ? Mais des personnes qui sont dans ces sentiments :, et qui n’ont de pensées que pour leur corps, ne méritent pas qu’on traite de ces matières avec eux. Ce sont même, d’ailleurs, des gens grossiers et misérables, qui ont pris, sans raisonner le parti de la sédition. J’adresserai mon discours à ceux qui espèrent que leur âme, la partie supérieure de leur être, vivra éternellement avec Dieu, soit qu’il veuillent la nommer une substance spirituelle, un esprit intelligent, saint et heureux, une âme vivante, un rejeton céleste et incorruptible de la nature divine, qui est une nature immatérielle ou qu’ils l’appellent tel autre nom qu’il leur plaira. Pour ceux-ci, ce n’est pas sans fondement qu’ils se persuadent que ceux qui auront bien vécu seront heureux après cette vie au lieu que les iniques seront plongés dans un malheur éternel. C’est un dogme dont, ni eux, ni qui que ce soit, ne doivent jamais abandonner la créance. Il faut au contraire la maintenir jusqu’au bout. Ce n’est pas la première fois qu’il nous fait querelle sur le sujet de la résurrection. Mais, comme nous avons dit là-dessus ce que nous avons jugé y devoir dire selon nos lumières, nous n’avons pas dessein de répéter nos défenses autant de fois qu’il répétera ses reproches. Nous dirons seulement qu’il nous calomnie, lorsqu’il pose que nous n’estimons rien en notre être de plus cher ni de plus précieux que le corps. Nous croyons que l’âme, et surtout l’âme raisonnable, est quelque chose de bien plus précieux que quelque corps que ce soit, puisque c’est à l’âme et non au corps qu’il convient d’avoir été formée à l’image du Créateur ; car, selon nous, Dieu n’est pas corps ; ce que nous ne pourrions dire qu’il soit, sans tomber dans les mêmes absurdités que les disciples de Zénon et de Chrysippe. A l’égard de l’accusation qu’il nous fait, de faire de notre corps l’objet de nos désirs, qu’il sache que, quand le désir est mauvais, nous ne désirons rien ; mais que, quand il est indifférent, nous désirons toutes les choses que Dieu promet aux fidèles. C’est donc en cette vue que nous désirons et que nous espérons la résurrection des justes. Celse s’imagine que nous sommes en contradiction avec nous-mêmes quand, d’un côté, nous espérons la résurrection de notre corps, comme s’il était digne des faveurs de Dieu et que, de l’autre, nous l’exposons aux supplices, comme une chose digne de mépris. Mais il n’y a rien de méprisable de ce qui souffre pour la piété et qui est sujet aux misères pour la vertu, comme il n’y a rien qui ne le soit de ce qui s’abandonne aux voluptés vicieuses. De là vient ce mot de l’Écriture : Quelle race est digne d’honneur ? c’est celle des hommes. Quelle race est digne de mépris ? c’est celle des hommes (Ecclésiastiq., X, 23). Il croit ensuite qu’il ne faut pas entrer en matière avec des gens qui n’ont d’espérance que pour le corps, et qui tournent aveuglement toutes leurs pensées vers un sujet incapable de jouir des choses qu’ils espèrent. Il les traite de grossiers et de misérables qui ont pris, sans raisonner, le parti de la sédition ; au lieu que l’humanité devait l’obliger à prendre soin d’instruire les plus grossiers. Car les bornes qui nous séparent des bêtes, ne nous séparent pas aussi des plus grossiers des hommes, pour nous empêcher d’entrer en communication avec eux. Celui qui nous a faits, nous a faits également propres pour nous communiquer à tous les hommes. Il est donc juste que nous conférions avec les personnes grossières, pour tâcher de leur ouvrir l’esprit ; avec les misérables, pour leur donner du mérite, s’il nous est possible ; avec ceux qui suivent sans raisonner quelque sentiment que ce soit, et qui prennent le mauvais parti, pour faire qu’ils n’agissent plus sans raison, et pour remettre leur âme dans le bon chemin. Après cela il donne son approbation à ceux qui espèrent que leur âme, la partie supérieure de leur être, qu’ils appellent une substance spirituelle et raisonnable, un esprit intelligent, saint et heureux, une âme vivante ; qui espèrent, dis-je, que cette âme sera immortelle, et qu’elle demeurera éternellement avec Dieu. IL reçoit ce dogme comme un dogme bienfondé : Que ceux qui auront bien vécu, seront heureux après cette vie, au lieu que les iniques seront plongés dans un malheur éternel. De toutes les choses que Celse a dites, je n’admire rien tant que ce qu’il ajoute ici : C’est un dogme dont ni eux ni qui que ce soit ne doivent jamais abandonner la créance. Puisqu’il écrit contre des chrétiens dont la foi n’a d’autre objet que Dieu et ce qui a été enseigné par Jésus-Christ du bonheur destiné aux justes et des peines préparées aux méchants, il devait considérer qu’un chrétien qu’il aurait porté par ses raisons à renoncer au christianisme, n’y renoncerait pas vraisemblablement, sans renoncer aussi à ce dogme dont ni les chrétiens, dit-il, ni qui que ce soit, ne doivent jamais abandonner la créance. Je trouve que Chrysippe, dans son Art de guérir les passions, se prend bien mieux que Celse à se rendre utile aux autres hommes, lorsque, pour les délivrer des passions qui troublent et qui agitent leurs âmes, il se sert premièrement des raisons qui lui paraissent les meilleures ; mais il ne laisse pas d’y en joindre de secondes et de troisièmes, tirées des principes mêmes qu’il n’approuve pas. Quand on supposerait, dit-il, trois sortes de biens, il faut par cette supposition même, tâcher de remédier aux passions, sans se mettre en peine, dans le temps que la passion est émue, de quels dogmes est prévenu celui qu’elle possède ; car il faut prendre garde que si l’on s’arrête hors de saison à combattre les dogmes dont l’esprit est prévenu, on ne perde l’occasion du remède qu’il serait nécessaire de donner. Ainsi, ajoute-t-il, quand la volupté serait le souverain bien, ou si c’est le sentiment de celui en qui la passion règne, il ne faut pas laisser de le secourir, en lui faisant voir que ceux mêmes qui mettent la volupté pour le souverain bien et pour la dernière fin, ont des principes avec lesquels toutes tes passions s’accordent mal. Il fallait tout de même que Celse, s’étant une fois déclaré pour ce dogme, Que ceux qui auront bien vécu seront heureux après cette vie, au lieu que les iniques seront plongés dans un malheur éternel, il établit les raisons par lesquelles il en est convaincu ; qu’il prouvât, dis-je, au long que c’est une vérité constante, qu’après cette vie les iniques seront plongés dans un malheur éternel, et que ceux qui auront bien vécu seront heureux. Pour ce qui est de nous, persuadés comme nous sommes par un nombre infini de raisons, que nous devons vivre suivant les lois du christianisme, nous faisons nos efforts avant toutes choses pour disposer tous les hommes à embrasser la religion chrétienne dans son entier. Mais quand nous rencontrons des esprits si prévenus contre les chrétiens par la calomnie, qui les leur a dépeints comme des gens sans aucune pitié, qu’ils refusent même d’écouter ceux qui promettent de leur enseigner les mystères de la parole de Dieu : alors, par des principes d’humanité, nous tâchons d’appuyer, autant qu’il nous est possible, la doctrine de la punition éternelle des impies, afin d’en imprimer du moins la créance à ceux mêmes qui refusent d’être chrétiens. C’est ainsi encore que nous nous efforçons d’établir la persuasion du bonheur de ceux qui auront bien vécu ; voyant que ceux qui n’ont pas embrassé notre foi disent eux-mêmes plusieurs choses, pour servir à bien régler la vie, pareilles à celles que nous disons ; car on ne trouve guère personne en qui les communes idées du bien et du mal, de la justice et de l’injustice soient entièrement effacées. Tous les hommes donc qui voient le monde, et qui y remarquent les constantes révolutions des cieux, le mouvement des astres, du firmament et le cours des planètes, opposé à celui du premier mobile ; qui considèrent la température des saisons, si conforme au besoin des animaux, particulièrement de l’homme, et l’abondance de toutes les choses qui ont été créées pour son usage, doivent craindre de rien faire qui déplaise au Créateur de l’univers et de leurs âmes, à qui il a donné la lumière de la raison. Ils doivent se persuader que celui qui sait rendre à chacun ce qu’il mérite, les punira de leurs péchés, ou les traitera conformément aux nonnes actions qu’ils auront faites et à la manière dont ils se seront acquittés de leur devoir. Tous les hommes, dis-je, doivent être persuadés que les bons, en mourant, passeront une condition heureuse, à cause de leur vertu ; et que les méchants seront misérablement condamnés aux peines et aux supplices, à cause de leurs injustices, de leurs intempérances, de leurs sales voluptés, de leurs lâchetés, même de leurs bassesses et de toutes leurs folies.

