Commentaire sur l’Épître aux Galates

§ 2. Introduction (1.6-10)

Paul entre en matière d’une façon très vive. Il laisse échapper les émotions de son âme, en apostrophe aux Galates légers (1.6), et à leurs perturbateurs (1.7) ; en protestation solennelle sur l’immutabilité de sa prédication évangélique (1.8-9), et en apologétique interrogation sur lui-même et sur sa conduite (1.10).

1.6-7

6 Je suis surpris que vous vous détourniez si promptement de Celui qui vous a appelés à la grâce de Christ, vers un autre Évangile ; 7 non qu’il en soit un autre, puisque ce ne sont que quelques gens qui vous troublent, avides de pervertir l’Évangile de Christ ;

μετατίσθεσθε, transporter dans un autre lieu. Au moyen, se transporter, et par extension, d’une opinion à une autre ; changer de sentiment (Hébreux 7.12). C’est ici le présent, parce que le travail de l’infidélité avait lieu dans le temps où Paul écrivait aux Galates. Nos versions traduisent à tort par le passé. — τακέως annonce la précipitation avec laquelle la plupart des Galates s’étaient livrés à de faux docteurs ; c’est ce qui paraît probable à Chrysost., à Théoph., etc., et ce que fait facilement comprendre la mobile légèreté du caractère gaulois. — τοῦ καλέσαντος. La version syriaque, Ambros., Erasme, Calav, Grotius, Bengel, Vitringa, ont pensé qu’il fallait joindre « Christ » à ce participe et traduire : Je m’étonne que vous ayez si vite quitté Christ qui, par sa grâce, vous avait appelés, etc. Chrysost., Théoph., Wolf, Rambach, Koppe, Borger, Winer, Rückert, Schott, préfèrent cet autre sens d’après lequel c’est Dieu qui appelle par la grâce de Christ, soit parce que Paul a l’habitude d’appliquer à Dieu plutôt qu’à Christ l’attribut d’appeler (Romains 9.24 ; 1 Corinthiens 1.9 ; 7.15, 17 ; 1 Thessaloniciens 2.12 ; 5.24 ; 2 Timothée 1.9 ; 1 Pierre 1.15 ; 2.9) ; soit parce que l’article devrait se trouver devant Christ, si le premier sens était vrai ; soit enfin parce que la phrase très coulante et toute naturelle devient embarrassée dans la première traduction. Ce verbe, appeler, désigne Dieu invitant et amenant les hommes à la communion de son règne, de sa société et de sa félicité par la vie et la doctrine de J. C. (Romains 9.11,24 ; 8.30 ; 1 Corinthiens 1.9 ; 8.15 ; Galates 1.15 ; 5.8 ; 1 Thessaloniciens 2.12 ; Éphésiens 4.1 ; 1 Timothée 6.12 ; 2 Timothée 1.9 ; 1 Pierre 5.10). Il rappelle l’image des repas auxquels est comparée la félicité divine (Matthieu 8.2 ; 22.1-14 ; Marc 2.17 ; Luc 5.32). Les Juifs attendant le bonheur céleste, à l’arrivée du Messie, se nommaient les appelés de Dieu (Esaie 49.15). C’est une belle et consolante idée que celle de la voix de Dieu toujours tournée vers l’humanité ; elle nous indique qu’il n’y a pas solution de continuité dans les rapports éducateurs de ce bon Père avec ses enfants ; que les liens entre l’infini et le fini sont perpétuels, et que quand bien même une mère abandonnerait le fruit qu’elle allaite, notre Père ne nous abandonne jamais (Ésaïe 48.12). — Ce mot renferme encore la pensée que la primitivité appartient à l’action divine. Il n’y a pas de réponse sans un appel antérieur ; il n’y a pas de réaction sans une influence précédente ; donc, en matière de vie religieuse, la liberté ou l’activité est postérieure à la passivité ou à la réceptivité ; le sentiment de notre dépendance est le point de départ et l’âme de cette vie ; dans l’acte d’union de notre volonté à la volonté divine, la sollicitation part de celle-ci pour fléchir celle-là à qui il appartient d’adhérer. C’est tout simple ; le sourire de la mère précède celui de l’enfant ; le Créateur est avant sa créature, et son action avant l’être actionné qui en est le but. — ἐν χάριτι par la grâce de Christ (Romains 5.15) ; même chose que διὰ τῆς χάρ. (Actes 15.11), qui vous appelle dans la grâce, du sein de la grâce de Christ, manifestée en Christ et par Christ, εἰς ἔτερον à une autre doctrine que mes adversaires disent bonne, salutaire, mais qui est autre que le véritable Evangile ou la grâce de Christ. — ὁ οὐκ, etc. Erasme, Calvin, Grotius, Winer, Rückert, font rapporter le pronom à tout le commencement, et traduisent : Cela, c’est-à-dire, votre défection n’est du reste pas autre chose et n’a pas d’autre cause, sinon que quelques-uns vous troublent ; mais alors il aurait fallu mettre à la place de εἰ μή, ἄλλο ᾓ ὅτι τινές ; de plus, l’apôtre se contredirait presque, car dans le premier membre il les blâmerait de s’être tournés vers un autre Évangile, et dans le second, il aurait l’air de dire : Ce n’est rien, la faute n’en est pas à vous, mais à quelques brouillons ; ce ton ne s’accorde pas avec celui de vif reproche qui précède et qui suit. D’ailleurs, cette construction dans une phrase qui semble fort coulante sous le point, de vue grammatical et sous celui des pensées est recherchée ; pour nous, l’idée et le mot Évangile étant le point saillant de ce verset, nous n’hésitons pas, sur les pas de la Peschito, de Théodoret, d’Œcum., de Wolf, de Cramer, de Michaëlis, de Kypke, de Semler, de Morus, de Koppe, de Borger, de Flatt, de Schott, à lui rattacher le pronom, et nous disons : Mais ce n’en est pas un autre ; ce que disent les judaisants n’est pas une autre bonne nouvelle ; il ne peut y en avoir deux, encore moins deux contradictoires ; ce ne sont que quelques misérables brouillons dont l’âme est le désordre, et dont le but est, non pas d’opposer un Évangile nouveau, mais de pervertir le seul, l’unique qui mérite ce nom, celui de Christ. En effet, les faux docteurs dont parle l’apôtre, ne prétendaient pas annoncer un autre Évangile, mais ils voulaient l’altérer, en y joignant la pratique de la loi mosaïque. — ταράσσοντες désigne l’agitation du corps, et par extension, celle de l’esprit ; perturbare y concutere : induire en erreur, et, par là, troubler (Galates 5.10 ; 1 Pierre 3.14 ; Actes 15.24). — μεταστρέψαι convertir, détourner, pervertir, corrompre (Actes 2.20 ; Jacques 4.9 ; Siracide 11.31).

