L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

Livre Premier

1
De l’imitation de Jésus-Christ, et du mépris de toutes les vanités du monde

« Heureux qui tient la route où ma voix le convie !
Les ténèbres jamais n’approchent qui me suit,
Et partout sur mes pas il trouve un jour sans nuit
Qui porte jusqu’au cœur la lumière de vie. »
Ainsi Jésus-Christ parle ; ainsi de ses vertus,
Dont brillent les sentiers qu’il a pour nous battus,
Les rayons toujours vifs montrent comme il faut vivre,
Et quiconque veut être éclairé pleinement,
Doit apprendre de lui que ce n’est qu’à le suivre
Que le cœur s’affranchit de tout aveuglement.
Les doctrines des saints n’ont rien de comparable
A celle dont lui-même il s’est fait le miroir ;
Elle a mille trésors qui se font bientôt voir,
Quand l’œil a pour flambeau son esprit adorable.
Toi qui, par l’amour-propre à toi-même attaché,
L’écoutes et la lis sans en être touché,
Faute de cet esprit, tu n’y trouves qu’épines ;
Mais si tu veux l’entendre et lire avec plaisir,
Conforme-s-y ta vie, et ses douceurs divines
S’étaleront en foule à ton heureux désir.
Que te sert de percer les plus secrets abîmes
Où se cache à nos sens l’immense Trinité,
Si ton intérieur, manque d’humilité,
Ne lui saurait offrir d’agréables victimes ?
Cet orgueilleux savoir, ces pompeux sentiments,
Ne sont aux yeux de Dieu que de vains ornements ;
Il ne s’abaisse point vers des âmes si hautes :
Et la vertu sans eux est de telle valeur,
Qu’il vaut mieux bien sentir la douleur de tes fautes
Que savoir définir ce qu’est cette douleur.
Porte toute la Bible en ta mémoire empreinte,
Sache tout ce qu’ont dit les sages des vieux temps ;
Joins-y, si tu le peux, tous les traits éclatants
De l’histoire profane et de l’histoire sainte :
De tant d’enseignements l’impuissante langueur
Sous leur poids inutile accablera ton cœur.
Si Dieu n’y verse encor son amour et sa grâce ;
Et l’unique science où tu dois prendre appui,
C’est que tout n’est ici que vanité qui passe,
Hormis d’aimer sa gloire, et ne servir que lui.
C’est là des vrais savants la sagesse profonde ;
Elle est bonne en tout temps, elle est bonne en tous lieux ;
Et le plus sûr chemin pour aller vers les cieux
C’est d’affermir nos pas sur le mépris du monde.
Ce dangereux flatteur de nos faibles esprits
Oppose mille attraits à ce juste mépris ;
Qui s’en laisse éblouir s’en laisse tôt séduire :
Mais ouvre bien les yeux sur leur fragilité,
Regarde qu’un moment suffit pour les détruire,
Et tu verras qu’enfin tout n’est que vanité.
Vanité d’entasser richesses sur richesses ;
Vanité de languir dans la soif des honneurs ;
Vanité de choisir pour souverains bonheurs
De la chair et des sens les damnables caresses ;
Vanité d’aspirer à voir durer nos jours
Sans nous mettre en souci d’en mieux régler le cours,
D’aimer la longue vie, et négliger la bonne,
D’embrasser le présent sans soin de l’avenir,
Et de plus estimer un moment qu’il nous donne
Que l’attente des biens qui ne sauraient finir.
Toi donc, qui que tu sois, si tu veux bien comprendre
Comme à tes sens trompeurs tu dois te confier,
Souviens-toi qu’on ne peut jamais rassasier
Ni l’œil humain de voir, ni l’oreille d’entendre ;
Qu’il faut se dérober à tant de faux appas,
Mépriser ce qu’on voit pour ce qu’on ne voit pas,
Fuir les contentements transmis par ces organes ;
Que de s’en satisfaire on n’a jamais de lieu,
Et que l’attachement à leurs douceurs profanes
Souille ta conscience, et t’éloigne de Dieu.

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