Après ce que nous avions à dire sur cet article, passons à un autre où Celse parle en ces termes : On tient que les hommes ont été chargés d’un corps, soit que l’ordre et l’économie de l’univers le demandât ainsi, soit que leurs péchés méritassent cette peine, soit que leur âme, ayant été souillée de passions, eût besoin d’être purifiée dans l’espace des révolutions qui lui sont marquées. Car il est nécessaire, selon Empédocle,

Que trois fois dix mille saisons
Passent et repassent sur elle ;
Qu’en cent différentes prisons,
Sous une figure mortelle
Elle roule un sort ténébreux.
Loin du séjour des bienheureux.

Cela étant, il faut croire qu’elle a été mise sous la garde de certains êtres qui prennent soin de cette prison. Voyez encore ici, comme il ne parle de ces matières importantes que sur des conjectures humaines, et pleines de doute ; comme il rapporte divers sentiments sur les causes de notre origine, n’osant prononcer qu’aucun soit faux : en quoi il marque quelque retenue. Puisqu’il avait donc une fois fait profession de ne pas prendre parti à la légère, et de ne pas condamner témérairement les opinions des anciens, n’était-ce pas à lui à suspendre aussi son jugement sur la doctrine des prophètes juifs et de Jésus ; à douter au moins, en refusant de croire ? Ne devait-il pas considérer qu’il y avait de l’apparence que des gens qui servaient le Dieu souverain, jusqu’à s’exposer souvent à mille périls et à mille morts, par le respect qu’ils avaient pour lui et pour les lois dont ils le croyaient l’auteur, n’étaient entièrement négligés de Dieu ; qu’ils en avaient, eux aussi, reçu quelques lumières, pour mépriser d’un côté tous les simulacres formés par l’art des hommes, et pour tâcher de l’autre, d’élever leur entendement jusqu’à ce grand Dieu lui-même ? Il devait sans doute penser que le Créateur, ce père commun de tous les hommes, qui voit tout, qui entend tout, qui juge en équité de l’intention qu’on a de le chercher et de vivre comme la piété le demande, fait recueillir à ces personnes quelques fruits de son gouvernement ; afin de fortifier en eux l’idée qu’ils ont déjà conçue de ce qu’il est. Si c’était là le raisonnement de Celse et de ceux qui ont de la haine pour Moïse et pour les prophètes des Juifs, pour Jésus et pour ses vrais disciples, à qui sa parole cause tant de travaux, ils ne parleraient pas mal, comme ils font, de Moïse et des prophètes, de Jésus et de ses apôtres. Ils n’auraient pas un si grand mépris pour la seule nation des Juifs comparée à tous les autres peuples du monde : et ils ne diraient pas qu’elle est pire que les Égyptiens mêmes, qui rabaissent, en ce qui dépend d’eux, l’honneur qui est dû à la Divinité, jusqu’aux animaux sans raison ; soit qu’ils le fassent par superstition, soit par quelqu’autre cause ou quelqu’autre erreur que ce puisse être. Nous disons cela, au reste, non pour conseiller à personne de douter de la religion chrétienne, mais pour faire voir que ceux qui s’emportent si fort contre la doctrine des chrétiens feraient mieux de s’en tenir aux simples doutes, que d’avancer avec tant de hardiesse contre Jésus et ses disciples, des choses qu’ils disent sans les savoir : n’appuyant leurs décisions, ni sur ce que les stoïciens appellent une compréhension nette et ferme, ni sur aucune des espèces de raisonnement dont les autres sectes de philosophes se servent pour prouver a leur manière ce qu’ils entreprennent de soutenir. Mais puisque Celse nous dit qu’il faut croire que l’âme a été mise sous la garde de certains êtres qui ont soin de sa prison, nous lui répondrons qu’une âme vertueuse est délivrée des chaînes de l’iniquité dès cette vie même, qui, comme la nomme Jérémie, est la vie des prisonniers de la terre (Lament., III. 34). Jésus l’a déclaré longtemps avant sa tenue au monde, lorsqu’il a dit aux prisonniers par la bouche du prophète Isaïe, Sortez de prison (Is., XLIX, 9) ; et à ceux qui étaient dans les ténèbres. Venez à la lumière ; Jésus qui, comme le même Isaïe l’avait prédît, a été la lumière qui s’est levée pour ceux qui demeuraient dans la région de l’ombre et de la mort (Is., IX, 2). De sorte que nous pouvons dire : Rompons les chaînes, et rejetons leur joug loin de nous (Ps. II, 3). Si Celse, et ceux qui ont contre nous la même prévention, pouvait pénétrer dans le sens des Évangiles, il ne nous conseillerait pas de nous soumettre à ces êtres qui selon lui ont soin de notre prison ; car il est écrit dans l’Évangile, qu’une femme étant courbée et hors d’état de se redresser jamais, Jésus qui la vit et qui connut la cause de cette impossibilité où elle était de se redresser, dit : Ne fallait-il pas délivrer de ces liens en un jour de sabbat cette fille d’Abraham, que Satan tenait ainsi liée depuis dix-huit ans (Luc, XIII, 11 et 16) ? Combien y en a-t-il d’autres que Satan tient encore présentement liés et courbés sans leur permettre jamais de se redresser, lui qui veut que nous tournions toujours les yeux vers la terre, et sans qu’aucun autre puisse les faire regarder en haut que ce Verbe qui a paru au monde en Jésus, et qui, auparavant, avait inspiré les prophètes ? Jésus, en effet, est venu pour délivrer tous ceux qui étaient sous la puissance du diable (Act., X, 38) ; duquel il a dit, avec cette profondeur et cette grâce que renfermaient tous ses discours : Maintenant, le prince de ce monde est jugé (Jean, XII, 31 et XVI, 11). Nous ne parlons donc point mal des démons d’ici-bas : mais nous condamnons les opérations qu’ils font pour la perte du genre humain ; en ce que, sous prétexte d’oracles, de guérisons corporelles et d’autres telles choses, ils veulent détacher de Dieu les âmes qui sont descendues dans ce corps vil et abject (Philip., III, 21). C’est là-dessus que ceux qui y font réflexion, s’écrient : Misérable que je suis ! qui me délivrera de ce corps sujet à la mort (Rom., VII, 24) ? Mais il n’est pas vrai que nous abandonnions sans sujet nos corps aux tourments et aux supplices ; car on ne le fait pas sans sujet, quand c’est pour ne pas donner le nom de dieux aux démons qui sont sur la terre, et qu’on est attaqué pour cela, par eux et par ceux qui les servent. Nous croyons, au contraire, que c’est une chose très raisonnable et très agréable à Dieu de s’abandonner aux supplices pour la vertu, de s’exposer aux tourments pour la piété et de souffrir la mort pour la sainteté : puisque la mort des saints du Seigneur est précieuse devant ses yeux (Ps. CXVI, 15). Nous disons encore qu’il est bon de ne pas aimer la vie. Pour Celse, lorsqu’il nous compare à ces hommes perdus qui souffrent avec justice la peine que leurs violences ont méritée, et qu’il n’a point de honte de mettre une disposition comme la nôtre en parallèle avec celle des voleurs, il se rend, en cela, le frère et le compagnon de ceux qui traitèrent Jésus comme un scélérat, et qui, de la sorte, accomplirent cet oracle : Il a été mis au nombre des scélérats (Is., LIII, 12).