1.8-9

8 mais quand bien même nous ou un ange du ciel vous prêcherions contre ce que nous vous avons évangélisé, anathème ! 9 Comme je viens de le déclarer, je le dis encore maintenant : Si quelqu’un vous évangélise à l’encontre de ce que vous avez reçu, anathème !

ἡμεῖς c’est-à-dire, moi, Paul (Romains 3.8 ; 2 Corinthiens 1.10). Il se cite lui-même, et se met en avant, par allusion sans doute, aux accusations de changement doctrinal qu’on lançait contre lui. — ἄγγελος, envoyé. Paul aime à relever la grandeur d’une chose par la majesté d’envoyés célestes, et c’est comme preuve plus forte de certitude qu’il les fait ici intervenir. Vous m’opposerez Jacques, Jean, les Colonnes, dit Chrysostome, eh bien ! je vous dis plus encore, quand même un envoyé du ciel, etc. — εὐαγγέλιζηται, annoncer des choses agréables touchant quelqu’un ; sur le règne de J. C. (Actes 14.7 ; Romains 1.15 ; 1 Corinthiens 9.16) ; pris ici dans le sens absolu, pour la divulgation de l’Évangile chrétien, de la vraie foi ; c’est la forme moyenne au mode conjonctif pour exprimer la chose en général comme un événement possible ; dans le v. 9, le présent prend la place du subjonctif, parce que l’idée passe de la possibilité à la réalité. — παρ’ ὃ, contrairement à ce que. Ce sens habituel de παρὰ avec l’accusatif (Romains 1.26 ; 4.18 ; 11.24 ; 12.3 ; 16.17 et la gravité de la sentence favorisent cette traduction. Ce contraire, c’est l’observance de la loi mosaïque comme condition universelle de salut (Actes 18.13). — ἀνάθεμα chose séparée de l’usage profane et commun, mise à part, consacrée à la divinité ; dons suspendus dans le temple (Lévitique 27.28 ; Josué 6.18 ; Ézéchiel 44.29 ; Michée 4.13). Ainsi l’on appelait de ce nom des choses vouées à Dieu pour honorer sa puissance et sa miséricorde, comme aussi pour lui être immolées en haine de ceux à qui elles appartenaient, ou de l’usage qu’on en avait fait ; par exemple, ce qui aurait servi au culte des idoles. Ce sens est assez fréquent dans l’Ancien Testament (Voyez les Cananéens, Deutéronome 7.2, etc. Jéricho, Josué 6.17. Les places du roi d’Arade, Nombres 21.2, etc.). De là vient que les Septante ont appliqué le mot anathème à toute chose ou à tout homme exécrables, et que les mots soit anathème sont devenus une formule d’imprécation (Malachie 3 ; Zacharie 14.11 ; Actes 23.14 ; Romains 9.3 ; 1 Corinthiens 12.3 ; 16.22). Ainsi : Mais quand bien même moi ou une autorité supérieure, un envoyé du ciel, apparaîtrions pour vous annoncer des doctrines opposées à celles que je vous ai enseignées, ne craignez pas de nous dire anathème, car alors, ennemis de Christ, nous mériterions des punitions divines ; que des peines telles que les mérite tout corrupteur de l’Evangile, retombent de par Dieu sur nous. — προειρήκαμεν etc. C’est l’expression de l’émotion de l’apôtre, causée par la grandeur de ce qu’il venait de dire. Ce n’est pas inconsidérément et ab irato, comme par vivacité de transport, mais avec toute l’attention et la solennelle gravité possibles que je vous déclare de nouveau, etc. (2 Corinthiens 7.3). — παραλαμβ. percevoir, connaître et admettre une doctrine (1 Corinthiens 15.1, 3 ; 1 Thessaloniciens 4.1 ; 2.13) ; ce qui renferme un acte de connaissance, de liberté et