Celse ajoute : Il faut choisir de deux choses l’une ; car s’ils refusent de faire les cérémonies publiques et de prendre pour objet de leur culte ceux à l’honneur de qui on les fait, qu’ils renoncent donc aussi à sortir de l’enfance pour devenir hommes, à contracter des mariages, à élever des enfants, à rien faire de ce qui se fait dans la vie ; qu’ils s’en aillent bien loin d’ici tous ensemble, eux et leur race, afin qu’il n’en demeure aucun reste sur la terre. Mais s’ils veulent se marier, avoir des enfants ; manger des fruits de la terre, prendre part aux douceurs de la vie et aux maux qui y sont attachés : car la nature commune de tous les hommes les assujettit à des maux, et il est nécessaire qu’il y en ait, et c’est ici leur séjour : il faut aussi qu’ils rendent à ceux qui président sur ces choses, l’honneur qui leur est dû ; il faut qu’ils s’acquittent de tous les devoirs de la vie, jusqu’à ce qu’ils soient délivrés de ses liens ; afin qu’ils ne paraissent pas ingrats pour ces êtres ; car il y aurait de l’injustice à vouloir jouir de ce qui est de leur dépendance sans leur en payer aucun tribut. Nous disons à cela, que nous ne connaissons point d’autre légitime occasion de renoncer la vie, que pour la piété et pour la vertu : lorsque ceux qui sont établis pour nos justes, et à qui on attribue sur nous puissance de vie et de mort, nous proposent, ou de vivre en faisant des choses contraires aux préceptes de Jésus, ou de mourir en obéissant à ses ordres (Matth., XIX, 11). Pour ce qui est de nous marier, Dieu nous l’a permis, tout le monde n’étant pas capable de faire ce qui serait le meilleur, savoir de garder une entière pureté. Mais il veut que ceux qui se marient nourrissent tous les enfants qui leur naissent, et, puisque la Providence les leur donne, qu’ils n’en fassent périr aucun. Ces sentiments, au reste, où nous sommes, ne sont point opposés à notre résolution de ne nous pas soumettre aux démons dont la terre est le partage. Car ayant pris toutes les armes de Dieu, nous nous tenons fermes pour résister, comme des athlètes de la piété, aux embûches qui nous sont dressées par l’armée des démons (Ephés., VI, 11, 13 et 14). Encore donc que Celse, par sa sentence, nous bannisse entièrement de la vie, afin que, comme c’est sa pensée, il ne demeure aucun reste de notre race sur la terre, nous vivrons pourtant selon les lois de Dieu, avec ceux qui adorent notre Créateur, et nous refuserons constamment de nous soumettre aux lois du péché. Nous contracterons des mariages si nous le voulons ; et nous élèverons les enfants que Dieu nous y donnera. Nous prendrons part aussi, quand il le faudra, aux douceurs de la vie (Jac., I, 2) ; et nous supporterons les maux qui y sont attachés, les regardant comme des épreuves de nos âmes (I Pierre, I, 7) : car c’est ainsi que les saints Écrits ont coutume de nommer les afflictions qui arrivent aux hommes. Ce sont des moyens par où l’âme étant éprouvée, comme l’or l’est par le feu, elle est reconnue ou pour digne de mépris, ou pour digne d’admiration. A l’égard donc de ce que Celse appelle des maux, nous sommes disposés à dire : Examine-moi, Seigneur ; éprouve-moi, fais au feu l’essai de mes reins et de mon cœur (Ps. XXVI, 2) ; car on ne peut être couronné que l’on n’ait combattu comme il faut ici sur la terre dans ce corps vil et abject (II Tïm. II, 5). Mais cependant nous ne rendons point à ceux que Celse dit qui président sur ces choses l’honneur qu’il prétend leur être dû (Philipp., III, 21). C’est le Seigneur notre Dieu que nous adorons ; c’est lui seul que nous servons : désirant être les imitateurs de Jésus-Christ qui, quand le diable lui dit : Je te donnerai toutes ces choses si, te prosternant devant moi, tu m’adores, répondit : Adorez le Seigneur votre Dieu et ne servez que lui seul (Matth., IV, 9, 10). Nous ne rendons pas, dis-je, à ceux qui président sur ces choses, s’il en faut croire Celse, l’honneur qu’il prétend leur être dû, parce que nul ne pouvant servir deux maîtres, nous ne pouvons servir tout ensemble Dieu et Mammon (Matth., VI, 24), de quelque nom que l’on nomme ce Mammon, de celui-ci ou de plusieurs autres (Rom., II, 23). D’ailleurs, si par la violation d’une loi on déshonore celui qui l’a donnée, nous sommes persuadés qu’y ayant deux lois opposées l’une a l’autre, celle de Dieu et celle de Mammon, il vaut beaucoup mieux qu’en violant la loi de Mammon nous déshonorions Mammon pour honorer Dieu en observant la sienne, que si, en violant la loi de Dieu, nous déshonorions Dieu afin d’honorer Mammon en observant sa loi. Celse s’imagine que les hommes s’acquittent des devoirs de la vie jusque ce qu’ils soient délivrés de ses liens, lorsqu’ils offrent des sacrifices à chacun des Dieux établis de ville en ville, par les lois du pays et par l’opinion des peuples ; mais c’est qu’il ne sait pas quels sont les légitimes devoirs qui nous sont prescrits par la véritable piété. Pour nous, nous disons que se bien acquitter de tous les devoirs de la vie c’est se représenter toujours quel est le Créateur, se souvenir quelles sont les choses qui lui plaisent, et se proposer pour but de toutes ses actions, de se rendre agréable à Dieu. Celse veut encore que nous ayons de la gratitude pour les démons d’ici-bas, s’imaginant que nous leur devons des témoignages de notre reconnaissance. Mais sur les justes idées que nous avons de la gratitude, nous soutenons que ceux dont on parle ne nous faisant aucun bien et même étant nos ennemis déclarés, on ne peut dire que nous soyons ingrats envers eux quand nous refusons de leur sacrifier et de les servir. Nous craignons bien plus d’être ingrats envers Dieu qui nous comble de ses bienfaits, de qui nous sommes l’ouvrage, dont la Providence a soin de nous en quelque condition qu’il ait trouvé bon de nous mettre, et de qui nous attendons, après cette vie, l’effet des espérances qu’il nous a données. Et nous avons dans le pain qu’on nomme eucharistie un symbole de cette reconnaissance que nous devons à Dieu. Au fond, il n’est pas vrai, comme nous l’avons déjà dit ci-dessus, que les démons aient la direction des choses qui ont été créées pour notre usage. Ainsi nous ne faisons rien d’injuste quand nous jouissons de ces choses sans sacrifier à ceux de qui elles ne dépendent point. Bien même que nous sachions que ce sont des anges et non pas des démons qui sont établis sur les fruits de la terre et sur la naissance des animaux, nous les louons, nous publions leur bonheur d’avoir reçu de Dieu a charge de ce qui regarde le bien et l’avantage des hommes ; mais nous ne leur faisons aucune part de l’honneur qui est dû à Dieu. Il ne le veut pas, et ils ne le veulent pas eux-mêmes qui ont cette commission. Ils nous savent meilleur gré de ce que nous nous abstenons de leur sacrifier que si nous leur sacrifiions ; car ils n’ont que faire de ces exhalaisons qui s’élèvent des corps terrestres.

Celse continue de la sorte : Pour apprendre que jusqu’aux moindres choses tout est ici soumis a quelque puissance qui a ordre d’en prendre soin, il ne faut que consulter les Égyptiens. Ils partagent le corps humain en trente-six parties, à chacune desquelles ils assignent un démon ou un dieu de Voir, qui est chargé de veiller dessus. Il y en a qui comptent bien plus que trente-six de ces démons. Ils en disent même les noms en langue du pays, comme Chnumen, Chnachumen, Cnat, Sicat, Biu, Eru, Erébiu, Ramanor, Rianoor, et d’autres de même ordre. Ils les invoquent et par ce moyen ils guérissent les maux auxquels les parties que chacun a sous sa garde sont sujettes. Qui empêche donc qu’en rendant de l’honneur et à ceux-là et aux autres, si on le veut, on ne conserve sa santé et on n’évite des maladies ; on ne se procure du bonheur et on n’éloigne ce qui le pourrait troubler ; on ne se garantisse, autant qu’il se peut, des insultes et des persécutions qu’on aurait à craindre ? C’est ainsi que Celse s’efforce d’assujettir notre âme aux démons, sous prétexte que le soin de nos corps leur est commis et que chacun d’eux, dit-il, en a quelque partie sous sa conduite. Il veut que par cette raison nous croyions aux démons dont il nous parle, et que nous leur rendions nos hommages : Pour nous conserver la santé et pour éviter des maladies ; pour nous procurer du bonheur et pour éloigner ce qui le pourrait troubler ; pour tâcher de nous garantir, autant qu’il sera possible, des insultes que nous aurions à craindre. Il est si fort prévenu contre le culte indivisible et incommunicable qui est du au Dieu souverain, qu’il ne croit pas que Dieu, quand on n’adore que lui, et qu’on fait une haute profession de le servir seul, soit capable d’imprimer en ceux qui le servent et par cela même qu’ils le servent, une vertu ont les mette à couvert des embûches que les démons dressent aux saints. Mais c’est qu’il n’a jamais vu comment ces mots Au nom de Jésus, prononcés par ses vrais fidèles, guérissent un grand nombre de malades, de possédés et d’autres personnes infirmes. Je ne doute pas que les partisans de Celse ne se moquent de nous, lorsqu’ils nous entendent dire qu’il faut qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans le ciel, dans la terre et dans les enfers, et que toute langue soit obligée de confesser que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu son père (Philipp., II, 10, 11). Mais qu’ils s’en moquent s’ils renient : on leur donnera des preuves plus évidentes de cette vérité que ne sont celles qu’ils peuvent avoir, touchant ces noms qu’on nous rapporte de Chnumen, de Chnachumen, de Cnat, de Sicat et de tous les autres du registre égyptien dont on veut que la prononciation ait la vertu de guérir les maux auxquels les parties de notre corps sont sujettes. Voyez un peu comme il veut nous détourner de croire au grand Dieu par Jésus-Christ, et nous exhorte en nous promettant des guérisons corporelles à tourner notre foi du côté de trente-six démons barbares que les seuls magiciens d’Égypte invoquent de je ne sais quelle manière, pour nous procurer, disent-ils, de grands avantages. Nous ferions donc mieux, selon Celse, d’être des magiciens et des sorciers que d’être des chrétiens, de prendre pour objets de notre foi un nombre infini de démons que de la réserver au Maître du monde, qui se fait évidemment connaître par lui-même pour le Dieu vivant et véritable, et qui s’est révélé par celui qui a répandu avec tant d’efficacité dans tous les endroits de la terre où il y a des hommes, les lois pures et saintes de la piété. Je ne me tromperai pas même quand j’ajouterai qu’il en a donné la connaissance à tous les autres êtres raisonnables qui avaient besoin d’être changés, d’être corrigés, d’être guéris de leurs vices.