d’adhésion. — Dans ces deux derniers versets Paul nous donne une très haute idée de l’Évangile. Il distingue de telle sorte entre la vérité prêchée et le prédicateur, entre l’autorité de la vérité et celle de l’évangéliste, qu’il revêt la foi chrétienne d’un caractère absolu, d’une valeur intrinsèque, éternelle, tout-à-fait indépendante de ses formes, de ses modes révélateurs humains, des hommes et des choses, des temps et des lieux. Cette pensée découle de la possibilité qu’il suppose, et de l’anathème qu’il prononce sur ceux, hommes ou anges, qui réaliseraient cette possibilité. Ainsi l’Évangile a une valeur objective, immuable ; il pose devant l’humanité, en vérité souveraine, et les compréhensions saines ou erronées sont impuissantes pour enrichir ou altérer son essence. Il y a plus ; il résulte encore de ces passages que toute autorité humaine, y compris celle des apôtres, ne mérite ce nom et ce droit que lorsqu’elle est appuyée sur la vérité ; en d’autres termes, que la vérité évangélique ne s’appuie pas sur une autorité extérieure et de patronnage, mais que l’autorité découle de la vérité. Celle-là peut se rebeller, se corrompre ; celle-ci reste immuable, et trouve ses preuves et son évidence plutôt en elle-même que dans ses vulgarisateurs. Admirons ici le sentiment profond que Paul avait de la divinité de l’Évangile, de son originalité incréée, et l’anéantissement de sa personne et de toute personnalité humaine et céleste devant la majestueuse et inébranlable vérité de la foi chrétienne. Est-il nécessaire d’ajouter que par Évangile nous n’entendons point ici parler, pas plus que l’apôtre, des livres sacrés dans leur lettre, leurs formes, leurs moments humains ? car Paul n’a pas en vue les écrits apostoliques dont la plupart, sinon tous, n’existaient pas encore officiellement pour un grand public, mais ce qu’il avait évangélisé aux Galates, sa parole et les vérités et la vie dont elle avait été le véhicule. En saisissant ainsi l’Evangile dans sa substantielle et éternelle beauté, dans son esprit et sa nature, la rédemption ; en l’élevant au-dessus des écrits qui lui servaient ou lui serviraient un jour de reflet, et des hommes qui étaient ses organes, il nous donne une impérissable leçon d’indépendance d’esprit, de liberté spirituelle. De son temps, l’Evangile n’était pas encore un livre composé de traités biographiques et de lettres sur Jésus, sa doctrine, son église ; il planait comme fait divin, comme sentiment, comme révélation, comme amour et vie, au-dessus de ses incarnations partielles, individuelles et quotidiennes, soit dans les âmes soit dans des écrits ; sa fixation scripturaire est un événement né de sa présence antérieure et fécondante. Il était déjà réalisé dans des milliers de cœurs avant qu’il fût exprimé matériellement et fixé par l’écriture. Il était primitivement une vie, ou toute une manière neuve de sentir de penser d’agir, un esprit nouveau, une renaissance spirituelle qui, opérée dans les profondeurs de l’âme, se versait ensuite dans la société par les facultés aimante, intelligente et active de cette âme. Voilà donc ce qu’il doit être encore, amour, esprit, sanctification, et non sec dogmatisme, desséchante excroissance du raisonnement, idolâtrie de la lettre.

En présence de cette normalité sainte de la foi chrétienne, une grandeur d’âme correspondante, un dévouement admirable éclatent dans le cœur et les paroles de l’apôtre. Il s’enveloppe dans la proscription qu’il lance contre les pervertisseurs réfléchis de la vérité, avec une humble et cependant majestueuse sévérité, afin sans doute que sous l’anathème pesât d’un poids plus désintéressé et plus grand sur la tête de ceux qu’il réprouvait.

1.10

10 car maintenant est-ce à la faveur des hommes ou de Dieu que j’aspire ? où cherché-je à plaire aux hommes ? Si je plaisais encore aux hommes je ne serais pas serviteur de Christ.

ἅρτι, maintenant « depuis qu’ayant abandonné le judaïsme je suis devenu chrétien » ; il veut signaler l’opposition de sa conduite comme serviteur de Christ, avec son pharisaïsme antérieur. — ἀνθρώπους des Juifs et des chrétiens à sentiments juifs, selon Schrader. Néander pense au contraire qu’en appliquant cette proposition selon la pensée de Paul, occupé à se justifier envers les judaïstes qui l’accusaient de falsifier la doctrine chrétienne pour la rendre agréable aux païens, elle exprime une généralité et doit être entendue des païens et des pagano-chrétiens. — πείθω. difficile à expliquer. Ce verbe, avec l’accusatif de la personne, veut dire satisfaire, apaiser quelqu’un, rentrer dans sa grâce par la persuasion, et jamais prêcher, comme interprètent nos versions (Matthieu 28.14 ; Actes 12.20 ; 1 Jean 3.19). Même sens chez les profanes. On traduirait donc : « Est-ce que je cherche, depuis ma conversion, à me concilier la faveur des hommes ou de Dieu ? » car ce verbe renferme l’idée d’effort, d’application (Actes 28.23-24). Autrefois je cherchais à plaire aux hommes, mais aujourd’hui je ne suis plus ainsi ; ou bien encore : Tant s’en faut que par amour de la faveur des hommes je déprave la vérité, puisqu’au contraire je ne fais aucun cas de leur assentiment. Ainsi son mépris de l’approbation humaine est une preuve de son désintéressement et de sa fidélité évangélique. — Est-ce que je cherche à plaire aux hommes ? Pour donner une preuve excellente du contraire, il ajoute : Si, ἤρεσκον, je plaisais ; traduit selon son mode, et non point par : Si je voulais plaire, etc. (Romains 15.2 ; 1 Corinthiens 10.23) — ἔτι, aujourd’hui, comme autrefois. On reprochait à l’apôtre d’user de condescendance envers les Gentils pour les gagner ; il répond : Si je plaisais encore aujourd’hui aux hommes comme autrefois, et comme vous m’accusez de le faire, je ne serais pas disciple de Christ, puisque le Christ est détesté des puissants, des pharisiens, et que d’ailleurs il y a opposition diamétrale entre plaire aux hommes et servir Christ. — δοῦλος serviteur. Nom de prédilection chez les apôtres (Actes 4.29 ; Romains 1.1 ; Philippiens 1.1 ; Jacques 1.1 ; 2 Pierre 1.1 ; Apocalypse 1.1). Depuis sa conversion, Paul avait renoncé aux avantages terrestres qui auraient couronné ses persécutions légales. Il avait perdu l’estime de ses anciens amis et s’était attiré la haine violente des Juifs ; c’est donc avec raison qu’il disait : Si je plaisais, etc ; je ne serais pas serviteur de Christ, son apôtre ; mais, vous savez ce que vous devez penser de cette prétendue complaisance ; ma vie chrétienne est là pour dire si je la mets en