Celse remarquant que ces sciences auxquelles il nous invite sont le grand chemin de la magie, et reconnaissant, en quelque sorte, le danger où l’on se mettrait, si l’on suivait son conseil, il ajoute : Il faut cependant prendre garde qu’en étudiant cet art on ne s’abandonne par excès au plaisir de le mettre en pratique, et qu’on ne s’attache tellement à l’amour des choses corporelles, qu’on en néglige et qu’on en oublie d’autres plus excellentes ; car peut-être qu’on aurait grand tort de ne pas ajouter foi aux sages. qui nous avertissent que presque tous ces démons terrestres ont une passion démesurée pour les voluptés de la chair, sont avides du sang et de la fumée des sacrifices, courent après les concerts et les autres choses semblables, sans pouvoir rien faire de meilleur que de guérir le corps, de prédire aux hommes et aux villes ce qui leur doit arriver, ou quelque chose de pareil, ne sachant et ne pouvant rien que ce qui concerne les accidents de cette vie mortelle. Puis donc que le pas est si glissant, comme cet ennemi de la vérité de Dieu le témoigne lui-même, et qu’on se met par là en danger d’avoir un commerce trop engageant avec ces démons, ou de s’attacher tellement à l’amour des choses corporelles, qu’on en néglige et qu’on en oublie d’autres plus excellentes, combien fera-t-on mieux de mettre toute sa confiance au Dieu souverain, par Jésus-Christ qui nous a enseigné une doctrine si admirable, et de lui demander en toutes rencontres son secours et sa protection, dont ses anges saints et justes sont les instruments et les ministres ? C’est par eux qu’il nous défendra contre ces démons terrestres qui ont une passion démesurée pour les voluptés de la chair, qui sont avides du sang et de la fumée des sacrifices, qui courent après des concerts mal réglés, et qui sont ardents pour d’autres telles choses, mais qui constamment, comme Celse lui-même en tombe d’accord, ne peuvent rien faire de meilleur que de guérir le corps. Je ne craindrai point même de dire que ce n’est pas une chose trop assurée que ces démons, quelque culte qu’on leur rende, aient le pouvoir de nous remettre en santé. Ceux qui veulent rétablir la leur par les voies ordinaires que suit le commun des hommes, doivent s’en tenir à la méthode de la médecine ; mais, si l’on veut se servir d’un moyen plus noble et moins vulgaire, on le trouve dans la piété pour le grand Dieu et dans les prières qu’on lui adresse. Considérez vous-même quelle disposition d’esprit doit être la plus agréable a ce grand Dieu de qui rien n’égale le pouvoir, soit pour faire tout ce qu’il lui plaît, soit en particulier pour faire du bien aux hommes, a l’égard de l’âme et du corps et des choses qui sont hors de nous ; quelle disposition d’esprit, dis-je, lui doit être la plus agréable celle d’un homme qui veut entièrement dépendre de lui, où celle d’un homme qui ne s’occupe qu’à savoir les noms, les vertus et les opérations des démons, la manière de les évoquer, les herbes qu’ils affectent, les pierres qu’on leur consacre, les caractères qui y sont gravés, et qui ont du rapport aux figures soit symboliques, soit autres que l’on attribue à ces démons. Il est aisé de voir, pour peu que l’on ait de discernement, qu’un esprit droit et ennemi des vaines curiosités, qui, à cause de cela même, s’abandonne à la conduite du Dieu souverain, sera en état de plaire et à Dieu et à tous ceux qui l’approchent, mais qu’un esprit qui, pour la santé du corps, pour d’autres intérêts de même nature et pour un bonheur qui ne consiste qu’en des choses indifférentes, fait toute son étude d’apprendre le nom des démons, et de chercher par quelles conjurations il pourra se les rendre favorables, sera regardé de Dieu comme un esprit méchant et impie, qui tient plus du démon que de l’homme, et sera livré à ces démons que ceux qui parlent comme Celse préfèrent à Jésus, pour être agité et tourmenté, tant par les pensées qu’ils lui suggéreront sur chaque sujet, que par les autres maux qu’ils lui feront ; car il est croyable que de si mauvais démons qui, de l’aveu même de Celse, ne se plaisent qu’au sang et à la fumée des sacrifices, aux concerts et autres choses semblables, ne garderont pas la foi, ou si vous voulez ne tiendront pas parole à ceux mêmes qui leur font ces offrandes. En effet, si quelqu’un les invoque contre ces premiers dévots, et qu’il achète leurs services par le sang et la fumée de plus de victimes, et par un plus grand nombre des autres devoirs qu’ils demandent, ils dresseront aujourd’hui des pièges à celui qui leur rendait hier ses hommages, et qui les régalait de ce qu’ils estiment tant. Celse au reste qui jusqu’ici a bien dit des choses en faveur des chapelles et de leurs oracles, où il nous renvoyait, comme pour consulter des dieux, prend maintenant un meilleur parti, lorsqu’il reconnaît que ceux qui prédisent aux hommes et aux villes ce qui leur doit arriver, et dont la portée ne passe pas les accidents de cette vie mortelle, ne sont que des démons terrestres, qui ont une passion démesurée pour les voluptés de la chair, qui sont avides du sang et de la fumée des sacrifices, qui courent après les concerts et les autres choses de cet ordre, sans pouvoir rien faire de mieux. Si c’était nous qui, en disputant contre la théologie de Celse, touchant les oracles et le culte qui se rend aux dieux à qui on les attribue, disions que ce ne sont là que des opérations de démons qui veulent attacher l’âme des hommes aux voluptés de la chair, peut-être qu’on nous prendrait pour des impies. Mais que ceux qui jugeraient ainsi de nous, se rendent maintenant à la doctrine chrétienne et en reconnaissent l’excellence, voyant cet adversaire même des chrétiens qui, sur la fin de son ouvrage, écrit de telles choses, comme vaincu par l’esprit de vérité (Jean, XIV, 17). Celse donc a beau dire qu’il faut rendre des hommages à ces êtres, parce que c’est une chose utile, la raison ne permettra jamais qu’on le fasse. Nous ne devons point en rendre à des démons qui ont tant d’attachement pour le sang et pour la fumée des sacrifices, ni salir la Divinité, autant qu’il dépend de nous, en l’abaissant ainsi jusqu’à des démons impurs. Si Celse avait bien conçu l’idée de l’utile, et qu’il eût compris que ce qui est véritablement utile n’est que la vertu même et les actions vertueuses, il n’aurait pas appliqué ces mots parce que c’est une chose utile aux hommages qu’on rend à des sujets qui, par sa confession propre, sont des démons. Pour nous, quand la santé du corps et le bonheur de la vie seraient des suites de la déférence que nous pourrions avoir pour de tels démons, nous aimerions mieux être malades et être malheureux en ce monde, avec le témoignage que nous rendrait notre conscience d’une piété sincère pour le grand Dieu, que de jouir d’une parfaite santé et d’un très grand bonheur dans les choses temporelles, en nous éloignant et en nous séparant de Dieu, pour jeter notre âme dans une maladie et dans un malheur extrême. Nous croyons qu’il faut s’attacher à celui qui n’ayant besoin de rien, n’a de désirs que pour le salut des hommes et de toutes les créatures raisonnables, plutôt qu’à ceux qui sont avides du sang et de la fumée des sacrifices.

Après tout ce que Celse vient de dire de ces démons et de leur avidité pour le sang et pour la fumée des sacrifices, maintenant, comme pour se rétracter du mal qu’il en a dit, il ajoute qu’il est plus croyable que les démons n’ont besoin de rien, et qu’ils ne sont avides de quoi que ce soit, mais qu’ils prennent plaisir à voir tes effets de la pitié qu’on a pour eux. Si c’était là ce qu’il juge véritable, il ne devait pas poser les choses comme il les a posées d’abord pour venir ensuite s’en dédire. Mais l’âme humaine n’est pas entièrement abandonnée de Dieu ni tout à fait privée de sa vérité, qui est son Fils unique. C’est ce qui a fait que Celse même a parlé conformément à la vérité, en ce qu’il a dit du sang et de la fumée des sacrifices dont les démons sont avides : quoique bientôt après, sa propre corruption l’ait fait retomber dans l’erreur et dans le mensonge lorsqu’il parle des démons, comme s’ils ressemblaient a des hommes qui s’acquittent parfaitement de tous les devoirs de la justice sans se mettre en peine qu’on leur en sache gré, mais qui prennent plaisir à combler de biens ceux en qui ils voient des mouvements de reconnaissance. Il me parait bien confus et bien inégal en cet endroit. Tantôt il n’a point de lumières dans l’esprit qui ne soient offusquées par les démons ; tantôt se démêlant un peu des ténèbres dont ils couvrent sa raison il entrevoit quelques rayons de la vérité ; car voici ce qu’il ajoute encore : il ne faut jamais, en aucune manière, abandonner Dieu ni le jour, ni la nuit, ni en public, ni en particulier, ni dans nos discours, ni dans nos actions. Quoi que l’on fasse ou que l’on ne fasse pas, notre âme doit toujours s’élever à Dieu. Je rapporte ces mots : quoi que l’on fasse, à ce qu’il a dit en public, dans toutes nos actions, dans tous nos discours. Mais ensuite, comme si sa raison combattait contre les illusions des démons, et qu’elle succombât ordinairement dans ce combat, il continue de la sorte : Les choses étant ainsi, quel mal y a-t-il de rechercher la faveur des puissances de ce bas monde, soit de celles qui sont d’une nature différente de la nôtre, soit des rois et des princes de la terre ? Car ce n’est point sans l’autorité des démons que ceux-ci sont élevés au rang qu’ils tiennent. Ci-devant, il a fait ce qu’il a pu pour soumettre notre âme aux démons ; maintenant, il veut même que nous recherchions la faveur des rois et des princes de la terre qui sont si connus, et par l’expérience et par les histoires ; si bien que je n’estime pas qu’il soit nécessaire d’entrer sur ce sujet dans aucun détail. Mais c’est uniquement du grand Dieu que nous nous proposons de rechercher la faveur ; c’est auprès de lui seul que nous souhaitons d’être en grâce, et nous y serons par le moyen de la piété et de toutes les vertus. Si Celse croit qu’après la faveur de ce grand Dieu nous devions rechercher encore celle de quelques autres, qu’il considère que comme le corps ne peut se mouvoir que son ombre ne se meuve avec lui, de même on ne peut avoir la faveur du grand Dieu que l’on n’ait en même temps celle de tous les amis de Dieu, soit anges, soit âmes, soit esprits ; car ils savent bien connaître ceux qui sont dignes des faveurs célestes : et non seulement ils sont eux-mêmes disposés favorablement pour ceux qui sont déjà dignes de la faveur du Dieu souverain, mais ils aident aussi ceux qui veulent s’appliquer à son service ; ils recherchent sa faveur pour eux, ils le prient et ils implorent sa grâce avec eux. De sorte que nous pouvons dire hardiment que quand un homme fortement résolu de vivre comme il le doit, prie Dieu, un nombre presque infini de saintes puissances joignent leurs prières aux siennes, sans quelles en ait sollicitées. Elles s’intéressent pour notre pauvre race mortelle, et s’il faut parler ainsi, elles prennent les armes pour nous, voyant que les troupes des démons attaquent principalement le salut des personnes qui se consacrent à Dieu et qui ne se font point de peine d’avoir les démons pour ennemis ; car s’ils entrent jamais en fureur, c’est contre ceux qui leur refusent le sang et la fumée, en quoi leur culte consiste, et qui s’efforcent en toute manière, par leurs paroles et par leurs actions, de s’unir au grand Dieu et de s’approcher de lui par ce même Jésus qui a défait une infinité de démons lorsqu’il allait partout pour guérir et pour convertir ceux qui étaient sous la puissance du diable (Act., X, 38). Pour ce qui est des hommes et des rois mêmes, nous devons aussi mépriser leur faveur non seulement si elle s’acquiert par des meurtres, par des violences et par des impuretés, mais encore si l’on ne peut en jouir sans renoncer à la piété qui est due au Dieu de l’univers, ou qu’avec des bassesses et des flatteries indignes d’un cœur noble et généreux qui met la grandeur d’âme au rang des principales vertus, et qui ne veut pas la séparer des autres. Au reste, quand on ne nous oblige à rien qui soit contraire à la loi ou à la parole de Dieu, nous ne sommes pas des fous et des furieux qui prenions plaisir à irriter contre nous les rois et les princes, afin de nous attirer des châtiments, des supplices et la mort. C’est ici une des leçons que nous avons apprises : Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures : car il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et c’est lui qui a ordonné celles qui sont sur la terre. C’est pourquoi celui qui s’oppose aux puissances résiste à l’ordre de Dieu (Rom., XIII, 1, 2). Nous avons expliqué au long ces paroles et leur avons donné divers éclaircissements, autant que nous en avons été capables, dans nos commentaires sur l’épître aux Romains ; mais ici nous les appliquons au sujet dont il s’agit dans leur sens le plus simple et le plus commun, en vue de ce que dit Celse, que ce n’est point sans l’autorité des démons que les rois sont élevés au rang qu’ils tiennent. Il y aurait beaucoup de choses à dire et une grande question à vider sur l’établissement des puissances qui ont en main le gouvernement et l’empire, parce qu’il y en a qui en usent d’une manière cruelle et tyrannique, ou qui en prennent occasion de s’abandonner aux voluptés et à la débauche : ce qui fait que nous nous dispenserons d’entrer présentement dans l’examen de cette matière. Mais de jurer par la fortune du prince (gr., roi), c’est ce que nous ne faisons point, non plus que par aucune de ces autres divinités que l’on se figure ; car soit que la fortune ne soit autre chose que le cours incertain des événements, comme quelques-uns en parlent, quoiqu’ils semblent n’être pas bien d’accord là-dessus, nous ne voulons pas jurer par une chose qui n’a point d’existence réelle, comme si c’était un Dieu, ou du moins un être qui subsistât et qui eût la force de produire quelqu’effet : de peur qu’en le faisant nous n’attribuions à faux le pouvoir que le serment suppose en celui par qui l’on jure. Soit que ce que l’on nomme la fortune du prince (gr., roi) soit de l’ordre des démons, selon qu’il plaît à quelques-uns de nous dire que qui jure par la fortune de l’empereur romain (gr., roi) jure par son démon, nous aimons encore mieux mourir que de jurer par un démon méchant et perfide qui pèche souvent avec celui dont il est le directeur, ou qui pèche même plus que lui.