pratique et ma résistance à mes adversaires est une nouvelle démonstration de ce fait. Cette pierre de touche de la légitimité de son apostolat est un argument décisif. En effet, le mobile des actions peut être Dieu ou les hommes ; dans le premier cas, le moi se dévoue ; il y a acte de conscience religieuse, d’obéissance, d’amour véritable ; il y a dévouement pur aux intérêts éternels de la vérité, de la sainteté ; dans le second, le moi s’exalte, s’apothéose, s’adore ; il y a œuvre de vanité égoïste et orgueilleuse, il y a hypocrisie de la piété : Si vous aimez le monde, est-il dit, l’amour du Père n’est point en vous ; jugez, mes chers Galates, pouvait s’écrier Paul, auquel de ces deux principes ma conduite est fidèle, et prononcez sur les accusations de mes ennemis. —Voilà le cachet du véritable pasteur. — Ce mot serviteur caractérise la vie chrétienne et renferme cet enseignement profond que la conscience de notre dépendance est la fleur du sentiment religieux, et que l’expression la plus complète de ce sentiment est de se mouvoir dans une dépendance continue de Dieu, ou de le servir. Servir, nous parait la mise en œuvre, le jeu excellemment harmonique des deux grands états de l’âme humaine, de la passivité et de la spontanéité, de la réceptivité et de la réaction. En effet, si la liberté ou l’action étaient le premier mouvement de notre nature dans nos rapports avec Dieu, il s’en suivrait que nous serions créateurs originaux de ces rapports, c’est-à-dire, qu’ils iraient de nous à Dieu, au lieu d’aller de Dieu à nous, ce qui serait le plus grand de tous les renversements, puisque le créé déterminerait le créateur, et que l’homme modifierait Dieu, de sorte que les rôles seraient changés. Notre nature contingente nous impose la condition de recevoir d’abord et toujours pour appliquer ensuite et successivement nos facultés sur ce qui a été reçu, donné ; l’action suit la réception ; il faut aspirer pour respirer, assimiler pour vivre. Ainsi, serviteur exprime un état permanent de réceptivité, de dépendance, et puis d’activité correspondante qui assimile le don, le transforme en sa substance, vit de cette incorporation spirituelle, et la rayonne par de fécondes expansions. Telle est la coordination normale et la fusion harmonique de l’ordre et de la liberté dont la personne de Paul est l’une des plus glorieuses réalisations ; car dans cette vie nous apparaissent, dans leur légitime hiérarchie, vivantes et progressives, l’action de Dieu et l’action de l’homme, l’obéissance et l’énergie, la passion divine et la productivité humaine. Voilà comment, dans le monde religieux et moral qu’il crée, le christianisme donne par le fait la solution du grand problème de la coexistence de l’ordre et de la liberté, des devoirs et des droits. Le temps, préparé par lui, est venu, d’organiser la société sur ses bases, afin que selon ses tendances irrésistibles, il soit tout en tout et en tous. — N’oublions pas que toute doctrine qui flatte le moi n’est pas divine ou chrétienne, car la rédemption n’étant qu’un appel fait à l’homme et à l’humanité de se renoncer et de se détruire comme centre, pour se centraliser en Dieu et graviter autour de lui, proclamer le moi, c’est nier la rédemption.

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