Celse ressemble à ces possédés qui ont quelques bons intervalles, mais qui retombent peu de temps après ; car le voici maintenant qui parle comme s’il avait des sentiments très justes. Supposé pourtant, dit-il, que quelqu’un voulût obliger un homme qui sert Dieu à faire quelque action impie ou à aire quelque parole sale, il faudrait bien se garder de lui obéir. Il vaudrait mieux s’exposer à toutes sortes de supplices et souffrir toutes sortes de morts que de dire ou que de penser même quelque chose de contraire au respect que l’on doit à Dieu. Mais ensuite, tant parce qu’il ignore notre doctrine que parce qu’il confond tout, il ajoute : Il n’en est pas de même si l’on vous commande de célébrer le soleil, ou de chanter joyeusement un bel hymne à l’honneur de Minerve. Il paraîtra d’autant mieux que vous révérez le grand Dieu, si vous faites aussi part de vos louanges à celui-ci ; car quand la piété se répand partout, elle en devient plus parfaite. Nous disons à cela que pour célébrer le soleil nous n’attendons pas qu’on nous le commande, nous qui sommes instruits à dire du bien non seulement de ceux qui se rangent sous les mêmes ordres que nous, mais encore de nos propres ennemis. Nous célébrons donc le soleil comme un des beaux ouvrages de Dieu, toujours soumis aux lois de son Créateur et toujours constant à suivre cette exhortation : Soleil et lune, louez le Seigneur (Ps. CXLVIII, 3) ; publiez de toute votre force les louanges du Père et de l’architecte de l’univers. Pour ce qui est de Minerve qu’il joint ici avec le soleil, les Grecs nous en content beaucoup de fables dans leurs livres, soit qu’ils cachent là-dessous un sens mystique ou qu’ils n’y en cachent point. Ils nous disent qu’elle naquit tout armée de la tête de Jupiter, et qu’un jour Vulcain la poursuivant pour lui ravir sa virginité, elle se sauva de ses mains ; qu’elle éleva cependant avec plaisir l’enfant qui fut produit de ce qui était tombé en terre par un effet de la violente passion de Vulcain, et qu’elle le nomma Erichton, qui fut ainsi, disent-ils,

Mis au jour par la Terre et nourri par Minerve.
(ILIADE, II, vers 547 et 548.)

Nous voyons donc que l’on ne peut reconnaître cette Minerve fille de Jupiter, sans recevoir en même temps un grand nombre de contes et de fictions qu’un homme qui fuit les fables et qui cherche la vérité, ne recevra jamais. Je veux qu’on tourne cela en allégorie, et qu’on dise que Minerve n’est autre chose que la Prudence. Mais que l’on nous montre au moins l’essence et l’existence de ce sujet, qui doit subsister pour soutenir une telle allégorie. Si Minerve a été une personne de L’antiquité que les premiers auteurs des cérémonies et des mystères aient prise pour objet de leur culte en les établissant parmi les peuples de leur dépendance, et dont ils aient voulu que le nom ait été honoré par les hommes comme celui de quelque divinité, nous devons bien plus encore nous donner de garde de publier ses louanges et sa gloire comme si elle était quelque chose de divin, puisqu’il nous est même défendu d’adorer ce beau soleil, quoique nous le célébrions. Celse dit qu’il paraîtra d’autant mieux que nous révérons le grand Dieu, si nous faisons aussi part de nos louanges au soleil et à Minerve. Mais pour nous, nous savons le contraire. Nous n’adressons nos hymnes et nos louanges qu’au Dieu-souverain et à son Fils unique Dieu le Verbe. Et nous louons et Dieu et son Fils comme le font le soleil, la lune, les étoiles et toute l’armée céleste ; car ils composent tous un chœur divin qui se joint aux hommes saints pour chanter des hymnes à l’honneur du Dieu souverain, et de son Fils unique.

Nous avons déjà dit qu’il ne faut jurer par aucun roi de la terre, ni par ce qu’on nomme sa fortune. De sorte qu’il n’est pas nécessaire que nous fassions une nouvelle réponse à cette nouvelle proposition. Quand on voudrait vous obliger à jurer pas un des rois du monde, cela ne devrait pas non plus vous faire de peine. C’est au roi qu’ont été données les choses de la terre. Tout ce dont vous jouissez dans la vie, vous le tenez de lui. Pour nous, nous ne croyons pas que toutes les choses de ta terre généralement aient été données au roi, ni que nous tenions de lui tout ce dont nous jouissons dans la vie. C’est de Dieu et de sa providence que nous tenons ce dont nous jouissons justement et honnêtement : comme les fruits propres à nourrir, le pain qui fortifie le cœur de l’homme, et l’huile même que l’olivier produit pour lui embellir le visage. (Ps. CIV, 15). C’est, dis-je, de la providence de Dieu que nous recevons toutes ces choses.

Celse dit après cela que nous ne devons pas refuser de croira le témoignage de cet ancien qui a dit il y a si longtemps :

Il ne but qu’un seul roi,
Celui qu’il plaît au fils du frauduleux Saturne.
(ILIADE, II, v. 205.)

Et il ajoute : Si vous vouliez renverser ce dogme, vous en seriez justement puni par le prince (gr., roi). Car, si tous en faisaient autant, rien n’empêcherait qu’étant abandonné de chacun, il ne demeurât seul, et que les choses du monde ne fussent exposées aux Barbares les plus sauvages et les plus cruels, sans que ni le culte de votre religion, ni la gloire de la vraie sagesse pût se maintenir parmi les hommes. Si donc

Il ne faut qu’un seul maître, il ne faut qu’un seul roi ;
ce doit être non
Celui qu’il plaît au fils du frauduleux Saturne.

mais celui qu’il plaît au Dieu qui établit et qui détrône les rois, qui donne dans le besoin un prince à la terre pour la gouverner utilement (Dan., II, 21 ; Eccles., X, 4). Ce n’est pas le fils de ce Saturne relégué dans le Tartare, à ce que disent les fables des Grecs ; ce n’est pas ce Fils qui établit les rois, lui qui a ôté l’empire à son propre père : on aurait beau nous faire des allégories sur toutes ces histoires. C’est le grand Dieu qui, comme il est l’arbitre de toutes choses, sait aussi de quelle façon il dispense ce qui regarde l’établissement des rois. Nous en renversons donc bien le dogme par rapport au fils du frauduleux Saturne ; étant persuadés que Dieu, ni le Père de Dieu ne veut jamais rien de frauduleux ou d’oblique : mais au reste nous ne le renversons point par rapport à la Providence et à ce qu’elle ait, soit dans sa première vue, soit par des suites nécessaires. Un roi (ou l’empereur) ne nous saurait punir justement de dire comme nous faisons, que c’est non le Fils du frauduleux Saturne qui le fait régner, mais celui qui établit les rois et qui les détrône. Et il serait à souhaiter que tous en fissent autant que nous ; que rejetant le dogme d’Homère, ils reçussent celui dont Dieu est l’auteur, sur le sujet des royaumes de la terre, et qu’ils obéissent au commandement qu’il nous fait, d’honorer le roi (I Pierre, II, 17). Suivant les principes que nous posons, le roi ne demeurera point seul, et il ne sera point abandonné ; et l’on ne verra point les choses du monde exposées aux Barbares les plus sauvages et les plus cruels ; car si tous, comme dit Celse, en faisaient autant que nous, il est évident que les Barbares mêmes, se soumettant à la parole de Dieu, deviendraient parfaitement doux et retenus ; et que toute sorte de culte serait aboli, excepté celui de la religion chrétienne, qui seule demeurerait triomphante : comme cela arrivera en effet avec le temps, l’Évangile faisant de jour en jour impression sur un plus grand nombre d’âmes.

Celse ne s’aperçoit pas qu’il se contredit lui-même en ce qu’il vient de poser. Si tous en faisaient autant que vous ; lorsqu’il dit ensuite : Vous ne prétendrez pas que les Romains, embrassant votre créance et renonçant à tout ce dont ils se font des devoirs envers les dieux et envers les hommes, ils adressent leurs vieux à votre Dieu le Très-Haut ou comme il tous plaira, pour lui demander que descendant du ciel, il vienne combattre pour eux, en sorte qu’us n’aient point besoin d’autres forces ; car ce même Dieu avait dès ci-devant, si l’on vous en croit, promis les mêmes choses et d’autres encore bien plus grandes à ceux qui s’attacheraient à lui. Cependant vous voyez quel bien il a fait et à ces premiers et à vous : ceux-là au lieu de devenir les maîtres du monde, n’ont pas même de reste un pouce de terre ou un coin de maison ; et vous, si vous subsistez encore deux ou trois, errants et cachés, on vous cherche partout pour vous mener ou supplice. Puis donc qu’il demande ce qui arriverait, suppose que les Romains embrassassent le christianisme et que, renonçant aux lois anciennes qui règlent parmi eux ce qui concerne les dieux et les hommes, ils n’adorassent que le Dieu Très-Haut ; voici quelle est là-dessus notre pensée. Il nous est promis que : Si deux ou trois d’entre nous s’unissent ensemble sur la terre, quelque chose qu’ils demandent, elle leur sera accordée par le Père des justes qui est dans le ciel (Matth., XVIII, 19). Car Dieu se plaît à voir l’union et le concert des êtres raisonnables ; comme il lui déplaît qu’ils ne soient pas d’accord. Cela étant, que devrait-on croire, si non seulement un très petit nombre d’hommes, comme à présent s’unissaient ensemble, mais tous ceux généralement qui reconnaissent l’empire romain ? Ils adresseraient alors leurs vœux à celui qui fit autrefois porter cette parole aux Hébreux, poursuivis par les Égyptiens : Le Seigneur combattra pour vous vendant que vous demeurerez en repos (Exode, XIV, 14) : et les lui adressant avec un parfait accord, ils seraient capables de défaire un bien plus grand nombre d’ennemis, quelque pressés qu’ils en fussent, que n’en défit Moïse, par les vœux que lui et ceux qu’il conduisait firent à Dieu. Si ce que Dieu avait promis à ceux qui observeraient sa loi, n’a pas eu d’effet, ce n’est pas que Dieu ait manqué à sa promesse ; mais c’est que sa promesse était faite sous cette condition, qu’on observerait sa loi, et qu’on vivrait comme elle l’ordonne. De sorte que si les Juifs qui avaient reçu les promesses, sous une telle condition, n’ont pas à présent de reste un pouce de terre, ou un coin de maison, la cause en doit être rapportée à tous leurs crimes et particulièrement à celui qu’ils ont commis contre Jésus. Mais si tous les Romains embrassaient la foi, selon la supposition de Celse, ils auraient par le moyen de leurs vœux et de leurs prières, l’avantage sur leurs ennemis ; ou plutôt, ils n’auraient aucun ennemi à combattre, étant sous la protection de ce Dieu puissant, qui promettait que, pour l’amour de cinquante justes, il sauverait cinq villes entières (Gen., XVIII, 26). En effet, les saints hommes de Dieu sont le sel qui conserve l’état du monde, tel que nous le voyons sur la terre : et les choses ne s’y maintiennent, qu’autant que ce sel ne perd point sa vertu ; car si le sel devient fade, il n’est plus propre ni pour la terre, ni pour le fumier : mais on le jette dehors, et les passants le foulent aux pieds (Luc, XIV, 34, 35). Que ceux qui ont des oreilles entendent ce que cela veut dire (Matth., V, 13). Pour nous, nous sommes poursuivis et maltraités quand Dieu le permet, et qu’il donne au tentateur le pouvoir de nous persécuter. Mais quand Dieu ne veut pas nous exposer aux souffrances, nous vivons en paix, d’une façon surprenante au milieu du monde même qui nous hait : et nous nous reposons avec confiance sur celui qui a dit : Ayez confiance, j’ai vaincu le monde (Jean. XVI, 33). Il a véritablement vaincu le monde ; et le monde ne peut plus rien, qu’autant que le veut celui qui l’a vaincu par la puissance qu’il en a reçue de son Père. Nous mettons donc notre confiance en sa victoire. Mais, s’il veut que nous rentrions dans la carrière, et que nous combattions encore pour la piété, quelques ennemis qui se présentent, nous leur dirons : Je puis tout en Jésus-Christ, Notre-Seigneur qui me fortifie (Philipp., IV, 13). Car bien que, comme dit l’Écriture, deux passereaux ne se vendent qu’une obole, il n’en tombe aucun dans le filet, sans la volonté de notre Père céleste (I Tim., I, 12) : et la Providence divine embrasse tellement toutes choses, que les cheveux mêmes de notre tête n’échappent pas à ses soins, mais qu’elle les compte (Matth., X, 29, 30).

Celse continuant a brouiller selon sa coutume, nous attribue après cela ce qu’aucun de nous n’a jamais dit. C’est encore ici, ajoute-il, un de vos discours, qui ne saurait être supporté : Que si vous pouvez persuader à ceux qui règnent maintenant sur nous, de suivre vos maximes, en sorte qu’ils se laissent vaincre et prendre à leurs ennemis, vous le persuaderez de même à ceux qui leur succéderont ; et après que ceux-ci auront fait comme les premiers, vous en gagnerez encore d’autres ; et toujours d’autres, successivement, jusqu’à ce que tous ceux qui vous auront cru soient pris de cette manière comme il arriverait, à moins que quelque puissance, assez éclairée pour le prévoir, ne vous détruise tous de fond en comble, avant que vous la fassiez périr elle-même. La raison ne veut pas que nous nous mettions en peine de nous défendre là-dessus, puisqu’il n’y a aucun de nous qui ait jamais dit, en parlant de ceux qui régnant maintenant, que si, ayant reçu nos maximes, ils s’étaient laissé vaincre et prendre à leurs ennemis, nous en imprimerions aussi la persuasion à ceux qui leur succéderaient ; et qu’après que ceux-ci auraient fait comme les premiers, nous gagnerions, de même, encore ceux qui viendraient ensuite. Mais qui le porte à dire si légèrement que les derniers nous croyant toujours, et se laissant ainsi prendre successivement, faute de se défendre de leurs ennemis, enfin quelque puissance assez éclairée pour prévoir ce qui arriverait de là, nous détruirait tous de fond en comble ? Il semble qu’il ne fasse qu’entasser puérilités sur puérilités, et qu’il prenne plaisir à s’en épuiser.

Il fait ensuite une espèce de souhait. S’il était possible, dit-il, que tous les habitants de l’Asie, de l’Europe et de l’Afrique, tant les Grecs que les Barbares, jusqu’aux extrémités de la terre, s’accordassent à suivre une même loi. Mais jugeant cela impossible, il ajoute : Que qui se le mettrait dans l’esprit aurait bien peu de lumières. S’il faut encore s’arrêter ici, nous dirons deux mots sur ce sujet, qui demanderait beaucoup d’application et de recherches, pour faire voir que non seulement il est possible, mais qu’il est même certain que tous les êtres raisonnables doivent s’accorder à suivre me même loi. Les stoïciens disent que, quand l’élément le plus fort l’emportera sur les autres, comme cela doit arriver, il se fera un embrasement universel, toutes choses se convertissant en feu. Mais nous, nous disons que la raison (le Verbe), doit enfin se rendre la maîtresse de tout ce qui est d’une nature raisonnable, et changer toutes les âmes dans sa propre perfection : de sorte que chacun, n’usant que de son simple pouvoir, soit en état de choisir ce qu’il voudra, et de se maintenir dans ce qu’il aura choisi. Si dans les maladies et dans les blessures du corps il y a quelquefois des accidents qui sont au-dessus de tout l’art de la médecine, nous soutenons qu’il n’est pas croyable qu’il y ait de même dans les âmes quelques atteintes du vice, dont la guérison soit impossible à cette souveraine raison, à ce Verbe qui est Dieu ; car la raison dont il s’agit est plus puissante avec ses remèdes, que tous les maux qui travaillent l’âme : et elle les applique à chacun selon que Dieu l’ordonne. La fin de toutes choses sera la destruction du vice ; mais il doit être détruit, en sorte qu’il n’y ait plus pour lui aucun retour, ou s’il en est autrement, la question n’est pas de ce lieu. Pour l’entière destruction du mal, et la correction de toutes les âmes, les prophéties nous en disent beaucoup de choses, en termes couverts : mais il suffira de rapporter ici le passage de Sophonie (Sophon., III, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13). Tenez-vous prête ; levez-vous dès te malin : tous leurs fruits sont gâtés. Attendez-moi donc, dit le Seigneur, au jour que je me relèverai pour en informer ; car mon jugement s’apprête pour les assemblées des nations, afin d’y faire comparaître les rois, et de faire fondre sur eux toute la fureur de ma colère, jusque ce que toute la terre soit consumée par le feu de ma jalousie. Alors je redonnerai aux peuples une langue qui durera autant que le monde ; afin que tous invoquent le nom au Seigneur, et qu’ils le servent sous un même joug. En ce temps-là l’on m’offrira des sacrifices jusqu’aux derniers bords des fleuves de l’Éthiopie : et toi, tu n’auras plus de confusion de toutes les entreprises ou tu t’es portée pour m’offenser ; car je te ferai renoncer à tous les outrages par lesquels tu m’insultais ; et tu ne continueras plus te montrer fière sur ma sainte montagne. Le peuple que je laisserai dans tes murs sera doux et humble. Ceux d’Israël qui seront de reste craindront le nom du Seigneur. Ils ne feront point d’injustice. Ils ne parleront point de choses vaines. Ils n’auront point dans la bouche une langue trompeuse ; mais ils paîtront et ils se reposeront, sans que personne vienne les troubler. Que ceux qui sont capables de pénétrer tout le sens de cette prophétie, le mettent dans son jour : et qu’ils insistent principalement sur cette langue, qui, après que toute la terre aura été consumée, sera redonnée aux peuples, pour durer autant que le monde ; par rapport à l’état où étaient les choses avant l’ancienne confusion. Qu’ils considèrent bien ce que veut dira : Que tous invoqueront le nom du Seigneur, et qu’ils le serviront sous un même joug : que les outrages de ceux qui faisaient insulte seront bannis ; qu’il n’y aura plus d’injustice, plus de vains discours, plus de langue trompeuse. Voilà ce que j’ai cru devoir dire en peu de paroles, et non avec toute l’étendue d’une exacte explication sur ce que Celse avance, qu’il n’est pas que tous les habitants de l’Asie, de l’Europe, et de l’Afrique, tant les Grecs, que les Barbares, s’accordent à suivre une même loi. Et peut-être bien, qu’en effet, la chose n’est pas possible aux hommes qui vivent dans ce corps : mais elle n’est pas impossible à ceux qui en seront délivrés.

Après cela, il nous exhorte à secourir le roi (ou l’empereur) de toutes nos forces, à partager avec lui ses justes travaux, à combattre pour lui, à porter les armes sous lui, s’il nous veut obliger à les prendre pour lui aider à conduire ses armées. Il faut répondre que nous secourons les rois dans les occasions, et que nous leur donnons pour ainsi dire un secours divin, étant armés de toutes les armes de Dieu (Ephés., VI, 13). En quoi nous obéissons à ce commandement de l’apôtre : je vous conjure, avant toutes choses, que Ion fasse des supplications, des prières, des demandes et des actions de grâces pour tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui se sont élevés en dignité (I Tim., II, 1, 2). Plus donc on a de piété, plus on est propre à donner du secours aux princes, et ce secours est même bien plus efficace que celui des soldats qui vont à l’armée, et qui tuent autant d’ennemis qu’ils peuvent. Nous pouvons dire encore ici à ceux qui ne sont pas de notre créance et qui voudraient que nous portassions les armes pour défendre le public, en tuant des hommes : vos propres sacrificateurs qui prennent soin de vos simulacres, et qui font le service dans les temples de vos dieux, conservent leurs mains pures, à cause des victimes qu’ils doivent toucher, craignant d’offrir avec des mains souillées de sang ou de meurtres, les sacrifices institués à l’honneur des dieux qu’on adore parmi vous. Ainsi, quelque guerre qui s’élève, vous n’enrôler point les sacrificateurs. Si cela est raisonnable, combien plus l’est-il que, quand les autres hommes prennent les armes, ceux dont il s’agit ne les prennent que comme sacrificateurs et ministres de Dieu ; qui conservent leurs mains pures, mais qui combattant par leurs prières pour ceux dont les armes sont justes, et pour celui dont le règne l’est aussi, demandent à Dieu qu’il détruise toutes les puissances ennemies et tout ce qui peut s’opposer à la bonne cause ? Lors encore que nous mettons en déroute par nos prières, tous les démons qui tâchent d’allumer la guerre, de faire qu’on viole la foi des traités, et de troubler ainsi la paix, nous rendons plus de service aux princes que ce qu’en appelle leurs troupes. Nous travaillons aussi pour le bien commun, quant aux prières que nous faisons justement, nous ajoutons des exercices et des méditations qui enseignent à mépriser les voluptés, et à ne s’y pas abandonner. Il n’y a personne non plus, qui combatte mieux que nous pour le roi (ou l’empereur). Il est vrai que nous ne portons pas les armes sous lui, et que nous ne le ferions pas quand il voudrait nous y obliger ; mais nous les portons pour lui dans un camp à part, formé par la piété et muni des prières que nous adressons à Dieu. Si Celse veut même que nous prenions la conduite des armées pour le service de la patrie, qu’il sache que nous le faisons aussi : mais que ce n’est pas pour être regardés des hommes, ni pour en tirer un vain honneur ; car c’est dans le secret de nos cœurs et par les mouvements de nos esprits que, comme des ministres publics, nous poussons des vœux en faveur de nos compatriotes. Les chrétiens sont ceux de tous les hommes qui sont les plus utiles à leur patrie ; en ce qu’ils donnent de bonnes leçons aux autres citoyens et qu’ils leur apprennent à servir religieusement le Dieu protecteur : faisant ensuite passer dans une ville céleste et divine, ceux qui auront bien vécu dans les petites villes d’ici-bas ; car un jour il leur sera dit : Vous avez été fidèles dans une très petite ville : entrez dans une plus grande (Matth. XXV, 21) ; dans celle où Dieu préside à l’assemblée des dieux et où il est au milieu des dieux pour les juger (Luc, XIX, 17). Il vous mettra de leur nombre, afin que vous ne mouriez plus comme un homme, et que vous ne tombiez point comme l’un des princes (Ps. LXXXII, 1 et 7).

Celse nous exhorte encore à embrasser les charges de magistrats dans la république, si cela est nécessaire pour le soutien des lois et pour les intérêts de la piété ; mais nous qui savons qu’en chaque ville il y a une autre patrie dont la société a été formée par la parole de Dieu, nous exhortons à prendre la charge de conduire les églises ceux qui, par la pureté de leur doctrine et par celle de leurs mœurs, sont capables d’un tel emploi. Nous n’admettons point aux charges ceux qui les affectent ; mais nous forçons à les accepter ceux qu’une grande modestie empêche de se donner facilement à ces soins publics pour l’Église de Dieu. Ainsi ces sages conducteurs qui nous gouvernent, le font parce qu’ils y ont été contraints, et celui qui les y a contraints, c’est le grand Roi, de qui nous avons cette persuasion qu’il est le Fils de Dieu, Dieu le Verbe. Mais pour bien gouverner l’Église, il faut que ceux qui sont élus pour cela par leur patrie, cette société dont Dieu est le fondateur et qui n’est autre que l’Église même, il faut dis-je qu’ils se règlent sur les lois de Dieu, sans les altérer en les mêlant avec d’autres. Au reste, ce n’est pas pour se dispenser des devoirs communs de la vie que les chrétiens refusent la magistrature ; c’est pour se conserver à des devoirs plus divins et plus nécessaires qui regardent le service de l’Église et le salut des hommes. Il y a de la nécessité dans les fonctions qu’ils exercent : mais il n’y a pas moins de justice dans la manière dont ils s’en acquittent. Ils y prennent soin de tous ; de ceux de dedans pour faire qu’ils vivent mieux de jour en jour, et de ceux qui semblent de dehors pour les porter à des pensées et à des actions nobles, telles que la piété les inspire. De sorte que rendant eux-mêmes à Dieu un culte légitime, et travaillant de tout leur pouvoir à le lui faire rendre par plusieurs autres, ils sont tout pénétrés de la parole de Dieu (ou du Verbe), et de sa loi, pour être ainsi unis au Dieu souverain par son Fils, Dieu le Verbe, la sagesse, la vérité et la justice qui lui unit tous ceux qui s’étudient à vivre en toutes choses comme Dieu l’ordonne.

C’est ici que nous finirons, pieux Ambroise, le traité que vous nous avez obligé de composer ; où nous avons compris, en huit livres, selon la mesure des forces qui nous ont été données, tout ce que nous avons cru nécessaire pour répondre à l’écrit que Celse a intitulé Discours véritable. C’est maintenant à ceux qui liront et son écrit et notre réponse, à juger où parait le plus l’esprit du vrai Dieu, le génie de la piété qu’on lui doit, et le caractère de la vérité qui adresse de justes enseignements aux hommes, pour leur apprendre a bien vivre. Il est bon que vous sachiez pourtant que Celse avait promis de faire un autre traité après celui-ci, pour enseigner à ceux qui voudraient ou qui pourraient suivre ses maximes, comment ils devraient régler leur vie. S’il n’a pas tenu sa promesse, touchant ce second écrit, il suffit de ce que nous avons dit contre le premier dans nos huit livres. Mais s’il a entrepris et achevé l’autre, ayez soin de le chercher et de nous l’envoyer, afin que l’examinant aussi avec l’assistance du Père de la vérité, nous renversions les faux dogmes qu’il pourra contenir ; et que s’il s’y trouve quelque chose de véritable et de bien dit, nous y souscrivions avec cet esprit d’équité que l’entêtement de la dispute n’empêche point d’approuver.

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